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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
N° RG 19/03323 – N° Portalis DBVS-V-B7D-FGIZ
Minute n° 23/00047
S.A.R.L. MARBI
C/
Commune COMMUNE DE [Localité 4]
Cour d’appel de METZ
Arrêt du 19 Octobre 2011
Cour de cassation
Arrêt du 17 Avril 2013
Cour d’appel de METZ
Arrêt du 6 Juillet 2017
Cour de cassation
Arrêt du 10 Janvier 2019
Cour d’Appel de NANCY
10 Décembre 2019
COUR D’APPEL DE METZ
1 ère CHAMBRE CIVILE
RENVOI APRES CASSATION
ARRÊT DU 07 FEVRIER 2023
DEMANDEUR A LA REPRISE D’INSTANCE:
SARL MARBI Représentée par son représentant légal
[Adresse 3],
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Véronique HEINRICH, avocat postulant au barreau de METZ et par Me Christian DECOT, avocat au barreau de STRASBOURG
DEFENDEUR A LA REPRISE D’INSTANCE:
COMMUNE DE [Localité 4], représentée par son Maire en exercice
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Armelle BETTENFELD, avocat postulant au barreau de METZ et par Me Bernard ALEXANDRE, avocat plaidant au barreau de STRASBOURG
DATE DES DÉBATS : A l’audience publique du 12 Mai 2022 , l’affaire a été mise en délibéré, pour l’arrêt être rendu le 07 Février 2023, en application de l’article 450 alinéa 3 du code de procédure civile.
GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Mme Cindy NONDIER
COMPOSITION DE LA COUR :
PRÉSIDENT : Mme FLORES, Présidente de Chambre
ASSESSEURS : Mme BIRONNEAU,Conseillère
Mme FOURNEL, Conseillère
ARRÊT : Contradictoire, en dernier ressort.
Rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme FLORES, Présidente de Chambre et par Mme Cindy NONDIER, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Le 01 juillet 1995, la commune de [Localité 4] a exercé son droit de préemption sur les immeubles et installations industrielles proposés à la vente par la société Marbi pour un prix total de 13.506.156,08 francs.
Elle a cependant ultérieurement contesté le prix pratiqué et refusé de signer l’acte de vente, de sorte que la société Marbi l’a assignée à jour fixe devant le tribunal de grande instance de Mulhouse. Ce tribunal, par jugement du 16 février 1996, devenu définitif suite au désistement d’appel de la commune, a notamment condamné la commune de [Localité 4] à régulariser l’acte de vente notarié, faute de quoi le jugement tiendrait lieu d’acte de vente selon le prix et les modalités convenues, condamné en conséquence la commune de [Localité 4] à payer à la société Marbi la somme de 13.506.156,08 Francs outre intérêts au taux convenu dans l’acte notarié, ordonné la transcription au Livre Foncier, et réservé les droits des demandeurs à obtenir indemnisation à l’encontre de la ville de [Localité 4] pour l’hypothèse où, du fait de l’attitude de celle-ci le protocole liant ceux-ci au Crédit Agricole viendrait à être déclaré caduc.
Aucun acte de vente n’a été signé mais la commune de [Localité 4] a consigné le 14 octobre 1996 à la Caisse des Dépôts et Consignations le prix de cession des immeubles. Elle a entamé ultérieurement une procédure de purge des hypothèques, contestée par la société Marbi ce qui a donné lieu à de nombreuses procédures judiciaires entre les parties.
Par acte extra-judiciaire du 10 septembre 1997, la SARL Marbi se prévalant des dispositions des articles L-211-5 et L-213-14 du code de l’urbanisme a notifié à la commune de [Localité 4] l’exercice de son droit de rétrocession sur les biens préemptés.
La commune de [Localité 4] n’entendant pas donner suite, la SARM Marbi l’a assignée à jour fixe devant le tribunal de grande instance de Mulhouse.
Par jugement en date du 25 mars 1998, le tribunal de grande instance de Mulhouse a débouté la SARL Marbi de sa demande aux fins de rétrocession, a déclaré irrecevable la demande reconventionnelle présentée par la commune de [Localité 4] et a déclaré sans objet l’appel en déclaration du jugement commun formé à l’égard de la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel d’Alsace.
