Merchandising : 3 juin 2014 Cour d’appel de Besançon RG n° 12/02474

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Merchandising : 3 juin 2014 Cour d’appel de Besançon RG n° 12/02474
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ARRET N°

YP-SMG

COUR D’APPEL DE BESANCON

– 172 501 116 00013 –

ARRET DU 03 JUIN 2014

CHAMBRE SOCIALE

contradictoire

Audience publique

du 08 avril 2014

N° de rôle : 12/02474

S/appel d’une décision

du Conseil de prud’hommes de MONTBELIARD

en sa formation de départage

en date du 09 novembre 2012

code affaire : 80A

Demande d’indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution

[V] [J]

C/

S.A. Laboratoires de Biologie Végétale YVES ROCHER

PARTIES EN CAUSE :

Madame [V] [J], demeurant [Adresse 1]

APPELANTE

REPRESENTEE par Me Charlotte BELLET, avocat au barreau de PARIS

ET :

S.A. Laboratoires de Biologie Végétale YVES ROCHER, dont le siège social est sis à [Adresse 2]

INTIMEE

REPRESENTEE par Me Marie CONTENT, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

COMPOSITION DE LA COUR :

lors des débats du 8 avril 2014

CONSEILLER RAPPORTEUR : Madame Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Conseiller, conformément aux dispositions de l’article 941-1 du code de procédure civile, en l’absence d’opposition des parties,

CONSEILLER : M. Yves PLANTIER

GREFFIER : Mademoiselle Ghyslaine MAROLLES

lors du délibéré :

Madame Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Conseiller, a rendu compte, conformément à l’article 945-1 du code de procédure civile à M. Yves PLANTIER, Conseiller et Monsieur Antoine BRUGERE, Conseiller, magistrat, désigné par ordonnance de Monsieur le Premier Président en date du 8 avril 2014, en remplacement du Président régulièrement empêché;

Les parties ont été avisées de ce que l’arrêt sera rendu le 03 juin 2014 par mise à disposition au greffe.

**************

Par acte sous seing privé du 15 octobre 2006 avec effet au 25 octobre 2006, la S.A Laboratoire de biologie végétale Yves Rocher a confié à la S.A.R.L Estetika dont le gérant et l’associé unique était Mme [V] [J] la gérance libre d’un fonds de commerce de vente de produits de beauté et de soins esthétiques à l’enseigne ‘institut de beauté Yves Roches’ situé à [Adresse 3], ce dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée.

Auparavant et depuis le 3 avril 2006 dans le cadre de trois contrats à durée déterminée successifs, Mme [J] avait été embauchée en tant qu’esthéticienne vendeuse par la société Standyr, filiale de la société Yves Rocher, dans l’institut Yves Rocher de Montbéliard alors situé à une autre adresse.

Le 25 mai 2009, la société Estetika a déposé le bilan et la liquidation judiciaire de cette société a été prononcée d’emblée le 26 mai 2009 par le tribunal de commerce de Belfort.

Exposant pour l’essentiel qu’elle avait en réalité le statut de gérant de succursale au sens de l’article L.7321-2 du code du travail, Mme [J] a, le 29 septembre 2009, saisi le conseil de prud’hommes de Montbéliard aux fins d’obtenir la condamnation de la société Yves Rocher à lui payer un rappel de salaire, notamment au titre d’heures supplémentaires, des indemnités de rupture, et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société Yves Rocher s’est opposée aux demandes.

Par jugement du 9 novembre 2012, le conseil de prud’hommes, présidé par le juge départiteur, a débouté Mme [J] de l’ensemble de ses demandes et l’a condamnée aux dépens, rejetant les demandes aux titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Mme [J] a régulièrement formé appel de ce jugement le 19 novembre 2012.

