Mariage à la principauté de Monaco : un fait public hors vie privée
Mariage à la principauté de Monaco : un fait public hors vie privée
Ce point juridique est utile ?

Un mariage non religieux ne relève pas de la vie privée qui, pour les personnalités peut être  un fait d’actualité que les organes de presse peuvent évoquer même en dehors d’un débat d’intérêt général.

Mariage : un évènement public

Le mariage d’un membre de la famille princière qui fait l’objet d’un communiqué officiel de la principauté, est un fait d’actualité qui peut être évoqué même en dehors d’un débat d’intérêt général.

Conditions de l’atteinte à la vie privée

L’atteinte à la vie privée ou au droit à l’image n’est pas constituée par un article de presse People qui ne révèle ni le lieu de villégiature de la mariée, ni l’identité des personnes l’accompagnant, à l’exception de son époux, le mariage de l’intéressée étant un fait notoire.

L’évocation de la seule joie de vivre de la mariée sans rien révéler de la vie privée ou de l’intimité de l’intéressée, ne caractérise pas une atteinte à celle-ci.

Publication des clichés de la cérémonie

Les clichés de la cérémonie publiés dans la presse échappent à toute condamnation dès lors qu’ils sont issus de photographies officielles largement distribuées à la presse, ce qui suffit à faire présumer l’autorisation de publication dont se prévaut la société éditrice, dont l’article est précisément consacré à cette union.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE VERSAILLES

1ère chambre 1ère section

ARRÊT DU 05 JUILLET 2022

N° RG 21/01767

N° Portalis DBV3-V-B7F-UMGX

AFFAIRE :

[H] [Y]

C/

S.A.S. LAGARDERE MEDIA NEWS

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 Janvier 2021 par le Tribunal Judiciaire de NANTERRE

LE CINQ JUILLET DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame [H] [Y]

née le 03 Août 1986 à [Localité 6] ([Localité 5])

de nationalité Monégasque

[Adresse 2]

[Adresse 4]

représentée par Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF & ASSOCIES, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 – N° du dossier 20210242

Me Alexandre HUMERT DUPALAIS substituant Me Alain TOUCAS de la SELASU Alain Toucas-Massillon, avocat – barreau de PARIS, vestiaire : D1155

APPELANTE

****************

S.A.S. LAGARDERE MEDIA NEWS, venant aux droits de HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES SNC (HFA)

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Monique TARDY de l’ASSOCIATION AVOCALYS, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620 – N° du dossier 004913

Me Marie-christine DE PERCIN, avocat – barreau de PARIS, vestiaire : E1301

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 12 Mai 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie LAUER, Conseiller chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anna MANES, Présidente,

Madame Nathalie LAUER, Conseiller,

Madame Michèle LAURET, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,

FAITS ET PROCÉDURE

Dans son numéro 3664 daté du 1er au 7 août 2019, le magazine Paris Match, édité par la société Lagardère Media News, a publié un article, annoncé en page de couverture par le titre ” Monaco – D’un mariage à l’autre – [H] et [Z] en lune de miel ” en surimpression d’une photographie représentant Mme [Y], M. [R] et leur fils lors d’une partie de baignade ; l’article se poursuit en pages intérieures 48 à 53 du magazine sous le titre ” [Localité 5] de fête en fête… “, et évoque les mariages récents au sein de la principauté dont celui de Mme [Y] ; il est illustré par deux clichés de son mariage outre deux clichés non posés de Mme [Y] sur une plage dont celui repris en couverture.

Estimant que le contenu de ce magazine porte atteinte au droit au respect de sa vie privée et au droit dont elle dispose sur son image, Mme [Y] a assigné la société Lagardère Media News devant le tribunal de grande instance de Nanterre, par acte introductif d’instance du 21 août 2019.

Par jugement contradictoire rendu le 14 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

— Condamné la société Lagardère Media News à payer à Mme [Y] la somme de quatre mille euros (4 000 euros) au titre de l’atteinte à son droit au respect de sa vie privée ainsi qu’au droit qu’elle détient sur son image causée par la publication du numéro du magazine Paris Match paru 9 août 2019 ;

— Interdit à la société Lagardère Media News de publier, diffuser ou commercialiser à nouveau, sur tout support, sous astreinte temporaire de deux mille euros (2 000 euros) par infraction constatée, pendant un délai de cinq mois courant à compter de l’expiration d’un délai de huit jours à compter de la signification du jugement, les deux photographies volées de Mme [Y] publiées en couverture et en pages intérieures 52 et 53 du numéro 3664 du magazine Paris Match.

