Votre panier est actuellement vide !
L’imitation d’un signe distinctif, notamment une dénomination sociale ou une enseigne, même involontaire, est constitutive d’une concurrence déloyale dès lors qu’elle entraîne pour le consommateur un risque de confusion ; l’utilisation par la société L’EAU DE CASSIS du terme ‘savonnerie de Cassis’ dans sa marque semi-verbale n’est pas de nature à engendrer un risque de confusion, ce terme étant totalement descriptif et ne pouvant conduire à penser que le produit désigné provient de la société éponyme.
L’article L 711-4 du Code de la propriété intellectuelle, en ses paragraphes b et c, dispose que ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs et notamment, à une dénomination ou raison sociale, ou à un nom commercial ou à une enseigne connues sur l’ensemble du territoire national, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public.
Le risque de confusion entre la dénomination sociale et l’enseigne d’une part, et la marque d’autre part, doit s’apprécier de manière globale, en tenant compte de la similitude entre les signes et de la similitude entre les produits désignés.
_________________________________________________________________________________________________
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-1
ARRÊT DU 28 JANVIER 2021
N° RG 17/16004 –
N° Portalis DBVB-V-B7B-BBDHI
SARL LA SAVONNERIE DE CASSIS
C/
Z X
SARL L’EAU DE CASSIS
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 12 Janvier 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 14/04396.
APPELANTE
SARL LA SAVONNERIE DE CASSIS, dont le siège social est sis […] représentée par Me Jean Victor BOREL, avocat au barreau d’AIX-EN- PROVENCE, plaidant
INTIMES
Monsieur Z X, demeurant […]
représenté par Me Sandra JUSTON de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Geneviève MAILLET, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant
SARL L’EAU DE CASSIS, dont le siège social est sis […]
représentée par Me Sandra JUSTON de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Geneviève MAILLET, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Décembre 2020 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Pierre CALLOCH, Président, et Madame Marie-Christine BERQUET, Conseiller, chargés du rapport et Monsieur Baudouin FOHLEN, Conseiller, empêché.
Monsieur Pierre CALLOCH, Président, a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Pierre CALLOCH, Président
Monsieur Baudouin FOHLEN, Conseiller empêché
Madame Marie-Christine BERQUET, Conseiller
Greffier lors des débats : M. Alain VERNOINE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Janvier 2021.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Janvier 2021.
Signé par Monsieur Pierre CALLOCH, Président et M. Alain VERNOINE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
La société L’EAU DE CASSIS, société spécialisée dans la fabrication de parfums, savons, produits de toilette et huiles essentielles et le commerce de parfumerie et produits de beauté, a déposé le 5 septembre 2013 auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle la marque semi-figurative LEDC SAVONNERIE DE CASSIS, PARFUMEUR CRÉATEUR 1851 en classe 3 pour désigner les produits savons, parfums, huiles essentielles, cosmétiques.
La société L’EAU DE CASSIS a fait assigner par acte en date du 6 janvier 2014 la société LA SAVONNERIE DE CASSIS devant le tribunal de commerce de MARSEILLE pour concurrence déloyale et parasitaire. Suivant jugement en date du 28 octobre 2014 devenu définitif, le tribunal de commerce s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de MARSEILLE, la demande étant fondée sur le droit des marques.
Par acte en date du 24 mars 2014, la S.A.R.L. LA SAVONNERIE DE CASSIS a fait assigner devant le tribunal de grande instance de MARSEILLE la société L’EAU DE CASSIS et son gérant, monsieur X, en annulation de la marque et en concurrence déloyale.
Suivant jugement en date du 12 janvier 2017, le tribunal a débouté la société LA SAVONNERIE DE CASSIS de l’intégralité de ses demandes, a débouté la société L’EAU DE CASSIS et monsieur X de leur demande reconventionnelle en concurrence déloyale et formée en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La société SAVONNERIE DE CASSIS a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée au greffe le 21 août 2017.
Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l’instruction par ordonnance en date du 6 janvier 2020 et a fixé l’affaire à l’audience du 13 janvier 2020. A cette date, l’affaire a été renvoyée en raison d’un mouvement de grève du barreau à l’audience du 15 juin 2020. Les parties ayant refusé la procédure sans audience prévue par l’article 8 de l’ordonnance 2020-304 du 25 mars 2020 liée à la situation d’urgence sanitaire, l’affaire a été renvoyée une nouvelle fois à l’audience du 7 décembre 2020.
La société SAVONNERIE DE CASSIS, par conclusions déposées au greffe le 19 mars 2018, demande à la cour de prononcer la nullité de la marque LEDC SAVONNERIE DE CASSIS, PARFUMEUR CRÉATEUR 1851 sur le fondement de l’article L 711-4 du Code de la propriété intellectuelle, la dite marque ayant été déposée postérieurement à l’utilisation de la dénomination sociale SAVONNERIE DE CASSIS datant de février 2012. Selon elle, les premiers juges auraient ajouté une condition, le caractère distinctif du signe, aux deux conditions imposées par la loi pour prononcer la nullité, à savoir l’antériorité de la dénomination sociale et le risque de confusion engendré dans l’esprit du public. Elle fait observer que la marque déposée en 2013 comporte les lettres LEDC, et non le terme L’EAU DE CASSIS, et qu’ainsi seul apparaît de manière évidente le terme SAVONNERIE DE CASSIS. Le risque de confusion serait établi dès lors que les deux sociétés ont la même activité et se situent dans le même secteur géographique. La société SAVONNERIE DE CASSIS invoque en outre la nullité de la marque sur le fondement de l’article L 711-2 du Code de la propriété intellectuelle pour défaut de distinctivité, la marque SAVONNERIE DE CASSIS désignant l’activité d’une société de fabrication de savons installée dans la ville de CASSIS.
Sur les demandes formées au titre de la concurrence déloyale, la société SAVONNERIE DE CASSIS affirme que celles ci ne sont pas conditionnées par l’existence d’une originalité du terme contesté et invoque le risque de confusion engendré par l’utilisation du terme ‘savonnerie de cassis’ dans le signe déposé par la société L’EAU DE CASSIS. Elle fait observer que la fabrication de savons par l’intimée est pour celle ci une activité récente et secondaire et soutient qu’une confusion dans l’esprit du consommateur d’attention moyenne est générée par l’utilisation du terme savonnerie de cassis dans la marque déposée en 2013. Ce risque serait accentué par l’utilisation d’une calligraphie proche de celle de la dénomination sociale et par l’utilisation du dessin du cap Canaille. Elle chiffre son préjudice à la somme de 15 000 € en tenant compte des investissements publicitaires consentis et à l’atteinte portée à son image. Au terme de ses conclusions, elle demande à la cour d’infirmer le jugement attaqué, et statuant à nouveau, de :
Annuler I’enregistrement n° 4030384 de la marque LEDC SAVONNERIE DE CASSIS PARFUMEUR CRÉATEUR 1851 effectué par Monsieur Z X pour le compte de la société L’Eau de Cassis auprès de l’lNPI en date du 5 septembre 2013,
Ordonner à la société L’Eau de Cassis de cesser tout acte de concurrence déloyale, en lui interdisant d’utiliser la dénomination « SAVONNERIE DE CASSIS ” sous quelque forme et sur
quelque support que ce soit, ce sous astreinte de 5 000 € par jour d’infraction à compter de la signification de la décision à venir.
Condamner la société I’Eau de Cassis au paiement au profit de la société la Savonnerie de Cassis
de la somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis par la
société LA SAVONNERIE DE CASSIS,
Ordonner la publication de l’arrêt à intervenir dans le Journal « La Provence ”, toutes éditions des Bouches du Rhône, aux frais avancés de la société L’Eau de Cassis, à titre de réparation complémentaire des préjudices subis par la société LA SAVONNERIE DE CASSIS,
Débouter la société L’EAU DE CASSIS et Monsieur X dans l’ensemble de leurs demandes, et partant de leur appel incident,
Condamner solidairement au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article
700 du Code de procédure civile au profit de la société LA SAVONNERIE DE CASSIS,
Condamner la société L’EAU DE CASSIS et Monsieur X aux entiers dépens, distraits au profit de la SOCIÉTÉ CIVILE PROFESSIONNELLE BOREL & DEL PRETE par application de l’article 699 du Code de Procédure civile.
