ARRET N° 22/84
R.G : N° RG 20/00127 – N° Portalis DBWA-V-B7E-CE7J
Du 29/04/2022
[K]
C/
S.A. ORANGE
COUR D’APPEL DE FORT DE FRANCE
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU 29 AVRIL 2022
Décision déférée à la cour : jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de FORT DE FRANCE, du 11 Mars 2020, enregistrée sous le n° 17/00440
APPELANTE :
Madame [D] [K]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Marie-laure AGIAN, avocat au barreau de MARTINIQUE
Représentée par Me Delphine PICQUE, avocat au barreau de VERSAILLES
INTIMEE :
S.A. ORANGE Prise en la personne de son représentant légal.
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Gaëlle DE THORE de l’AARPI OVEREED, avocat au barreau de MARTINIQUE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 10 décembre 2021, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Anne FOUSSE, Conseillère, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte dans le délibéré de la cour composée de :
– Madame Emmanuelle TRIOL, Présidente
– Madame Anne FOUSSE, Conseillère
– Monsieur Thierry PLUMENAIL, Conseiller
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Madame Rose-Colette GERMANY,
DEBATS : A l’audience publique du 10 décembre 2021,
Les parties ont été avisées, dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, de la date du prononcé de l’arrêt fixée au 11 mars 2022 par mise à disposition au greffe de la cour. Le délibéré a été prorogé aux 25 mars et 29 avril 2022.
ARRET : Contradictoire
******************
EXPOSE DU LITIGE
Madame [K] a été recrutée par la société ORANGE à compter du 1er décembre 2002 par contrat à durée déterminée.
Elle a ensuite été embauchée selon un contrat à durée indéterminée écrit à compter du 1er décembre 2003 en qualité de Télévendeuse . Son ancienneté a été reprise au 1er décembre 2002.
Les relations entre les parties étaient régies par les dispositions de la Convention Collective nationale des Télécommunications. Madame [K] percevait une rémunération brute moyenne mensuelle de 3348,82 euros.
En dernier lieu, Madame [K] occupait le poste d’Attachée Commercial Affaires, statut Cadre, au sein de la Direction Vente et Distribution Caraïbes située en MARTINIQUE.
A la suite de la réception de courriers anonymes dénonçant des difficultés relationnelles entre salariés au sein de l’Agence Entreprise Caraïbes et la boutique Orange de la Galléria, une enquête était diligentée courant juin 2015 par la Direction de l’Audit, contrôle et Management des Risques du Groupe, au sein de la Direction Vente et Distribution Caraïbes pour tenter de faire la lumière sur la situation de ces deux entités.
L’enquête concluait que Madame [D] [K] poursuivait des activités au profit d’une société tierce, la société HOME IN SCIENCES, dont un autre salarié d’ORANGE SA, Monsieur [P] était le Directeur Général.
Par courrier du 12 juin 2015, la SA ORANGE convoquait Madame [D] [K] à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement qui se tenait le 29 juin 2015 et dans l’attente lui notifiait sa mise à pied conservatoire avec maintien de sa rémunération.
Madame [D] [K] était ensuite convoquée devant la Commission Consultative Paritaire afin que soit recueilli après débat contradictoire l’avis de cette instance sur la mesure disciplinaire éventuelle.
Après un report, la Commission Consultative Paritaire se réunissait le 6 novembre 2015. 4 votes sur 6 étaient en faveur d’un licenciement pour faute simple et deux votes sur 6 en faveur d’une mise à pied disciplinaire maximale autorisée par le règlement intérieur.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 novembre 2015, le licenciement de Madame [D] [K] lui était notifié. Il lui était reproché une utilisation intensive des moyens professionnels d’Orange pour exercer une activité chez Home In Science pendant ses heures de travail, l’utilisation des informations et des données d’Orange pour réaliser le business de Home In Science, d’avoir utilisé l’image d’Orange au bénéfice de Home In Science et d’avoir porté atteinte à l’image et aux intérêts de la SA ORANGE par ces agissements.
