MeToo du porno français : imputations diffamatoires ?

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MeToo du porno français : imputations diffamatoires ?
Ce point juridique est utile ?

La diffamation ne peut être constituée si la personne morale visée (producteur de X) n’est pas identifiable.

La seule référence générale à la qualité professionnelle des personnes incarcérées (des « producteurs de porno ») ne peut conduire le public à y associer des personnes déterminées, ce même en considérant la précision qu’il s’agit « des plus influents », qui restreint le spectre des possibilités sans toutefois permettre d’individualiser les personnes concernées.

1. Attention à la nécessité de démontrer de manière concrète l’identification des personnes visées par les propos diffamatoires: Il est déterminant de fournir des preuves tangibles montrant que les personnes concernées ont été identifiées ou sont identifiables par les lecteurs ou auditeurs des propos litigieux. Les éléments extrinsèques connus du public doivent permettre une identification claire des personnes visées pour établir le caractère diffamatoire des propos.

2. Il est recommandé d’éviter les imputations indirectes ou par ricochet: Lorsqu’il s’agit de diffamation, il est essentiel de s’assurer que les imputations diffamatoires ne rejaillissent pas sur des personnes qui ne sont pas directement visées par les propos litigieux. Les allégations diffamatoires doivent être clairement étendues aux personnes concernées de manière explicite et non de manière déguisée ou dubitative.

3. Il est recommandé de tenir compte du contexte global des propos diffamatoires: Lors de l’analyse des propos diffamatoires, il est essentiel de prendre en considération à la fois le contenu des propos eux-mêmes et le contexte dans lequel ils ont été exprimés. Une évaluation complète du contexte aidera à déterminer si les propos en question portent effectivement atteinte à l’honneur et à la considération des personnes visées.

Résumé de l’affaire

L’affaire concerne une action en diffamation intentée par la société 1979, [K] [Y] et [V] [Y] contre [U] [E], [D] [R] et [I] [O] de Radio France. Les plaignants estiment que des propos diffamatoires ont été tenus à leur encontre dans une chronique diffusée sur France Inter et mise en ligne sur le site internet de la radio. Le tribunal a jugé que les propos tenus constituaient effectivement de la diffamation publique envers les plaignants et a condamné [D] [R], [U] [E] et [I] [O] pour diffamation.

Les points essentiels

Introduction de l’affaire

L’affaire concerne une demande de retrait d’un article et d’un podcast intitulés “Le difficile MeToo du porno français” diffusés par la SOCIETE NATIONALE DE RADIODIFFUSION RADIO FRANCE sur France Inter. Les plaignants, la société 1979 et ses dirigeants, allèguent que les contenus diffament leur entreprise et demandent diverses mesures correctives et compensatoires.

Contexte et parties impliquées

La société 1979, opérant sous la dénomination commerciale “[Y]”, est un groupe multimédia spécialisé dans la production et la distribution de contenus pour adultes. Les dirigeants de la société, [K] [Y] et [V] [Y], sont également impliqués dans l’affaire. Les défendeurs incluent [D] [R], journaliste à France Inter, [I] [O], auteur du reportage, et [U] [E], directrice de la publication.

Diffusion et contenu du reportage

Le 23 février 2021, France Inter a diffusé un reportage intitulé “Le difficile MeToo du porno français” dans l’émission “Le 7/9”. Le reportage, présenté comme une enquête sur les pratiques de l’industrie pornographique française, mentionne des procédures judiciaires pour viol, proxénétisme et fraude fiscale impliquant les deux leaders français du X, dont [Y] et Jacquie et Michel.

Réactions et demandes des plaignants

La société 1979 a demandé la diffusion d’un droit de réponse, arguant que les propos tenus dans le reportage portaient gravement atteinte à sa réputation. La société a également initié plusieurs procédures judiciaires pour diffamation publique, visant à obtenir le retrait des contenus incriminés et des compensations financières.

Arguments des défendeurs

Les défendeurs ont contesté les allégations de diffamation, soutenant que les propos ne visaient pas directement la société 1979 ni ses dirigeants. Ils ont également argumenté que les propos incriminés ne portaient pas sur des faits précis susceptibles de porter atteinte à l’honneur et à la considération des plaignants.

Décision du tribunal

Le tribunal a examiné les éléments de preuve et les arguments des deux parties. Il a conclu que les propos poursuivis imputaient des faits précis susceptibles de porter atteinte à l’honneur et à la considération des personnes visées. Cependant, il a jugé que la société 1979 n’était pas identifiable par les auditeurs et lecteurs comme étant la personne morale visée sous l’appellation “[Y]”.

Identification des personnes visées

Le tribunal a déterminé que les propos poursuivis visaient les sociétés “[Y]” et “Jacquie et Michel” en tant que personnes morales, mais n’identifiaient pas spécifiquement la société 1979. De plus, les dirigeants [K] et [V] [Y] n’étaient pas identifiables comme les “deux producteurs parmi les plus influents” mentionnés dans le reportage.

