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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 04 OCTOBRE 2023
N° RG 21/02326
N° Portalis DBV3-V-B7F-UUTY
AFFAIRE :
[V] [Z]
C/
Société CREATION MEDITERRANEE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 mai 2021 par le Conseil de Prud’hommes Formation paritaire de MONTMORENCY
Section : E
N° RG : F19/00290
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA
Me Magali SALVIGNOL-BELLON
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUATRE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [V] [Z]
née le [Date naissance 9] 1964 à [Localité 14] (92)
[Adresse 8]
[Localité 10]
Représentant : Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 et Me Angélique LAMY de l’AARPI L’OFFICE AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire: E1671
APPELANTE
****************
Société CREATION MEDITERRANEE
N° SIRET : 326 518 669
[Adresse 6]
Lot 4
[Localité 12]
Représentant : Me Magali SALVIGNOL-BELLON, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 355 et Me Fabrice ANDRAC, Plaidant, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 22 juin 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Mme [Z] a été engagée par la société Création Méditerranée, en qualité de représentant de commerce à cartes multiples, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 2 novembre 1994, avec reprise d’ancienneté au 1er novembre 1993, et un taux de commissionnement de 10% sur le montant HT des factures.
Cette société, dirigée par M. [U] [M], est spécialisée dans la fabrication et la vente de maillots de bains et de lingerie qu’elle commercialise sous la marque Pain de Sucre et distribue sous la marque Suggest, le siège social étant situé à [Localité 12].
La société compte des points de vente constitués en boutiques franchisées ou en noms propres depuis l’année 2000 et qui commercialisent les deux marques, des multi-marques qui vendent ses produits et enfin des corners situés dans les grands magasins.
L’effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 10 salariés. Elle applique la convention collective des VRP.
L’avenant au contrat de travail du 15 février 2000 relatif aux points de vente à l’enseigne Pain de Sucre prévoit que ‘le taux de commissionnement habituel de 10 % sur le chiffre d’affaires HT réalisé sur le secteur avec le produit Maillot de bain a été ramené à 3%’, avec la mention suivante : ‘ il est entendu entre les parties que l’ouverture de ce point de vente ne pourra justifier une baisse du CA sur le reste du réseau détaillant du secteur.’.
Du 6 au 28 septembre 2018, la salariée a été en arrêt maladie.
Par lettre datée du 2 janvier 2019, la salariée a été convoquée à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 10 janvier 2019.
Par lettre du 14 janvier 2019, la salariée a fait l’objet d’une mise à pied à titre conservatoire.
Le 15 janvier 2019, la salariée a fait l’objet d’un arrêt de travail qui a été renouvelé le 28 janvier 2019.
Elle a été licenciée par lettre du 25 janvier 2019 pour faute grave dans les termes suivants :
« Madame,
Nous avons à déplorer de votre part des agissements constitutifs d’une faute grave, à raison de divers faits qui vous seront ci-après énoncés.
Je vous ai convoquée à un entretien préalable qui s’est tenu le 10 janvier dernier.
A cette occasion, je vous ai exposé clairement les griefs qui m’amènent aujourd’hui à vous adresser la présente.
Vous avez été engagée suivant contrat de travail de VRP multicartes en date du 2 novembre 1994, aux termes duquel il vous était confié la représentation des produits de la société CREATION MEDITERRANEE sur les secteurs [Localité 15] et région parisienne, et départements 75-78-91-92-93-94-95-77 soit huit départements, pour les collections femmes de maillots de bains PAIN DE SUCRE, et tous autres produits.
L’article 4 de ce contrat prévoit que vous êtes tenue de faire parvenir à la société CREATION MEDITERRANEE un rapport mensuel d’activité.
Le contrat initial prévoit une commission de 10%, ramenée à 3% sur les ventes réalisées par les boutiques concessionnaires et les points de vente appartenant directement à la société CREATION MEDITERRANEE, ou clients bénéficiant de conditions particulières.
Un avenant était signé le 15 février 2000, dans la mesure où un point de vente à l’enseigne PAIN DE SUCRE était ouvert à [Localité 15], et rappelant que le taux de commissionnement était ramené à 3% sur le prix de vente hors taxes s’appliquant au réseau de la marque.
L’avenant précise que l’ouverture de ce point de vente ne pourra justifier une baisse de C.A. sur le reste du réseau détaillant du secteur.
Depuis plusieurs années, certes, de nouveaux points de vente ont été ouverts sur le secteur qui auraient dû, avec une meilleure connaissance de la marque – couplée à des campagnes de communication sur [Localité 15] & région ainsi qu’une campagne de presse permettre une meilleure imprégnation sur le secteur détaillant.
Cependant il n’en a rien été, le secteur « multimarques » connait une chute de chiffre d’affaires.
Nous en avons discuté, et avons échangé par écrit en 2015.
Je vous rappelais à cet égard que je n’avais jamais eu de votre part de rapport de tournée, et vous demandais de m’adresser des rapports mensuels, car il était important que je connaisse l’état du secteur.
Si dans un premier temps vous vous y êtes contrainte, en m’adressant des rapports extrêmement lapidaires, très vite vous ne nous avez plus rien adressé.
A la lumière des précommandes que vous transmettiez pour la saison été 2019 je vous relançais donc quant à la transmission de votre rapport d’activité tant il convenait de comprendre les raisons de la baisse de ces commandes sur lesquelles nous aurions pu échanger et trouver ensemble des pistes de réflexion permettant d’endiguer ce constat alarmant.
Vous m’avez donc adressé votre rapport le 17 novembre 2018 relatant toutes vos démarches auprès de prospects éventuels et me faisant retour de leur position vis-à-vis de nos produits.
Nous avons été amenés à analyser ce rapport, et avons recueilli un certain nombre d’informations, lesquelles m’ont donc amené à vous convoquer à cet entretien.
