Avocat en Propriété intellectuelle : nouvelle intervention remarquable de Maître Mojica

·

·

Avocat en Propriété intellectuelle : nouvelle intervention remarquable de Maître Mojica

République française

Au nom du peuple français

COUR D’APPEL

VERSAILLES

13e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 05 AVRIL 2022

N° RG 21/03097

N° Portalis DBV3- V B7F UQC7

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 06 Mai 2021 par le Juge commissaire du tribunal de commerce de NANTERRE

N° RG : 2021M01027

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

SOCIÉTÉ DES AUTEURS, COMPOSITEURS ET ÉDITEURS DE MUSIQUE (SACEM) prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité

Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 – N° du dossier 21192

Représentant : Me de la SELEURL MoRe AvocaTs, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0457

APPELANTE

Maître B A Y Z en qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société P10 NOGENT

S. A.S. P10 NOGENT agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 – N° du dossier 20210635

Représentant : Me Antoine GERMAIN, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1506

INTIMES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 15 Février 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie Andrée BAUMANN, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sophie VALAY BRIERE, Présidente,

Madame Marie Andrée BAUMANN, Conseiller,

Madame Delphine BONNET, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Sabine NOLIN,

Par jugement du 8 janvier 2020, rectifié le 9 janvier 2020, le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la SAS P10 Nogent et désigné maître Legras de Grandcourt en qualité de mandataire judiciaire.

Selon lettre recommandée du 30 janvier 2020 adressée à maître Legras de Grandcourt, ès qualités, la société civile Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique (la Sacem) a déclaré sa créance :

– à titre privilégié, pour la somme de 3 978,79 euros TTC correspondant aux redevances de droits d’auteurs dues pour la période du 1er janvier 2015 au 8 janvier 2020 ;

– à titre chirographaire, à hauteur de la somme de 1 349,11 euros TTC correspondant à l’indemnité contractuelle pour non paiement dans les délais et aux frais de recouvrement et correspondance.

Par lettre recommandée du 24 novembre 2020, maître Legras de Grandcourt, ès qualités, a informé la Sacem de la contestation par la société P10 Nogent de l’intégralité de la créance déclarée au motif que les justificatifs communiqués ne permettaient pas d’en démontrer le caractère certain, liquide et exigible.

La Sacem, par lettre du 4 décembre 2020, a maintenu sa déclaration de créance.

Par ordonnance du 6 mai 2021, le juge commissaire désigné dans la procédure collective a rejeté la totalité de la créance déclarée par la Sacem à hauteur de 5 327,90 euros.

Par déclaration du 14 mai 2021, la Sacem a interjeté appel de l’ordonnance.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 10 janvier 2022, elle demande à la cour de :

– annuler l’ordonnance ;

– à tout le moins, l’infirmer en toutes ses dispositions ;

Et statuant à nouveau,

– admettre au passif du redressement judiciaire de la société P10 Nogent, sa créance déclarée le 30 janvier 2020 :

* à titre privilégié à hauteur de la somme de 3 978,79 euros TTC ;

* à titre chirographaire, à hauteur de la somme de 1 349,11 euros TTC ;

– fixer à 2 500 euros la somme qui lui sera allouée au titre des frais irrépétibles et dire qu’ils seront à la charge du redressement judiciaire de la société P10 Nogent;

– débouter tous contestants de l’ensemble de leurs demandes ;

– laisser les dépens à la charge du redressement judiciaire.

La société P10 Nogent et maître Legras de Grandcourt, ès qualités, dans leurs dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 21 octobre 2021, demandent à la cour de :

– confirmer l’ordonnance ;

– débouter la Sacem de l’intégralité de ses demandes ;

– condamner la Sacem à verser à la société Nogent P10 la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, dont distraction au profit de maître Oriane Dontot, JRF & Associés, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 20 janvier 2022.

Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

Sur la demande d’annulation de l’ordonnance :

La Sacem fait valoir en premier lieu que le juge commissaire ne pouvait pas se saisir de la question de la signature du contrat du 19 janvier 2010 qui n’a pas été soulevée contradictoirement à l’audience du 8 avril 2021, contrairement à ce que soutient l’intimée, et que le liquidateur judiciaire n’a pas évoquée dans sa lettre du 24 novembre 2020.

Elle soutient en second lieu que le juge commissaire dont le pouvoir juridictionnel est limité comme celui du juge des référés, juge de l’évidence, n’est pas compétent pour examiner une contestation sérieuse affectant le contrat et qu’ainsi, alors au surplus que la question n’avait pas été soulevée contradictoirement, il ne pouvait pas trancher, sans débat contradictoire, une contestation ne relevant pas de sa compétence juridictionnelle, le juge commissaire commettant ainsi un excès de pouvoir qui doit être sanctionné par la nullité de la décision.

Les intimés concluent au rejet de la demande de nullité en faisant valoir que contrairement à ce que prétend la Sacem, la société P10 Nogent a bien soulevé la régularité de la signature du contrat lors de l’audience, rappelant que la procédure est orale. Ils ajoutent que le juge commissaire ne s’est nullement livré à une interprétation du contrat comme évoqué dans la jurisprudence citée par l’appelante mais qu’il a uniquement relevé qu’il n’était pas possible d’identifier la signature apposée sur le contrat, ce qui peut ‘parfaitement relever’ d’une évidence.

Conformément à l’article 16 du code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui même le principe de la contradiction, celui ci ne pouvant retenir, dans sa décision, les moyens, explications et documents invoqués ou produits par les parties que si celles ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.

Le juge commissaire, après avoir visé la déclaration de créance, les échanges écrits entre la Sacem et le liquidateur judiciaire à l’occasion de la déclaration de créance et l’audition des parties à l’audience, sans autre précision, a considéré, pour rejeter la créance fondée sur le contrat communiqué par la Sacem, qu’il était ‘impossible d’identifier la signature apposée sur ce contrat au nom du contractant’ de sorte que le lien contractuel entre les sociétés P10 Nogent et Sacem n’était pas établi.

Il n’est cependant fait état dans l’ordonnance, en l’absence de note d’audience, d’aucun débat des parties relatif à la signature apposée sur le contrat invoqué par l’appelante, étant observé que dans sa lettre de contestation, maître Legras de Grandcourt, ès qualités, n’a pas soulevé ce moyen.

Il n’est donc pas établi, au regard des écritures contradictoires des parties sur ce point, que le moyen retenu par le premier juge ait été débattu contradictoirement de sorte que l’ordonnance ne peut qu’être annulée.

Il appartient à la cour, compte tenu de l’effet dévolutif de l’appel dans la mesure où l’annulation n’affecte pas la saisine du premier juge, de statuer sur la demande d’admission de la créance de l’appelante.

Sur la créance déclarée :

Elle fait valoir que ce contrat, conclu conformément à l’article L.132-18 du code de la propriété intellectuelle, tacitement reconduit par période annuelle faute de dénonciation, n’est pas perpétuel et donne à l’exploitant la faculté d’utiliser les oeuvres appartenant à son répertoire ; elle précise que les redevances prévues, conformément à l’article premier des conditions générales, rémunèrent la faculté dont bénéficie l’exploitant d’utiliser licitement, pendant la durée du contrat, l’ensemble de son répertoire de sorte que c’est en vain que l’intimée soutient que la preuve de la diffusion d’oeuvres de son répertoire dans les locaux de son établissement ne serait pas rapportée, peu important la fréquence des diffusions musicales.

Elle souligne que contrairement à ce qu’elle prétend, la société P10 Nogent a été informée de la révision annuelle des tarifs par l’envoi des notes de débit et qu’en tout état de cause la contestation de cette information ne peut rendre légitime l’inexécution de son obligation de régler les redevances de droit d’auteur.

Les intimés soutiennent que la créance revendiquée par la Sacem sur laquelle pèse la charge de la preuve, ne présente pas de caractère certain, liquide et exigible dès lors que tout d’abord rien n’établit que la société P10 Nogent a régulièrement signé le contrat versé aux débats alors que n’y figure pas son tampon et qu’il n’est pas justifié que M. C X dont le nom figure dans l’entête du contrat aurait eu pouvoir et mandat pour le signer ; qu’en outre, alors que l’article 1210 du code civil prohibe les engagements perpétuels, l’appelante n’a pas régulièrement informé la société P10 Nogent de sa possibilité de résilier le contrat ; que la Sacem est également défaillante à prouver que de la musique aurait été diffusée dans le restaurant pendant toute la période litigieuse et qu’elle aurait informé la société P10 Nogent, comme prévu au contrat, du montant des redevances résultant notamment ‘de la révision des conditions susceptibles de découler de la reconduction du contrat pour une nouvelle période annuelle’. Ils en concluent, au visa de l’article 1217 du code civil, que cette inexécution justifie l’absence de paiement des factures et contredit la réalité de la créance alléguée par l’appelante qui ne justifie d’ailleurs pas en avoir sollicité le paiement avant sa déclaration de créance.

