Mimie Mathy c/ Ici Paris : la santé des comédiens, un sujet d’intérêt général ?

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Mimie Mathy c/ Ici Paris : la santé des comédiens, un sujet d’intérêt général ?

La diffusion d’informations relatives à l’état de santé d’une comédienne, qui lui prêtent d’avoir eu à subir une intervention chirurgicale ainsi que les digressions sur son état d’esprit, qui se situent au cœur de son intimité, portent atteinte à droit au respect de la vie privée de cette dernière.

En l’espèce, aucun des éléments contenus dans l’article ne vient accréditer la thèse selon laquelle l’évocation de ces problèmes de santé releveraient d’informations directement en lien avec l’activité professionnelle de la comédienne, qui et constitueraient un sujet légitime d’information du public sur un fait d’actualité justifiant l’atteinte ainsi commise, étant en au surplus précisé que les informations publiées ne contribuent pas à un débat d’intérêt général.

Conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse.

De même, elle dispose sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite d’un droit exclusif, qui lui permet de s’opposer à sa diffusion sans son autorisation.

Ces droits doivent se concilier avec le droit à la liberté d’expression, consacré par l’article 10 de la même convention. Ils peuvent céder devant la liberté d’informer, par le texte et par la représentation iconographique, sur tout ce qui entre dans le champ de l’intérêt légitime du public, certains événements d’actualité ou sujets d’intérêt général pouvant justifier une publication en raison du droit du public à l’information et du principe de la liberté d’expression, ladite publication étant appréciée dans son ensemble et au regard du contexte dans lequel elle s’inscrit.

Le droit à l’information du public s’agissant des personnes publiques, s’étend ainsi d’une part aux éléments relevant de la vie officielle, d’autre part aux informations et images volontairement livrées par les intéressés ou que justifie une actualité ou un débat d’intérêt général.

A l’inverse, les personnes peuvent s’opposer à la divulgation d’informations ou d’images ne relevant pas de leur vie professionnelle ou de leurs activités officielles et fixer les limites de ce qui peut être publié ou non sur leur vie privée, ainsi que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces publications peuvent intervenir.

Enfin, la diffusion d’informations déjà notoirement connues du public n’est pas constitutive d’atteinte au respect de la vie privée.

Résumé de l’affaire :

Déroulement de l’audience

L’audience s’est tenue le 11 septembre 2024, présidée par Jean-François Astruc, sans opposition des avocats. Après avoir entendu les parties, le président a rendu compte au tribunal conformément à l’article 786 du code de procédure civile.

Contexte de l’affaire

La société CMI France, éditrice du magazine Ici Paris, a été assignée par [G] [R] le 20 décembre 2023. Cette dernière a estimé que l’édition n°4093 du magazine, parue le 13 décembre 2023, portait atteinte à son droit au respect de sa vie privée et à son droit à l’image.

Demandes de la demanderesse

[G] [R] a demandé au tribunal de condamner CMI France à verser 15.000 € pour violation de la vie privée et 20.000 € pour violation du droit à l’image. Elle a également demandé la publication d’un communiqué judiciaire dans le magazine, le rejet des demandes de CMI France, et la condamnation de cette dernière aux dépens.

Réponse de CMI France

CMI France a contesté les allégations de [G] [R], demandant à titre principal de débouter la demanderesse de toutes ses demandes. À titre subsidiaire, elle a proposé de réduire le préjudice à un euro symbolique et de condamner [G] [R] aux frais.

Contenu de l’article litigieux

L’article en question évoque l’état de santé de [G] [R], illustré par une photographie d’elle dans un lit médicalisé. Le titre et le sur-titre de l’article laissent entendre une dégradation de sa santé, ce qui a été contesté par la demanderesse.

Atteintes alléguées

[G] [R] a soutenu que l’article, en abordant son état de santé de manière alarmiste, portait atteinte à sa vie privée. Elle a également contesté l’utilisation d’une photographie prise dans un cadre non autorisé, affirmant que cela violait son droit à l’image.