Mme [Y] a interjeté appel de ce jugement le 16 mars 2021 à l’encontre de la société Lagardère Media News.

Par dernières conclusions notifiées le 30 juillet 2021, Mme [Y] demande à la cour de :

Vu l’article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés

Fondamentales ;

Vu les articles 9 et 1240 du code civil ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile ;

Vu le jugement entrepris ;

Vu les présentes écritures ;

Vues les pièces versées aux débats ;

— Réformer partiellement la décision entreprise :

— Déclarer Mme [Y] recevable et bien fondée en toutes ses demandes ;

Y faisant droit :

— Dire qu’en publiant dans son numéro 3664 daté du 1er au 7 aout 2019 de l’hebdomadaire Paris Match, l’article litigieux évoqué ci-dessus, la société Lagardère Media News a porté atteinte aux droits que Mme [Y] détient sur sa vie privée et sur son image ;

En conséquence :

— Confirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Nanterre le 14 janvier 2021 en ce qu’il a reconnu les atteintes causées à la vie privée de Mme [Y] ainsi qu’aux droits dont elle dispose sur son image par les deux photographies d’elle en maillot de bain ;

— Confirmer le jugement en ce qu’il a fait interdiction à la société Lagardère Media News de publier, diffuser et commercialiser à nouveau sur tout support les deux photographies volées de Mme [Y] publiées en couverture et en pages intérieures 52 et 53 du numéro 3664 du magazine Paris Match ;

— Confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société Lagardère Media News à payer à Mme [Y] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’à supporter les entiers dépens de l’instance qui seront recouvrés directement par M. [E] en sa qualité d’avocat, conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;

— Infirmer le jugement en ce qu’il ne reconnaît pas l’atteinte à la vie privée de Mme [Y] causée par le corps du texte, ni l’atteinte aux droits dont elle dispose sur son image par la publication des deux clichés de son mariage ;

— Infirmer le jugement en ce qu’il a mal évalué le préjudice de Mme [Y] et a refusé d’ordonner une mesure de publication judiciaire ;

Statuant à nouveau :

— Dire que le corps du texte est attentatoire à la vie privée de Mme [Y], et que la publication des deux clichés de son mariage, tout comme celle des deux clichés d’elle en maillot de bain, porte atteinte aux droits dont elle dispose sur son image et à son droit à la vie privée ;

— Condamner la société Lagardère Media News à verser à Mme [Y] la somme de 100.000 euros de dommages-intérêts au titre de son préjudice patrimonial pour l’appropriation et la diffusion de son image en fraude de ses droits ;

— Condamner la société Lagardère Media News à verser à Mme [Y] la somme de 50.000 euros de dommages-intérêts au titre de son préjudice moral pour l’atteinte à l’intimité de sa vie privée et à son droit à l’image ;

— Ordonner aux frais de la société Lagardère Media News, sous astreinte de 10 000 euros par numéro de retard, une mesure d’insertion en totalité de la page de couverture du prochain numéro du magazine Paris Match suivant la signification de la décision à intervenir, sans aucun cachet, de manière parfaitement apparente, et en particulier sans qu’elle soit recouverte d’aucun dispositif de nature à en réduire la visibilité. La mesure de publication judiciaire sera libellée dans les termes suivants : ” PUBLICATION JUDICIAIRE A LA DEMANDE DE MME [Y] Par arrêt en date du , la cour d’appel de Versailles a condamné la société LAGARDERE MEDIA NEWS à réparer le préjudice causé à Mme [Y] par la publication dans le numéro 3664 du magazine Paris Match d’un nouvel article portant au respect dû à sa vie privée et aux droits dont elle dispose sur son image. » ;

— Dire que les termes « publication judiciaire » et ” à la demande de Mme [Y] ” seront en caractères majuscules noirs sur fond blanc d’au moins 3,5 cm de hauteur, que le texte sera rédigé en corps 12 et que ladite publication sera entourée d’un trait continu de couleur noire d’au moins 0,5 cm d’épaisseur formant cadre ;