Conséquences pour les plaignants

En l’absence de preuve que la société 1979 et ses dirigeants étaient identifiables dans les propos incriminés, le tribunal a rejeté les demandes des plaignants. La société 1979, [K] [Y] et [V] [Y] ont été déboutés de l’ensemble de leurs demandes et condamnés aux dépens.

Condamnation aux dépens

Le tribunal a condamné la société 1979, [K] [Y] et [V] [Y] à payer les dépens et une somme de 1.000 euros à chacun des défendeurs en application de l’article 700 du code de procédure civile. La décision est exécutoire par provision.

Conclusion

L’affaire illustre les défis juridiques liés à la diffamation dans le contexte des médias et de l’industrie pornographique. Le tribunal a jugé que les plaignants n’avaient pas réussi à prouver que les propos incriminés les identifiaient de manière évidente, rejetant ainsi leurs demandes de retrait et de compensation.

Les montants alloués dans cette affaire: – La société 1979, [K] [Y] et [V] [Y] sont déboutés de l’ensemble de leurs demandes.
– La société 1979, [K] [Y] et [V] [Y] sont condamnés, in solidum, à payer à [U] [E], [D] [R], [I] [O] et à la SOCIETE NATIONALE DE RADIODIFFUSION RADIO France la somme de 1.000 € chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
– La société 1979, [K] [Y] et [V] [Y] sont condamnés aux dépens.

Réglementation applicable

Voici la liste des articles des Codes cités dans le texte fourni, ainsi que le texte de chaque article :

Code de procédure civile

– Article 700 :
“Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il doit à ce titre tenir compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée et peut écarter pour les mêmes considérations cette condamnation.”

– Article 696 :
“La partie perdante est en principe condamnée aux dépens.”

Code pénal

– Article 222-23 :
“Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.”

– Article 225-5 :
“Le proxénétisme est le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit :
1° D’aider, d’assister ou de protéger la prostitution d’autrui ;
2° De tirer profit de la prostitution d’autrui, d’en partager les produits ou de recevoir des subsides d’une personne se livrant habituellement à la prostitution ;
3° D’embaucher, d’entraîner ou de détourner une personne en vue de la prostitution ou d’exercer sur elle une pression pour qu’elle se prostitue ou continue à le faire.”

– Article 225-4-1 :
“La traite des êtres humains est le fait de recruter, transporter, transférer, héberger ou accueillir une personne à des fins d’exploitation, par le recours à la menace, à la force ou à d’autres formes de contrainte, à l’enlèvement, à la fraude, à la tromperie, à l’abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou à l’offre ou à l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre.”

Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse

– Article 29 :
“Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme déguisée ou dubitative, ou par voie d’insinuation.”

Ces articles sont cités dans le contexte de la décision judiciaire concernant les demandes de la société 1979 et de ses dirigeants contre la SOCIETE NATIONALE DE RADIODIFFUSION RADIO FRANCE et ses journalistes, en relation avec des propos diffusés sur France Inter.

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Leslie DICKSTEIN, avocat au barreau de PARIS
– Maître Julien FISZLEIBER de la SELARL WOOG & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS

Mots clefs associés & définitions

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

13 mars 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n°
21/12155
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS


MINUTE N°:
17ème Ch. Presse-civile

N° RG 21/12155 – N° Portalis 352J-W-B7F-CVG2T

AJ

Assignation du :
27 Septembre 2021
[1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

République française
Au nom du Peuple français

JUGEMENT
rendu le 13 Mars 2024

DEMANDEURS

[V] [Y]
Chez Me Leslie DICKSTEIN
[Adresse 3]
[Localité 7]

représenté par Me Leslie DICKSTEIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire D1398

[K] [Y]
Chez Me Leslie DICKSTEIN
[Adresse 3]
[Localité 7]

représenté par Me Leslie DICKSTEIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire D1398

S.A.S. 1979
[Adresse 1]
[Localité 7]

représentée par Me Leslie DICKSTEIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire D1398

DEFENDEURS :

[U] [E] épouse [B]
domiciliée : chez SOCIÉTÉ NATIONALE DE RADIODIFFUSION RADIO FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 7]

représentée par Maître Julien FISZLEIBER de la SELARL WOOG & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire P0283

Société SOCIÉTÉ NATIONALE DE RADIODIFFUSION RADIO FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 7]

représentée par Maître Julien FISZLEIBER de la SELARL WOOG & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire P0283

[D] [R]
[Adresse 4]
[Localité 6]

représenté par Maître Julien FISZLEIBER de la SELARL WOOG & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire P0283

[P] [O]
[Adresse 5]
[Localité 8]

représenté par Maître Julien FISZLEIBER de la SELARL WOOG & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire P0283

MONSIEUR LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE PRES LE TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS auquel l’assignation a été régulièrement dénoncée.