Position de CMI France

CMI France a défendu que l’article relevait d’un sujet d’intérêt public et que les informations publiées étaient basées sur des déclarations antérieures de [G] [R]. Elle a également soutenu que la photographie ne révélait pas d’éléments intimes.

Évaluation du préjudice

Le tribunal a noté que la demande de dommages et intérêts doit être justifiée par l’étendue du préjudice. Bien que [G] [R] ait exposé des éléments personnels, le tribunal a constaté l’absence de preuves concrètes du préjudice allégué.

Décision du tribunal

Le tribunal a condamné CMI France à verser 5.000 € à [G] [R] pour préjudice moral, tout en déboutant les parties du surplus de leurs demandes. CMI France a également été condamnée aux dépens et à verser 2.000 € à [G] [R] pour les frais de la procédure.

Exécution provisoire

Le tribunal a rappelé que l’exécution provisoire est de droit, nonobstant appel.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

6 novembre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG
24/00468
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS


MINUTE N°:
17ème Ch. Presse-civile

N° RG 24/00468 – N° Portalis 352J-W-B7H-C3TTS

JFA

Assignation du :
20 décembre 2023
[1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

République française
Au nom du Peuple français

JUGEMENT
rendu le 06 Novembre 2024

DEMANDERESSE

[G] [R]
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Me Jean ENNOCHI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0330

DEFENDERESSE

S.A.S.U. CMI FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Me Christophe BIGOT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #W0010

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Magistrats ayant participé au délibéré :

Jean-François ASTRUC, Vice-président
Président de la formation

Anne-Sophie SIRINELLI, Vice-président
Gauthier DELATRON, Juge
Assesseurs

Greffier :
Viviane RABEYRIN, Greffier

DEBATS

A l’audience du 11 Septembre 2024 tenue publiquement devant Jean-François ASTRUC, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les parties, en a rendu compte au tribunal, conformément aux dispositions de l’article 786 du code de procédure civile.

JUGEMENT

Mis à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

Vu l’assignation délivrée le 20 décembre 2023 à la société CMI FRANCE, éditrice du magazine Ici Paris, à la requête de [G] [R], laquelle, estimant qu’il a été porté atteinte à son droit au respect de sa vie privée et à son droit à l’image dans l’édition n°4093 de l’hebdomadaire en date du 13 décembre 2023, demande au tribunal, au visa de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et de l’article 9 du code civil :

– de condamner la société CMI FRANCE à lui verser les sommes de 15.000 € à titre de dommages et intérêts pour violation de la vie privée, outre 20.000 € à titre de dommages et intérêts pour violation du droit à l’image ;

– d’ordonner la publication d’un communiqué judiciaire, dont les caractéristiques et modalités sont précisées au dispositif de l’assignation, en page de couverture de l’hebdomadaire Ici Paris, qui paraîtra 8 jours après la signification du jugement à intervenir et ce sous astreinte de 10.000 € par numéro de retard, dont le tribunal se réservera la liquidation ;

– de rejeter l’ensemble des demandes, fins et conclusions de la société CMI FRANCE ;

– de condamner la société CMI FRANCE à lui verser la somme de 4.000 € conformément aux dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– de condamner la société CMI FRANCE aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Jean ENNOCHI, conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions en réponse de la société CMI FRANCE, notifiées par voie électronique le 11 avril 2024, laquelle demande au tribunal :

– à titre principal, de débouter [G] [R] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

– à titre subsidiaire, de ramener le préjudice à l’euro symbolique et de condamner [G] [R] en tous frais et dépens au profit de Me Christophe BIGOT dans les conditions fixées à l’article 699 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions récapitulatives de la demanderesse, notifiées par voie électronique le 6 mai 2024 par lesquelles cette dernière maintient ses demandes initiales ;

Vu l’ordonnance de clôture en date du 15 mai 2024 ;

A l’audience du 11 septembre 2024, les parties ont oralement soutenu leurs écritures et il leur a été indiqué que la décision, mise en délibéré, serait rendue le 6 novembre 2024.