Monsieur X et la société L’EAU DE CASSIS, par conclusions déposées le 17 janvier 2018, rappellent l’antériorité de la société L’EAU DE CASSIS, créée en 2006, sur la société LA SAVONNERIE DE CASSIS, créée elle en 2012, et l’achat par la société intimée, à des fins commerciales, d’une représentation artistique du Cap Canaille dès 2005. Ils font observer que le terme LA SAVONNERIE DE CASSIS est purement descriptif et ne pourrait constituer une marque valable et soutiennent que la seule faute constituée devrait être imputée à la société LA SAVONNERIE DE CASSIS ayant déposé illicitement sa dénomination sociale. Ils contestent la notoriété du terme LA SAVONNERIE DE CASSIS ainsi que le risque de confusion avec la marque déposée, rappel étant fait que l’appréciation de la marque doit se faire dans sa globalité. Ils relèvent enfin qu’aucun fait distinct n’est allégué à l’appui de la demande en concurrence déloyale et dénient le caractère probant des pièces versées pour quantifier le préjudice allégué. Reconventionnellement, ils demandent à la cour de condamner la société LA SAVONNERIE DE CASSIS à indemniser la société L’EAU DE CASSIS de son préjudice commercial et de l’atteinte à son image entraînés par l’utilisation servile de l’élément graphique de l’emballage des produits, agissement constituant un acte de concurrence déloyale et de parasitisme. La société L’EAU DE CASSIS chiffre ce préjudice à 63 000 € au titre de la perte de chiffre d’affaire et 10 000 € pour les frais de publicité et de packaging.
Monsieur X et la société L’EAU DE CASSIS demandent au terme de leurs écritures à la cour de :
Confirmer le jugement frappé d’appel en ce qu’il a :
Débouté la S.A.R.L. LA SAVONNERIE DE CASSIS de ses demandes en annulation de l’enregistrement n°4030384 de la marque LEDC SAVONNERIE DE CASSIS PARFUMEUR CRÉATEUR 1851 en date du 5 Septembre 2013 et en concurrence déloyale ;
Revoir la société L’EAU DE CASSIS et Monsieur X en leur appel incident ;
Infirmer ledit jugement en ce qu’il a :
Débouté la S.A.R.L. L’EAU DE CASSIS et Monsieur Z X de leur demande reconventionnelle en concurrence déloyale ;
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Et statuant à nouveau, à titre reconventionnel :
Condamner la société LA SAVONNERIE DE CASSIS à verser la somme de 73.000 € à la société L’EAU DE CASSIS à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice ;
Dire et juger que les agissements de LA SAVONNERIE DE CASSIS sont constitutifs d’actes de concurrence déloyale, à tout le moins de parasitisme ;
Ordonner à LA SAVONNERIE DE CASSIS le retrait sur ses emballages, enseignes et supports commerciaux du dessin en noir et blanc du Cap Canaille, à l’expiration d’un délai de 3 mois suivant la signification de l’arrêt à intervenir et ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard.
Débouter la société LA SAVONNERIE DE CASSIS de ses autres demandes ;
Condamner la société LA SAVONNERIE DE CASSIS à verser à la société L’EAU DE CASSIS la somme de 5.000 € en vertu des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
Condamner la société LA SAVONNERIE DE CASSIS aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la nullité de la marque semi-figurative LEDC SAVONNERIE DE CASSIS, […]
L’article L 711-4 du Code de la propriété intellectuelle, en ses paragraphes b et c, dispose que ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs et notamment, à une dénomination ou raison sociale, ou à un nom commercial ou à une enseigne connues sur l’ensemble du territoire national, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public.