Le rapport que vous m’avez adressé concernant votre tournée de prise d’ordre de la collection été 2019, mentionne des visites des points de vente suivants :
1/ « MEMOIRE DE PARFUM [Adresse 4], pas intéressée »
Après vérification il s’avère cette entreprise est radiée du registre du commerce et des sociétés depuis le 27 mars 2018.
2/ « BYZANCE [Adresse 17], toujours pas intéressée (cliente Harmony [Localité 15] implante à Versailles P/E 2019) »
Après vérification, il se trouve que cette entreprise a été radiée le 16 AOUT 2017.
3/ « FLEUR DE PECHER 78 [Localité 13], n’ajoute aucune marque »
Les vérifications effectuées révèlent que le numéro de téléphone est inactif : [XXXXXXXX01] ‘ [XXXXXXXX02], que cette boutique ne porte plus ce nom depuis le 30 septembre 2013, date à laquelle l’enseigne est devenue « ETERNEL’S BEAUTE »
4/ « GERALDINE [Adresse 3] toujours pas intéressée »
Les vérifications effectuées ont révélé que le numéro de téléphone est inactif et il nous a été confirmé par les services de la Mairie de [Localité 11] que cette boutique est fermée depuis Mars 2018.
Votre rapport mentionne également d’autres boutiques comme ayant été contactées par vos soins et qui n’auraient pas été intéressées.
Il se trouve cependant que dans la perspective du salon de la lingerie de Janvier 2019 où nous exposions, nous avons fait un point avec ces éventuels prospects.
La boutique CLAIR DE LUNE a donc été contactée dans cette optique, et celle-ci nous a indiqué ne pas avoir eu de contact avec vous depuis plusieurs années mais qu’elle serait intéressée de travailler avec nous.
Il en est de même de la boutique GLAMOUR ([Localité 7]) qui nous a dit ne pas vous avoir rencontré pour la présentation de la collection 2019 ni avant du reste mais qui serait intéressée par nos produits.
A l’occasion de l’entretien préalable du 10 janvier je vous exposais ces faits, vous ne vous êtes nullement expliqué vous contentant de m’indiquer que vous feriez les vérifications relatives à vos chiffres d’affaires sur votre secteur.
Le constat consternant du défaut de sincérité de votre rapport n’a donné lieu à aucun commentaire de votre part.
Par ailleurs, même si votre taux de commissionnement sur les grands magasins et boutiques est réduit, il se doit cependant d’être la contrepartie d’un travail effectif.
Or, des renseignements que j’ai de nos boutiques et corners parisiens, vous ne vous préoccupez nullement de l’activité de ces points de vente : aucun renseignement sur les prises d’ordre, aucun renseignement et très peu de visite sur place concernant le déroulé de la saison, la perception des clientes finales sur nos produits.
Vous ne vous rendez que dans deux de nos boutiques parisiennes, Canettes et Saint Honoré afin d’y recevoir vos clients pour des prises d’ordre et vous éviter ainsi les déplacements.
Il en est de même des grands magasins où seul le Printemps fait l’objet d’un peu d’attention de votre part mais dernièrement lors du rendez-vous de prise d’ordre avec les acheteuses du Printemps vous ne vous êtes pas rendue disponible alors que plusieurs dates nous étaient proposées et que vous savez que nous devons nous plier aux exigences des acheteuses.
J’ai donc dû prendre en charge seul ce rendez-vous.
Votre comportement met donc en péril la bonne marche de notre entreprise, et nous avons donc décider en conséquence de vous licencier pour faute grave ».
Le 28 mai 2019, Mme [Z] a saisi le conseil de prud’hommes de Montmorency aux fins de requalification de son licenciement, à titre principal, en licenciement nul, à titre subsidiaire en licenciement sans cause réelle et sérieuse, et en paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.
Par jugement du 12 mai 2021, le conseil de prud’hommes de Montmorency (section encadrement) a :
– débouté la société Création Méditerranée de sa demande de rejet des pièces 18 et 18.1,
– dit que le licenciement de Mme [Z] reposait sur une cause réelle et sérieuse,
– condamné la société Création Méditerranée à verser à Mme [Z] :
. 8 052,18 euros à titre d’indemnité de préavis,
. 805,22 euros au titre des congés payés afférents,
. 1 342,02 euros à titre des rappels de salaire pour mise à pied à titre conservatoire,
. 134,20 euros au titre des congés payés afférents,
. 32 208,72 euros au titre de l’indemnité de clientèle,
. 2 684,06 euros au titre du manquement de l’employeur à son obligation de formation,
. 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté Mme [Z] du surplus de ses demandes.
Par déclaration adressée au greffe le 16 juillet 2021, Mme [Z] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 14 février 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 24 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [Z] demande à la cour de :
– confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a :
. débouté la société Création Méditerranée de sa demande de rejet des pièces n°18 et n°18.1,
. condamné la société Création Méditerranée à lui verser une indemnité de clientèle,
. condamné la société Création Méditerranée à lui verser une somme d’argent au titre de l’article 700.