Sur la publication litigieuse

[G] [R] est une humoriste et actrice française.

Dans son édition n°4093, en date du 15 septembre 2023, le magazine Ici Paris, édité par la société CMI FRANCE, lui a consacré un article.

Celui-ci est annoncé en page de couverture par le titre « Mimie Mathy “On m’a ouvert 4 fois le dos” », apposé sur une photographie de la demanderesse allongée de face dans un lit médicalisé, en tenue d’hôpital, le visage fermé, dans une expression inquiète. Un sur-titre indique : « Triste fin d’année pour notre ange gardien ».

La publication querellée est ensuite développée en pages 8 et 9 du magazine, sous le même titre. Un chapô introductif annonce : « C’est une bien triste fin d’année pour notre ange gardien qui enchaîne les problèmes de santé… ».

L’article débute en rappelant que [G] [R] subissait en janvier 2017 une opération « durant 6 heures », puis reproduit les propos tenus par la demanderesse dans le journal Le Parisien à sa sortie (« j’ai eu une arthrodèse […] j’avais mal quand je marchais ») puis dans Télé Star l’année suivante (« Je m’aide encore parfois un peu avec une canne »).

Il aborde alors les problèmes de santé récents de la demanderesse en relatant que : « Le mal est revenu, et la douleur s’est accentuée… ». L’article indique que [G] [R] a révélé à TV Magazine la semaine passée que “son état avait empiré” et a évoqué le « syndrome de la queue-de-cheval » dont elle souffre, avant de déclarer “on m’a ouvert quatre fois le dos mais maintenant ça va (…)”. Expliquant que “Si [G] [R], comme lors de la première opération, a tendance à minimiser”, l’auteur précise que cette affection peut « entrainer une paralysie totale des jambes » ou « une perte de réflexes dans les chevilles et les genoux ». L’article relativise ensuite les inquiétudes quant à la santé de la demanderesse et évoque « encore certaines difficultés […] de petits soucis ponctuels qui ne nuisent en rien à son existence ».

Il se poursuit en exposant que “le corps va bien mais (…) [G] [R] a avoué garder une blessure à l’âme: la maternité”. Est alors évoqué « le désir de devenir mère » de [G] [R] que celle-ci a confessé lors de ce même entretien à TV Magazine, dans lequel elle abordait les risques d’une potentielle grossesse et sa décision de ne pas être mère. L’article conclut ainsi : « On sent tout de même dans ses mots qu’il reste peut-être en elle l’ombre d’un regret… ».
Au fil de l’article, deux intertitres, en larges lettres rouges, sont insérés, le premier en page 8, qui mentionne: « Sans traitement, une paralysie totale des jambes » et le second en page 9, qui mentionne : « Le syndrome de la queue-de-cheval est une atteinte grave qui peut évoluer… » : 

La photographie publiée en page de couverture est reprise en page 8 afin d’illustrer l’article litigieux.

C’est dans ces circonstances qu’est intervenue la présente assignation.

Sur les atteintes alléguées

Conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse. De même, elle dispose sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite d’un droit exclusif, qui lui permet de s’opposer à sa diffusion sans son autorisation.

Ces droits doivent se concilier avec le droit à la liberté d’expression, consacré par l’article 10 de la même convention. Ils peuvent céder devant la liberté d’informer, par le texte et par la représentation iconographique, sur tout ce qui entre dans le champ de l’intérêt légitime du public, certains événements d’actualité ou sujets d’intérêt général pouvant justifier une publication en raison du droit du public à l’information et du principe de la liberté d’expression, ladite publication étant appréciée dans son ensemble et au regard du contexte dans lequel elle s’inscrit.

Le droit à l’information du public s’agissant des personnes publiques, s’étend ainsi d’une part aux éléments relevant de la vie officielle, d’autre part aux informations et images volontairement livrées par les intéressés ou que justifie une actualité ou un débat d’intérêt général. A l’inverse, les personnes peuvent s’opposer à la divulgation d’informations ou d’images ne relevant pas de leur vie professionnelle ou de leurs activités officielles et fixer les limites de ce qui peut être publié ou non sur leur vie privée, ainsi que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces publications peuvent intervenir.