— Condamner la société Lagardère Media News au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Par dernières conclusions notifiées le 24 juin 2021, la société Lagardère Media News demande à la cour de :

— Vu les articles 10 de la CEDH et 9 du code civil :

Sur l’absence d’atteinte à la vie privée et à l’image de l’article incriminé :

— Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré que ” la publication pouvait, dans le cadre d’un article consacré aux mariages récemment célébrés au sein de la famille princière et largement médiatisés (pièces 66.11,77 à 82) légitimement rappeler le mariage de Mme [Y], elle-même personnalité notoire notamment pour sa fonction d’égérie, et constituant un événement d’actualité pour avoir été célébré début juin 2019, avec M. [R], producteur de cinéma et fils d’une célèbre comédienne, sans qu’il y ait lieu, dès lors, de s’attarder sur les circonstances de l’officialisation antérieure de leur relation “.

— Dire que l’article paru dans le n 3664 de Paris Match s’inscrit dans un article relatif aux mariages survenus au sein de la famille princière [I] en quelques semaines, ainsi qu’illustré par le titre de la couverture « D’un mariage à l’autre ».

— Y ajouter, « Dire que la presse est légitime à informer un fait d’actualité relatif à des personnalités notoires qui ont-elles mêmes divulgué leur union et la naissance de leur enfant par des photos (pour le mariage) et des communiqués officiels ».

— Y Ajouter, qu’il plaira à la cour d’examiner, conformément à la jurisprudence européenne si le sujet traité relatif à l’actualité princière constituait un sujet d’actualité et dans l’affirmative, d’en déduire la légitimité de l’article incriminé.

— Confirmer le jugement en ce qu’il a décidé que la publication incriminée « pouvait, même en dehors d’un débat d’intérêt général évoquer à cette occasion la famille recomposée que forme le jeune couple, parents d’un jeune enfant dont la naissance, fait public relevant de l’état civil, a fait l’objet d’un communiqué officiel (pièce 54 bis LMN) et ayant notoirement chacun un enfant issu d’une précédente union. »

— Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré que ” l’évocation, par l’article, des congés estivaux en famille de la demanderesse en termes généraux ne donnant aucune précision sur les lieux de villégiature ni escales hormis la mention du yacht monégasque, ne peut caractériser une atteinte dès lors que les seuls éléments ayant trait à la vie privée ont été divulgués antérieurement par les intéressés, et par ailleurs, que le commentaire se limitant à faire état de congés et de loisirs en famille, ne contient aucun détail susceptible de révéler une dimension de la personnalité ou de l’intimité propre à Mme [Y]. Il en est de même des digressions autour de sa joie de vivre ou de son bonheur parfaitement attendus au regard du thème abordé. “

— Y Ajouter, Dire que le sujet relatif au mariage et bonheur de l’appelante n’est pas le sujet principal de l’article et se limite à une double page composée de quatre photographies participant de la communication officielle : l’une posée « glamour », prise lors du mariage civil de l’appelante et donnée à la presse française et internationale, une autre prise à la sortie du mariage religieux sur une place publique, les deux photos ayant été abondamment diffusées en couverture de nombreux magazines avant la publication incriminée ;

— Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré que ” les deux clichés de Mme [Y]- [R] et M. [R], en pages intérieures, posant en tenue de mariage, ce qui manifeste leur consentement à la captation et par ailleurs, à leur diffusion d’ampleur dans les médias, révélée non seulement par le contexte mais en outre, par les pièces 79,81 et 82 en défense, démontrant amplement que ces clichés sont issus des photographies officielles ayant été largement distribuées à la presse, ce qui suffit à faire présumer l’autorisation de publication dont se prévaut la société éditrice, dont l’article est précisément consacré à cette union. “

En conséquence,

— Confirmer l’absence d’atteinte à la vie privée et à l’image de l’appelante du texte et des légendes du bref article incriminé ainsi que des photos de l’article représentant l’appelante lors de son mariage

Subsidiairement sur l’absence d’éléments justifiant le préjudice allégué et les demandes exorbitantes formulées du fait de l’atteinte alléguée à l’image et la vie privée du fait des deux photographies représentant l’appelante sur une plage publique italienne :

— Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il n’a pas retenu dans l’estimation du préjudice allégué mais non prouvé, les condamnations, au demeurant quelques-unes, espacées au cours de 25 années du magazine Paris Match, éditées par une autre société éditrice, et décidé à juste titre que « les procédures en cours ne peuvent être prises en compte au titre de la réitération des atteintes en l’absence de condamnation intervenue de la société éditrice, quoi qu’elles démontrent la volonté de la requérante de protéger ses droits de la personnalité ».