. condamné la société Création Méditerranée à lui verser les sommes de :
* 8 052,18 euros à titre d’indemnité de préavis,
* 805,22 euros au titre des congés payés afférents,
* 1 342,02 euros à titre des rappels de salaire pour mise à pied à titre conservatoire,
* 134,20 euros au titre des congés payés afférents,
* 2 684,06 euros au titre du manquement de l’employeur à son obligation de formation,
– infirmer le jugement de première instance en ce qu’il a :
. dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse,
. limité le quantum de l’indemnité de clientèle à lui revenir à la somme de 32 208,72 euros,
. limité le quantum de l’article 700 à lui revenir à la somme à 1 500 euros,
. l’a déboutée de sa demande visant à obtenir la somme de 2 684,06 euros en réparation du préjudice lié à l’irrégularité de procédure,
. l’a déboutée de sa demande visant à obtenir des rappels de commissions, ou d’être à tout le moins indemnisée de son préjudice à hauteur de 24 760,07 euros,
et, statuant à nouveau,
– juger que le licenciement est entaché de nullité,
– condamner la société Création Méditerranée à lui payer la somme de 80 521,80 euros en réparation de son préjudice,
– juger, subsidiairement, que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– condamner la société Création Méditerranée à lui payer la somme de 80 521,80 euros en réparation de son préjudice,
– condamner la société Création Méditerranée à lui payer la somme de 64 417,44 euros à titre d’indemnité de clientèle,
– condamner, à titre subsidiaire, la société Création Méditerranée à lui payer la somme de 26 035,34 euros à titre d’indemnité spéciale de rupture,
– condamner, à titre très subsidiaire, la société Création Méditerranée à lui payer la somme de 20 279,44 euros à titre d’indemnité légale,
– condamner, la société Création Méditerranée à lui payer la somme de 2 684,06 euros en réparation du préjudice lié à l’irrégularité de procédure,
– ordonner la communication sous astreinte de 1 000 euros par semaine de retard pendant 8 mois de l’ensemble des factures et des états d’encaissement émanant de son secteur de prospection relevant de tous les points de vente « Pain de sucre », en ce compris les boutiques en noms propres et les grands magasins, sur une période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2019,
– juger que la cour se réservera le droit de liquider l’astreinte,
– condamner la société Création Méditerranée à lui payer des rappels de commissions dont le montant ne pourra être calculé qu’à partir des éléments comptables dont la communication a été demandée sous astreinte dans le cadre des présentes écritures,
– condamner, subsidiairement, la société Création Méditerranée à lui payer la somme de 24 760,07 euros en réparation du préjudice lié aux rappels de commissions dont elle a été privée,
– condamner la société Création Méditerranée à lui payer la somme de 6 000 euros à titre d’article 700.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 5 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Création méditerranée demande à la cour de :
– réformer la décision dont appel :
– dire que le licenciement de Mme [Z] repose sur une faute grave et en conséquences,
– débouter Mme [Z] de toutes ses demandes,
– à titre subsidiaire si une quelconque somme été allouée à Mme [Z] dire que celles-ci devront faire l’objet d’un abattement au titre des frais professionnels,
– condamner Mme [Z] au paiement de la somme de 5 000 euros au visa de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
MOTIFS
Sur les enregistrements téléphoniques et leur retranscription
L’employeur expose que la salariée a retranscrit leurs échanges téléphoniques des 29 octobre 2015 et 3 novembre 2015 qu’elle a enregistrés à l’insu de M. [M], dirigeant la société, dans le cadre d’une conversation de nature professionnelle, et il estime que ces deux ‘ enregistrements clandestins’ sont contraires au principe de loyauté des débats et ne sont donc pas recevables.
La salariée sollicite la confirmation du jugement qui a déclaré les pièces 18 et 18-1 recevables.
***
L’enregistrement d’une conversation téléphonique privée effectué et conservé à l’insu de l’auteur des propos invoqués est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue (2e Civ., 7 octobre 2004, pourvoi n° 03-12.653, Bull., 2004, II, n° 447, publié)
Si l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée, effectuée à l’insu de l’auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve d’un harcèlement, il n’en est pas de même de l’utilisation par le destinataire des messages écrits téléphoniquement adressés, dits « SMS », dont l’auteur ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil récepteur (Soc., 23 mai 2007, pourvoi n° 06-43.209, Bull. 2007, V, n° 85 Publié – Soc., 6 février 2013, pourvoi n° 11-23.738, Bull. 2013, V, n° 31, Publié)
Un enregistrement d’une conversation téléphonique par une salariée à l’insu de son correspondant, l’employeur durant la relation contractuelle, rend la preuve ainsi obtenue irrecevable en justice, ce procédé étant déloyal.( cf Soc., 29 janvier 2008, pourvoi n° 06-45.814)
Il résulte des articles 9 du code de procédure civile, 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, que l’enregistrement d’une conversation téléphonique réalisé à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve. ( Ass. plén., 7 janvier 2011, pourvoi n° 09-14.667, 09-14.316, Bull. 2011, Ass. Plén. n° 1)
Au cas présent, et en l’état actuel de la jurisprudence précitée, l’enregistrement par la salariée de la conversation téléphonique sans l’assentiment de l’employeur et à son insu est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue.
Il convient donc d’infirmer le jugement et de déclarer irrecevables les pièces de la salariée n° 18 et 18-1, pièces désormais numérotées 70-1 et 70-2 dans le cadre de la présente procédure et relatives à la retranscription des conversations téléphoniques des 29 octobre 2015 et 3 novembre 2015 avec M. [M].
Sur le licenciement
Sur la nullité du licenciement
La salariée expose qu’elle a refusé en 2015 une baisse arbitraire et unilatérale de ses commissions sur les boutiques en noms propres et sur les corners parisiens des grands magasins et que M. [M] l’a alors menacée de rendre leur collaboration conflictuelle comme cela ressort des enregistrements produits et retranscrits de leurs conversations téléphoniques. Elle affirme avoir été très choquée du discours inflexible de M. [M] puis de son attitude en septembre 2018 alors qu’elle était fragilisée par la maladie puis le décès de son frère.
L’employeur objecte que la salariée ne justifie pas qu’il a entendu lui supprimer des commissions en 2015 mais qu’en raison de la baisse de rentabilité de certaines boutiques, il était légitime de revoir avec la salariée la question des commissions qui ne correspondaient plus à la réalité, sans menace ou chantage. Il ajoute que la salariée ne verse aucune pièce probante à l’appui de ses allégations pour la période de 2018.
