Mise à pied disciplinaire : 14 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/05176

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Mise à pied disciplinaire : 14 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/05176
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 3

ARRET DU 14 JUIN 2023

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/05176 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCGZQ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Mars 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – RG n° 18/02806

APPELANTE

S.A.S. COMPASS GROUP FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Jean-christophe BRUN, avocat au barreau de PARIS

INTIME

Monsieur [S] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Thikim NGUYEN, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 89 (bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 751010022020046178 du 08/01/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de PARIS)

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Véronique MARMORAT, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Véronique MARMORAT, présidente

Madame Fabienne ROUGE, présidente

Madame Anne MENARD, présidente

Lors des débats : Madame Sarah SEBBAK, greffière stagiaire

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Véronique MARMORAT, présidente et par Madame Sarah SEBBAK, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Embauché par la société Alstom Sigma Compass Groupe France ayant comme activité la restauration collective sous contrat le 28 août 2008 en qualité de plongeur, statut employé, niveau 1, ayant une rémunération moyenne brute égale à la somme de 1 619 euros, monsieur [S] [Y], né le 2 juin 1977, a été licencié, le 29 mai 2018, pour faute grave qui serait caractérisée par des faits de violence et la réitération des altercations mettant en cause le salarié et des refus réitérés du salarié de suivre les consignes de ses supérieurs hiérarchiques.

Le 19 septembre 2018, le salarié a saisi en contestation de ce licenciement et en diverses demandes salariales et indemnitaires le Conseil des prud’hommes de Bobigny lequel par jugement du 9 mars 2020, a principalement requalifié le licenciement pour faute grave de monsieur [Y] en licenciement pour cause réelle et sérieuse et condamné aux dépens la société Compass Group France Alstom Sigma Compass Group France à lui verser les sommes suivantes:

Titre

Montant en euros

indemnité de préavis

congés payés afférents

3 238

323,80

indemnité de licenciement

1 293,85

La société Compass Group France a interjeté appel de cette décision le 29 juillet 2020.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 28 octobre 2020, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, la société Compass Group France demande à la cour de

A titre principal :

Infirmer le jugement entrepris

Dire et juger que le licenciement de monsieur [Y] repose bien sur une faute grave

Débouter monsieur [Y] de l’intégralité de ses demandes

A titre subsidiaire :

Dire et juger que le licenciement de monsieur [Y] repose sur une cause réelle et sérieuse

En conséquence, limiter la condamnation de la société a :

Titre

Montant en euros

indemnité de licenciement

1 293,95

indemnité compensatrice de préavis

1 518,12

Débouter monsieur [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

En tout état de cause :

Condamner monsieur [Y] à verser à la société la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 29 décembre 2020, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, monsieur [Y] demande à la cour d’infirmer le jugement déféré, statuant de nouveau, de déclarer sans cause réelle et sérieuse son licenciement, et de condamner la société Compass Group France à

lui verser les sommes suivantes avec intérêt au taux légal à compter du jugement du Conseil des prud’hommes :

Titre

Montant en euros

indemnité de préavis

congés payés

3 232,00

323,30

indemnité de licenciement

1 293,85

indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse

14 571,00

article 700 du code de procédure civile

2 500,00

Lui remettre le bulletin de paie de décembre 2017 et une attestation Pôle Emploi conforme, sous astreinte de 20 euros par jour de retard et par document.

La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

MOTIFS

Principe de droit applicable :

Aux termes des dispositions de l’article L 1232-1 du Code du travail, tout licenciement motivé dans les conditions prévues par ce code doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ; en vertu des dispositions de l’article L 1235-1 du même code, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié, qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, même pendant la durée du préavis ; l’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

Par application des dispositions de l’article L 1232-6 du Code du travail, la lettre de licenciement, notifiée par lettre recommandée avec avis de réception, comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur ; la motivation de cette lettre, précisée le cas échéant dans les conditions prévues par l’article L 1235-2 du même code, fixe les limites du litige.

Application en l’espèce

En l’espèce, la lettre de licenciement est motivée de la manière suivante

‘Suite à notre entretien qui s’est tenu le 23 mars 2018 auquel nous vous avons convoqué par courrier recommandé en date du 13 mars 2018, nous vous informons de notre décisions de vous licencier pour les motifs suivants :

Altercation et menaces envers vos collègues de travail et vos supérieurs hiérarchiques, insubordination

Pour rappel, cet entretien avait pour objet d’entendre vos explications suite à diverses altercations suivies de plaintes de plusieurs collaborateurs concernant un comportement inadapté que vous auriez eu à la rencontre.

Lors de l’entretien, nous vous avons informé des faits que nous vous reprochions ainsi que des attestations que nous avions recueillies à votre encontre.

Les faits d’une extrême gravité sont lui suivants :

Altercation : depuis votre affectation en 2014 sur l’établissement Alstom Sigma, vous avez eu à plusieurs reprises des altercations avec vos collègues de travail et vos supérieurs hiérarchiques. Vous avez ainsi eu une altercation avec votre chef de cuisine en le menaçant à l’arme blanche. Les attestations que nous avons recueillies relèvent notamment que vous criiez en cuisine avec votre couteau à la main, pointé en direction du chef de cuisine.

Vous avez également menacé une collègue de travail en lui affirmant que vous l’inviteriez à ‘s’expliquer dehors si elle n’était pas une femme’. Ces propos relèvent de l’intimidation et revêtent un caractère sexiste qui n’est pas tolérable sur votre lieu de travail.

Insubordination : il apparaît que vous refusez régulièrement de suivre les consignes données par vos responsables hiérarchiques et que vous adoptez une attitude irrespectueuse, non professionnelle.

En effet, vous faites régulièrement preuve d’insubordination envers la gérante de l’établissement Alstom Sigma. Lorsqu’il vous est demandé de porter vos équipements de protection individuelle (pour des raisons de sécurité) ou vos gants en latex à usage unique (pour des raisons d’hygiène) vous refusez catégoriquement d’obtempérer. Même refus, lorsqu’il vous est demandé, cinq minutes avant la fin de votre journée de travail de terminer de nettoyer complètement votre poste de travail avant de le quitter. Non seulement vous refusez de suivre les directives , mais vous vous permettez de répondre de façon irrespectueuse ‘tu ne sais pas lire l’heure ‘ J’ai fini mon travail’ ‘Tu n’as qu’à me taper si tu veux’.

Vous adoptez également une attitude provocatrice à son égard lorsqu’il vous est fait part de l’interdiction d’emporter des denrées alimentaires à votre domicile. A nouveau, vous n’obtempérer pas, mais vous vous permettez également d’adopter un comportement irrespectueux en répondant ‘je n’ai pas eu le temps de les manger donc je les prends’, ‘on verra avec les syndics’ avant de partir avec la marchandise appartenant à l’entreprise.

Vous vous permettez également de crier sur la directrice du pole Alstom lorsque cette dernière vous fait des remarques sur le nettoyage de votre zone de travail.

Vous refusez également de respecter les consignes d’hygiène donnée par la chef de groupe lorsque du découpage des légumes prétextant connaître votre travail et être ainsi en droit de lui répondre :’ vous êtes qui pour me dire ce que je dois faire’.

L’ensemble de ces éléments sont corroborés par des attestations en bonne et due forme et des témoignages de nombreux collaborateurs et encadrants.

Lors de l’entretien vous avez nié l’intégralité des faits que vous nous reprochons.

Vous avez affirmé, sans être capable de fournir aucune preuve, que le chef de secteur de monsieur [W] ‘achetait les salariés’ afin qu’il soit contre vous.

Nous vous avons rappelé vous avoir déjà reçu pour des faits similaires il y a seulement deux mois, et regrettons ne voir aucune amélioration dans votre attitude et votre comportement, malgré le fait que vous ayez été sanctionné conformément à notre règlement intérieur.

Nous précisions que vous avez à de multiples reprises haussé le ton pendant votre entretien.

Nous vous avons demandé de vous calmer afin de pouvoir poursuivre l’entretien sereinement, mais votre agitation et votre colère n’ont pas pu nous rassurer sur votre comportement.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, et de la récurrence malgré nos mises en garde et notre demande expresse, votre maintien dans l’entreprise est impossible’.

La société Compass Group France rappelle qu’au cours des mois précédant la notification de son licenciement, monsieur [Y] a fait l’objet de 4 sanctions disciplinaires (mise à pied disciplinaire, rappels à l’ordre et blâme) et que compte tenu des antécédents disciplinaires du salarié, l’employeur considère alors qu’il était légitimement en droit d’attendre de ce dernier (qui était conscient des risques qu’il encourait s’il ne modifiait pas son comportement) une exécution consciencieuse de son contrat de travail et estime que la gravité des fautes relatées dans la lettre de licenciement n’a pas été suffisamment prise en compte par le conseil des prud’hommes.

Sur l’altercation avec madame [L]

Dans la lettre de licenciement, la société Compass Group France reproche à monsieur [Y] d’avoir menacé une collègue de travail en lui affirmant que vous l’inviteriez à « s’expliquer dehors si elle n’était pas une femme », propos qui relèveraient de l’intimidation et revêtiraient un caractère sexiste, intolérable sur son lieu de travail.

À l’appui de ce grief, l’employeur produit une attestation de madame [L] qui confirme ces propos tenus le 7 février 2018 après qu’elle avait demandé au salarié de couper des oignons ainsi qu’un courriel du 7 février 2018, de monsieur [C], soit le jour des faits, expliquant que monsieur [Y] avait refusé de suivre les ordres de madame [L], soit de préparer des oignons, expliquant qu’il partait en visite médicale et lui reprochant de s’être mêlée la veille à une conversation qu’il avait eu avec la gérante portant sur la sécurité alimentaire et physique, que madame [L] lui avait rappelé ses propres responsabilités en cette matière et c’est alors qu’il avait tenu ses propos. Il précise que depuis ces faits qui se sont produits à 8 h 30, madame [L] a confirmé ne plus vouloir travaillé avec monsieur [Y].

Ainsi, en tenant ses propos menaçants, à connotation sexiste, dans ces circonstances, monsieur [Y] a commis la faute reprochée et contraint l’employeur à prendre en compte cette altercation dans l’organisation du service.

Sur la menace à l’arme blanche envers monsieur [B]

Dans la lettre de licenciement, la société Compass Group France reproche à monsieur [Y] d’avoir eu une altercation avec son chef de cuisine en le menaçant à l’arme blanche et précise que les attestations que nous avons recueillies révèlent notamment que le salarié criait en cuisine avec son couteau à la main, pointée en direction du chef de cuisine.

L’employeur explique que le salarié a agressé, le 28 février 2018, monsieur [B], chef de cuisine, en le menaçant avec un couteau éminceur en main, la lame pointée en direction de ce dernier. Il indique que cette altercation faisait alors suite à un refus du salarié d’appliquer des instructions données par son chef de cuisine. L’employeur affirme que dans l’intervalle et compte tenu de la gravité des faits, il a du procéder à l’audition de l’ensemble des salariés présents au moment des faits afin de clarifier la situation avant d’engager toute procédure disciplinaire.

La société Compass Group France produit les attestations de madame [Z], gérante du restaurant, effectué le jour des faits, celles de monsieur [B] et de madame [L] en date du 2 mars 2018 qui toutes décrivent la même scène soit le salarié menaçant le chef de cuisine avec un couteau, se rapprochant près de lui en gesticulant et s’étant écarté à l’arrivée d’autres salariés.

Cette altercation la deuxième dans un temps rapprochée démontre au vu de l’ensemble des pièces de la procédure une escalade dans les agissements de monsieur [Y] qui non content de crier ou de protester quand les règles de sécurité alimentaire, ou le respect des consignes internes lui étaient rappelés s’est permis de menacer physiquement son chef de cuisine.

Le fait que l’employeur ait pris le temps de réunir des attestations avant de se décider à convoquer le 13 mars 2018 monsieur [Y] n’enlève rien à la gravité de ces deux fautes qui suffisent en elles-mêmes à caractériser une faute grave sans qu’il ne soit nécessaire d’examiner les autres griefs relatifs aux refus réitérés du salarié de suivre les consignes de ses supérieurs hiérarchiques, tels que le refus de nettoyer son plan de travail, du port des équipements obligations, et le fait d’avoir emporter des denrées alimentaires à son domicile et a adopté une attitude ouvertement et délibérément provocatrice.

Les fautes ainsi caractérisées constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rendait impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

En conséquence, le jugement du Conseil de prud’hommes sera infirmé en ce qu’il a requalifié ce licenciement en licenciement en cause réelle et sérieuse et de juger que licenciement de monsieur [Y] par la société Compass Group France est fondé sur une cause grave et de débouter le salarié de toutes ces demandes.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l’article 450 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement en ce qu’il a requalifié le licenciement de monsieur [Y] par la société Compass Group France en licenciement en cause réelle et sérieuse.

Statuant à nouveau,

JUGE que licenciement de monsieur [Y] par la société Compass Group France est fondé sur une cause grave.

DÉBOUTE monsieur [Y] de toutes ses demandes.

Vu l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE monsieur [Y] à verser à la société Compass Group France la somme de 600 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes.

CONDAMNE monsieur [Y] aux dépens.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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