— Dire que la société Lagardère Media News qui n’est pas la société HFA autrement dénommée n’a jamais été condamnée dans le cadre d’un litige avec l’appelante et ne saurait être accusée de harcèlement, voire de susciter de l’exaspération.

— Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a relevé que les deux photos incriminées ont été prises au même moment, sur une plage publique italienne, représentant l’appelante « dans une attitude et avec une expression joyeuses ».

— Dire que les deux photos prises en même temps sur la plage sont de caractère anodin, accompagnées d’un bref commentaire factuel et au ton bienveillant de quelques mots, sans caractère dévalorisant ni intention de nuire et ne constituent pas un acte de harcèlement.

— Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a pris en compte dans l’estimation du préjudice allégué mais non prouvé, le statut de l’appelante comme « membre d’une famille princière régulièrement exposée aux médias » ainsi que « le ton bienveillant de l’article » qui l’a présentée sous un jour favorable, « joyeuse et attentive à ses proches ».

— Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a estimé, dans le contexte ci-dessus rappelé, « et faute de toute pièce à l’établir » le préjudice moral subi par Madame [Y] du fait des atteintes portées à ses droits de la personnalité par la publication du n° 3664 du magazine Paris Match, sera réparé par l’allocation d’une somme de 4000 euros de dommages et intérêts.

— Dire que les deux photographies incriminées ne comportent aucune révélation sur la relation ni sur la naissance ni sur sa présence à [Localité 5], ne constituent la marque d’aucun harcèlement, illustrent un événement d’actualité,

— Dire que la diffusion de photographies officielles du mariage n’a causé aucun préjudice à l’appelante,

— Dire que le bref article ne comporte aucune révélation, aucun commentaire intrusif susceptibles de porter atteinte aux droits de la personnalité de l’appelante.

— Confirmer le jugement entrepris en ce qu’ayant pris en compte au jour où le juge statue « l’ancienneté des faits et de l’article » dans l’estimation du préjudice allégué mais non prouvé, il a débouté l’appelante de sa demande exorbitante en publication judiciaire et considéré que ” le préjudice de Mme [Y] était intégralement réparé par le paiement de dommages et intérêts ” qu’il a évalué à la somme de 4 000 euros au titre de l’atteinte au droit au respect de sa vie privée et de son image et à une interdiction de diffusion ou commercialisation par tout moyen, des deux photos volées en pages intérieures 52 et 53 de l’appelante, sous astreinte de la somme de 2 000 euros pendant un délai de 5 mois à compter de l’expiration d’un délai de 8 jours à compter de la signification du jugement.

— Dire que de nombreux éléments commandent de considérer que le préjudice moral allégué du fait de la publication n’est pas constitué : notoriété et caractère officiel du mariage et de la naissance du petit [W], absence de révélation, complaisance certaine de l’appelante à exposer médiatiquement sa relation et son mariage, et livrant au moins pour partie ses sentiments, ce qui a suscité la curiosité et l’intérêt du public sur sa personnalité et sa vie sentimentale, comportement ambigu de sa part avec les médias, absence d’intention de nuire, caractère bienveillant des photos, caractère banal des photos prises sur la plage, brièveté du sujet et des commentaires en quelques mots.

Plus subsidiairement encore,

— Dire que le préjudice allégué et non démontré ne présente pas le caractère de gravité susceptible de justifier des demandes aussi exorbitantes que les 40 000 euros d’indemnité et une publication judiciaire en couverture du journal d’actualité générale Paris Match.

— Dire que la condamnation du journal Paris Match, organe d’actualité générale, à une publication en page de couverture constituerait une restriction d’une extrême gravité à la liberté d’informer et d’expression et une confiscation irréversible de l’espace éditorial, et ne saurait être prise hors circonstances d’une gravité exceptionnelle, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

En conséquence,

— Débouter l’appelante de toutes ses demandes.

La clôture de l’instruction a été ordonnée le 3 mars 2022.

SUR CE, LA COUR,

Sur les limites de l’appel,

Il résulte des écritures ci-dessus visées que le débat en cause d’appel a évolué puisque l’intimée ne demande plus que la confirmation du jugement et que seule l’appelante forme des critiques contre le jugement dont elle revendique l’infirmation sur les points critiqués. L’appel est donc limité d’une part au caractère attentatoire à la vie privée de l’article lui-même et des deux photographies posées situées en page intérieure du magazine et d’autre part à l’évaluation du préjudice. Les chefs non critiqués du jugement sont donc aujourd’hui irrévocables.

La cour rappelle que, conformément aux dispositions de l’article 954 du code civil, les prétentions sont récapitulées au dispositif des dernières conclusions et que la cour ne statue que sur les prétentions ainsi expressément récapitulées.

A cet égard, le dispositif des conclusions de l’intimée ne peut que surprendre en ce qu’il méconnaît de manière flagrante les exigences de ces dispositions.

En effet, seul le dispositif du jugement est le siège de l’autorité de la chose jugée, c’est pourquoi les demandes de la société Lagardère Media News de confirmation des motifs de la décision déférée ne constituent pas des prétentions, mais en réalité des moyens qui ont leur place dans le corps des écritures, plus précisément dans la partie consacrée à l’examen des griefs formulés contre le jugement et à la discussion des prétentions et moyens, pas dans le dispositif. La cour n’y répondra de ce fait qu’à condition qu’ils soutiennent la prétention formulée en appel et énoncée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans le dispositif de son arrêt, mais dans ses motifs.

En outre, les « dire et juger » ne constituent pas des prétentions, mais en réalité des moyens qui ont leur place dans le corps des écritures, plus précisément dans la partie consacrée à l’examen des griefs formulés contre le jugement et à la discussion des prétentions et moyens, pas dans le dispositif. La cour ne répondra de ce fait à de tels « dire et juger » qu’à condition qu’ils viennent au soutien de la prétention formulée en appel et énoncée dans le dispositif des conclusions et, en tout état de cause, pas dans le dispositif de son arrêt, mais dans ses motifs.

L’atteinte à la vie privée et à l’image

Moyen des parties

Se fondant sur l’article 8-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et l’article 9 du code civil, Mme [Y] poursuit l’infirmation du jugement déféré mais seulement en ce qu’il ne reconnait pas l’atteinte à sa vie privée causée dans le corps du texte (relatif à ses vacances), ni l’atteinte aux droits dont elle dispose sur son image par la publication des deux clichés de son mariage. Elle soutient que toute personne, fut-elle célèbre, a droit au respect des droits de sa personnalité.

Selon elle, ce droit ne cède que pour rendre compte d’un événement d’actualité ou pour contribuer à un débat d’intérêt général. Or, elle considère que des situations de vie privée ne peuvent entrer dans l’un de ces deux cadres. Mme [Y] s’appuie notamment sur l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme rendu le 14 juin 2004 « Van Hannover c/ All » qui qualifie l’objet de la presse people de moyen de « satisfaire la curiosité d’un certain public et ne saurait passer pour contribuer à un quelconque débat d’intérêt général pour la société ».

En outre, d’après elle son statut princier ne saurait justifier une telle immixtion dans sa vie privée. Elle rappelle ainsi que la Cour de cassation reconnaît au travers de son arrêt rendu par la première chambre civile le 27 février 2007 « à toute personne quel que soit son rang, sa naissance, sa fortune un droit au respect de sa vie privée ». Certaines sociétés et plus précisément la société HFA (ex-propriétaire de Paris Match) ayant à ce propos déjà fait l’objet de condamnation (pièces 4.1, 4.2 et 5.1).

Mme [Y] rejette l’idée selon laquelle le caractère banal pour elle des faits relatés dans l’article ne causerait pas d’atteinte à sa vie privée. Elle se fonde sur les diverses condamnations sur ce thème (pièces 5.3 à 5.7). En effet, ces décisions jugent que la caractérisation de l’atteinte à la vie privée est indépendante de la banalité ou non des faits relatés ou des clichés pris.

Mme [Y] rappelle que l’atteinte à sa vie privée est caractérisée en ce qu’elle relate ses vacances (pièce 5.8 à 5.10). En effet, des précédents de la cour d’appel de Versailles (pièce 5.8) reconnaissent selon elle le caractère privé d’un voyage de noce. Il en va de même aussi des informations relatives aux lieux de vacances, de l’identité des personnes les accompagnant etc. (pièce 5.9 et 5.10). Ainsi, l’appelante fait état d’une atteinte à sa vie privée en ce qu’elle est largement visée par l’article et les deux photos exclusives de son mariage qui ont été publiées sans autorisation aucune (pièce 6). Elle précise qu’elle a le droit de s’opposer à la reproduction et à la diffusion sans son autorisation expresse et spéciale de ces clichés ; que si une telle autorisation peut exceptionnellement être tacite, il faut qu’elle soit néanmoins certaine et spécifique, l’autorisation ne pouvant qu’être limitée aux exploitations directement prévisibles par la personne concernée. Or, elle observe que ces clichés n’ont pas été distribués à la presse mais seulement publiés sur les réseaux officiels de la famille princière [I] pour un temps donné, ce qui ne peut suffire à présumer l’autorisation de la publication par Paris-Match.

La société Lagardère Media News conclut à la confirmation du jugement sur ce point. Elle objecte que l’article incriminé ne porte pas tant sur Mme [Y] que sur le mariage du fils de Mme [J] [I] qui est intervenu quelques semaines après celui de l’appelante, comme le titre de l’article du magazine le montre, car c’est ce second mariage après celui de Mme [Y] qui est le c’ur de l’article. Selon la société, la construction de l’article le démontre.

En outre, l’intimée rappelle qu’il ne fait aucune révélation dans la mesure où l’annonce était officielle par communiqué du palais : celui-ci faisant état du mariage et de la naissance de son fils [W] à [Localité 5] (pièce 9).

Par ailleurs, la société réfute toute digression. Il serait pour elle question de « quelques mots d’une grande banalité, ( ) en commentaire ( ) évoquant son métier d’égérie Saint-Laurent, son mariage récent, ses vacances traditionnelles et un mot sur l’idée de famille recomposée ». Selon la société éditrice, il s’agit de faits notoires et d’évidence.

La société argue que dès avant le mariage, la relation était de notoriété publique ce qui a été jugé par le tribunal de grande instance de Paris le 16 mars 2018 comme non attentatoire car public.

Elle précise que le mariage était un « événement public d’actualité » dans la mesure où il a été remis à la presse des photos aux fins de publication, aussi bien du mariage civil que religieux. Subséquemment, la société déclare que les deux photos sont en lien avec le sujet d’actualité c’est-à-dire le mariage de l’appelante. Elle en déduit qu’ il ne peut pour l’intimée y avoir d’atteinte à la vie privée ici.

Enfin, elle soutient qu’il n’y a pas d’atteinte à l’image dans la mesure où des photos du mariage son abondamment relayées sur les réseaux sociaux sans aucune réserve.

Appréciation de la cour

C’est aux termes d’une motivation précise, rigoureuse et exacte, que la cour fait sienne, que le jugement déféré a retenu que la publication de l’article n’emportait aucune atteinte à l’intimité de la vie privée de Mme [Y]. À hauteur de cour, celle-ci ne fait que reprendre ses moyens de première instance auxquels le premier juge a répondu point par point. Il ne s’est pas fondé pour ce faire sur la banalité des faits évoqués mais sur l’événement d’actualité que constituait le mariage de Mme [Y], fait public ayant fait l’objet d’un communiqué officiel de la principauté, ainsi que celui du fils de Mme [J] [I]. Ce fait d’actualité pouvait être évoqué même en dehors d’un débat d’intérêt général. L’article ne révèle ni le lieu de villégiature de Mme [Y] ni l’identité des personnes l’accompagnant, à l’exception de son époux, le mariage de l’intéressée étant un fait notoire. L’évocation de la seule joie de vivre de Mme [Y] sans rien révéler de la vie privée ou de l’intimité de l’intéressée, ne caractérise pas une atteinte à celle-ci. Les jurisprudences produites par l’appelante ne sont donc pas transposables au présent litige.

La cour fait également siens les motifs du jugement qui rejettent l’atteinte à l’intimité de la vie privée du fait de la publication, en pages intérieures du magazine, des deux photographies du mariage, le tribunal ayant justement retenu, au vu des pièces produites par la partie adverse, que ces clichés sont issus de photographies officielles largement distribuées à la presse, ce qui suffit à faire présumer l’autorisation de publication dont se prévaut la société éditrice, dont l’article est précisément consacré à cette union. Contrairement à ce que Mme [Y] soutient, la seule publication desdits clichés sur les réseaux officiels de la famille princière, même pour un temps limité, suffit non seulement à établir le consentement de Mme [Y] à cette diffusion mais aussi à les rendre publics, ce dont il se déduit d’évidence que l’exploitation par les médias en général en était plus que prévisible.

Par conséquent, le jugement qui fait une juste application des dispositions de l’article 9 du code civil, de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et des jurisprudences européenne et nationale en la matière et en respectant un équilibre entre les droits en présence, ne peut qu’être confirmé en ce qu’il a rejeté l’atteinte à l’intimité de la vie privée de Mme [Y] du fait de la publication de l’article litigieux et des deux clichés publiés en pages intérieures du magazine.

L’évaluation du préjudice

Mme [Y] poursuit l’infirmation du jugement sur le montant des dommages et intérêts alloués en première instance qu’elle estime dérisoire. Se fondant sur l’article 9 du code civil, elle dit justifier d’un droit sur son image et sur l’usage qui en est fait et par conséquent de la possibilité de s’opposer à toute reproduction de celle-ci sans autorisation expresse. Subséquemment, Mme [Y] rappelle qu’il importe peu de connaître l’endroit où le cliché a été pris conformément à la jurisprudence de la deuxième chambre de la Cour de cassation du 10 mars 2004 repris par les juridictions du fond (pièce 5.13 et 5.14). Aussi, l’appelante rejette toute renonciation à la protection de sa vie privée dans le cadre de son cadre de vie quotidien, solution également reconnue en jurisprudence (pièce 5.16 et cour d’appel de Versailles 28 oct. 2004).

Elle allègue que ce droit est à caractère et moral et patrimonial au fondement des arrêts rendus par les cour d’appel de Paris et Aix-en-Provence le 1er décembre 1965 et le 21 mai 1991.

Mme [Y] soutient que le montant du préjudice est dérisoire car insuffisant à réparer son préjudice. Elle fait état d’un préjudice moral qu’elle dit devoir tirer des circonstances de la faute. Elle ajoute qu’il n’est pas fait obligation à la victime de rapporter de quelconques preuves matérielles du désagrément conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation rendue par 1ère chambre civile en date du 5 novembre 1996 « prisma c/ Mme G ». Ainsi, c’est ici le caractère intrusif des clichés dans sa vie familiale qui est critiqué en ce qu’il serait dévalorisant, car Mme [Y] se trouve en maillot de bain, peu importe qu’elle se trouve sous un jour favorable puisqu’elles dévoilent sa « plastique en grand format », ce qui est en sus non conforme à l’image habituelle renvoyée par la personne publique.

Elle ajoute que cette image contreviendrait à l’image qu’elle expose en lien avec diverses marques de luxe (pièce 7 et s.), ce qui pourrait dégrader la valeur marchande de son image comme cela a déjà été jugé (pièce 5.26).

Enfin, Mme [Y] dit justifier son préjudice en lien avec l’ampleur de la publication, le tirage de Paris Match atteignant les 14 millions d’exemplaires.

Pour finir, elle affirme que le caractère récurrent des atteintes est lui aussi un facteur d’aggravation du préjudice constitutif selon elle d’un harcèlement médiatique (pièce 8). Elle en déduit qu’il convient de faire par ailleurs état de sa position stricte puisqu’elle ne communique pas sur sa vie privée, mais uniquement professionnelle (pièce 5.10).

La société Lagardère Media News conclut à la confirmation du jugement sur ce point et juge exorbitantes les demandes formées par Mme [Y] à hauteur de cour. Elle réfute toute forme de harcèlement en ce que toutes les décisions alléguées ne portent pas uniquement sur Paris Match (pièce 4.1 et 4.2). Elle ajoute que diverses pièces fournies aux débats ne sauraient appuyer l’existence d’un harcèlement car non constitutives de condamnation (pièce 7 et 3.1). Enfin, elle observe que plusieurs décisions de sanction relèvent des anciens propriétaires du journal qui sont d’autres groupes de presse toujours existants. Par ailleurs, d’après elle, aucun harcèlement n’est caractérisable en ce qu’il n’existe aucune intention de nuire et que l’article porte sur le thème précis des mariages princiers.

Elle fait en outre état de la jurisprudence qui reconnaît un « comportement d’une incontestable ambiguïté » de Mme [Y] qui a médiatisé sa personne en faisant le choix de s’exposer très régulièrement à la une des magazines pour différentes activités mondaines et publicitaires (voir la décision du tribunal de grande instance de Paris R/G 15/18981 du 13 mars 2016).

Par ailleurs, elle considère que la somme de 40 000 euros qui est demandée au titre des dommages-intérêts n’est fondée sur rien, d’autant que le préjudice tiré du nombre de magasine vendu n’est pas selon l’intimé de 14 millions d’exemplaire mais pour ce numéro de 178 700 vendus auxquels s’ajoutent les 230 900 abonnés.

Appréciation de la cour

C’est toujours aux termes d’une motivation rigoureuse et circonstanciée, adoptée par la cour, que le tribunal a condamné la société Lagardère Media News à payer à Mme [Y] la somme de 4 000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, somme qui, contrairement à ce que soutient Mme [Y], apparaît tout à fait proportionnée à la réalité du préjudice subi de sorte que, le jugement déféré ne peut qu’être confirmé sur ce point.

La recevabilité de la demande d’indemnisation du préjudice patrimonial né de l’atteinte à son droit à l’image n’est pas contestée par la société Lagardère Media News alors que cette demande n’avait pas été formée en première instance. Toutefois, la cour ne peut y faire droit dès lors que Mme [Y] ne justifie, par aucun élément de preuve, ni de la réalité de ce préjudice ni de son ampleur. Mme [Y] sera donc déboutée de cette demande.

La demande de publication judiciaire

Mme [Y] sollicite l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a déboutée de cette demande au motif que cette mesure est le seul moyen de faire part aux lecteurs qu’elle n’a jamais accepté que son image et sa vie privée soit utilisée. Au fondement de l’article 9 du code civil, elle estime que cette prétention est justifiée, s’agissant de la révélation d’un événement relevant de la plus stricte intimité. Elle conclut que cette demande ne contrevient pas à la liberté d’expression (pièce 5.37).

La société Lagardère Media News sollicite la confirmation du jugement sur ce point. Elle considère que cette mesure est tout à fait injustifiée.

Appréciation de la cour

Comme l’a exactement rappelé le tribunal, la publication judiciaire de la condamnation prononcée constitue une mesure réparatrice supplémentaire. Or, le préjudice de Mme [Y] est complètement réparé par l’allocation de dommages et intérêts et les interdictions de publier, diffuser et commercialiser à nouveau les photographies volées de Mme [Y] publiées en couverture et en pages intérieures prononcées en première instance. De plus, eu égard à l’ancienneté des faits, une telle mesure serait totalement inopportune, la mémoire collective étant aujourd’hui noyée sous le flux constant et protéiforme des informations servies au public .Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu’il a débouté Mme [Y] de cette demande.

Les demandes accessoires

Compte tenu du sens du présent arrêt, le jugement déféré ne peut qu’être confirmé en ce qu’il a exactement statué sur les dépens ainsi que sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile.

Mme [Y] qui, à hauteur de cour, succombe en toutes ses demandes sera condamnée aux dépens d’appel et donc déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,

Dans les limites de l’appel,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 14 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Nanterre,

Et, y ajoutant,

DÉBOUTE Mme [Y] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Mme [Y] aux dépens d’appel.

— prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

— signé par Madame Nathalie LAUER, conseiller pour le président empêché et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Conseiller,


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