***
L’article L. 1152-1 du code du travail dispose qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l’article L. 1154-1 , lorsque survient un litige relatif à l’application de l’article L. 1152-1 le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Il revient donc au salarié d’établir la matérialité des faits, à charge pour le juge d’apprécier si ces faits, pris en leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral. Dans la négative, le harcèlement moral ne peut être reconnu. Dans l’affirmative, il revient à l’employeur de prouver que ces faits sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Au cas présent, la salariée invoque le comportement harcelant de M. [M] à son encontre en 2015 puis en 2018. La salariée décrit chronologiquement des événements qui se succèdent pour justifier du harcèlement moral allégué.
S’agissant des faits qui se sont déroulés en 2015, il n’est pas contesté que des échanges sont intervenus entre les parties à propos des commissions perçues par la salariée de 3% sur les ventes dans les boutiques Pain de Sucre et les grands magasins. Les parties s’accordent à dire qu’à ce moment-là le chiffre d’affaires dans les points de vente multimarques a chuté.
Par courriel du 4 avril 2015, l’employeur indique à la salariée que sa rémunération est en majorité constituée des commissions sur les ventes en noms propres (58%) et qu’en application de l’avenant signé en 2000, la vente en multimarques devait constituer la majeure partie de la rémunération de la salariée, ce que l’employeur lui rappelle d’ailleurs en invoquant également l’absence d’explication de la salariée sur son chiffre d’affaires en baisse dans les points de vente détaillants multimarques.
Dans cette lettre, l’employeur conclut en ces termes : ‘ je fais donc l’amer constat de ce que tu te complais d’un système qui te permet de profiter d’une situation voire d’une rente de de situation. Je ne peux cependant me satisfaire de cette situation et rester à regarder baisser sans cesse ton chiffre d’affaires sur ton secteur ainsi que la baisse de nos marges au regard de l’importance de nos investissements ( …). Dès lors tu voudras bien me faire parvenir un rapport mensuel de tes activités afin que nous puissions analyser les éventuelles difficultés et que nous puissions échanger sur les mesures à adopter afin d’y remédier et de booster le chiffre.’.
Toutefois, la salariée n’établit pas le ‘mépris manifeste de l’employeur’ relatif à son investissement passé pour contribuer à l’émergence de la marque sauf à uniquement produire ses propres courriels à l’employeur à ce sujet, ces allégations étant dépourvues d’offre de preuve.
Par ailleurs, la salariée se fonde principalement sur les pièces 70-1 et 70-2, non recevables, pour alléguer que M. [M] a rendu ‘ leur collaboration conflictuelle’.
Certes, il ressort des échanges au dossier que la salariée n’a pas perçu en octobre 2015 la somme de 1 000 euros escomptée à titre d’avance de commissions, le virement n’étant effectué par la comptable que le 6 novembre 2015, après plusieurs relances de la salariée à compter du 29 octobre 2015.
Quand bien même l’employeur n’a pas versé à la bonne date l’avance sur commissions, il n’est pas établi qu’il a alors décidé de manière unilatérale de supprimer ce versement qui a été effectif jusqu’à la fin de la relation contractuelle et l’usage de chantage ou de menace à l’encontre de la salariée n’est donc pas davantage rapporté.
S’agissant des faits reprochés à l’employeur en 2018, si la salariée n’invoque aucun fait entre 2015 et 2018, elle se prévaut cependant de la tension relative aux commissions précitées de 2015pour expliquer les faits survenus en 2018.
La salariée reproche à M. [M] de l’avoir contrainte fin juillet 2018 à participer à un nouveau salon de prêt à porter [Adresse 16] à [Localité 15] du 7 au 10 septembre 2018.
Par courriel du 25 juillet 2018, en réponse à la salariée qui faisait part de son indisponibilité, l’employeur rappelle l’importance de participer pour la première fois à ce salon, notamment ‘pour aider les équipes commerciales à maintenir et développer leur clientèle dans un contexte hyper concurrentiel’, et il a indiqué à la salariée ‘je me répète encore et à nouveau, je comprendrais mal ton absence’, la salariée répondant qu’elle serait présente ‘les vendredi fin de matinée et le samedi ou dimanche et le lundi’.
Si la salariée invoque le comportement ‘ de plus en plus arbitraire de l’employeur’, ce n’est pas établi par ce seul courriel, l’employeur indiquant qu’il a demandé à tous les VRP d’être disponibles pour se rendre au salon en septembre 2018, engageant cette action pour la première fois pour améliorer le chiffre d’affaires de tous.
La salariée a été en arrêt de travail le 6 septembre 2018, renouvelé jusqu’au 28 septembre 2018, et la salariée ne justifie également pas que M. [M] lui a adressé des messages ayant pour objet de la ‘ persécuter’ pendant cette période, ce qui ne ressort pas du courriel du 26 septembre 2018 par lequel M. [M] lui demande si elle ‘ avait une idée de la durée de son absence … si elle doit durer… afin que nous puissions nous organiser. En espérant que ce qui t’arrive ne soit pas grave, d’avance, merci de me tenir informé’.
Toutefois, le fait est établi que l’employeur a adressé à la salariée un courriel pendant qu’elle était en arrêt maladie.
Pas davantage, le courriel du 31 octobre 2018 de M. [M], qui fait un point de situation, n’est blessant en ce qu’il indique à la salariée qu’il reste sans nouvelles de sa part, depuis son SMS du 7 septembre 2018 lui annonçant qu’elle ‘ n’est pas état de venir’ au salon, l’employeur lui demandant de rendre compte de son activité et rappelant qu’il n’a pas eu de compte rendu depuis le 29 avril 2018.
Le frère de la salariée, hospitalisé à la fin du mois d’août 2018, est décédé le [Date décès 5] 2018, et la salariée ne produit aucune pièce de l’employeur qui présente un caractère offensant.
Dès lors, la salariée n’établit pas les menaces, sanctions financières, chantage, pressions, mensonge et manque de considération de l’employeur à son encontre.
Au plan médical, la salariée a été en arrêt de travail du 13 au 23 avril 2015, du 11 au 18 juin 2015 puis du 6 au 28 septembre 2018. Le médecin traitant certifie le 5 février 2022 que la salarié a présenté un syndrome anxieux en avril 2015 qu’il n’avait pas auparavant constaté nécessitant un traitement anxiolytique et que l’aggravation du trouble en 2019 a relevé d’une prise en charge psychothérapeutique et de la prise d’un anti-dépresseur.
En conséquence, quand bien même la dégradation de l’état de santé de la salariée n’est pas discutable, il ne peut qu’être constaté qu’elle ne présente qu’un seul fait, celui du 28 septembre 2018, et qu’elle ne présente donc pas des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral caractérisé par des agissements répétés.
Il convient, confirmant le jugement, de dire que le harcèlement moral n’est pas établi.
Dès lors qu’il est jugé que le harcèlement moral n’est pas établi, le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes tendant à voir dire le licenciement nul et d’indemnité pour licenciement nul.
Sur le bien-fondé du licenciement pour faute grave
La salariée conteste les griefs reprochés par l’employeur lequel invoque l’existence d’une faute grave avérée.
Au cas présent, deux griefs sont reprochés à la salariée dans la lettre de licenciement.
Sur le rapport de visite de novembre 2018
L’article 4 du contrat de travail prévoit que la salariée est ‘astreinte à faire parvenir un rapport mensuel d’activité dans les formes prescrites par la direction commerciale’.
Comme indiqué précédemment, M. [M] a demandé à la salariée la remise d’un rapport à compter de 2015 et il n’est pas discuté, que si la salariée a fait diligence pendant plusieurs mois, il n’en a pas été de même ensuite.
En tout état de cause, la salariée a été interpellée par l’employeur le 31 octobre 2018, lui rappelant que le dernier rapport datait d’avril 2018, et lui demandant de lui communiquer les rapports d’activité, la salariée lui transmettant le document le 15 novembre 2018 en mentionnant le décès récent de son frère.
Par courriel du lendemain, M. [M] a demandé à la salariée de mentionner les adresses des prospects, ce qu’elle a effectué le 17 novembre 2018.
L’employeur, qui se prévaut du caractère mensonger des affirmations de la salariée, établit que le rapport d’activité transmis en novembre 2018 comprend de nombreuses erreurs.
Sur les 33 points de vente actifs inscrits sur l’inventaire de la salariée et non 50 comme elle l’allègue, l’employeur relève plusieurs erreurs qui portent sur :
– deux entreprises qui sont radiées du registre du commerce en août 2017 et mars 2018,
– une boutique qui est définitivement fermée depuis mars 2018,
– une boutique qui a changé de numéro de téléphone et d’enseigne,
– deux points de vente qui n’ont plus aucun contact avec la salariée depuis plusieurs années (attestation de M. [L], salarié, qui a pris attache avec les responsables de magasin. La salariée, qui communique un mail du 3 mars 2018 adressé au service administratif comprenant uniquement une liste d’enseignes sans commentaire mais dont il n’est pas contesté qu’il s’agissait de clients à inviter au prochain salon parisienne, dont l’un de ceux cité par le témoin correspondant à une boutique qui n’a jamais été démarchée par la salariée ( cf Clair de Lune) .
La cour relève également que les entreprises n’ont pas été radiées ou fermées dans le mois qui a précédé l’établissement du rapport par la salariée, dont les difficultés familiales ne peuvent suffire à expliquer une erreur concernant plus de 18 % de ses clients et portant sur des modifications anciennes de plus de six mois.
En outre, la salariée a dûment listé en introduction de son rapport les 10 établissements inactifs de son secteur pour cause de fermeture, vente ou qui ne commercialisent plus la marque Pain de sucre, de sorte que la liste des établissements actifs en est d’autant plus inexacte, la salariée ayant effectué l’exercice de classification des prospects actifs ou non.
Si la salariée concède que les boutiques étaient fermées ou radiées, elle soutient qu’elle n’a pas inscrit dans son rapport qu’elle ‘ les avait visitées’.
Toutefois, le rapport est lapidaire, sans date ni précision aucune, la salariée ayant indiqué aux cas d’espèce à propos des prospects’ pas intéressée’ ou ‘toujours pas intéressée’, ce qui sous-entend qu’elle avait pris attache avec le prospect lequel avait répondu qu’il n’effectuait pas de commande, ce qui n’a pas été le cas, surtout pour les enseignes fermées depuis plus d’une année.
Quelques soient les explications de la salariée, il lui appartenait de délivrer à l’employeur un rapport correspondant à la réalité, ce qui n’est pas le cas.
Le grief relatif à l’établissement d’un rapport mensonger est établi.
Sur l’absence de diligences de la salariée
L’employeur, qui reproche à la salariée d’avoir bénéficié de commissions sans la contrepartie d’un travail réellement effectué, produit plusieurs courriels qui établissent que les relations des points de vente avec la salariée sont succinctes, Mme [X] précisant qu’elle n’a jamais aucune assistance de sa part, Mme [J] invoquant de brèves discussions, Mmes [N] et [W] indiquant rencontrer une fois par an la salariée lors de salon de lingerie à [Localité 15], n’ayant plus de contact téléphonique ou de visite depuis deux années.
Toutefois, ces éléments sont très imprécis en ce que la qualité de la personne qui rédige le courriel n’est pas mentionnée, seul un prénom faisant office de signature et le nom de la boutique n’étant également pas renseigné. Ces courriels n’établissent donc pas la nature exacte de la relation de la salariée avec certains points de vente.
L’employeur produit également une pièce (sa pièce n° 44) qui comprend environ 40 pages de courriels qui font état de passages d’ordre , de commandes, de virements de fonds, de livraisons entre février 2018 et janvier 2019. Cette pièce, non citée ni analysée dans ses écritures, sans explication, n’est pas exploitable, la cour n’étant pas en mesure de distinguer les clients de points de vente de la marque des clients multimarques ni surtout d’analyser de son propre chef toutes ces messages.
Enfin , il ressort du contrat de travail et de l’avenant qu’aucune clause ne prévoit que la salariée intervienne directement auprès des boutiques en nom propre et les corners dans les grands magasins.
Si l’employeur se prévaut de l’article 5 du contrat de travail précisant que’ le droit à commission portera sur tous les ordres pris par Mme [Z]. Sont assimilés à des ordres directs, les commandes transmises par des clients ayant déjà traité par son intermédiaire.’, il ne justifie pas que la salariée gérait les commandes de ces clients.
L’avenant ne règle que la question du versement des commissions de la salariée après la création de boutique de la marque, sans préciser davantage son rôle.
Le 27 mars 2015, la salariée indiquait qu’elle avait réalisé des actions ‘ en dehors de mon statut de VRP pour lequel j’ai fait, la prospection, l’ouverture des points de ventes détaillants sur mon secteur ainsi que le suivi commercial et financier des clients’ outre sa contribution à l’implantation des trois boutiques parisiennes ainsi qu’à l’ouverture des points de vente dans les grands magasins, précisant qu’elle ‘collabore au merchandising ‘ et intervient pour les problèmes du quotidien.
En réponse, l’employeur déplore la quasi- absence de contrepartie à la commission perçue par la salariée de sorte qu’il reconnaît implicitement qu’elle n’a pas contractuellement d’activité professionnelle dans ces points de vente de la marque et l’employeur ne lui demande d’ailleurs pas son intervention puisqu’il s’interroge alors sur la réduction du commissionnement sur les points de vente de la marque, sans ensuite procéder à une retenue comme indiqué précédemment.
Dès lors, l’employeur ne définit pas la contrepartie du travail attendue pour valoir commission pour les points de vente en nom propre.
La salariée établit pour sa part qu’elle entretient des relations professionnelles avec ces points de vente mais qu’elle n’effectue pas d’ordres.
Il existe donc une incertitude sur l’étendue des obligations contractuelles de la salariée et si la salariée a d’ailleurs cherché en 2013 puis en 2015 à occuper un rôle d’encadrement sur le secteur parisien comprenant les points de vente de la marque, cela confirme qu’elle estimait avoir un rôle de management et non de preneuse d’ordre .
Dès lors, l’employeur n’établit pas l’absence d’attention de la salariée sur l’activité des points de vente de grands magasins et boutiques ni qu’elle met en péril la bonne marche de l’entreprise.
Le grief d’absences de diligences de la salariée n’est ainsi pas établi.
En définitive, l’employeur établit le grief tiré du manque de sincérité de la salariée sur son activité par la remise d’un rapport mensonger, ce qui constitue une faute.
La salariée se prévaut de son ancienneté de 25 années sans sanction disciplinaire de sorte qu’il convient de dire le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et non une faute grave. Le jugement sera confirmé de ce chef.
Le jugement sera également confirmé en ce qu’il a condamné l’employeur au paiement à la salariée de la somme de 8 052,18 euros à titre indemnité compensatrice de préavis sur la base de trois mois de salaire, outre 805,22 euros pour congés payés afférents, sommes non utilement discutées en leur principe et calculées après déduction de l’abattement de 30% pour frais professionnels.
Il convient également de condamner l’employeur à verser à la salariée les sommes de
1 342,02 euros outre 134 euros à titre de rappel de salaire outre les congés payés sur mise à pied conservatoire, l’employeur ne les ayant pas davantage utilement contestées, sauf à solliciter l’application de l’abattement de 30% pour frais professionnels pour le calcul de ces sommes, ce qui est le cas.
Sur la procédure de licenciement
La salariée reproche à l’employeur d’avoir organisé l’entretien préalable le 10 janvier 2019 alors qu’elle a reçu la lettre de convocation le 4 janvier 2019, le non-respect du délai de convocation constituant une irrégularité de procédure, ce que conteste l’employeur qui indique que la lettre, datée du 2 janvier 2019, a été présentée le 3 janvier 2019.
Aux termes de l’article L.1232-2 du code du travail, l’employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable. La convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l’objet de la convocation. L’entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation.
Il résulte de l’article L. 1232-2 du code du travail que le salarié doit disposer d’un délai de cinq jours pleins pour préparer sa défense, de sorte que le jour de la remise de la lettre ne compte pas dans le délai, non plus que le dimanche qui n’est pas un jour ouvrable.( Soc., 3 juin 2015, pourvoi n° 14-12.245, Bull. 2015, V, n° 112 Publié)
Le délai de cinq jours, séparant la remise de la lettre de convocation à l’entretien préalable et l’entretien préalable de licenciement, commence à courir le lendemain de la date de la première présentation de cette lettre. La date de réception du pli auprès des services postaux n’a, quant à elle, aucune incidence sur le délai de l’article L. 1232-2 du code du travail. (Soc. 6 septembre 2023, n° 22-11.661, publié)En l’espèce, la date de la présentation de la lettre de convocation datée du 2 janvier 2019 n’est pas lisible tant sur la photocopie de la salariée que sur celle de l’employeur (pièce n° 27 de l’employeur).
Mais, la salariée invoquant avoir reçu la lettre de convocation le vendredi 4 janvier 2019,il en résulte qu’elle a bénéficié d’un délai de cinq jours ouvrables pleins, le samedi étant un jour ouvrable de sorte que la procédure de convocation à l’entretien préalable est régulière.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande de ce chef.