Enfin, la diffusion d’informations déjà notoirement connues du public n’est pas constitutive d’atteinte au respect de la vie privée.

[G] [R] fait valoir que la publication litigieuse, évoquant de façon alarmiste son état de santé, sujet qui relève de sa vie intime, porte atteinte au droit au respect de sa vie privée. La demanderesse réfute les allégations du magazine et soutient que ses propos tenus par le passé étaient au contraire rassurants et tranchent avec le caractère alarmiste et intrusif de l’article litigieux. Elle estime par ailleurs que l’utilisation par le magazine d’une photographie dont aucun élément ne révèle l’origine, alors qu’elle a été prise à l’occasion de la préparation d’un sketch, démontre à l’évidence la volonté de porter gravement atteinte à son droit à l’image.

La société CMI FRANCE conteste l’existence des atteintes. Elle fait valoir que l’évocation des problèmes de santé de la demanderesse constitue un sujet légitime d’information du public sur un fait d’actualité, et est en lien direct avec son activité professionnelle, sujet qui ne relève pas de la vie privée. Elle soutient que l’article, abordant également le sujet de la maternité, repose sur des déclarations publiques de [G] [R] et ne comporte aucune nouvelle information. Elle estime en outre que le ton alarmiste utilisé par le magazine relève de la liberté de ton, corollaire de la liberté d’expression. Enfin, s’agissant de la photographie, la société défenderesse fait valoir que sa publication n’est pas fautive puisqu’elle ne dévoile aucun élément intime, qu’elle a été prise dans un cadre professionnel, sans qu’aucun détail concernant la date ou le lieu de la captation ne soit donné et dont la seule finalité est d’illustrer l’article.

En l’espèce, l’article litigieux aborde successivement l’état de santé de [G] [R] puis son choix de ne pas devenir mère en dépit de son désir de maternité.
Sur ce dernier point, l’allusion au désir de maternité de la demanderesse, qui avait été antérieurement largement évoqué par elle dans les médias (pièces 9, 11,18 et 29 à 31 en défense) ainsi que les explications relatives à la grossesse des personnes atteintes de nanisme, ne caractérisent pas une atteinte à sa vie privée, aucune nouvelle information n’y étant apportée, l’article se bornant à reprendre des déclarations faites par [G] [R].

S’agissant de l’état de santé de [G] [R], le sur-titre et le titre qui annoncent l’article, seuls accessibles au lecteur ou au passant qui ne consulte pas les pages intérieures du journal, annonce « Triste fin d’année pour notre ange gardien » et « “On m’a ouvert 4 fois le dos” », ces assertions étant associées à une photographie de la demanderesse allongée de face dans un lit médicalisé, en tenue d’hôpital, affichant une expression inquiète, laissant entendre, en ce mois de décembre 2023, que [G] [R] aurait récemment été confrontée à de graves difficultés de santé.
L’actualité de cette affection n’est pas démentie par le corps même de l’article, qui indique que celle-ci a donc subi « quatre opérations du dos », en livre la cause, « le syndrome de la queue de cheval », qui est présentée comme une pathologie sévère et évolutive, quand bien même le lecteur finit par comprendre à la lecture de l’article que les complications mises en exergue dans l’article (« paralysie totale des jambes », « atteinte grave qui peut évoluer ») ne concernent pas directement [G] [R] mais sont le rappel des conséquences possibles de la pathologie sur toute personne qui en est atteinte.

L’article développe à l’envie ce thème d’une dégradation récente et actuelle de son état de santé (« Le mal est revenu, et la douleur s’est accentuée… » « son état a[vait] empiré »), encore accentué par la reprise du titre annoncé en page de couverture et les intertitres (« notre ange gardien qui enchaîne les problèmes de santé… »), tout en laissant entendre l’urgence de l’hospitalisation (« Sans traitement, une paralysie totale des jambes »), invitant ainsi le lecteur à comprendre qu’une nouvelle opération, illustrée par la photographie de cette dernière sur son lit d’hôpital, a sauvé la demanderesse.