Suivant ses conclusions récapitulatives déposées le 8 avril 2014 et reprises à l’audience, Mme [J] demande à la cour :

– de dire que l’existence d’une société commerciale et la signature d’un contrat commercial ne peuvent la priver des droits qu’elle tient à titre individuel des dispositions de l’article L.7321-2 du code du travail ;

– de constater qu’au delà de l’existence de la société Estetika, l’activité était en fait exercée personnellement par elle-même ;

– de dire qu’elle présente toutes les conditions posées par les articles L.7321-2 et L.7323-3 du code du travail ;

– de constater que le contrat était devenu d’exécution impossible et qu’elle ne percevait plus de rémunération depuis 5 mois ;

– de dire que la rupture du contrat est imputable à la société Yves Rocher et de requalifier la rupture du contrat en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– de condamner la société Yves Rocher à lui payer la somme de 20 897 € à titre de rappel de salaire, la somme de 41 147 € à titre de rappel d’heures supplémentaires, la somme de 2 016 € à titre d’indemnité de licenciement, les sommes de 8 061 € et 806 € au titre de l’indemnité de préavis et des congés payés associés, la somme de 4 704 € au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés et la somme de 64 488 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– de dire que les condamnations seront assorties des intérêts au taux légal avec capitalisation ;

– de condamner la société Yves Rocher à lui remettre les bulletins de paie correspondant à la période de préavis, un certificat de travail et l’attestation Pôle emploi ;

– de condamner la société Yves Rocher aux dépens et au paiement de la somme de 8 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle expose en substance :

– qu’en dépit des stipulations du contrat du 15 octobre 2006, il a existé entre la société Yves Rocher et elle-même une relation de travail relevant en tous points des dispositions des articles L.7321-2 et L.7321-3 du code du travail ;

– qu’elle a été amenée, du fait des conditions d’exploitation et des conditions de travail qui lui étaient imposées, a effectuer de nombreuses heures supplémentaires et à renoncer à une partie des congés légaux ;

– que la rupture du contrat de travail s’analyse en un licenciement, avec toutes conséquences de droit, en ce qu’elle est imputable à la société Yves Rocher qui lui avait imposé une exploitation vouée à l’échec et qui, lorsque cet échec a été patent, a cessé brutalement les livraisons de marchandises.

Au terme de ses écritures déposées le 8 avril 2014 et reprises à l’audience, la société Yves Rocher conclut à la confirmation du jugement, sollicitant à titre reconventionnel la condamnation de Mme [J] aux dépens et au paiement de la somme de 8 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient pour l’essentiel :

– que Mme [J] ne peut prétendre à la requalification en contrat de gérant de succursale d’un contrat de gérance libre conclu avec la S.A.R.L Estetika qui est une société bien réelle et non fictive ;

– qu’en tout état de cause et hormis celle tenant à la fourniture d’un local, aucune des conditions requises par l’article L.7321-2 et à fortiori l’article L.7321-3 du code du travail n’est à l’examen remplie par Mme [J] qui a géré en toute indépendance l’institut de [Localité 3] ;

– à titre subsidaire que la rupture du contrat de travail incombe à Mme [J] qui a choisi de déposer le bilan ;

– que les montants sollicités ne sont en tout état de cause pas justifiés.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est référé, pour un plus ample exposé des moyens des parties, à leurs longues conclusions récapitulatives visées par le greffier et développées lors de l’audience des débats

SUR CE, LA COUR,

Sur la relation contractuelle entre la société Yves Rocher et Mme [J] :

Il résulte des dispositions de l’article 12 du code de procédure civile que le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposé.

En l’espèce, Mme [J] fait valoir essentiellement que malgré le contrat de location-gérance du 15 octobre 2006 passé entre la société Estetika à la société Yves Rocher, il existait entre elle-même et cette dernière société une relation de travail relevant des dispositions des articles L.7321-2 du code du travail.

Ce texte dispose qu’est gérant de succursale toute personne dont la profession consiste essentiellement à vendre des marchandises de toute nature qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise.

Il convient donc d’examiner si en sa personne, Mme [J] réunissait les conditions exigées l’article L.7321-2 du code du travail, ce à quoi ne saurait faire obstacle le fait que le contrat dit de gérance libre du 15 octobre 2006 a été passé entre la société Yves Rocher et la société Estetika.

En effet, il résulte des dispositions mêmes de ce contrat (article 7) qu’il est conclu intuitu personae et intuitu firmae après sélection des candidates à la gérance et que toute modification de la structure de la société, notamment par remplacement du personnel dirigeant (gérant, associé), entraînera la caducité de la convention. L’annexe 1 au contrat stipule quant à lui que le contrat est conclu en considération de la présence de Mme [J] ‘en qualité de représentant de la société gérante libre au sein de la société gérante libre’ ; il précise par ailleurs que l’objet de la société est limité à l’exploitation en gérance d’un centre de beauté [T] [W].

Il apparaît ainsi que la relation de travail a été convenue exclusivement en considération de la personne de Mme [J] qui avait été esthéticienne salariée au sein de l’institut de beauté Yves Rocher de Montbéliard du 3 avril au 24 octobre 2006 et qui y avait exercé temporairement à compter du 1er juillet 2006 des fonctions de responsable (moyennant une prime supplémentaire de 200 € brut par mois).

Dans ces conditions, la constitution, strictement pour les besoins de l’opération, de la société Estetika ne fait pas obstacle à la constatation d’un lien direct existant entre la société Yves Rocher et Mme [J] qui peut ainsi prétendre à l’application du statut de gérant de succursale.

Il n’est pas contesté que l’institut de beauté de [Localité 3] était exploité dans des locaux loués par la société Yves Rocher elle même de sorte que le local était fourni par cette société au sens de l’article L.7321-2 du code du travail.

S’agissant des produits de beauté vendus, le contrat dit de gérance libre stipule que la gérante prend l’engagement ‘de s’approvisionner exclusivement auprès de la société Yves Rocher’ et qu’elle s’oblige en conséquence ‘à ne pas vendre des produits qui n’auraient pas été approuvés expressément par [T] [W], sans avoir informé préalablement et par écrit la société de son intention de le faire, et donnant la possibilité à celle-ci de déterminer si les caractéristiques et les qualités de ces produits sont comparables à ceux qu’elle a antérieurement approuvés, et s’ils sont compatibles avec l’image de marque des centres de beauté du réseau Yves Rocher’.

Il résulte de cette clause à la formulation compliquée au point d’être contradictoire que la faculté pour la gérante de vendre des produits de beauté autres que ceux commercialisés par la société Yves Rocher est purement théorique et pratiquement impossible à mettre en oeuvre, ce que confirment les éléments de la cause. Dans aucune des nombreuses attestations de gérantes libres se déclarant satisfaites de leur sort que produit la société Yves Rocher, il n’est d’ailleurs fait état de la possibilité de s’approvisionner ailleurs qu’auprès de ladite société.

C’est donc à tort qu’il est soutenu par l’intimée qu’il n’était pas, au moins de fait, imposé à Mme [J] une obligation de fourniture exclusive.

Il est vrai en revanche que conformément au contrat du 15 octobre 2006 et comme tous les autres instituts Yves Rocher, quel qu’en soit le mode de gestion, l’institut de [Localité 3] dispensait également des soins.

Mais il résulte des comptes annuels qui sont produits aux débats que les chiffres d’affaires généré respectivement par les ventes de produits et les ventes de soins ont été de 500 116 € et 51 082 € pour l’exercice du 25 octobre 2006 au 30 septembre 2006 et de 576 723 € et de 56 273 € pour l’exercice du 1er octobre 2007 au 30 septembre 2008.

Peu important les rentabilités respectives de ces deux activités, les ventes de produits représentent un volume dix fois supérieur à celui des ventes de soins qui apparaît dans des conditions marginales.

En outre, le contrat du 15 octobre 2006 prévoit que devront être utilisés dans les cabines de soins esthétiques des produits expressément autorisés par la société Yves Rocher et qui devront être utilisés selon les traitements et méthodes de soins spécifiques mis au point par cette société, ce dont il se déduit que les soins sont aussi l’occasion de vendre des produits commercialisés par la société Yves Rocher et qu’ils sont bien l’accessoire de cette activité.

Il est suffisamment démontré dans ces conditions que la fonction de Mme [J] consistait à vendre des marchandises de toutes natures fournies exclusivement ou presque par la société Yves Rocher.

S’agissant des conditions d’exploitation et de prix auxquelles Mme [J] exerçait son activité de gérance, il convient de rappeler qu’il est de l’essence d’un contrat de gérance libre portant sur un fonds de commerce dépendant d’un réseau, très proche d’un contrat de franchise, que le gérant se plie aux exigences de l’unité du réseau que doit maintenir le propriétaire de la marque ou le franchiseur.

Il est donc peu significatif en soi de conditions d’exploitation forcées que la société Yves Rocher ait imposé à Mme [J] comme à tous les franchisés et gérants libres constituant son réseau le respect de normes strictes relativement à l’agencement du magasin, la signalétique les modes de présentation des produits ou encore les tenues du personnel. Il n’est pas plus significatif pour le même motif qu’en contrepartie même de cette obligation de se conformer à tous les signes extérieurs permettant aux clients d’identifier sa marque, la société Yves Rocher ait mis à la disposition de Mme [J] de multiples guides relatifs notamment au mode d’agencement du magasin, ses techniques de vente et d’une façon générale son savoir-faire.

Mais en revanche, il résulte des pièces versées aux débats que par le moyen de catalogues annuels (catalogue des contenants des compositions à l’année, catalogue sur les règles de merchandising, livre vert [T] [W]) et mensuels (catalogues ‘scenario’ et des promotions mensuelles) la société Yves Rocher lançaient plusieurs fois par mois et de façon continue des campagnes de promotion de produits auxquels Mme [J] ne pouvait que participer puisque le contrat du 15 octobre 2006 stipulait en son article 5.2.5 que la gérante devait fournir les informations demandées par la société à cette occasion et participer financièrement selon des modalités financières prédéfinies.

Ainsi qu’en font foi les catalogues produits aux débats, ces promotions commerciales s’accompagnaient de préconisations extrêmement précises, notamment en matière d’agencement du magasin et de présentation des produits, ainsi que de la fourniture des supports adéquats (présentoirs, îlots, affiches etc).

Il est établi par ailleurs que les exigences de la société Yves Rocher en matière de promotions commerciales étaient relayées par de courriels adressés presque quotidiennement aux gérantes et il convient de citer les exemples suivants parmi de nombreux messages produits aux débats :

– courriel du 14 mars 2008 : ‘Afin d’éviter toute confusion, nous vous remercions d’ôter les balises – 40% sur les soins visage disposées dans votre linéaire soin du visage sur la campagne actuelle du 12 au 25 mai. En effet, la promotion actuelle paramétrée dans votre TCB est la suivante ‘-40% sur les soins du visage anti-âge3. Les étiquettes relatives aux produits anti-âge sont à garder dans vos linéaires ;

– courriel du 11 décembre 2007 : ‘à compter d’hier 10 décembre, nous changeons la mise en scène des produits et l’offre vitrine ainsi – vitrine principale : nouvelle offre ‘jusqu’à moins 40% sur les parfums’, mise en avant produits, – vitrine secondaire : composition plaisirs nature – face d’îlots et table d’animation : les produits et compositions mises en avant. Attention les prix restent identiques à la période précédente vous trouverez donc les étiquettes et le plv dans le même colis ;

– courriel du mois de mars 2009 : ‘pour une mise en place d’une ‘vitrine couleur nature” préconisant la commande d’une liste de produits avec indication de la façon de présenter les posters dans la vitrine ;

– courriel du 24 octobre 2008 annonçant aux gérantes un partenariat avec un site internet et la mise en place dans ce cadre d’un bon de réduction valable dans tous les centres de beauté [T] [W] durant une certaine période.

Etant donné la succession continue de campagnes promotionnelles et publicitaires lancées par la société Yves Rocher et la nécessité dans laquelle se trouvait Mme [J] d’y participer avec les contraintes que cela impliquait en terme d’organisation et de gestion du magasin, il ne peut être considéré que l’intéressée disposait d’une autonomie ou d’une possibilité d’initiative réelle sur le plan commercial.

Quant à la gestion du fonds de commerce proprement dite, le contrat du 15 octobre 2011 stipulait que la gérante devrait communiquer chaque trimestre un tableau de bord présentant les résultats du centre de beauté comparés à ceux de sa région ou ceux de l’ensemble du réseau et chaque année ses comptes annuels.

Ce contrôle ne s’est pas avéré théorique puisque sont en effet produits des tableaux mensuels intitulés ‘veille satisfaction’ classant l’institut de [Localité 3] parmi les autres instituts du Nord Est non seulement du point de vue de la satisfaction des clientes relativement à l’agencement du magasin et le comportement des vendeuses mais aussi quant à des indicateurs comptables ou de performance (chiffre d’affaires, taux de ‘transformation’ ). La cour observe par ailleurs que le contrôle de la société Yves Rocher est suffisamment serré pour qu’elle soit en mesure de déterminer le temps passé en caisse par la gérante pour la période du 1er mars 2008 au 8 juin 2009.

L’absence d’autonomie sur le plan commercial et le contrôle comptable exercé par la société Yves Rocher permettant de retenir que Mme [J] se voyait en réalité imposer les conditions d’exploitation de l’institut, peu important à cet égard qu’elle ait disposé d’une autonomie en matière de durée de travail et d’embauche, ces deux éléments n’étant pas incompatibles avec la reconnaissance du statut de gérant de succursale ainsi qu’il résulte des articles L.2721-3 et L.7321-4 du code du travail.

S’agissant de la question des prix étroitement liée à celle de la politique commerciale, le contrat du 15 octobre 2006 dispose que la gérante déterminera librement le prix de commercialisation des produits qu’elle revend et des soins esthétiques qu’elle effectue et que dans le cadre de son assistance, la société Yves Rocher lui communiquera régulièrement des prix maxima conseillés pour les produits et soins afin d’assurer l’homogénéité de la politique du réseau et le positionnement de l’image de marque.

Il résulte ainsi de ces stipulations que la gérante ne serait soumise qu’à un prix maximum et en effet, les catalogues et les formules de bons de commande évoquent des prix de revente conseillés.

Mais il a déjà été relevé que la société Yves Rocher procédait de façon quasi-continue à des campagnes de promotion qui s’imposaient aux gérantes et qui s’accompagnaient lors de la livraison des commandes de la fourniture de produits et de tout une signalétique associée, notamment des étiquettes, des affiches, des présentoirs et des bandeaux comportant les prix, prétendument conseillés, de revente.

Dans ces conditions et même si le système informatique le permettait, il était pratiquement impossible à Mme [J] de procéder à une modification des prix tout en se conformant aux contraintes très précises induites par ces promotions. En outre, la procédure de modification des prix conseillés avec les produits ne se conçoit qu’article par article et représente en conséquence un coût et un temps en soi dissuasifs dans un système ou les produits sont livrés avec leurs étiquettes de prix ‘conseillé’ de revente.

Il résulte par ailleurs des pièces versées aux débats et notamment des catalogues que tout au long de l’année, les clientes de la société Yves Rocher recevaient directement des mailings comportant les prix auxquels elles pouvaient trouver leurs produits et qu’il leur était proposé sur le site internet de la société des offres privilége ‘valables dans tous les centres de beauté’ sur un grand nombre de produits en promotion.

Il est enfin établi que tout comme ses homologues, Mme [J] devait tout au long de l’année distribuer des chéquiers avantage accordant diverses remises et qu’elle recevait régulièrement des courriels adressés par la société Yves Rocher lui notifiant des changement de tarif, souvent de dernière minute, et lui demandant de retirer les étiquettes pour y substituer un prix promotionnel.

A titre d’exemples parmi d’autres, deux messages adressés à l’ensemble des gérantes illustrent le caractère en réalité impératif des prix proposés lors des campagnes de promotion :

– courriel du 19 décembre 2007 : afin de faciliter les écoulements des coffrets secrets d’essences, nous vous informons que nous avons décidé de promotionner exceptionnellement des coffrets du 20 décembre 2007 au 2 décembre 2008. Ainsi les trois coffrets prestige secret d’essences passent de 35 € à 29,90 €. Le coffret de 3 mini EDP passe de 14,90 € à 9,90 € … ;