Madame [D] [K] contestait le bien fondé de la mesure par courrier du 26 janvier 2016.
S’estimant lésée elle saisissait le Conseil de Prud’hommes de Fort-de-France par acte du 22 septembre 2017 aux fins d’en contester le bien fondé et solliciter diverses indemnités pour irrégularité de la procédure, licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité de préavis, et compensatrice de congés payés.
Par jugement en date du 11 mars 2020, le Conseil de Prud’hommes de Fort-de-France déboutait Madame [D] [K] de l’intégralité de ses demandes, la condamnant à payer à la SA ORANGE la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Madame [D] [K] interjetait appel par déclaration rpva du 10 juillet 2020 dans les délais impartis.
Aux termes de ses conclusions notifiées par le rpva le 21 mai 2021, Madame [D] [K] demande à la Cour de :
– INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de FORT-DE-FRANCE en date du 11 mars 2020 en ce qu’il l’a déboutée de l’intégralité de ses demandes et l’a condamnée au paiement de la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
En conséquence,
– CONDAMNER la société ORANGE au paiement de la somme de :
* 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 3.000 euros au titre de l’article 700 du CPC au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la première instance,
– CONDAMNER la société ORANGE au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés dans le cadre de la procédure d’appe1,
– DEBOUTER la société ORANGE de l’intégralité de ses demandes,
– CONDAMNER la société ORANGE aux entiers dépens.
Pour contester le bien fondé du licenciement, elle expose qu’à défaut de clause licite d’exclusivité, le salarié peut exercer une activité professionnelle hors de la société employeur; que ce dernier ne peut pas interdire toute utilisation à des fins non professionnelles d’un téléphone professionnel (fixe ou portable), une telle interdiction générale et absolue étant générale et disproportionnée; que l’employeur qui entend restreindre l’utilisation à des fins personnelles des outils de l’entreprise doit respecter le principe de proportionnalité consacré à l’article L 1121-1 du code du travail; qu’en l’espèce, la clause contractuelle d’exclusivité prévue à son contrat de travail est illicite en ce qu’elle est générale et imprécise.
Elle reconnaît avoir participé de manière ponctuelle et sans rémunération aucune à l’activité naissante de la société HOME IN SCIENCE mais conteste avoir exercé une activité concurrentielle pour le compte de cette dernière, cette société étant une conciergerie destinée à une clientèle de luxe et n’exerçant pas une activité concurrente à celle de la SA ORANGE.
Elle conteste également avoir fait une utilisation intensive des outils professionnels de la SA ORANGE pour exercer ses activités au sein de la société HOME IN SCIENCE pendant ses heures de travail depuis 2012 au détriment de son portefeuille clients de la SA ORANGE. Elle critique le chiffre de 7630 contacts avec M. [P] représentant de la société HOME IN SCIENCE au cours de la période du 24 mai 2014 au 23 mai 2015.
Elle considère que le Conseil de Prud’hommes n’a pas fait de distinction entre les communications émises en dehors et pendant son temps de travail, alors que selon les relevés téléphoniques retranscrits par la SA ORANGE, elle communiquait la plupart du temps en dehors du temps de travail. Elle indique que selon les relevés transcrits, elle aurait émis sur une période d’un an, 1607 appels et SMS confondus vers le téléphone de Monsieur [P] et non pas 7630 contacts, ce qui correspond à une moyenne de 7 appels et ou SMS par jour. Elle ajoute qu’en sa qualité de conseiller technique, leurs fonctions respectives nécessitaient des contacts pour la SA ORANGE. Elle fait valoir que les quelques mails découverts prouvent que l’utilisation de la messagerie professionnelle d’Orange n’était qu’occasionnelle.
Elle conteste avoir divulgué des informations et des données de l’agence d’Orange, exploité des fichiers clients d’Orange, transmis leurs coordonnées, détourné ou démarché la clientèle, entretenu une confusion dans un tel but, ou utilisé l’image d’Orange au profit de la société HOME IN SCIENCE.
