Matériel de production prêté par le gérant à sa propre société : légal ou non ?
Matériel de production prêté par le gérant à sa propre société : légal ou non ?

Le gérant qui établit des notes d’honoraires pour des prêts de matériels à sa propre société expose cette dernière à un redressement de l’URSSAF (sauf à parfaitement encadrer ce prêt payant par une facturation et un contrat explicite).

Aux termes de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, pour le calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales, sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail, notamment les salaires ou gains, les indemnités de congés payés, le montant des retenues pour cotisations ouvrières, les indemnités, primes, gratifications et tous autres avantages en argent, les avantages en nature, ainsi que les sommes perçues directement ou par l’entremise d’un tiers à titre de pourboire.

La compensation salariale d’une perte de rémunération induite par une mesure de réduction du temps de travail est également considérée comme une rémunération, qu’elle prenne la forme, notamment, d’un complément différentiel de salaire ou d’une hausse du taux de salaire horaire.

Il appartient à la société, qui conteste avoir effectivement versé des honoraires en contrepartie d’un travail à un salarié et au gérant, de justifier que le terme ‘honoraires’ a été utilisé à tort et qu’il s’agissait d’un dédommagement pour le prêt de matériels techniques professionnels appartenant aux deux intéressés qui ne reçoivent aucune rémunération de la part de la société.

En l’espèce, d’une part, aucun document clair ne permettait de constater que le matériel invoqué appartenait au gérant, en l’absence de factures à son nom, les photographies produites de matériels vidéo qui auraient été prises chez les intéressés dans le cadre du travail de la société ne pouvant apporter cette démonstration.

D’autre part, la société ne produisait aucune facture d’honoraires détaillant les sommes versées pour prêts effectués par la société, en détaillant par exemple le matériel loué et les périodes de locations.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE VERSAILLES

5e Chambre

ARRET DU 19 MAI 2022

N° RG 20/02784

N° Portalis DBV3-V-B7E-UGF6

AFFAIRE :

S.A.R.L. [5]

C/

URSSAF ILE DE FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 Novembre 2020 par le Pole social du TJ de VERSAILLES

N° RG : 17/00285

LE DIX NEUF MAI DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

S.A.R.L. [5]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par M. [Y] [W] (Gérant de la société) en vertu d’un pouvoir spécial

APPELANTE

****************

URSSAF ILE DE FRANCE

Département des contentieux amiable et judiciaire

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par M. [S] [V] (Représentant légal) en vertu d’un pouvoir général

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 Mars 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Marie-Bénédicte JACQUET, Conseiller chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvia LE FISCHER, Président,

Madame Marie-Bénédicte JACQUET, Conseiller,

Madame Rose-May SPAZZOLA, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Morgane BACHE,

EXPOSÉ DU LITIGE

L’union pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales d’Ile-de-France (l’URSSAF) a procédé à un contrôle des cotisations de sécurité sociale, de l’assurance chômage et de la garantie des salaires de la société [5] (la société) pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015.

Par lettre du 21 octobre 2016, l’URSSAF a adressé à la société une lettre d’observations aux termes de laquelle elle envisageait de procéder à un redressement d’un montant de 4 812 euros au titre de :

1- Erreur matérielle de report ou de totalisation (- 37 euros) ;

2- Plafond applicable en fonction de la périodicité de paye : dérogation pour les salariés intermittents (345 euros) ;

3- Contribution FNAL : employeurs affiliés aux caisses de congés payés (3 euros) ;

4- Rémunérations non déclarées : rémunérations non soumises à cotisations (4 501 euros) ;

5- Frais professionnels non justifiés – principes généraux (aucun redressement chiffré).

Le 9 novembre 2016, la société a contesté le chef de redressement n° 4.

Par courrier du 18 novembre 2016, l’URSSAF a maintenu le redressement puis adressé à la société une mise en demeure, le 22 décembre 2016, d’avoir à payer la somme de 5 392 euros, représentant 4 812 euros au titre des cotisations redressées et 580 euros de majorations de retard.

La société a saisi la commission de recours amiable, laquelle a rejeté le recours dans sa séance du 6 février 2017.