– courriel du 14 mai 2008 : afin d’éviter toutes confusion, nous vous remercions d’ôter les balises’ – 40% sur les soins visage disposées dans vos linéaires soins du visage sur la campagne actuelle du 12 mai au 25 mai. En effet, la promotion actuelle paramétrée dans votre TCB est la suivante ‘-40% sur une sélection de soins du visage anti-âge’. Les étiquettes relatives aux produits anti-âge sont à garder dans vos linéaire…

Si la société Yves Rocher produit de nombreuses attestations de gérantes d’institut évoquant, pour la plupart en des termes identiques, une liberté de modifier facilement les prix, aucune ne fait état réellement de l’exercice de cette faculté. Il est significatif à cet égard que contrairement aux soins dont il a été relevé qu’il s’agissait d’une activité marginale et accessoire, la société Yves Rocher ne produit aucun élément montrant concrètement que des produits de beauté auraient été vendus à des instituts à des prix plus bas que ceux ‘conseillés’.

Au contraire, Mme [J] verse aux débats un grand nombre de tickets d’achat de différents produits achetés dans différents instituts de France dont il résulte que les produits concernés étaient toujours vendus à des montants identiques qu’ils soient ou non en promotion.

Il apparaît donc que la faculté de modifier à la baisse les prix proposés est purement théorique et de fait impraticable et que la société Yves Rocher impose en réalité les prix de revente aux responsables d’instituts.

Toutes les conditions d’application de l’article L.7321-2 du code du travail sont donc réunies, contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges de sorte que Mme [J] est de ce seul fait fondée à se prévaloir des dispositions du droit du travail à l’exception de celles relatives aux repos, aux congés, à la santé et à la sécurité.

Sur les demandes de rappel de salaire :

En tant que gérante de succursale assimilée à un salarié, Mme [J] est fondé à solliciter le paiement d’un salaire qu’il convient de fixer en l’absence de stipulation à ce sujet dans le contrat dit de gérance libre.

Cette rémunération doit être fixée en considération des fonctions de responsable d’un institut de beauté comptant plusieurs salariés et non par référence à celui d’une esthéticienne.

Sur ce point, la société Yves Rocher produit aux débats un tableau de synthèse des rémunérations variables que sa filiale Standyr verserait aux directrices salariées d’instituts en fonction des chiffres d’affaires de ces instituts.

Toutefois et malgré les contestations de Mme [J] à ce sujet, la société Yves Rocher ne produit aucun bulletin de salaire justifiant ce tableau en sorte que celui-ci est dépourvu de valeur probante.

En l’absence dès lors d’autres éléments de comparaison, c’est à juste titre que Mme [J] fait valoir que son salaire doit être fixé à un montant mensuel de 2 687 € brut, salaire dont il est justifié qu’il était effectivement versé à la directrice salariée de l’institut de beauté de [Localité 4] en 1998.

Pour une période 31 mois du 25 octobre 2006 au 25 mai 2009, Mme [J] aurait dû percevoir un salaire brut de 83 297 €.

Il résulte de l’attestation de l’expert-comptable de la société Estetika que Mme [J] a prélevé en tant que gérante pour la période du 1ER novembre 2006 au 30 septembre 2008 un montant de 52 000 € net équivalent en brut à 62 400 €.

Il est suffisamment démontré par la déclaration de revenu de Mme [J] pour l’année 2009 qu’elle n’a perçu aucun montant pour la période du 1er janvier au 25 mai 2009.

Dès lors, Mme [J] est donc bien fondée à solliciter la condamnation de la société Yves Rocher à lui payer à titre de rappel de salaire la somme de 20 897 € qui portera intérêts au taux légal :

– sur 11 297 € à compter du 9 mai 2011, date de la notification des conclusions portant une première demande déterminée à ce titre (l’acte introductif d’instance indiquait ‘mémoire’ pour la demande au titre du rappel de salaire)’ ;

– sur le surplus à compter du 19 septembre 2011, date de notification des conclusions portant le demande à ce titre à 20 897 €.

En ce qui concerne les heures supplémentaires, il résulte des dispositions de l’article L.3721-3 du code du travail que le chef d’entreprise qui fournit les marchandises n’est responsable de l’application aux gérants salariés de succursales des dispositions relatives à la durée du travail aux repos et aux congés que s’il a fixé les conditions de travail dans l’établissement ou si celles-ci ont été soumises à son accord.