Elle en déduit que les griefs reprochés ne sont ni réels ni sérieux. Elle s’estime donc fondée à solliciter à titre de dommages et intérêts une somme équivalente à 9 mois de salaire au regard de ses 14 ans d’ancienneté, de sa carrière exemplaire, des conditions de la rupture du contrat de travail, mise à pied conservatoire suivie de plusieurs mois d’incertitude sur le sort qui lui serait réservé, de la dégradation de son état de santé en raison d’un syndrome anxio dépressif, et des difficultés à retrouver un emploi suite à son licenciement sur le territoire de la Martinique, la contraignant à se rendre en métropole. Il sera renvoyé à ses conclusions pour le surplus des moyens développés.
Aux termes de ses conclusions notifiées par le rpva le 9 juin 2021, la SA ORANGE demande à la Cour de :
– Confirmer le jugement rendu le 11 mars 2020 par le Conseil de prud’hommes de Fort de France en toutes ses dispositions à savoir, en ce qu’il a :
* débouté Madame [D] [K] de l’intégralité de ses demandes ;
* condamné Madame [D] [K] à payer à la société ORANGE SA la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
* condamné Madame [D] [K] aux entiers dépens.
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour venait à faire droit aux demandes de Madame [K] au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse :
– limiter d’éventuels dommages et intérêts à de plus justes proportions,
– débouter Madame [K] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile relative à la première instance,
– débouter Madame [K] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile relative à la procédure d’appel.
Elle fait valoir que l’obligation de bonne foi dans l’exécution du contrat de travail découlant de l’article L 1222-1 du code du travail, se traduit pour le salarié par l’interdiction de commettre durant la durée du contrat de travail, tout acte contraire à l’intérêt de l’entreprise en exerçant notamment une activité concurrente de celle de son employeur, pour son propre compte ou celui d’un autre employeur.
Elle rappelle que le contrat de travail de Madame [D] [K] contenait ses engagements en termes de loyauté, mais que ce n’est pas l’exercice d’une activité annexe qui lui est reproché mais l’utilisation abusive des moyens d’Orange au profit de cette activité parallèle, sur son temps de travail et en dehors de son temps de travail, mise en évidence par l’enquête diligentée par la direction de l’Audit, Contrôle, Management des Risques du groupe Orange, notamment 7630 contacts , appels et SMS avec M. [P] dirigeant de la société HOME IN SCIENCE, également salarié d’Orange, alors que leurs fonctions respectives ne nécessitaient par de tels contacts. Elle considère que ce volume illustre une activité intense et un temps dédié particulièrement important.
Elle ajoute sur ce point que de nombreux mails prouvant l’activité de Madame [D] [K] pour le compte de la société HOME IN SCIENCE adressés depuis la messagerie professionnelle d’Orange était également découverts, notamment des mails portant sur des dossiers de présentation des prestations de la société HOME IN SCIENCE ou encore des courriers à destination des clients de la société HOME IN SCIENCE entretenant clairement une confusion avec ses fonctions au sein de la SA ORANGE, des mails contenant des consignes en matière de comptabilité, de déclaration d’URSSAF pour la société HOME IN SCIENCE, des CV en vue de recrutements ou des contrats de travail pour le compte de La société HOME IN SCIENCE.
Elle soutient que Madame [D] [K] utilisait des informations tirées des bases de données de la SA ORANGE et des fichiers clients de la SA ORANGE pour les transmettre au gérant de la société HOME IN SCIENCE et les exploiter dans ce cadre, démarcher des clients d’Orange et détourner sa clientèle.
Elle indique que l’enquête a révélé que ces activités pour la société HOME IN SCIENCE se faisaient au détriment de la SA ORANGE, sa performance commerciale diminuant significativement en 2014 et 2015 et que de nombreuses réclamations de clients étaient portées à la connaissance de l’employeur, portant un préjudice certain à l’image de la SA ORANGE et à la qualité de sa prestation. Elle en conclut que les activités extra professionnelles de Madame [D] [K] qui demandaient des moyens et du temps avaient un impact visible sur le travail accompli pour la SA ORANGE.
Ainsi selon la SA ORANGE le manque de loyauté de la salariée était évident.
Il sera renvoyé aux conclusions de la SA ORANGE pour le surplus de moyens développés notamment sur les demandes indemnitaires de Madame [D] [K] qu’elle demande de limiter.
MOTIFS
– Sur le licenciement
* les griefs formulés
La lettre de notification du licenciement en date du 13 novembre 2015 qui fixe les limites du litige est ainsi rédigée « ‘
Je vous rappelle les griefs qui vous ont été exposés :
Lors de l’enquête diligentée par la Direction de l’Audit, Contrôle et Management des Risques Groupe (DARC) concernant des lettres anonymes reçues à l’Agence Entreprise Caraïbes, les investigations ont mis en évidence une activité que vous réalisez pour le compte de la société La société HOME IN SCIENCE. Cette société a pour objet social la réparation d’équipements électriques et plus généralement toutes opérations juridiques, économiques , financières , civiles et commerciales se rattachant à son objet.
Vous avez reconnu :
– avoir contribué au démarrage de cette société,
– avoir participé au montage de la structure,
– collaborer dans cette société avec le statut d’associée non rémunérée et assurer les fonctions et activités de responsable «es» Major d’Home, Marketing et Relation client, expert multimédia et recrutement de collaborateurs.
L’enquête a mise en évidence que vous avez utilisé de façon intensive les moyens professionnels d’Orange (téléphone, mails) pour exercer vos activités chez La société HOME IN SCIENCE pendant vos heures de travail depuis 2012 au détriment des clients de votre portefeuille chez Orange.
Cette enquête a également mis en évidence que vous avez utilisé des informations et des données de l’Agence Entreprises Caraïbes pour réaliser le business de HOME IN SCIENCE, que vous avez utilisé l’image d’Orange au bénéfice de la société HOME IN SCIENCE, que vous avez détourné la clientèle au profit également de cette société, et par vos agissements vous avez porté atteinte à l’image et aux intérêts d’Orange par ces agissements.
Les explications recueillies lors de la séance de la Commission n’ont pas permis de modifier l’appréciation des faits qui vous sont reprochés. Ces faits rendent impossible la poursuite de votre contrat de travail. En conséquence nous vous notifions votre licenciement pour faute simple…».
Il est donc reproché à la salariée les griefs suivants :
– un usage intensif des moyens d’orange pour l’activité de la société HOME IN SCIENCE dont elle est la collaboratrice pendant ses heures de travail depuis 2012 au détriment des clients de votre portefeuille chez Orange,
– l’utilisation des informations et des données de l’Agence Entreprises Caraïbes pour réaliser le business de HOME IN SCIENCE,
– l’utilisation de l’image d’Orange au bénéfice de la société HOME IN SCIENCE,
– le détournement de clientèle au profit de la société HOME IN SCIENCE,
– une atteinte portée à l’image et aux intérêts de la SA ORANGE,
En application de l’article L 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif à un licenciement, le juge à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles; si un doute persiste, il profite au salarié. Ainsi l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.
Le licenciement pour cause réelle et sérieuse doit être fondé sur des faits objectifs imputables au salarié. Il convient d’apprécier la pertinence de chacun des griefs énoncés.
* sur le grief consistant en l’utilisation intensive des outils professionnels par Madame [D] [K]
Aux termes de l’article L 1221-1 du code du travail «le contrat de travail est exécuté de bonne foi».
Indépendamment de toute clause contractuelle, chaque salarié est astreint pendant l’exécution du contrat de travail à une obligation générale de loyauté à l’égard de son employeur, qui se traduit pour le salarié par l’interdiction de commettre tout acte contraire à l’intérêt de l’entreprise et celle d’exercer une activité directement concurrente de son employeur pour son propre compte, ou celle d’un autre employeur, ou encore par la confidentialité et la discrétion du salarié quant aux informations confidentielles reçues dans le cadre du contrat de travail. L’utilisation abusive de la messagerie professionnelle pendant le temps de travail peut être fautive.
En l’espèce le contrat à durée indéterminée de Madame [D] [K] stipule «vous certifiez être libre de tout engagement à l’égard d’une autre entreprise au jour de son recrutement et s’engager à n’exercer aucune autre activité professionnelle sans l’accord préalable professionnelle sans l’accord écrit de son responsable de service».
Il est reproché à la salariée dans la lettre de licenciement non pas l’exercice d’une autre activité sans l’accord du chef de service mais l’utilisation intensive des outils professionnels (téléphone, sms, messagerie ) de la SA ORANGE dans le cadre de l’exercice de son activité au sein de la société HOME IN SCIENCE.
Madame [D] [K] considère que la SA ORANGE se prévaut d’une clause d’exclusivité contractuelle illicite (en ce qu’elle est générale et imprécise), pour lui reprocher une activité annexe.
Cependant la discussion sur la licéité ou non de cette clause est indifférente à la solution du litige puisqu’il est établi au regard de la lettre de licenciement que c’est bien l’emploi intensif des outils professionnels de la SA ORANGE au bénéfice d’une autre société qui est reproché et non l’exercice d’une autre activité.
La SA ORANGE produit le rapport d’enquête soumis à l’examen de la Commission Consultative Paritaire qui sur ce point, indique que l’enquête a mis en évidence que Madame [D] [K] a utilisé de façon intensive les moyens professionnels d’Orange (téléphone, sms, mails) pour exercer ses activités chez la société HOME IN SCIENCE pendant et hors ses heures de travail pour Orange depuis 2012.
Ainsi selon l’annexe 2 sur la période du 24 mai 2014 au 23 mai 2015, le téléphone professionnel de Madame [D] [K] faisait apparaître 7630 appels et sms avec M. [P] également salarié d’Orange en même temps que dirigeant de La société HOME IN SCIENCE. Outre le fait que la SA ORANGE ne justifie pas de la sincérité de ce décompte, et qu’il n’est produit aucun règlement intérieur informant les salariés sur les éventuelles restrictions à l’usage des mobiles professionnels à des fins personnelles durant et hors du temps de travail, ce relevé ne fait aucune distinction entre les communications émises en dehors et pendant le temps de travail de la salariée, ni entre les appels et les sms. Aucune explication n’étant donnée sur les tâches respectives de ces deux salariés, il n’est pas possible d’exclure des contacts professionnels entre eux dans le cadre de leur activité au sein de la SA ORANGE.
La Cour observe que le relevé des appels de Madame [D] [K] de son mobile professionnel vers le mobile de M. [P] hors samedi, dimanche, jours fériés et congés comptabilise un total de 1607 appels et sms confondus sur une période d’un an, ce qui correspondrait à une moyenne de 7 appels ou sms par jour, sans que le dossier ne permettent d’apprécier leur durée ni d’affirmer que ceux ci ont été effectués durant le temps de travail de l’intéressée.
La SA ORANGE ne conteste d’ailleurs pas que la majorité des prises de contact de Madame [D] [K] à supposer les relevés exacts, a été émise avant ou après la journée de travail de l’intéressée, et il ressort même des relevés fournis par l’employeur que «sur le top 20» des appels émis par Madame [D] [K] vers le Directeur Général de La société HOME IN SCIENCE du lundi au vendredi hors jours fériés et pause déjeuner, du 8 septembre 2014 au 28 avril 2015, seuls 8 appels ont été passés entre 9 et 17 heures hors pause déjeuner. Sur le top 20 des appels 2015 passé par le DG de La société HOME IN SCIENCE vers le mobile professionnel de Madame [D] [K] de janvier au 22 mai 2005 seuls 9 appels ont été passés.
Il s’ensuit que les éléments produits ne sont pas de nature à établir de manière certaine une utilisation intensive du mobile professionnel par Madame [D] [K] durant son temps de travail pour le seul compte de La société HOME IN SCIENCE.
La SA ORANGE soutient encore que de nombreux mails adressés depuis la messagerie professionnelle d’Orange prouvent un temps dédié à l’activité de La société HOME IN SCIENCE particulièrement important.
Elle ne produit pour autant que 7 mails à partir de sa messagerie professionnelle chez la SA ORANGE et durant son temps de travail dont 3 courant mai, juin et décembre 2013, 2 en juillet 2014, 3 courant octobre 2012, soit à une date très ancienne, adressés au DG de La société HOME IN SCIENCE ou pour le compte de cette société, ne permettant pas de conclure à un usage abusif de la messagerie professionnelle de la salariée à des fins personnelles et de nature à nuire à la performance au travail de Madame [D] [K].
Au demeurant la lettre de licenciement ne fait pas état d’un grief relatif à la performance réduite de la salariée au fil des années de suite que les discussions et tableaux fournis par l’employeur sur ce point sont sans intérêt pour la solution du litige, et ne démontrent d’ailleurs pas que la baisse de performance soit en relation de causalité directe avec une activité exercée au sein de La société HOME IN SCIENCE.
* sur le grief d’exploitation d’information, de divulgation des données de la SA ORANGE (fichiers clients au bénéfice de La société HOME IN SCIENCE)
La SA ORANGE soutient que l’enquête a mis en évidence que Madame [D] [K] utilisait des informations de l’Agence entreprise caraïbes pour le business de la société HOME IN SCIENCE.
Selon l’employeur des fichiers clients auraient été exploités pour le compte de la société HOME IN SCIENCE (annexe 30) :
La Cour observe qu’il s’agit d’un mail adressé au DG de la société HOME IN SCIENCE ainsi qu’à Madame [D] [K] le 15 octobre 2012, transférant une base de données clients du salon de l’Habitat.
Or Madame [D] [K] soutient que la SA ORANGE n’a pas participé au salon de l’habitat et que la base de données client transmise est celle de La société HOME IN SCIENCE.
Le grief n’apparait donc pas établi.
Il n’est pas non plus établi que la lettre de mission d’un collaborateur de la SA ORANGE M. [C] [E] responsable qualité orange ait été adressée à la société HOME IN SCIENCE puisque la SA ORANGE produit un mail du 20 mars 2015 adressé par Mme [J] aux salariés d’Orange parmi lesquels ne figure pas même Madame [D] [K] (annexe 5).
La SA ORANGE soutient encore que des coordonnées tirées des bases de données de la SA ORANGE auraient été transmises par Madame [D] [K] au gérant de la société HOME IN SCIENCE, les coordonnées et contacts de décideurs .
L’annexe 23 correspond effectivement au transfert par mail du 16 décembre 2013 d’un fichier d’Orange contenant les coordonnées de M [M] [F] de l’entreprise SAMAC aéroport.
L’annexe 19 correspond au transfert par mail de Madame [D] [K] du 12 juillet 2013 au DG de la société HOME IN SCIENCE, des coordonnées d’un client d’Orange M. [V] chef de mission régional achat de la préfecture.
* sur le grief de détournement de clientèle et le grief de l’atteinte à l’image et aux intérêts de la SA ORANGE
Au soutien de ce grief Madame [D] [K] produit dans ses conclusions page 14, l’écrit attribué à Monsieur [X], promoteur immobilier qui dénonce des agissements portant selon lui atteinte à l’image de la SA ORANGE en ce qu’après avoir eu contact avec les responsables d’Orange, pour l’accompagnement de ses projets de centre médical et paramédical, Madame [D] [K] et M. [P] l’auraient également contacté, se présentant comme des salariés d’Orange mais proposant un autre accompagnement que celui d’Orange, allant jusqu’à lui conseiller de ne plus travailler avec Orange mais avec eux sur l’intégralité de ses projets pour l’internet, l’imagerie médicale et les solutions de domotique etc…;
La Cour ne peut néanmoins tirer aucune conclusion de cet écrit qui n’est reproduit que dans les conclusions de la SA ORANGE, et non dans une attestation conforme aux dispositions de l’article 202 du code de procédure civile.
L’annexe 1 correspond à un mail du 24 juillet 2014 adressé par le DG de la société HOME IN SCIENCE à des représentants du groupe Digicel contenant une proposition de partenariat avec la société Digicel considérée comme l’opérateur véhiculant les valeurs que porte la société HOME IN SCIENCE à savoir professionnalisme, dynamisme et innovation et exposant que La société HOME IN SCIENCE est une conciergerie de luxe dont le c’ur de métier est les nouvelles technologies (domotique, produits high tech et multimédia).
Or la SA ORANGE reconnaît que les activités de la société HOME IN SCIENCE qui n’était pas opérateur de communication, n’étaient pas directement concurrentes de celles de la SA ORANGE . Par ailleurs il n’est pas contesté qu’une telle proposition de partenariat était également faite à la SA ORANGE, par mail du 1er février 2015, de sorte que le détournement de clientèle n’est pas ici caractérisé.
Enfin les 3 mails de réclamations ou de relances de clients de la SA ORANGE adressés à Madame [D] [K] ou à sa hiérarchie des 11 septembre 2014, 25 janvier et 6 mars 2015 ne peuvent suffire à démontrer une atteinte à l’image de la SA ORANGE.
Reste en conséquence au soutien de la procédure engagée contre Madame [D] [K], le transfert effectif des coordonnées de deux clients de la SA ORANGE vers la société HOME IN SCIENCE, M.[F] et M. [V], qui au regard de ses 13 ans d’ancienneté sans observation sur la qualité de son travail, son implication ou sa déontologie, ne pouvait justifier un licenciement pour faute simple.
Il s’ensuit que le licenciement notifié le 13 novembre 2015 à Madame [D] [K] doit être qualifié de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement querellé sera infirmé sur ce point.
– Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Madame [D] [K] sollicite la condamnation de la SA ORANGE au paiement de la somme de 30000 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à 9 mois de salaire au regard de son ancienneté, des conditions de la rupture du contrat de travail, de la dégradation de son état de santé et de sa carrière exemplaire.
La SA ORANGE justifie que le respect des droits de la salariée, du principe du contradictoire durant la procédure préalable au licenciement ont été assurés. Le lien entre le licenciement et son état de santé n’est pas établi par le seul certificat médical en date 17 avril 2018 qui décrit une instabilité de l’humeur courant juin 2015.
Enfin à défaut d’éléments sur la situation financière et professionnelle de Madame [D] [K] et au regard de l’emploi dans les suites du licenciement, (Pôle emploi, déclaration de revenus…), sa demande de dommages et intérêts sera limitée à la somme de 20092,22 euros correspondant à 6 mois de salaire en application de l’article L 1235-3 du code du travail dans sa version applicable au litige.
– Sur les frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d’appel
Madame [D] [K] n’étant pas partie succombante, le jugement sera infirmé en ce qu’il la déboute de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamne à payer à la SA ORANGE la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Madame [D] [K] les frais irrépétibles qu’elle a dû engager en première instance qu’en appel.
Il convient de condamner la SA ORANGE à lui payer la somme de 1200 euros au titre des frais irrépétibles engagés en première instance outre la même somme au titre de ceux engagés en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
INFIRME le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de Fort-de-France le 11 mars 2020 en toutes ses dispositions,
STATUANT à nouveau,
DIT que le licenciement pour faute de Madame [D] [K] notifié le 13 novembre 2015 est sans cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la SA ORANGE à payer à Madame [D] [K] la somme de 20092,22 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la SA ORANGE à lui payer la somme de 1200 euros au titre de l’article 700 correspondant aux frais irrépétibles engagés en première instance,
CONDAMNE la SA ORANGE à lui payer la somme de 1200 euros au titre de l’article 700 correspondant aux frais irrépétibles engagés en cause d’appel,
CONDAMNE la SA ORANGE aux dépens de première instance et d’appel.
Et ont signé le présent arrêt Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente et Mme Rose-Colette GERMANY, Greffier
LE GREFFIER LE PRESIDENT