La société a, le 7 février 2017, saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale devenu le pôle social du tribunal judiciaire de Versailles, qui, par jugement en date du 19 novembre 2020 (RG n°17/00285), a :

— validé le redressement contesté ;

— condamné la société à payer à l’URSSAF les sommes de 4 501 euros au titre des cotisations contestées non réglées et 580 euros au titre des majorations de retard provisoires afférentes au redressement ;

— condamné la société à payer à l’URSSAF la somme de 311 euros au titre des cotisations non contestées et non réglées ;

— ordonné l’exécution provisoire ;

— condamné la société aux dépens.

Par déclaration reçue le 27 novembre 2020, la société a interjeté appel du présent jugement et les parties ont été appelées à l’audience du 8 mars 2022.

A l’audience, la société, représentée par son gérant, M. [Y] [W], demande le rejet du chef de redressement n°4.

L’URSSAF sollicite la confirmation du jugement.

MOTIFS

Sur le redressement

La société expose qu’elle est une société de production audiovisuelle et qu’elle fabrique ou participe à la fabrication de films vidéo, clips, reportages, documentaires, films d’animation et autres, en accompagnant ses clients avec des techniciens, créateurs et surtout des moyens techniques importants.

Elle précise que, pour fonctionner, la société a régulièrement recours aux matériels appartenant à M. [W], gérant, et à M. [C], salarié de la société ; qu’ils ont établi des notes d’honoraires pour des prêts de matériels nécessaires au travail de la société et leur appartenant, en comparant ce qu’ils ont reçu avec le coût de location de matériels identiques.

Elle ajoute que si elle avait voulu tricher, il aurait été plus simple et rentable de les payer en salaire d’intermittent et de déclarer des heures plutôt que d’établir des notes d’honoraires.

En réponse, l’URSSAF estime que les pièces ne justifient pas le prêt de matériels, aucune facture n’étant produite.

Elle ajoute qu’elle n’a relevé ni fraude ni travail dissimulé à l’encontre de la société.

Sur ce

Aux termes de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige,

‘Pour le calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales, sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail, notamment les salaires ou gains, les indemnités de congés payés, le montant des retenues pour cotisations ouvrières, les indemnités, primes, gratifications et tous autres avantages en argent, les avantages en nature, ainsi que les sommes perçues directement ou par l’entremise d’un tiers à titre de pourboire. La compensation salariale d’une perte de rémunération induite par une mesure de réduction du temps de travail est également considérée comme une rémunération, qu’elle prenne la forme, notamment, d’un complément différentiel de salaire ou d’une hausse du taux de salaire horaire […]’

Dans sa lettre d’observations, l’URSSAF relève qu’au vu du grand livre de comptabilité générale, ‘il apparaît que des sommes libellées ‘honoraires’ ont été versées à M. [W] (associé gérant jusqu’au mois de septembre 2015 puis associé) et M. [C] (associé devenu gérant en septembre 2015).

Ces honoraires ont été versés en contrepartie de l’activité de M. [W] et M. [C] au sein de la société.’

Il appartient alors à la société, qui conteste avoir effectivement versé des honoraires en contrepartie d’un travail à un salarié et au gérant, de justifier que le terme ‘honoraires’ a été utilisé à tort et qu’il s’agissait d’un dédommagement pour le prêt de matériels techniques professionnels appartenant aux deux intéressés qui ne reçoivent aucune rémunération de la part de la société.

Or, d’une part, aucun document clair ne permet de constater que le matériel invoqué appartenait à M. [W] ou M. [C], en l’absence de factures à leur nom, les photographies produites de matériels vidéo qui auraient été prises chez les intéressés dans le cadre du travail de la société ne pouvant apporter cette démonstration.

D’autre part, la société ne produit aucune facture d’honoraires détaillant les sommes versées pour prêts effectués par la société, en détaillant par exemple le matériel loué et les périodes de locations.

En l’absence de preuves suffisantes démontrant que les ‘honoraires’ versées à MM. [W] et [C] n’en sont pas, la société ne contestant pas les montants des autres chefs de redressement, le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.

Sur les dépens

La société, qui succombe à l’instance, est condamnée aux dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement rendu le 19 novembre 2020 par le pôle social du tribunal judiciaire de Versailles (RG n°17/00285) en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne la société [5] aux dépens d’appel ;

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Sylvia Le Fischer, Président, et par Madame Morgane Baché, Greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

Le GREFFIER, Le PRÉSIDENT,


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