Le tribunal s’est fondé sur l’autorité de chose jugée attachée à une précédente décision de la cour d’appel de Colmar ayant ordonné l’ouverture d’une procédure de distribution du prix de vente, et sur le motif, considéré comme décisoire, selon lequel le paiement du prix faisait obstacle à l’exercice du droit de rétrocession.
Sur appel de la société Marbi, la cour d’appel de Colmar, par arrêt du 29 janvier 1999, a infirmé le jugement précité et a, notamment :
dit et jugé que la SARL Marbi est bien fondée à exercer son droit de rétrocession sur les biens immobiliers préemptés
dit et jugé que cette rétrocession des immeubles prendra effet après fixation du prix et sous réserve de son paiement dans le délai légal d’un mois à compter de cette fixation,
ordonné une mesure d’expertise afin de procéder à l’évaluation de l’ensemble des biens immobiliers et installations industrielles ayant fait l’objet de la préemption du 1er juillet 2015 selon leur état, consistance et qualifications actuels, eu égard aux plus-values et moins-values par rapport au prix de préemption et en fonction du marché immobilier à ce jour.
La cour d’appel a également débouté la SARL Marbi de ses demandes de dommages et intérêts pour perte de jouissance et préjudice moral, et débouté la ville de [Localité 4] de la plupart de ses demandes reconventionnelles, en invitant toutefois les parties à se prononcer sur les frais de stockage et d’enlèvement de matériel allégués.
Par arrêt du 10 juillet 2001 la cour de cassation a rejeté le pourvoi et le pourvoi incident formés à l’encontre de cet arrêt en considérant :
que la cour d’appel avait exactement considéré que le délai de six mois imparti à la commune de [Localité 4] pour payer le prix de vente ne pouvait courir qu’à compter de la décision de préemption du 1er juillet 1995 de sorte que la consignation du prix en date du 14 octobre 1996 était tardive,
que la cour d’appel, rappelant que consignation du prix effectuée par la commune de [Localité 4] à la caisse des dépôts et consignations, si elle était tardive au regard des dispositions de l’article L. 211-5 du code de l’urbanisme, n’en était pas moins régulière en la forme, qu’elle permettait donc à la commune de prendre légitimement possession des immeubles préemptés et que ce droit subsisterait jusqu’à paiement du prix de rétrocession, a pu en déduire que les demandes de la société Marbi en dommages et intérêts pour perte de jouissance des immeubles préemptés et pour préjudice moral devaient être rejetées.
En suite du dépôt du rapport d’expertise, la cour d’appel de Colmar, par un arrêt du 31 août 2001, a principalement :
constaté que la SARL Marbi ayant cédé son droit de rétrocession à la société Selpart, ne poursuit pas son action,
déclaré la SARL Selpart irrecevable à demander la rétrocession des biens immobiliers préemptés par la Ville de [Localité 4],
constaté qu’il n’y a plus lieu de fixer le prix de rétrocession de ces biens,
ordonné la radiation au Livre Foncier de [Localité 4] de la prénotation inscrite sur lesdits biens immobiliers au profit de la société Marbi,
déclaré l’arrêt commun et opposable à la société d’économie mixte SESA et à la caisse régionale de crédit agricole mutuel d’Alsace,
condamné la SARL Marbi à payer, en application de l’article 700 du code de procédure civile :
– la somme de 100.000 Francs soit 15.244,90 € à la Ville de [Localité 4]
– la somme de 50.000 Francs soit 7.622,45 € à la société SESA
condamné la SARL Marbi aux entiers frais et dépens de première instance et d’appel, à l’exception des dépens résultant de la mise en cause du Crédit Agricole qui resteront à la charge de celui-ci.
Pour se déterminer ainsi la cour d’appel a relevé que la SARL Marbi avait cédé en cours de procédure son droit de rétrocession à la société Selpart et ne poursuivait plus elle-même son action, mais qu’en revanche aux termes de l’article L.211-5 alinéa 5 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable aux faits, le droit de rétrocession prévu en cas de non-paiement des biens préemptés dans le délai de six mois n’appartenant qu’à l’ancien propriétaire ou à ses ayant causes universels, la société Selpart, ayant cause à titre particulier, devait être déclarée irrecevable.