Sur l’indemnité de clientèle
Selon les dispositions de l’article L.7313-13 du code du travail, en cas de rupture du contrat de travail à durée indéterminée par l’employeur, en l’absence de faute grave, le voyageur, représentant ou placier a droit à une indemnité pour la part qui lui revient personnellement dans l’importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par lui. Le montant de cette indemnité de clientèle tient compte des rémunérations spéciales accordées en cours de contrat pour le même objet ainsi que des diminutions constatées dans la clientèle préexistante et imputables au salarié.
Le montant de l’indemnité doit être apprécié et fixé au moment du départ du VRP ( Soc., 31 octobre 2012, pourvoi no 11-18.612 ), soit à l’amiable entre les parties, soit, à défaut d’accord par le juge en fonction du préjudice subi ( Soc., 15 juillet 1998, pourvoi n° 96-40.866, 96-41.006, Bull. 1998, V, no 382 ; Soc. 25 avril 2007, n°05-44.338). Il incombe au salarié qui forme une demande relative à l’indemnité de clientèle de prouver qu’il a apporté, créé ou développé une clientèle en nombre (Soc. 1er juin 2004, n°02-41.176 ; Soc. 7 mars 2007, Bull. V no43, 9 mars 2011 no09-66.469 ), les juges du fond déterminent de manière souveraine le montant de l’indemnité de clientèle ( Soc 26 octobre 2016, no15-15.033 ; Soc., 28 mars 2018, no16-26.724).
Pour étayer sa demande, la salariée ne verse aucune pièce au dossier, l’employeur ayant produit des tableaux (sa pièce n°48), dont la recevabilité est contestée par la salariée faute d’avoir été authentifiés par un expert comptable mais dont il ressort une évolution positive continue de la rémunération brute annuelle de salariée entre 1995, date d’entrée de la salariée dans la société, et 2018 lors de la rupture ( cf 10 210 euros en 1995 – 14 370 euros en 2000- 54 082 euros en 2010- 41 075 euros en 2011 et 39 009 euros en 2018.).
Toutefois, l’apport de la salariée dans les résultats de l’entreprise n’est pas justifié et la salariée, à qui il appartenait de rendre des rapports d’activité et qui surtout avait la vision générale de ses clients n’apporte aucun élément relatif à l’importance en nombre et en valeur de la clientèle apportée, créée ou développée par elle et notamment le nombre de clients au titre des boutiques et corner qu’elle estime avoir développés .
Par voie d’infirmation de la décision des premiers juges, la salariée sera déboutée de sa demande de condamnation de l’employeur au paiement d’une indemnité de clientèle.
Sur l’indemnité spéciale de rupture
A titre subsidiaire, en cas d’absence de versement de l’indemnité de clientèle, la salariée sollicite une indemnité spéciale de rupture.
En effet, le VRP qui ne satisfait pas aux conditions d’attribution de l’indemnité de clientèle peut choisir d’autres indemnités.
L’article 14 de l’Accord national interprofessionnel des voyageurs, représentants, placiers du 3 octobre 1975 prévoit que :’ Lorsque le représentant de commerce se trouve dans l’un des cas de cessation du contrat prévus à l’article L. 751-9, alinéas 1er et 2, du code du travail (1) alors qu’il est âgé de moins de 65 ans et qu’il ne rentre pas dans le champ d’application de l’article 16 du présent accord, et sauf opposition de l’employeur exprimée par écrit et au plus tard dans les 15 jours de la notification de la rupture (2) ou de la date d’expiration du contrat à durée déterminée non renouvelable, ce représentant, à la condition d’avoir renoncé au plus tard dans les 30 jours suivant l’expiration du contrat de travail à l’indemnité de clientèle à laquelle il pourrait avoir droit en vertu de l’article L. 751-9 précité, bénéficiera d’une indemnité spéciale de rupture fixée comme suit, dans la limite d’un maximum de 10 mois ;
Pour les années comprises entre 0 et 3 ans d’ancienneté : 0,70 mois par année entière ;
Pour les années comprises entre 3 et 6 ans d’ancienneté : 1 mois par année entière ;
Pour les années comprises entre 6 et 9 ans d’ancienneté : 0,70 mois par année entière ;
Pour les années comprises entre 9 et 12 ans d’ancienneté :0,30 mois par année entière ;
Pour les années comprises entre 12 et 15 ans d’ancienneté :0,20 mois par année entière ;
Pour les années d’ancienneté au-delà de 15 ans : 0,10 mois par année entière.
Cette indemnité spéciale de rupture, qui n’est cumulable ni avec l’indemnité légale de licenciement, ni avec l’indemnité de clientèle, est calculée sur la rémunération moyenne mensuelle des 12 derniers mois,déduction faite des frais professionnels, et à l’exclusion de la partie fixe convenue de cette rémunération.’.
Il résulte de la combinaison des articles L. 7313-13, alinéa 1, du code du travail et 14 de l’accord national interprofessionnel des voyageurs, représentants, placiers du 3 octobre 1975 que, lorsqu’il est jugé que le licenciement prononcé pour faute grave repose en réalité sur une cause réelle et sérieuse, le bénéfice de l’indemnité spéciale de rupture réclamée par le voyageur représentant placier ne peut être subordonné à la condition de renonciation par le salarié à l’ indemnité de clientèle dans le délai de trente jours suivant l’expiration du contrat de travail. ( Soc., 9 décembre 2020, pourvoi n° 19-17.395 Publié).
La salariée dont la rémunération est entièrement constituée de commissions, âgée de moins de 65 ans et qui justifie d’une ancienneté de plus de quinze ans, n’a donc pas besoin de justifier de la renonciation à l’indemnité de clientèle et peut prétendre au versement de la somme de 26 035,36 euros au titre de l’indemnité spéciale de licenciement, somme contestée en son principe mais non en son calcul par l’employeur.