En l’espèce, Mme [J] ne rapporte pas la preuve dont elle a la charge de ce qu’elle n’a pas disposé dans les faits d’une liberté d’embauche et ce conformément au contrat du 15 octobre 2006, article 5.2.2.2.

Aucune demande d’autorisation à ce sujet n’est en effet produite aux débats pas plus qu’une directive impérative de la société Yves Rocher sur le nombre de salariés. A cet égard, le compte de résultat provisionnel de l’institut de [Localité 3] qui a été établi avant la signature du contrat n’est qu’un document indicatif sans aucune valeur contractuelle.

Il résulte par ailleurs du tableau des effectifs présents qui est produit par la société Yves Rocher et qui n’est pas précisément contesté que l’institut de [Localité 3] comptait huit salariés, dont toutefois des temps partiels, au moment de la rupture du contrat, soit un effectif nettement renforcé par rapport à celui existant au début du contrat, ce que confirme la lecture des comptes annuels qui montrent une nette progression des salaires hors gérant (56 168 à 83 431 €) de l’exercice clos au 30 septembre 2007 (sur 11 mois) l’exercice clos au 30 septembre 2008.

Il n’est pas davantage établi que conformément à l’article 5.2.1.5 du contrat, Mme [J] n’était pas libre de déterminer librement les heures d’ouverture du centre. Force est de constater au contraire sur ce point qu’il est démontré par des extraits du site [T] [W] que dans la région même de Franche-Comté ([Localité 1], [Localité 2], [Localité 5]), les instituts pratiquent des horaires de travail qui différent sensiblement. À cet égard, le fait que la société Yves Rocher soit en mesure dans son site internet de communiquer au public les horaires des différents instituts ne signifie en rien qu’elle ait pour autant imposé ces horaires. Il est vain par ailleurs pour Mme [J] de produire un blâme adressé à une autre gérante libre en août 1999, soit à une période bien antérieure à la relation contractuelle en cause, alors que les termes du contrat de cette gérante sont inconnues.

Il est en enfin significatif de constater que du relevé des activités en caisse de la gérante établi par la société Yves Rocher sur la base des données qui lui ont été communiquées durant l’exécution du contrat, il résulte que Mme [J] n’effectuait contrairement aux autres jours que très rarement cette tâche le lundi, jour où l’institut était ouvert l’après-midi.

Il résulte de ces éléments qu’entourée de plusieurs salariés et maîtrisant les horaires d’ouverture de l’établissement, Mme [J] fixait effectivement ses conditions de travail, ses horaires et ses congés au sens du texte susvisé.

Elle ne peut donc se prévaloir des dispositions du code du travail relatives à la durée du travail et aux repos et congés de sorte que sa demande au titre des heures supplémentaires sera rejetée.

Les mêmes motifs conduisent à rejeter la demande de Mme [J] au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés.

Sur la rupture du contrat de travail :

Selon les apparences, le contrat dit de gérance libre a pris fin avec la déclaration de cessation de paiement de Mme [J] le 25 mai 2009.

Dans la réalité, la cessation de paiement est la conséquence nécessaire et immédiate de la suspension par la société Yves Rocher de ses livraisons de marchandises notifiée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception le 20 mai 2009.

Mme [J] a ainsi payé de la perte de son emploi les risques d’une exploitation dont elle n’avait pas la maîtrise des conditions ainsi qu’il résulte des motifs développés plus haut ayant conduit à la reconnaissance de son statut de gérant de succursale.

Il s’ensuit que la rupture du contrat doit être qualifiée de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Mme [J] est en conséquence bien fondée à solliciter une indemnité compensatrice de préavis peu important qu’elle ait retrouvé un emploi le 30 juin 2009. En l’absence toutefois de lien de subordination avec la société Yves Rocher, elle ne saurait se prévaloir des dispositions de la convention collective de la parfumerie fixant à 3 mois la période de préavis pour les cadres.