En suite du pourvoi formé par les sociétés Marbi et Selpart, la cour de cassation par arrêt du 4 juillet 2007, a cassé et annulé dans toutes ses dispositions l’arrêt rendu le 31 août 2001 par la cour d’appel de Colmar, remis en conséquence la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt, et renvoyé les parties devant la cour d’appel de Metz.
Pour statuer ainsi, la cour de cassation a considéré qu’en constatant que la société Marbi avait cédé son droit de rétrocession, qu’elle ne poursuivait plus son action et qu’il n’y avait plus lieu de fixer le prix de rétrocession, sans inviter les parties à s’expliquer sur une éventuelle renonciation de la société Marbi à revendiquer le droit à la rétrocession des biens qui lui avait été reconnu par une précédente décision, la cour d’appel avait violé l’article 16 du code de procédure civile.
Le 21 novembre 2007 la société Marbi a repris l’instance devant la cour d’appel de Nancy.
Par arrêt du 19 octobre 2011 la cour d’appel de Metz a :
Rejeté l’exception d’incompétence au profit du tribunal administratif de Strasbourg soulevée par la ville de [Localité 4] ;
Déclaré la société Harmony SA (qui venait aux droits de la société Selpart) irrecevable en son intervention volontaire, en l’absence de démonstration de sa qualité à agir ;
Laissé en conséquence les dépens nés de l’intervention volontaire de la société Harmony SA à la charge de cette société,
Dit que le compromis de vente d’un droit de rétrocession, conclu le 1er juin 2000 entre la SARL Marbi et la société Selpart, est nul et de nul effet ;
Déclaré en conséquence la société Selpart irrecevable en son intervention volontaire;
Laissé les dépens nés de l’intervention volontaire de la société Selpart à la charge de la société SELPART,
Constaté que la SARL Marbi reste titulaire du droit de rétrocession qui lui a été reconnu par l’arrêt de la Cour d’Appel de Colmar en date du 29 janvier 1999, et qu’elle n’a pas renoncé à l°exercice de son droit à rétrocession ;
Constaté que la rétrocession au bénéfice de la SARL Marbi est désormais impossible à mettre en ‘uvre sur les biens immobiliers préemptés le 1°’ juillet 1995 par la ville de [Localité 4], et dit en conséquence n’y avoir lieu à fixation du prix de rétrocession ;
Ordonné la radiation de la prénotation inscrite par le tribunal d’instance de Thann, bureau foncier de [Localité 4], en date du 22 décembre 2008 ;
Dit que la SARL Marbi est recevable et fondée à réclamer des dommages-et-intérêts à la ville de [Localité 4] suite à l’impossibilité de mettre en ‘uvre la rétrocession dont le droit lui était reconnu, et réservé les droits de la SARL Marbi et de la ville de [Localité 4] à conclure sur les dommages-et-intérêts ;
Mis hors de cause la SA d’économie mixte Espace Rhénan SAEM anciennement dénommée SESA ;
Renvoyé l’affaire devant le conseiller de la mise en état;
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du Code de Procédure Civile au bénéfice de la SA d’économie mixte Espace Rhénan SAEM anciennement dénommée SESA;
Réservé à statuer sur les demandes formées au titre des frais irrépétibles par la SARL Marbi et la Ville de [Localité 4];
Condamné la ville de [Localité 4] aux dépens nés de l’intervention forcée de la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel d’Alsace ;
Condamne la SARL Marbi aux dépens nés de l’intervention forcée de la SESA devenue la SA d°économie mixte Espace Rhénan SAEM,
Réserve pour le surplus les dépens.
La cour a retenu qu’en application des dispositions de l’article L.211-5 alinéa 5 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction applicable à l’époque des faits, le droit de rétrocession n’appartenait qu’à l’ancien propriétaire ou à ses ayant causes universels ou à titre universel, que par ailleurs il résultait des termes de l’arrêt de la cour d’appel de Colmar en date du 29 janvier 1999 que la rétrocession ne pourrait être effective qu’avec paiement du prix et n’avait donc pas encore eu lieu, de sorte que la société Marbi ne pouvait prétendre avoir cédé des droits acquis, et que le compromis de vente du 1er juin 2000, portant sur un droit dont la société Marbi n’avait pas la libre disposition, était nul et de nul effet, la société Marbi demeurant donc titulaire de son droit de rétrocession.