S’il est exact que des éléments biographiques ont été évoqués par la demanderesse elle-même dans divers entretiens (pièces n°2 à 5, 7 à 18 et 29 à 31 en défense), les déclarations de [G] [R] relatives à une lourde opération chirurgicale subie en 2017 étant du reste expressément reprises dans l’article, il n’en reste pas moins que l’article inscrit dans l’actualité immédiate les difficultés d’ordre médical qui frappent [G] [R], ce qui ressort encore de la formulation employée selon laquelle « Si [G] [R], comme lors de la première opération, a tendance à minimiser”.
En outre, l’article spécule sur son mal-être supposé, en insistant sur les souffrances ressenties, en expliquant que « la douleur est toujours là », qu’elle « s’est accentuée ».

La diffusion d’informations relatives à son état de santé, qui lui prêtent d’avoir eu à subir une intervention chirurgicale ainsi que les digressions sur son état d’esprit, qui se situent au cœur de son intimité, portent atteinte à droit au respect de la vie privée de [G] [R].

Aucun des éléments contenus dans l’article ne vient accréditer la thèse selon laquelle l’évocation de ces problèmes de santé releveraient d’informations directement en lien avec l’activité professionnelle de [G] [R], qui et constitueraient un sujet légitime d’information du public sur un fait d’actualité justifiant l’atteinte ainsi commise, étant en au surplus précisé que les informations publiées ne contribuent pas à un débat d’intérêt général.

En outre, l’atteinte au droit de [G] [R] au respect de sa vie privée est prolongée par la diffusion, en page de couverture et dans le corps de l’article, d’une image de sa personne détournée de sa destination initiale, puisqu’il est expliqué et reconnu que le cliché de l’intéressée sur un lit d’hôpital a été pris à l’occasion de la préparation d’un sketch dans lequel [G] [R] interprétait le rôle d’une patiente hospitalisée.

Cette publication sans autorisation et sans que cela ne soit rendu nécessaire par un débat d’intérêt général, qui vient illustrer et accréditer les propos attentatoires à la vie privée tenus dans l’article, porte atteinte à son droit à l’image.

Dans ces conditions, les atteintes alléguées sont constituées.

Sur les mesures sollicitées

Si la seule constatation de l’atteinte au respect à la vie privée et au droit à l’image par voie de presse ouvre droit à réparation, le préjudice étant inhérent à ces atteintes, il appartient toutefois au demandeur de justifier de l’étendue du dommage allégué ; l’évaluation du préjudice est appréciée de manière concrète, au jour où le juge statue, compte tenu de la nature des atteintes, ainsi que des éléments invoqués et établis.

S’agissant de l’atteinte à la vie privée, l’allocation de dommages et intérêts ne se mesure pas à la gravité de la faute commise, ni au chiffre d’affaires réalisé par l’éditeur de l’organe de presse en cause ; cependant, la répétition des atteintes, comme l’étendue de la divulgation et l’importance du lectorat de ce magazine à fort tirage, sont de nature à accroître le préjudice.

En outre, l’utilisation de l’image d’une personne sans autorisation est de nature à provoquer chez son titulaire un dommage moral, la seule constatation de l’atteinte à ce droit par voie de presse ouvrant droit à réparation. Le demandeur doit toutefois justifier de l’étendue du dommage allégué, le préjudice étant apprécié concrètement, au jour où le juge statue, compte tenu de la nature des atteintes et des éléments versés aux débats.

Au soutien de sa demande indemnitaire, [G] [R] souligne la réitération des atteintes portées à son égard par la société défenderesse, évoquant un article alarmiste sur son état de santé publié quelques mois auparavant au sein d’un autre magazine édité par CMI FRANCE.

La société défenderesse constate l’absence de justification du préjudice subi par la demanderesse. Elle relève également la complaisance de [G] [R] sur ses problèmes de santé et la maternité, soulignant de nombreuses déclarations publiques au fil des années. Estimant que le ton employé par l’article est bienveillant, elle conclut que le cliché litigieux, comportant un caractère identitaire, est librement accessible par tous et que sa seule finalité est d’illustrer les propos tenus par l’article.

A titre préalable, il sera relevé que si le préjudice moral causé par la publication en cause est lié à une double atteinte, l’une à la vie privée, l’autre au droit à l’image, il doit être apprécié de manière globale dès lors que ces deux atteintes sont intrinsèquement liées.

En l’espèce, afin de déterminer l’étendue du préjudice de [G] [R], il convient de prendre en compte le fait qu’elle subit l’exposition au public d’éléments éminemment personnels de sa vie privée, sous l’angle de questions de santé relevant de la plus profonde intimité, présentés sous une forme exagérée (« douleur qui s’est accentuée… ») et alarmiste (« son état a[vait] empiré »).

Ces éléments sont présentés dans un article annoncé en page de couverture du magazine Ici Paris, par des textes à la typographie criarde, propre à attirer l’attention d’un public plus large que celui des seuls acheteurs du magazine.

En outre, et contrairement à ce qui est indiqué en défense, l’article litigieux, par le choix même de son sujet, qui suggère que la demanderesse est exposée au retour de graves problèmes de santé ayant justifié son hospitalisation, ne saurait être considéré comme bienveillant.

S’agissant de son droit à l’image, il convient de relever que l’article est accompagné d’une photographie particulièrement attentatoire puisqu’elle représente la demanderesse allongée de face dans un lit médicalisé, en tenue d’hôpital, aucune indication ne venant informer le lecteur de ce que le cliché n’aurait pas été pris dans les conditions réelles d’une hospitalisation.

Certains éléments commandent toutefois une appréciation plus modérée du préjudice subi.

S’agissant de la complaisance de [G] [R], il sera relevé que celle-ci, ainsi que le souligne la société CMI FRANCE, a effectivement exposé sa vie privée dans les médias en évoquant largement sa santé (pièces n°2 à 5 et 7 à 18 en défense), son couple et sa maternité (pièces n°9, 11,18 et 27 à 33 en défense).

Si cette communication est susceptible d’attirer l’attention du public sur la vie personnelle et sur la santé de [G] [R], il convient néanmoins de relever que ses déclarations récentes se veulent rassurantes (pièces 17 et 18 en défense). Celle-ci a notamment indiqué au magazine TV magazine publié la semaine précédant l’article litigieux (pièce n° 15 en défense), auquel ce dernier se réfère pourtant expressément : “je vais bien. Je ne cours pas comme une gazelle (…) mais je vais bien et je marche du mieux possible ».

Il convient enfin de souligner qu’il n’est produit aucune pièce permettant d’apprécier l’étendue du préjudice allégué.

Pour l’ensemble de ces raisons, la société CMI FRANCE sera condamnée à lui verser la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice moral découlant tant de l’atteinte à son droit à l’image que de l’atteinte à son droit au respect de sa vie privée.

Par ailleurs, la publication d’un communiqué judiciaire ne sera pas ordonnée, le préjudice étant suffisamment réparé par l’allocation de dommages et intérêts.

Sur les demandes accessoires

La société CMI FRANCE, qui succombe, sera condamnée aux dépens, avec distraction au profit de Maitre ENNOCHI conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de [G] [R] les frais exposés par elle au titre de la présente procédure, il y a lieu en conséquence de condamner la société CMI FRANCE à lui payer la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Enfin, il sera rappelé que l’exécution provisoire est de droit.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Condamne la société CMI FRANCE à payer à [G] [R] la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice moral résultant des atteintes portées à son droit à la vie privée et à son droit à l’image ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la société CMI FRANCE aux dépens, avec distraction au profit de Maitre ENNOCHI conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;

Condamne la société CMI FRANCE à payer à [G] [R] la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Rappelle que l’exécution provisoire est de droit nonobstant appel.

Fait et jugé à Paris le 06 Novembre 2024

Le Greffier Le Président


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