Dans ces conditions et étant donné son ancienneté dans l’entreprise, soit depuis le 3 avril 2006, il y a lieu de fixer l’indemnité compensatrice de préavis due à la somme de 5 374 € outre 537,40 € au titre des congés payés associés.

Pour les mêmes motifs, Mme [J] est en droit de solliciter le paiement de l’indemnité légale de licenciement d’un montant de 1 612,20 € (2 687 / 5 X 3) et non d’une indemnité conventionnelle qui lui est inapplicable.

Mme [J] a été licenciée à l’âge de 37 ans alors qu’elle avait une ancienneté de trois ans dans l’entreprise. Il apparaît toutefois qu’elle a retrouvé un emploi de vendeuse dès le 29 juin 2009, d’abord dans le cadre de contrats à durée indéterminée auprès d’une société Isquia puis dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée d’un contrat à durée indéterminée auprès d’une société SNTM. Des bulletins de salaire produits, il apparaît également qu’elle a retrouvé le niveau de rémunération qui était le sien avant le contrat dit de gérance libre du 15 octobre 2006.

Etant donné ces éléments, il convient de fixer l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à un montant de 28 000 €.

Sur les intérêts au taux légal et la capitalisation :

Le sommes allouées ayant la nature de salaire (rappel de salaire, indemnité de licenciement, indemnité compensatrice de préavis et congés payés associés) porteront intérêts au taux légal à compter du 1ER octobre 2009, date de la notification de la demande initiale à la société Yves Rocher, les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à compter du présent arrêt.

En application de l’article 1154 du code civil, il y a lieu, conformément à la demande, d’ordonner la capitalisation annuelle des intérêts.

Sur la remise des documents de fin de contrat :

Il y a lieu d’ordonner la remise par la société Yves Rocher des bulletins de paie correspondant à la période de préavis, d’un certificat de travail et de l’attestation Pôle emploi.

Sur l’article 700 du Code de procédure civile et les dépens :

La société Yves Rocher qui succombe sera condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 4 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

P A R C E S M O T I F S

La cour, chambre sociale, statuant publiquement, par mise à disposition, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement ;

Statuant à nouveau :

Dit que les relations de travail entre la société Laboratoire de biologie végétale Yves Rocher et Mme [V] [J] relèvent de l’article L.7321-2 du code du travail relatif aux gérants de succursale ;

Dit que la rupture de la relation de travail est imputable à la société Yves Rocher et qu’elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société Yves Rocher à payer à Mme [J] :

– à titre de rappel de salaire la somme de vingt mille huit cent quatre-vingt dix-sept euros

(20 897,00 €) brut, outre intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2011 sur onze mille deux cent quatre-vingt dix sept euros (11 297,00 €) et du 19 septembre 2011 pour le surplus,

– au titre de l’indemnité compensatrice de préavis la somme de cinq mille trois cent soixante quatorze euros(5 374,00 €) brut, outre intérêts au taux légal à compter du 1er octobre 2009,

– au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis la somme de cinq cent trente sept euros et quarante centimes (537,40 €) brut outre intérêts au taux légal à compter du 1er octobre 2009,

– au titre de l’indemnité légale de licenciement la somme de mille six cent douze euros et vingt centimes (1 612,20 €) outre intérêts au taux légal à compter du 1er octobre 2009,

– au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse la somme de vingt huit mille euros (28 000,00 €) ;

Ordonne la capitalisation annuelle des intérêts échus dans les conditions de l’article 1154 du code civil ;

Ordonne la remise par la société Yves Rocher des bulletins de paie correspondant à la période de préavis, d’un certificat de travail et de l’attestation Pôle emploi ;

Condamne la société Yves Rocher à payer à Mme [J] la somme de quatre mille euros (4 000,00 €) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de toutes demandes plus amples ou contraires ;

Condamne la société Yves Rocher aux dépens de première instance et d’appel ;

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le trois juin deux mille quatorze et signé par Madame Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Conseiller, Magistrat ayant participé au délibéré, en remplacement de Monsieur le Président de chambre régulièrement empêché et Mademoiselle Ghyslaine MAROLLES, Greffier.

LE GREFFIER,LE CONSEILLER,

 


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