La société LA SAVONNERIE DE CASSIS a été créée en 2012, et elle utilise cette dénomination comme enseigne depuis cette date ; elle établit en conséquence l’antériorité du signe par rapport à la marque, déposée, elle, le 5 septembre 2013 ; il lui appartient de prouver que l’utilisation de la marque génère pour le public un risque de confusion.
Le risque de confusion entre la dénomination sociale et l’enseigne d’une part, et la marque d’autre part, doit s’apprécier de manière globale, en tenant compte de la similitude entre les signes et de la similitude entre les produits désignés ; à bon droit, la société LA SAVONNERIE DE CASSIS soutient que les produits concernés sont identiques ; en revanche, c’est tout aussi à bon droit que les premiers juges ont relevé l’absence de similitude visuelle, phonétique et conceptuelle entre les signes, la marque semi verbale ayant pour entame les lettres L’EDC, élément le plus remarquable, et l’indication ‘savonnerie de cassis’ ne faisant que s’intercaler entre l’acronyme et la mention ‘ parfumeur créateur 1851″ ; ces mêmes premiers juges ont tout aussi à bon droit fait observer que la mention ‘savonnerie de cassis’ était purement descriptive, et qu’en conséquence le consommateur ne pouvait penser que les produits désignés sous la marque L’EDC étaient fabriqués par la société à l’enseigne ‘ La savonnerie de cassis’ ; il y a lieu dès lors de confirmer la décision ayant débouté la société LA SAVONNERIE DE CASSIS de sa demande de nullité après avoir constaté l’absence de risque de confusion entre la dénomination sociale et l’enseigne d’une part, et la marque d’autre part.
La société LA SAVONNERIE DE CASSIS relève à juste titre le caractère totalement descriptif du terme ‘ la savonnerie de Cassis’ pour désigner un produit de cosmétique fabriqué dans la ville de CASSIS ; il convient cependant de rappeler que la marque semi verbale contestée est la marque LEDC SAVONNERIE DE CASSIS, PARFUMEUR CREATEUR 1851, signe constitué de différents éléments, dont une représentation d’une falaise, dont l’assemblage lui-même est arbitraire pour désigner des produits cosmétiques ; cette marque ne peut en conséquence être déclarée nulle sur le fondement de l’article L 711-2 du Code de la propriété intellectuelle.
Sur les actes de concurrence déloyale
L’imitation d’un signe distinctif, notamment une dénomination sociale ou une enseigne, même involontaire, est constitutive d’une concurrence déloyale dès lors qu’elle entraîne pour le consommateur un risque de confusion ; en l’espèce, ainsi qu’il a été indiqué plus haut, l’utilisation par la société L’EAU DE CASSIS du terme ‘savonnerie de Cassis’ dans sa marque semi-verbale n’est pas de nature à engendrer un risque de confusion, ce terme étant totalement descriptif et ne pouvant conduire à penser que le produit désigné provient de la société éponyme ; à ce titre, l’attestation isolée de madame Y (pièce intimé 13) apparaît dénuée de force probante ; l’utilisation d’une reproduction du cap Canaille, site emblématique de la ville de CASSIS, par la société LA SAVONNERIE DE CASSIS ne peut non plus être considérée comme source d’erreur pour le consommateur, sauf à accorder à la société L’EAU DE CASSIS un monopole sur la représentation de ce lieu ; la décision ayant débouté l’appelante de sa demande en dommages intérêts pour concurrence déloyale et les intimés de leur demande reconventionnelle sur le même fondement sera en conséquence confirmée.
Sur les demandes accessoires
La société LA SAVONNERIE DE CASSIS succombant en son appel, elle devra verser une somme de 3 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
— CONFIRME le jugement du tribunal de grande instance de MARSEILLE en date du 12 janvier 2017 dans l’intégralité de ses dispositions,
Ajoutant à la décision déférée,
— CONDAMNE la société LA SAVONNERIE DE CASSIS à verser à monsieur X et à la SARL L’EAU DE CASSIS pris ensemble la somme de 3 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
— MET l’intégralité des dépens à la charge de la société LA SAVONNERIE DE CASSIS.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT