Mauvaise exécution du contrat de mission de maîtrise d’œuvre

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Mauvaise exécution du contrat de mission de maîtrise d’œuvre

Contexte de l’affaire

La société civile de construction vente ‘Le B’, filiale de la société Advantis, a engagé la société Cetic Bâtiment pour une mission de maîtrise d’œuvre concernant la construction d’un ensemble commercial. Un contrat a été signé le 14 janvier 2020, établissant les obligations des deux parties.

Résiliation du contrat

Le 28 juillet 2020, la société Le B a notifié à Cetic Bâtiment la résiliation du contrat pour comportement fautif, tout en proposant une indemnité de résiliation de 1.200 euros. Cetic Bâtiment a contesté cette résiliation et a demandé le paiement de 24.240 euros TTC pour des honoraires complémentaires.

Procédure judiciaire

Après des tentatives de règlement amiable infructueuses, Cetic Bâtiment a assigné Le B devant le tribunal de commerce de Bordeaux le 11 août 2021. Le tribunal a rendu un jugement le 26 juillet 2022, condamnant Le B à verser 20.400 euros à Cetic, ainsi que des intérêts et des dépens.

Appels des parties

Le B a interjeté appel de cette décision le 28 septembre 2022, tandis que Cetic Bâtiment a formé un appel incident. Les deux parties ont présenté leurs dernières conclusions respectives en 2023, chacune demandant la réformation du jugement initial.

Arguments des parties

Le B a soutenu que le jugement devait être annulé pour non-respect des règles de procédure, tandis que Cetic a demandé la réformation du jugement en raison de la résiliation injustifiée du contrat. Cetic a également réclamé des indemnités supplémentaires et des intérêts.

Décision de la cour

La cour a prononcé la nullité du jugement du tribunal de commerce de Bordeaux, statuant que Le B n’avait pas respecté le principe de la contradiction. Elle a ensuite condamné Le B à verser 17.000 euros à Cetic Bâtiment, ainsi qu’une indemnité de 3.000 euros pour les dépens, avec des intérêts au taux de 3,5/10.000 par jour.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

23 octobre 2024
Cour d’appel de Bordeaux
RG
22/04435
COUR D’APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

————————–

ARRÊT DU : 23 OCTOBRE 2024

N° RG 22/04435 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-M45C

SCCV LE B.

c/

S.A.R.L. CETIC BATIMENT

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 juillet 2022 (R.G. 2021F00828) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d’appel du 28 septembre 2022

APPELANTE :

SCCV LE B. prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège [Adresse 2]

représentée par Maître Vianney LE COQ DE KERLAND de l’AARPI RIVIERE – DE KERLAND, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

S.A.R.L. CETIC BATIMENT prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège [Adresse 1]

représentée par Maître Arnaud LATAILLADE de la SCP LATAILLADE-BREDIN, avocat au barreau de LIBOURNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 septembre 2024 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

Madame Anne-Sophie JARNEVIC,Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

Par contrat du 14 janvier 2020, la société civile de construction vente dénommée ‘Le B’ , filiale de la société Advantis, a confié à la société à responsabilité limitée Cetic Bâtiment une mission de maîtrise d’oeuvre pour la construction d’un ensemble commercial à [Localité 3].

Par courrier recommandé en date du 28 juillet 2020, la société Le B a notifié à la société Cetic Bâtiment la résiliation du contrat de maîtrise d’oeuvre pour comportement fautif du maître d’oeuvre et a proposé le paiement d’une somme de 1.200 euros à titre d’indemnité de résiliation.

Par courrier du 7 août 2020, la société Cetic Bâtiment a contesté cette proposition et a adressé une note d’honoraires complémentaires pour un montant de 24.240 euros TTC.

Les discussions amiables n’ayant pas abouti, la société Cetic Bâtiment a, par acte délivré le 11 août 2021, fait assigner la société Le B devant le tribunal de commerce de Bordeaux en paiement de diverses sommes.

Par jugement prononcé le 26 juillet 2022, le tribunal de commerce de Bordeaux a statué ainsi qu’il suit :

– condamne la société Le B à payer à la société Cetic Bâtiment la somme de 20.400 euros au titre des honoraires dus et de l’indemnité de résiliation ;

– condamne la société Le B à payer à la société Cetic Bâtiment les intérêts sur 17.000 euros au taux de 3,5/10.000 par jour à compter du 1er avril 2021 et jusqu’à parfait paiement ;

– dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire ;

– condamne la société Le B à payer à la société Cetic Bâtiment la somme de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamne la société Le B aux dépens de l’instance.

La société Le B a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 28 septembre 2022.

La société Cetic Bâtiment a formé un appel incident.

***

Par dernières conclusions notifiées le 1er juin 2023, la société Le B demande à la cour de :

Vu les articles 1193 et suivants du code civil,

Vu les articles 16 et 455, 458 et 542 du code de procédure civile,

– annuler le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 26 juillet 2022 pour non-respect des articles 16 et 455 du code de procédure civile, sur les chefs de jugement visés à la déclaration d’appel ;

A titre subsidiaire,

– réformer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 26 juillet 2022 sur les chefs de jugement visés dans la déclaration d’appel ;

Statuant à nouveau,

– débouter la société Cetic Bâtiment de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

– condamner la société Cetic Bâtiment au paiement d’une somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

***

Par dernières écritures notifiées le 27 juillet 2023, la société Cetic Bâtiment demande à la cour de :

Vu les articles 1101 et suivants du code civil,

Vu l’article 1231-6 du code civil,

Vu l’article 1353 alinéa 1er du code civil

Vu les articles 1193 et 1194 du code civil,

Vu l’article L441-1 du code de commerce,

Vu l’article L441-10 du code de commerce,

A titre principal,

– réformer le jugement dont appel ;

Statuant à nouveau,

– condamner la société Le B à payer à la société Cetic Bâtiment la somme de 44.560 euros avec intérêts de droit à compter du 1er avril 2021 selon la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie ;

Subsidiairement sur ce point,

– condamner la société Le B à payer à la société Cetic Bâtiment la somme de 44.560 euros en ce compris les pénalités de 20 % prévues à l’article 1.13 du contrat et avec intérêts au taux de 3,5/10.000 par jour à compter du 1er avril 2021 et jusqu’à parfait paiement ;

– condamner la société Le B à payer à la société Cetic Bâtiment une indemnité de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Le B aux dépens ;

A titre subsidiaire,

– confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

– condamner la société Le B à payer à la société Cetic Bâtiment une indemnité de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Le B aux dépens.

***

L’ordonnance de clôture est intervenue le 28 août 2024.

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1. Sur la nullité du jugement déféré

1. L’article 16 du code de procédure civile dispose :

« Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d ‘ en débattre contradictoirement.

Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.»

L’article 455 du même code indique que le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens ; que cet exposé peut revêtir la forme d’un visa des conclusions des parties avec l’indication de leur date ; que le jugement doit être motivé et énonce la décision sous forme de dispositif.

2. Au visa de ces textes, la société Le B tend à la nullité du jugement déféré en ce qu’il a soulevé un moyen de droit qui n’était pas développé par les parties, c’est-à-dire le fait que la résiliation du contrat n’a pas été précédée de la mise en demeure prévue par l’article 12 du contrat de maîtrise d’oeuvre.

3. La société Cetic Bâtiment (ci-après Cetic) répond qu’il est de principe qu’il n’est pas interdit au juge de motiver sa décision en reprenant à son compte une partie des arguments avancés par l’une des parties ou de se référer, en visant les pièces versées aux débats, à l’analyse qu’en font les conclusions d’une partie.

Sur ce,

4. Le jugement entrepris vise les dernières conclusions des parties telles que soutenues oralement à l’audience et en cite expressément les prétentions et les références textuelles. Il en expose succinctement les moyens et arguments, au rang desquels, en effet, ne figure pas le moyen tiré du défaut de mise en demeure en demeure préalable, qui est pourtant le moyen sur lequel s’appuie le tribunal de commerce pour juger que le contrat a été résilié aux torts de la société Le B.

Celle-ci n’ayant pas été mise en mesure de faire connaître ses observations à cet égard, alors qu’elle poursuit au contraire la faute du maître d’oeuvre, il doit être retenu que le premier juge n’a pas fait observer ni observé lui-même le principe de la contradiction.

5. L’appelante a également conclu au fond et n’a pas sollicité la possibilité de conclure à nouveau sur le fond en cas d’annulation du jugement ; la cour, annulant le jugement de première instance, est donc en mesure de statuer sur le fond du litige par l’effet dévolutif de l’appel.

2. Sur la résiliation du contrat

6. Les parties ne discutent pas le principe de la résiliation du contrat mais en discutent le motif et donc le droit de la société Cetic au paiement de l’indemnité de résiliation contractuellement prévue.

7. A cet égard, le contrat litigieux stipule les articles 12 et 13 suivants :

« Le présent contrat est résilié de plein droit par la partie qui n’est ni défaillante ni en infraction avec ses propres obligations, un mois après mise en demeure restée sans effet, notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception et contenant déclaration d’user du bénéfice de la présente clause, dans tous les cas d’inexécution ou d’infraction par l’autre partie aux dispositions du présent contrat.»

« En’cas’de’résiliation’sur’initiative’du’maître’d’ouvrage’qui’ne justifierait pas le comportement fautif du maître d »uvre, ce dernier a droit au paiement des honoraires au jour de cette résiliation, conformément aux articles 1.6.1 et 1.6.3 du présent contrat des intérêts moratoires visés à l’article 1.6.2 d’une indemnité de résiliation égale à 20 % de la partie des honoraires qui lui aurait été versée si sa mission n’avait pas été prématurément interrompue.

Lorsque la résiliation est motivée par le comportement fautif du maître d »uvre, l’indemnité de 20 % n’est pas due.»

8. La société Le B soutient que la faute de la société Cetic privant celle-ci de son droit à indemnité est constituée par un comportement violent et grossier manifesté par téléphone par Monsieur [N] [B], gérant de la société Cetic, à l’endroit de Madame [O] [L], salariée de la société Advantis et en charge du programme de construction litigieux.

Mme [L] a établi le 7 septembre 2021 une attestation par laquelle elle relate les faits suivants :

« M. [B] était absolument furieux de ne pas avoir reçu le paiement de partie de sa NH n°1 pour un montant de 3.000 € HT (3.600 € TTC).

Je lui avais pourtant transmis le justificatif du virement intervenu le 21/07/2021.

Il m’a alors verbalement agressée au téléphone employant un ton d’une grande violence, me hurlant dessus. Il a tenu à mon encontre et à l’encontre de notre société des propos injurieux, méprisants ; sans que je puisse placer un seul mot, pour finir par me raccrocher au nez.

J’ai été totalement bouleversée par cet entretien téléphonique, tremblante et en pleurs je suis allée

rapporter cet échange à ma direction qui a dû m’autoriser à rentrer chez moi, car j’ai été profondément

choquée.»

La société Cetic admet que son gérant était en effet furieux de ne pas avoir reçu le paiement attendu mais nie le fait qu’il aurait été grossier et injurieux.

9. Cet élément isolé -bien que condamnable au regard du comportement de courtoisie attendu dans le monde des affaires- n’est pas suffisant à justifier la résiliation du contrat de maîtrise d’oeuvre confié à la société Cetic en ce qu’il n’est pas établi qu’il aurait été précédé d’emportements de même nature de la part de M. [B] et qu’il n’est pas relatif à l’exécution de la mission confiée à la société Cetic, soit la conception, l’exécution et l’ordonnancement, le pilotage et la coordination d’un chantier de construction.

10. Dès lors, en vertu de l’article 13 du contrat du 14 janvier 2020, il convient de faire droit à la demande de la société Cetic en paiement de l’indemnité de résiliation qui y est stipulée, soit 20 % de la partie des honoraires qui lui aurait été versée si sa mission n’avait pas été prématurément interrompue.

11. Le montant total des honoraires de la société Cetic était contractuellement fixé à la somme de 52.000 euros HT.

Le tableau de répartition des honoraires annexé au contrat de maîtrise d’oeuvre prévoit les trois premières phases suivantes :

– 3.000 euros HT à la signature du contrat,

– 5.000 euros HT à l’établissement des cahiers des clauses techniques particulières,

– 4.000 euros HT pour la réalisation du dossier d’appel d’offres.

Il n’est pas discuté que la phase 1 a été payée. Il est de plus établi par les pièces produites par la société Cetic, en particulier les courriels adressés les 18 et 27 février 2020 à M. [Z], préposé de la société Advantis en charge du projet, comportant en pièces jointes les CCTP des différents lots, et les courriels adressés aux entreprises entre le 28 avril et le 6 juillet 2020, que les phases 2 et 3 du contrat de maîtrise d’oeuvre ont bien été exécutées par l’intimée, de sorte qu’elle était fondée à facturer une somme de 5.000 + 4.000 euros HT à ce titre.

Il en résulte que les honoraires que la société Cetic aurait du percevoir si sa mission n’avait pas été prématurément interrompue étaient donc de 40.000 euros HT, de sorte que l’indemnité de résiliation à laquelle l’intimée peut prétendre est de 8.000 euros HT.

Il doit y être ajouté les phases 2 et 3, exécutées et facturées par notes d’honoraires 1 et 2 des 2 mars 2020 et 7 août 2020, soit une somme de 9.000 euros HT.

12. La cour condamnera donc la société Le B à payer à la société Cetic une somme de 17.000 euros au titre des honoraires restant dus et de l’indemnité de résiliation, avec intérêts au taux de 3,5/10.000ème de ce montant hors taxes par jour calendaire, par application de l’article 6 du contrat relatif aux intérêts moratoires, qui mentionne que ces intérêts sont dus sans mise en demeure préalable.

La société Le B, tenue au paiement des dépens de l’appel, sera condamnée à verser à la société Cetic une somme de 3.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,

Prononce la nullité du jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 26 juillet 2022.

Vu l’article 562 du code de procédure civile,

Condamne la société Le B à payer à la société Cetic Bâtiment la somme de 17.000 euros HT avec intérêts au taux de 3,5/10.000ème de ce montant hors taxes par jour calendaire.

Condamne la société Le B à payer à la société Cetic Bâtiment la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Le B à payer les dépens.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président


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