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Magistrats ayant participé aux débats et au délibéré :

Amicie JULLIAND, Vice-présidente
Présidente de la formation

Jean-François ASTRUC, Vice-président
Jeanne DOUJON, Juge placé
Assesseurs

Greffiers :
Martine VAIL, Greffier lors des débats
Virginie REYNAUD, Greffier à la mise à disposition

DEBATS

A l’audience du 17 Janvier 2024
tenue publiquement

JUGEMENT

Mis à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

Vu les assignations délivrées le 27 septembre 2021 à [U] [E], épouse [B], en sa qualité de directrice de la publication de Radio France, à [D] [R] et [I] [O], en leur qualité de journalistes et à la SOCIETE NATIONALE DE RADIODIFFUSION RADIO FRANCE, à la requête de la société 1979, de [K] [Y] et de [V] [Y], qui, estimant que des propos diffamatoires ont été tenus à leur endroit dans la chronique “le zoom de la rédaction” diffusée le 23 février 2021 et mise en ligne le même jour sur le site internet www.franceinter.fr, demandent au tribunal, au visa des articles 23, 29 alinéa 1, 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 :

– de les déclarer recevables et bien fondés en leur action ;

Sur la diffamation radio :

– de déclarer [D] [R], auteur principal de diffamation publique envers la société 1979, [K] [Y] et [V] [Y], par l’un des moyens énoncés par l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, faits prévus par l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse et réprimés par l’article 32 alinéa 1 de la même loi, en raison des propos suivants :« depuis, plusieurs enquêtes pour viols, impliquant les deux leaders français du X, ont été ouvertes », tenus en direct sur l’antenne de France inter dans le cadre de l’émission, en date du 23 février 2021, à 7h46, “le 7/9” dans la chronique « le zoom de la rédaction » en présentation de l’enquête menée par [I] [O] qui s’intitule « Le difficile MeToo du porno français» ;

– de déclarer [U] [E], es qualité de directrice de publication, auteure principale, et [I] [O], respectivement auteur principal et complice de diffamation publique envers [K] [Y] et [V] [Y], par l’un des moyens énoncés par l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, faits prévus par l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse et réprimés par l’article 32 alinéa 1 de la même loi, en raison des propos suivants : « Les deux géants du porno “made in France”, [Y] et Jacquie et Michel, sont actuellement visés, directement ou indirectement, par des procédures judiciaires pour viols, mais aussi proxénétisme (…). Deux producteurs, parmi les plus influents, sont en prison. » tenus par [I] [O], sur l’antenne de France inter dans le cadre de la même émission ;

Sur la diffamation internet :

– de déclarer [U] [E], es qualité de directrice de publication et [I] [O], respectivement auteur et complice de diffamation publique, envers la société 1979, [K] [Y] et [V] [Y], par l’un des moyens énoncés par l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, faits prévus par l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse et réprimés par l’article 32 alinéa 1 de la même loi, des propos suivants : « Ces derniers mois, plusieurs enquêtes pour viols impliquant les deux leaders français du X ont été ouvertes. », accessibles à l’adresse url : https://www.franceinter.fr/emissions/le-zoom-de-la-redaction/lezoom-de-la-redaction-23-fevrier-2021, « Le difficile MeToo du porno français » l’enquête menée par [I] [O] ;

– de déclarer [U] [E], es qualité de directrice de publication, et [I] [O] respectivement auteur et complice de diffamation publique envers la société 1979, [K] [Y] et [V] [Y], par l’un des moyens énoncés par l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, faits prévus par l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse et réprimés par l’article 32 alinéa 1 de la même loi, des propos suivants : « Les deux géants du porno “made in France”, [Y] et Jacquie et Michel, sont actuellement visés, directement ou indirectement, par des procédures judiciaires pour viols, mais aussi proxénétisme, traite d’êtres humains», accessibles à la même adresse url : https://www.franceinter.fr/emissions/le-zoom-de-laredaction/le-zoom-de-la-redaction-23-fevrier-2021,

En conséquence :

-d’ordonner à la SOCIETE NATIONALE DE RADIODIFFUSION RADIO FRANCE de procéder au retrait de l’article “Le difficile MeToo du porno français”, du site internet de France Inter dont l’adresse URL est précisée, et sans que cela soit limitatif, sur l’application smartphone et tablette de France Inter, également sous astreinte de 5.000 euros par jour à compter de la décision à intervenir ;
-d’ordonner à la SOCIETE NATIONALE DE RADIODIFFUSION RADIO FRANCE de procéder au retrait du podcast “Le difficile MeToo du porno” dont l’adresse URL est précisée, sous astreinte de 5.000 euros par jour à compter de la décision à intervenir;
-d’ordonner à la SOCIETE NATIONALE DE RADIODIFFUSION RADIO FRANCE de rendre inaccessible l’accès à l’article et au podcast par tous moyens de communication, y compris sans que cela ne soit limitatif sur l’application smartphone et tablette de France Inter sous astreinte de 5.000 euros par jour à compter de la décision à intervenir;
-d’ordonner à la SOCIETE NATIONALE DE RADIODIFFUSION RADIO FRANCE de diffuser la décision à intervenir sur la page d’accueil du site internet de la radio France Inter, dont l’adresse URL est précisée, pendant une durée de 15 jours à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
-d’ordonner la publication du jugement à intervenir dans 3 journaux au choix du demandeur aux frais de la SOCIETE NATIONALE DE RADIODIFFUSION RADIO FRANCE sur présentation de la facture ;
-de condamner [D] [R], auteur principal des propos diffusés en direct à l’antenne de France Inter, à leur payer un euro à chacun en réparation du préjudice subi;
-de condamner [U] [E], en sa qualité de directrice de la publication, et [I] [O], en sa qualité de complice des propos diffusés sur le site internet de France inter, à leur verser la somme symbolique d’un euro à chacun en réparation du préjudice subi ;
-d’interdire à la SOCIETE NATIONALE DE RADIODIFFUSION RADIO FRANCE toute diffusion, sur quelque support que ce soit, du reportage “Le difficile MeToo du porno français” d’[I] [O] sous astreinte de 500 euros par jour et par support à compter de toute nouvelle diffusion ;
-de se réserver la liquidation des astreintes ;
-de condamner solidairement [D] [R] et la SOCIETE NATIONALE DE RADIODIFFUSION RADIO FRANCE à leur verser la somme de 35.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, en ce compris l’intégralité des faits d’huissier ;
– d’ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;