L’employeur sera donc condamné au paiement de cette somme et le jugement infirmé de ce chef.
Sur le rappel de commissions
Aux termes de l’article L.7313-11 du code du travail, quelles que soient la cause et la date de rupture du contrat de travail, le voyageur, représentant ou placier a droit, à titre de salaire, aux commissions et remises sur les ordres non encore transmis à la date de son départ, mais qui sont la suite directe des remises d’échantillon et des prix faits antérieurs à l’expiration du contrat.
Il appartient à l’employeur de fournir les justificatifs des ordres ainsi passés et le chiffre d’affaires en résultant. (Soc., 11 juin 2003, pourvoi n° 01-43.199).
A titre principal, il n’appartient pas à la cour d’ordonner la communication sous astreinte de l’ensemble des factures et des états d’encaissement émanant du secteur de prospection de la salariée relevant de tous les points de vente, des boutiques en noms propres et des grands magasins comme le sollicite la salariée pour déterminer le montant du rappel de commissions litigieux.
Pas davantage, la cour n’est donc en mesure de condamner l’employeur à payer à la salariée des rappels de commissions à partir des données chiffrées réclamées.
A titre subsidiaire, la salariée sollicite des dommages-intérêts pour réparer le préjudice résultant de l’absence de paiement des commissions dont elle a été privée.
Les premiers juges, après avoir rappelé les dispositions contractuelles relatives au paiement des commissions, ont relevé à juste titre que :
– jusqu’à son licenciement la salariée était commissionnée de l’intégralité des commissions à lui revenir sur les ventes directement réalisées par ses soins et sur les ventes indirectes réalisées ou enregistrées par les boutiques et secteurs parisiens installés sur son territoire commercial,
– la salariée aurait dû continuer à percevoir en 2019 toutes les commissions portant sur les commandes directes ou indirectes relevant de son secteur et portant sur collection de l’année en cours
Les premiers juges ont ensuite conclu ne pas être en mesure de savoir quelle seraient les sommes restant dues mais que la salariée ne démontre pas son préjudice à hauteur de la somme sollicitée.
Toutefois, l’absence de versement du solde de commission cause nécessairement un préjudice à la salariée, qui si elle ne peut pas percevoir la même somme que l’année précédente, soit 24 760 euros, en raison notamment de ses absences pour maladie, peut prétendre en réparation sur les ventes de la collection 2018/2019 de tous les points de vente, des boutiques en noms propres et des grands magasins, au versement d’une indemnité qui sera fixée à la somme de 12 000 euros.
En conséquence, le jugement est infirmé et l’employeur est condamné à verser à la salariée la somme de 12 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l’absence de versement des commissions en 2019 sur les lieux de vente en noms propres.
Sur le manquement de l’employeur à l’obligation de formation
Aux termes de l’article L.6321-1 du code du travail, l’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail.
Les articles L. 6311-1 et L. 6321-1 du code du travail mettent à la charge de l’employeur l’obligation d’assurer au salarié une formation professionnelle continue de nature à permettre son adaptation à son poste de travail et le maintien de ses capacités à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations.
Il est constant que l’employeur a l’obligation d’assurer l’adaptation du salarié à son poste de travail, et de veiller au maintien de sa capacité à occuper son emploi dont le non-respect entraîne l’octroi de dommages-intérêts (Soc., 21 avril 2017, pourvoi n°15-28.640).
Il n’est pas contesté que durant la relation contractuelle de plus de vingt -cinq années, la salariée n’a bénéficié que d’une seule formation en anglais, qu’elle a réclamée à deux reprises en mai puis septembre 2014, avant d’obtenir une réponse favorable.
La salariée n’a bénéficié d’aucune évolution au cours de la relation du travail et l’absence de formation rend, comme elle l’indique, sa réinsertion professionnelle plus difficile à presque 50 ans, sans remise à niveau y compris sur son secteur d’activité.
Ce manquement, qui est ainsi établi et entraîne un préjudice pour la salariée qui sera réparé par l’octroi d’une somme de 2 684,06 euros, le jugement est donc confirmé de ce chef .
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Le jugement sera confirmé en ce qui concerne les frais irrépétibles et l’employeur succombant également en appel, sera condamné aux dépens de première instance et d’appel et ne saurait bénéficier d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Il sera également condamné à payer à la salariée la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :
CONFIRME le jugement, mais seulement en ce qu’il dit que le licenciement de Mme [Z] repose sur une cause réelle et sérieuse, condamne la société Création Méditerranée à lui verser les sommes de 8 052,18 euros à titre d’indemnité de préavis, 805,22 euros au titre des congés payés afférents, 1 342,02 euros à titre des rappels de salaire pour mise à pied à titre conservatoire, 134,20 euros au titre des congés payés afférents, 2 684,06 euros au titre du manquement de l’employeur à son obligation de formation et et 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, déboute Mme [Z] de ses demandes d’indemnité pour irrégularité de la procédure et d’indemnité de clientèle, et en ce qu’il déboute la société Création Méditerranée de sa demande en application de l’article 700 du code de procédure civile,
INFIRME le jugement entrepris pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,
Déclarer irrecevables les pièces de la salariée numérotées 70-1 et 70-2 relatives à la retranscription des conversations téléphoniques des 29 octobre 2015 et 3 novembre 2015 avec M. [M],
CONDAMNE la société Création Méditerranée à verser à Mme [Z] les sommes suivantes :
. 26 035,36 euros à titre d’indemnité spéciale de licenciement
. 12 000 euros à titre de dommages-intérêts pour privation de rappel de commissions,
REJETTE toutes autres demandes plus amples ou contraires,
CONDAMNE la société Création Méditerranée aux dépens de première instance et d’appel, et à verser à Mme [Z] une indemnité de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, Président et par Madame Marine Mouret, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président