Conformément à l’ancien article 1315 devenu l’article 1353 du code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver et réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

La demande en paiement de la SACEM correspond à six factures au titre des droits d’auteur réclamés annuellement pour les années 2015 à 2019 et jusqu’au 8 janvier 2020 en exécution d’un contrat, à reconduction annuelle, conclu le 19 janvier 2010 ainsi qu’à des indemnités contractuelles pour non paiement dans les délais, calculées annuellement, et à des frais de correspondance et de recouvrement.

Ce contrat versé aux débats est établi au nom de la SARL Planet Nogent, ancienne dénomination de la société P10 Nogent, ‘stipulant par son gérant M. C X’. Si la signature qui est précédée de la mention manuscrite ‘lu et approuvé’ n’est pas lisible, les intimés qui n’allèguent pas qu’elle ne correspond pas à celle de M. X, ne peuvent valablement soutenir qu’elle n’engage pas la société au motif que n’y est pas apposé le tampon de cette dernière ; ils ne justifient pas que ce dernier n’était pas le gérant de la société le 19 janvier 2010 de sorte qu’ils ne peuvent sérieusement discuter de son pouvoir d’engager contractuellement la société qu’il dirigeait.

De surcroît, la Sacem qui confirme le règlement des redevances des droits d’auteur pour les années 2013 et 2014 et qui verse aux débats une autorisation de prélèvement automatique du compte de la société intimée à son bénéfice, datée du 19 février 2010 et portant la même signature que le contrat, démontre ainsi que celui ci a été exécuté par la société sans contestation de la validité de son engagement.

Ainsi le contrat prévoit le paiement de la redevance en fonction des modalités d’exploitation et du mode de diffusion des oeuvres contractuellement convenu, indépendamment de toute condition liée à l’étendue et à la fréquence de la diffusion de ces oeuvres, de sorte que les intimés ne sont pas fondés à alléguer l’absence de preuve d’une telle diffusion pendant la période litigieuse.

Conformément à l’article L.131-8 du code de la propriété intellectuelle qui fait bénéficier les redevances de droits d’auteur, pour l’exploitation des oeuvres, du privilège prévu, depuis le 1er janvier 2022, au 3° de l’article 2331 et à l’article 2377 du code civil, il convient de fixer la créance de la Sacem au passif privilégié de la société P10 Nogent à la somme de 3 978,79 euros TTC au titre des redevances dues pour les années 2015 à 2019 et du 1er au 8 janvier 2020, laquelle n’est pas discutée en son quantum par l’appelante.

S’agissant de l’indemnité contractuelle pour non paiement des redevances dans les délais, réclamée à hauteur de la somme de 677,11 euros, la Sacem en fournit le calcul détaillé sous sa pièce 24 qu’elle expose avoir opéré conformément aux dispositions de l’article L.441-6 devenu L.441-10 du code de commerce qui s’appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, conformément aux dispositions de l’article L.410-1 du même code et dont les intimés ne discutent ni l’application ni le quantum.

Sa demande au titre des indemnités forfaitaires pour frais de recouvrement, réclamées à hauteur de 40 euros par avis de rejet et dont le quantum est conforme aux dispositions de l’article D.441-5 du code de commerce, n’est pas davantage discutée et sera accueillie à hauteur de 672 euros de sorte que la créance de la Sacem sera admise au passif chirographaire de la société P10 Nogent à hauteur de la somme de 1 349,11 euros TTC.

PAR CES MOTIFS

Statuant par arrêt contradictoire,

Annule l’ordonnance du 6 mai 2021 ;

Admet la créance de la Sacem au passif privilégié de la société P10 Nogent à hauteur de la somme de 3 978,79 euros TTC au titre des redevances dues pour les années 2015 à 2019 et du 1er au 8 janvier 2020 ;

Admet la créance de la Sacem au passif chirographaire de la société P10 Nogent à hauteur de la somme de 1 349,11 euros TTC ;

Rejette les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne l’emploi des dépens de première instance et d’appel en frais privilégiés de la procédure.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Sophie VALAY BRIERE, Présidente et par Madame Sabine NOLIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, La présidente,

 

 

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 06 Mai 2021 par le Juge commissaire du tribunal de commerce de NANTERRE


Chat Icon