Vu la dénonciation des assignations au Procureur de la République en date du 28 septembre 2021.

Vu l’ordonnance du juge de la mise en état en date du 30 novembre 2022, par laquelle a été rejetée la fin de non-recevoir soulevée en défense tenant à l’absence de droit à agir de la société 1979, au motif qu’il se déduisait des pièces versées par les demandeurs que “[Y]” était la dénomination commerciale de la société 1979 et celle-ci était, dès lors, “à travers la mention de ce nom, visée par les propos poursuivis et avait un intérêt légitime au succès de ses prétentions, sans qu’il soit besoin de démontrer qu’elle est identifiée ou identifiable pour les lecteurs et auditeurs sous sa dénomination sociale, dès lors qu’il est établi qu’elle l’est sous sa dénomination commerciale”.

Vu les dernières conclusions de la société 1979, de [K] [Y] et de [V] [Y] notifiées par voie électronique le 16 mai 2023, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, par lesquelles ils maintiennent les demandes contenues dans leur assignation.

Vu les dernières conclusions de [U] [E], [D] [R], [I] [O] et de la SOCIETE NATIONALE DE RADIODIFFUSION RADIO FRANCE notifiées par voie électronique le 03 juillet 2023, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, aux termes desquelles ils demandent au tribunal, de :

– débouter la société 1979, [V] [Y] et [K] [Y] de l’ensemble de leurs demandes ;
– à titre subsidiaire, écarter l’exécution provisoire de droit de la décision à intervenir ;
– condamner la société 1979, [V] [Y] et [K] [Y], aux dépens ;
– condamner la société 1979, [V] [Y] et [K] [Y], à leur verser la somme de 5.000 euros chacun en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Vu l’ordonnance de clôture en date du 20 septembre 2023.

L’affaire a été appelée à l’audience du 17 janvier 2024 à laquelle les conseils des parties ont oralement soutenu leurs écritures et à l’issue de laquelle l’affaire a été mise en délibéré au 13 mars 2024 par mise à disposition au greffe.

A cette date, la décision suivante a été rendue :

Sur les faits

La société 1979 indique dans ses écritures avoir été créée le 25 juillet 1979 sous la dénomination société [K] [Y] et autorisée ultérieurement par la cour d’appel de Paris à anonymiser son Kbis. Sa dénomination sociale est désormais “1979” et ses dirigeants [V] [Y], président, fils du fondateur et actuel directeur général délégué et [K] [Y] sont désignés par leurs pseudonymes sur le Kbis (pièces n°53 et 60 des demandeurs).

La société 1979 se présente comme un groupe multimédia spécialisé dans la production, la distribution et la diffusion de contenus et produits pour adultes, éditant sous l’enseigne “[Y]”, des chaînes de télévision, des services VOD, des magazines, dans le monde entier et animant un réseau de magasins.

Le 23 février 2021 a été diffusé à l’antenne de la radio France Inter, dans l’émission “Le 7/9” animée par [D] [R], journaliste, un reportage réalisé par [I] [O], également journaliste, intitulé “Le difficile MeToo du porno français”, présenté par les défendeurs comme une enquête sur les pratiques de producteurs français de l’industrie pornographique ayant donné lieu à des procédures pénales à la suite de plaintes déposées par plusieurs associations.

Les propos poursuivis au titre de la diffamation publique envers un particulier (ici mis en gras par le tribunal pour les besoins de la motivation) se présentent ainsi (selon la retranscription faite dans le constat d’huissier du 9 mars 2021 – pièce n°3 des demandeurs) :
“Voix féminine : C’était pas plus de deux gars avec qui je ferais des scènes et au final, ma première scène, il y en avait trois. Et on me dit : “mais t’inquiètes, 2 ou 3, ça ne change rien”. T’es devant la production et t’es complètement seule donc tu ne dis pas non.

[D] [R]: C’est ce témoignage d’une jeune actrice porno il y a un an qui a tout fait basculer. Depuis, plusieurs enquêtes pour viol impliquant les deux leaders français du X ont été ouvertes mais face à la consommation de masse du porno, 8 hommes sur 10 en visionnent régulièrement en France, des tournages responsables sont-ils désormais envisageables ?
Le difficile MeToo de l’industrie du porno, c’est une enquête d'[I] [O] ».

Le reportage commence.

« [I] [O] : Elles sont une dizaine d’actrices françaises à avoir osé porter plainte et à mettre en cause le fonctionnement de l’industrie du X.
Les deux géants du porno “made in France”, [Y] et JACQUIE ET MICHEL, sont actuellement visés, directement ou indirectement, par des procédures judiciaires pour viol mais aussi proxénétisme et fraude fiscale. Deux producteurs parmi les plus influents sont en prison.” Il doit être relevé qu’au terme du dispositif des dernières écritures des demandeurs, qui lie le tribunal, ce passage est poursuivi comme étant diffamatoire envers [V] et [K] [Y] seulement.

“Champagne” a twitté la star du porno [H] [C], en apprenant la nouvelle. Dans le métier depuis 10 ans, elle a elle-même été victime d’une agression sexuelle sur un tournage.

[H] [C] : On travaille avec notre intimité. Et à un moment donné, on ne se rend plus compte de ce qui peut être “fait” et ne peut pas l’être. (…) Il y aura toujours des personnes qui profiteront de la situation parce que c’est un milieu qui n’est absolument pas cadré.

[I] [O] : Un petit milieu, en fait, avec quelques figures incontournables et des tournages sur lesquels des producteurs de 40 ou 50 ans peuvent faire pression sur des actrices débutantes, parfois tout juste majeures.
Ces mécanismes ont été dénoncés par les trois associations à l’origine de l’ouverture des enquêtes : Osez le féminisme, Le Nid et Les Effrontés-es dont [W] [X] est la présidente.”.

Suit une déclaration de [W] [X] qui dénonce la zone de non-droit que représente ce milieu dans les violences faites aux femmes, qui ne sont pas que des dérives mais un véritable système.

[I] [O] : “Alors comment s’assurer que le consentement des actrices soit désormais scrupuleusement respecté ? La société JACQUIE ET MICHEL a communiqué sur une charte de bonne conduite. Et du côté de [Y], on planche actuellement sur un code de déontologie. (…) Les auteurs de ce code de déontologie du porno imaginent même la création d’un label qui permettrait de repérer des productions plus respectueuses du droit du travail”.

La suite du reportage se concentre sur l’enquête menée par [Z] [J], immergé un an dans le milieu concerné et sur l’impact du mouvement Metoo qui “déferle” sur l’industrie du X, rappelant le scandale PORNHUB.

Le reportage a été rendu accessible le même jour sur le site internet de la radio “France Inter” sous forme de podcast, à partir d’une page recensant plusieurs témoignages.

Ce podcast est annoncé par un texte comportant la reprise du lancement fait par [D] [R] « Ces derniers mois plusieurs enquêtes pour viols impliquant les deux leaders du X ont été ouvertes. Mais face à la consommation de masse du porno – 8 hommes sur 10 en visionnent régulièrement en France – des tournages « responsables » sont-ils désormais envisageables ? », suivi des propos suivants, correspondant à l’introduction d’[I] [O], avec quelques différences (soulignées pour nous) : « Elles sont une dizaine d’actrices françaises à avoir osé porter plainte et à mettre en cause le fonctionnement de l’industrie du X. Les deux géants du porno “made in France”, [Y] et JACQUIE ET MICHEL, sont actuellement visés, directement ou indirectement, par des procédures judiciaires pour viol mais aussi proxénétisme, traite d’êtres humains et fraude fiscale. Deux producteurs parmi les plus influents, [G] [S] et [N] [A], sont en prison.”. La suite du texte correspond, pour l’essentiel, au contenu du reportage audio.

Par courrier du 24 février 2021, la société 1979 a sollicité, sous la signature de son président, la diffusion d’un droit de réponse sur chacun des supports de diffusion, considérant que les « propos tenus à l’encontre de [Y] par les journalistes [D] [R] et [I] [O] portent gravement atteinte à la réputation et à l’honneur de [Y] puisqu’ils dénoncent des faits mensongers qui font passer [Y] pour un potentiel « violeur, proxénète et délinquant fiscal ». Le texte de la réponse sollicitée dénonce la « mise en cause de [Y] dans le cadre d’une procédure pénale impliquant deux producteurs [G] [S] et [N] [A] » opérée par les journalistes et affirme que « [Y] n’a jamais été mise en cause que ce soit directement ou indirectement, dans le cadre de ces procédures judiciaires pour viols, proxénétisme et traites d’êtres humains contrairement à ce qui est affirmé dans l’article » (pièce n°56 et 57 en demande en défense).
Par courrier en date du 26 février 2021 (pièce n°58 en demande), la société Radio France a informé la société 1979 qu’il ne serait pas fait faire droit à ses demandes en ce qu’elles ne répondaient pas aux prescriptions légales et réglementaires applicables, mais que, « dans un souci d’apaisement » et « à titre exceptionnel », les précisions sollicitées seraient portées à la connaissance des internautes par insertion d’une mention en ce sens à la fin de l’article diffusé sur le site franceinter.fr, ce qui a effectivement été le cas (cf. procès-verbal de constat du 9 mars 2021 page 26 – pièce n°3 en demande précitée).

Plusieurs procédures ont été initiées à raison des propos incriminés.

Ainsi, par assignation du 15 mars 2021, la société 1979 a saisi le Président du Tribunal judiciaire de Paris en référé d’heure à heure de demandes visant notamment à voir reconnaître [D] [R], [U] [B] et [I] [O] auteurs ou complices de diffamation publique au titre du reportage du 23 février 2021. Par ordonnance du 12 mai 2021, le Président du Tribunal judiciaire de Paris a déclaré nulle l’assignation délivrée à [D] [R] et irrecevables les demandes formées par la société 1979 à l’égard des deux autres défendeurs pour défaut d’intérêt à agir (pièce n°45 en demande). La société 1979 a relevé appel de cette ordonnance, laquelle a été confirmée par la cour d’appel de Paris par arrêt du 26 janvier 2022 (pièce n°4 en défense).
Parallèlement, par exploit d’huissier du 29 avril 2021, [V] et [K] [Y] ont assigné les mêmes défendeurs devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris en formulant des demandes identiques à celles présentées devant nous. Par ordonnance du 29 juin 2021, le juge des référés a dit n’y avoir lieu à référé, le caractère diffamatoire des propos à leur encontre n’étant pas établi avec l’évidence requise en la matière (pièce n°77 des demandeurs, pièces n°2 et 3 en défense).

Sur le caractère diffamatoire des propos poursuivis envers les demandeurs

Les demandeurs considèrent que les propos poursuivis imputent à l’entreprise [Y] et à ses dirigeants, [K] et [V] [Y] d’être visés, directement ou indirectement, par des procédures judiciaires pour viols, mais aussi proxénétisme et traite d’êtres humain, et, pour les personnes physiques, d’avoir été incarcérées dans ce cadre.
Ils soutiennent être tous les trois visés par les propos et identifiables en tant que tel dès lors que:
– pour la société 1979, il n’est plus à démontrer qu’elle est identifiable au travers de sa dénomination commerciale [Y], nommément citée, ainsi que l’a retenu le juge de la mise en état ;
– pour [K] et [V] [Y], il est notoire qu’ils sont les dirigeants de la société éponyme, et sont régulièrement désignés comme les “patrons”, “rois” ou “papes” du porno français (leurs pièces n°14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 25, 39, 42). Outre que les propos visent la personne morale dont ils sont les dirigeants, ils concernent aussi les personnes physiques elles-mêmes, ainsi que le montrent les termes “leader français du X” ou de “producteurs parmi les plus influents”. Ils produisent à ce titre plusieurs pièces de personnes les ayant identifiés comme ceux dont il était question dans les propos (pièces n°5 et 30).

Les défendeurs soutiennent au contraire que les propos ne sont pas diffamatoires envers les demandeurs.
Concernant la société 1979, ils avancent qu’elle n’est jamais citée, et qu’elle n’est pas identifiable par les lecteurs qui n’ont pas accès aux documents versées par les demandeurs pour établir le lien entre elle et l’enseigne commerciale “[Y]”. Ils relèvent à ce titre que le changement de dénomination sociale visait précisément à faire écran avec la notoriété de la marque [Y] et qu’une analyse des pièces versées aux débats a été nécessaire pour que le juge de la mise en état retienne un faisceau d’indices établissant l’existence d’un lien juridique entre la société 1979 et la marque [Y], à la seule fin de qualifier son intérêt à agir. Ils considèrent dès lors que la société 1979 ne peut se prévaloir d’une atteinte faite à son honneur et à sa considération les lecteurs ne pouvant l’identifier comme exploitant la marque commerciale [Y].
Concernant [K] et [V] [Y], ils soulignent qu’aucune personne physique n’est visée par les propos, qui ne font référence qu’à des personnes morales, dont “[Y]”, et non à ses dirigeants, et que les droits de réponse consécutifs à l’émission adressés par la société 1979 ne font nullement référence à une atteinte à l’honneur et à la considération de [V] ou [K] [Y], tout comme l’assignation en référé délivrée par la société 1979. Ils contestent également que [K] et [V] [Y] soient visés par les termes “deux producteurs parmi les plus influents sont en prison” dès lors que le lien n’est pas fait avec les “géants du porno”, que sont “[Y]” et “Jacquie et Michel” cités juste avant, et qu’il s’agit à l’évidence de personnes physiques nouvellement nommées, comme le montre le texte publié sur internet qui nomme [G] [S] et [N] [A].
Ils font valoir enfin que les propos ne portent pas sur un fait précis portant atteinte à l’honneur et à la considération puisqu’ils se contentent de faire état de l’existence d’enquêtes ou de procédures judiciaires et non de la commission des infractions proprement dites.

*

Il sera rappelé que l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé.

Il doit s’agir d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d’une part, de l’injure – caractérisée, selon le deuxième alinéa de l’article 29, par toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait – et, d’autre part, de l’expression subjective d’une opinion ou d’un jugement de valeur, dont la pertinence peut être librement discutée dans le cadre d’un débat d’idées mais dont la vérité ne saurait être prouvée.

L’honneur et la considération de la personne ne doivent pas s’apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement contraire aux règles morales communément admises.

La diffamation, qui peut se présenter sous forme d’allusion ou d’insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s’inscrivent.

Par ailleurs, ni les parties, ni les juges ne sont tenus par l’interprétation de la signification diffamatoire des propos incriminés proposée par l’acte initial de poursuite et il appartient aux juges de rechercher si ceux-ci contiennent l’imputation formulée par la partie civile ou celle d’un autre fait contenu dans les propos en question, les juges étant également libres d’examiner les divers passages poursuivis ensemble ou séparément pour apprécier leur caractère diffamatoire.

La diffamation indirecte ou par ricochet ne tombe pas sous le coup de la loi : la diffamation visant une personne ne peut rejaillir sur une autre que dans la mesure où les imputations diffamatoires lui sont étendues, fût-ce de manière déguisée ou dubitative, ou par voie d’insinuation.

Il n’est pas nécessaire, pour que la diffamation publique envers un particulier soit caractérisée, que la personne visée soit nommée ou expressément désignée, mais il faut que son identification soit rendue possible par les termes du discours ou de l’écrit ou par des circonstances extrinsèques qui éclairent et confirment cette désignation de manière à la rendre évidente.

Ainsi, il appartient à la personne qui s’en prévaut de démontrer, soit qu’elle est identifiée en ce qu’elle est nommément citée ou que des éléments extrinsèques connus du lecteur lui permettent sans difficulté de comprendre à qui il est fait référence, soit qu’elle est identifiable, à tout le moins par un cercle restreint d’initiés, ce qui ne s’entend pas d’une simple identification rendue possible par les circonstances de la cause mais par la démonstration concrète de ce qu’elle a été reconnue.

Ces dispositions s’appliquent en matière civile.

*

En l’espèce les propos poursuivis au titre de la radiodiffusion sur l’antenne de France Inter le 23 février 2021, qui seront considérés ensemble dès lors qu’ils se complètent, imputent « aux deux leaders français du x » autrement appelés les « deux géants du porno « made in France »» d’être mis en cause dans plusieurs procédures pénales suivies des chefs de viols et de proxénétisme. Ils imputent également à deux personnes physiques, « deux producteurs parmi les plus influents », d’être impliquées dans ces faits, celles-ci ayant été placées en détention provisoire.

Les propos poursuivis au titre de la publication sur le site internet de France Inter, de facture identique, comportent la même imputation formulée à l’endroit des « deux leaders français du x » et « deux géants du porno « made in France », la mise en cause étant ici étendue à l’infraction de traite des êtres humains.
Il s’agit de faits précis, pouvant faire aisément l’objet d’un débat sur la preuve de leur vérité, qui portent atteinte à l’honneur et à la considération des personnes visées, les comportements décrits, comme le précisent d’ailleurs explicitement les propos, étant susceptibles d’être qualifiés pénalement de viol, crime prévu et réprimé par les articles 222-23 et suivants du code pénal, de proxénétisme, délit prévu par les articles 225-5 et suivants du même code et, concernant l’imputation qui ressort des propos publiés sur le site internet de France Inter, de traite des êtres humains, délit prévu par les articles 225-4-1 et suivants.

Il importe dès lors de déterminer quelles sont les personnes visées par les imputations diffamatoires ici dégagées et si elles sont identifiables par les lecteurs.

S’agissant de la société 1979

Il est patent que les personnes désignées dans les propos poursuivis comme étant les « deux leaders français du x » et les « deux géants du porno « made in France »», se rapportent aux sociétés désignées dans ces mêmes propos sous les dénominations « [Y] » d’une part et « Jacquie et Michel » d’autre part. Le fait que le terme « [Y] » vise bien une personne morale et non les personnes physiques utilisant ce pseudonyme, se déduit de la juxtaposition avec la société “Jacquie et Michel”, ce alors qu’il y est à nouveau fait référence, sous la même dénomination, dans les propos relatifs aux mesures mises en œuvre par ces sociétés de l’industrie pornographique pour s’assurer du consentement des actrices : « La société JACQUIE ET MICHEL a communiqué sur une charte de bonne conduite. Et du côté de [Y], on planche actuellement sur un code de déontologie”.
Il convient dès lors de déterminer si la société 1979 était identifiable par les auditeurs et lecteurs des propos en cause, comme étant la personne morale visée sous l’appellation « [Y] ».
A cet égard, il sera relevé que les motifs retenus par le juge de la mise en état dans son ordonnance du 20 novembre 2022 ne suffisent pas à répondre à cette problématique dès lors que son office visait à s’assurer de l’existence d’un lien entre la société 1979 et la dénomination [Y], de nature à établir sa recevabilité à agir, et qu’il s’est prononcé au terme d’une analyse des pièces produites dans le cadre de cette instance, en particulier les extraits K-bis des sociétés [Y] et 1979 ainsi que des mentions figurant dans les demandes de droit de réponse précités, qui ne constituent pas des éléments extrinsèques connus des lecteurs ou auditeurs des propos poursuivis.

Il ne fait pas débat que le lien existant entre la dénomination [Y] et la société 1979 n’est pas notoire, la dissociation entre ces appellations résultant d’une volonté de la demanderesse, approuvée judiciairement, de se prémunir d’une telle identification afin de se protéger des menaces proférées par certains en raison du secteur d’activité dans lequel elle opère.

La société 1979 produit plusieurs attestations de proches d’employés et de partenaires commerciaux se disant « inquiets » et « choqués » après la diffusion du reportage litigieux, qui toutes évoquent « [Y] » ou « l’entreprise [Y] » sans jamais citer la société 1979 (ses pièces n°20, 30, 36, 37).

Force est de constater que la société 1979, à qui incombe la charge de la preuve, échoue à démontrer concrètement qu’elle a été identifiée comme étant la personne visée au travers du nom « [Y] » dans les propos litigieux, ne serait-ce que par un cercle restreint d’initiés.

Dans ces circonstances, il ne peut être retenu de faute civile dont les défendeurs seraient responsables à l’égard de la société 1979, la démonstration que les propos présentent un caractère diffamatoire envers elle n’étant pas faite, de sorte qu’elle sera déboutée de l’ensemble de ses demandes.

S’agissant de [K] [Y] et [V] [Y].

Il ne peut être considérée que l’imputation faite à la société désignée sous le nom « [Y] » puisse être étendue aux dirigeants de cette entreprise, aucun élément dans le texte ne convoquant leurs actions ou leur comportement et, partant, n’évoquant leur participation personnelle à la commission des faits pour lesquels la société est mise en cause.

Reste à déterminer si les demandeurs sont visés par l’imputation visant les personnes physiques désignées comme étant deux « producteurs parmi les plus influents », propos tenus lors de l’émission diffusée sur France Inter le 23 février 2021.

La seule référence générale à la qualité professionnelle des deux personnes incarcérées (des « producteurs ») ne peut conduire le public à y associer des personnes déterminées, ce même en considérant la précision qu’il s’agit « des plus influents », qui restreint le spectre des possibilités sans toutefois permettre d’individualiser les personnes concernées. Aucun lien spécifique entre ces personnes et la société “[Y]” ne ressort des propos, ce d’autant que comme il a été déjà relevé ci-avant, cette entreprise est citée sur le même plan que la société Jacquie et Michel.
En réalité, la construction des propos laisse à penser qu’il s’agit de deux personnes distinctes et sans lien avec les entités déjà citées, ce qui est conforté par la suite du reportage qui fait état du comportement de certains « producteurs » sur les plateaux de tournage, sans se référer à l’une ou l’autre des personnes morales mentionnées dans le texte.
Il ne peut dès lors être considéré que [K] [Y] et [V] [Y] puissent être identifiables comme les personnes citées comme les “deux producteurs”, alors qu’ils ne sont pas visés par ces propos.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que les propos poursuivis ne sont pas diffamatoires envers la société 1979, [K] [Y] ou [V] [Y], de sorte qu’aucune faute civile ne peut être reprochée aux défendeurs les concernant.

En conséquence, les demandeurs seront déboutés de l’ensemble de leurs demandes.

Sur les autres demandes

L’article 696 du code de procédure civile énonce que la partie perdante est en principe condamnée aux dépens. Il y a lieu en conséquence de condamner la société 1979, [K] [Y] et [V] [Y], qui succombent à l’instance, aux dépens.

L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il doit à ce titre tenir compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée et peut écarter pour les mêmes considérations cette condamnation.

Il serait inéquitable de laisser aux défendeurs la charge des frais irrépétibles qu’ils ont dû exposer pour la défense de leurs intérêts et il y a lieu de condamner in solidum, la société 1979, [K] [Y] et [V] [Y] à leur payer, à chacun, la somme de 1.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La présente décision est de droit exécutoire par provision et aucun élément ne justifie de l’écarter.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par décision contradictoire et en premier ressort,

Déboute la société 1979, [K] [Y] et [V] [Y] de l’ensemble de leurs demandes,

Condamne la société 1979, [K] [Y] et [V] [Y], in solidum, à payer à [U] [E], [D] [R], [I] [O] et à la SOCIETE NATIONALE DE RADIODIFFUSION RADIO France la somme de MILLE EUROS (1.000 €) chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société 1979, [K] [Y] et [V] [Y] aux dépens.

Rappelle que la présente décision est de droit exécutoire par provision.

Fait et jugé à Paris le 13 Mars 2024

Le GreffierLa Présidente


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