Rappelant que la renonciation à un droit ne pouvait résulter que d’actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer, la cour a constaté qu’il n’existait pas en l’espèce d’actes illustrant une telle volonté de sorte que la société Marbi n’avait pas renoncé et était recevable à poursuivre l’exercice du droit de rétrocession.
La cour a en outre rappelé que la rétrocession ne s’analyse pas comme la mise en ‘uvre d’une clause résolutoire mais comme une nouvelle acquisition des biens ayant précédemment fait l’objet de la préemption. Dès lors, cette rétrocession devenait impossible si un bâtiment préempté avait été détruit ou en cas de cession des biens à un tiers.
En l’espèce la cour a constaté que la société Espace Rhenan à laquelle une grande partie du bien immobilier avait été cédée, avait organisé un lotissement industriel et commercial sur une partie du site, que des lots avaient été vendus, que des travaux de démolition et viabilisation avaient été entrepris, qu’un établissement périscolaire avait été construit, de sorte que la rétrocession était devenue impossible.
La SARL Marbi ne pouvait dès lors réclamer que des dommages et intérêts, lesquels n’étaient dus que par l’autorité ayant à l’origine exercé la préemption, de sorte que la cour a mis hors de cause la SAEM Espace Rhenan.
Pourvoi et pourvoi incident ont été formés par la commune de [Localité 4] et la société Marbi, et rejetés par arrêt de la cour de cassation du 17 avril 2013.
Entre temps et après une décision de sursis à statuer dans l’attente de cet arrêt, la radiation de la procédure avait été ordonnée.
La société Marbi ayant déposé des conclusions au fond de reprise d’instance le 15 mars 2016, un litige a ensuite opposé les parties quant à la péremption alléguée de l’instance.
Statuant sur déféré de l’ordonnance du conseiller de la mise en état, la cour d’appel de Metz par arrêt du 6 juillet 2017, a confirmé cette ordonnance constatant la péremption d’instance.
Cet arrêt a été cassé par arrêt de la cour de cassation du 10 janvier 2019, lequel a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Nancy.
Par arrêt du 10 décembre 2019, la cour d’appel de Nancy a infirmé en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue le 13 mars 2017 par le conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Metz, débouté la commune de [Localité 4] de sa demande de nullité des conclusions du 15 mars 2016, constaté l’absence de péremption d’instance, et renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Metz pour qu’il soit statué au fond.
L’instance s’est donc poursuivie et les parties ont conclu devant la cour de céans.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 10 mars 2022.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions déposées le 03 novembre 2021, auxquelles il sera expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, la SARL Marbi demande à la cour de :
débouter la commune de [Localité 4] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions.
condamner la commune de [Localité 4] à payer à la SARL Marbi la somme de 6.141.857,36 euros en réparation de son préjudice matériel résultant de la perte du bien immobilier préempté outre les intérêts au taux légal à compter du 16 juin 2000 sur la somme en principal de 3.795.018,14 euros.
condamner la commune de [Localité 4] à payer à la SARL Marbi la somme de 30.490,00 euros en réparation de son préjudice matériel résultant de la destruction de son équipement industriel outre les intérêts au taux légal à compter du 14 avril 2014.
condamner la commune de [Localité 4] à payer à la SARL Marbi la somme de 2.850.782,66 euros en réparation de son préjudice matériel résultant de la caducité du protocole d’accord transactionnel du 27 février 1995 outre les intérêts au taux légal à compter des présentes.
condamner la commune de [Localité 4] à payer à la SARL Marbi la somme de 500.000,00 euros pour résistance abusive outre les intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2020,
condamner la commune de [Localité 4] à payer à la SARL Marbi la somme de 500.000,00 euros pour préjudice commercial et économique outre les intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2020.
condamner la commune de [Localité 4] à payer à la SARL Marbi la somme de 1.000.000,00 euros en réparation de son préjudice moral outre les intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2020.
condamner la commune [Localité 4] à payer à la SARL Marbi la somme de 50 000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
condamner la commune de [Localité 4] aux entiers frais et dépens d’appel.
Sur la recevabilité de ses demandes, la SARL Marbi expose qu’elle n’a jamais perdu sa personnalité morale, qu’elle est bien immatriculée au RCS et que la mention du nouveau siège social de la société est dûment régularisée.
Quant aux divers chefs de préjudice matériel subis, la société Marbi se prévaut tout d’abord du préjudice résultant de la perte des biens immobiliers préemptés.
Elle fait valoir à cet égard que l’expert désigné par la cour d’appel de Colmar a évalué la valeur vénale du bien préempté à la somme de 31.615.327,00 Francs augmentée d’un montant de 2.162.500,00 Francs au titre de diverses moins-values et elle en conclut qu’elle a subi un préjudice au moins équivalent à la valeur de l’ensemble immobilier, sous déduction du montant du prix distribué directement par la ville de [Localité 4] aux différents créanciers colloqués, de sorte qu’elle s’estime créancière de la contrevaleur en Euros d’une somme de 23.644.045,70 Francs, à parfaire au titre de la mise à jour de cette valeur compte tenu des 20 années écoulées depuis l’estimation.
Elle estime que contrairement aux allégations de la ville de [Localité 4], son préjudice ne peut correspondre au prix de vente tel qu’envisagé avant la préemption.
Elle ajoute que l’arrêt rendu par la cour de céans le 19 octobre 2011 n’indique à aucun moment que les dommages-intérêts à allouer correspondraient à une évaluation du droit à rétrocession, et fait valoir que ceux-ci correspondent à la réparation d’un préjudice, en l’occurrence l’impossibilité de se prévaloir de son droit de rétrocession en 1999. Elle soutient que la faute à l’origine du préjudice que doit aujourd’hui réparer la commune de [Localité 4] est distincte de celle reconnue dans l’arrêt du 29 janvier 1999.
Quant aux critiques apportées par la commune de [Localité 4] au rapport d’expertise, la société Marbi fait valoir que la commune n’avait jamais jusqu’à présent critiqué le rapport en ce que celui-ci a mentionné qu’il y avait eu modification du POS, et ajoute que les extraits du POS aujourd’hui produit, qui remontent aux années 1997 et 2000, n’éclairent pas sur ce qui s’est passé ultérieurement alors qu’il était annoncé dans la presse en 2002 qu’une partie de la friche industrielle serait transformée en immeubles d’habitation. Elle critique à cet égard les divers documents produits par la ville de [Localité 4] pour contester l’évaluation de l’expert, en les estimant unilatéraux ou non contradictoires, et s’étonne que la ville critique la seule évaluation objective du bien préempté.
Elle estime en tout état de cause que les déboires rencontrés par la commune, qui tente de démontrer qu’elle aurait fait une mauvaise affaire, sont sans aucune incidence sur son propre préjudice et ne peuvent conduire à le diminuer.
Ainsi, sur les opérations de dépollution, la société Marbi fait valoir que la commune de [Localité 4] ne peut aujourd’hui tenter de minorer un préjudice en se fondant sur une situation existante dont elle était parfaitement informée au moment de l’exercice de son droit de préemption, étant en outre observé que les opérations foncières menées par la ville de [Localité 4] depuis 1998, et notamment la vente d’une partie du bien à la SESA pour un prix relevant d’un terrain constructible, ne correspondent nullement à la situation dégradée dont tente de se prévaloir la commune.
La société Marbi revendique également à son profit la restitution de l’indemnité d’assurance perçue en janvier 1999 par la commune de [Localité 4] au titre du sinistre ayant affecté un bâtiment, dès lors que cette somme avait pour but de réparer le préjudice causé par la destruction de l’immeuble.
Ajoutant dès lors à sa demande la somme de 1.249.642,00 Francs, elle chiffre sa créance totale à la somme totale de 24.893.687,12 FF, à convertir en euros et à indexer sur l’indice INSEE du coût de la construction, lequel a augmenté de 61,84 % sur la période concernée, soit un montant final de 6.141.857,36 €.
Sur le préjudice matériel résultant de la destruction du matériel de la société, la SARL Marbi expose que nonobstant les décisions de justice lui en faisant interdiction, la ville de [Localité 4] a procédé à la destruction de machines et d’équipements industriels divers. Elle estime que, quand bien même ce matériel se trouvait sur le site préempté par la commune intimée, ce qu’elle semble reconnaître, il s’agissait de biens figurant dans un ensemble industriel que la SARL Marbi aurait dû se voir rétrocéder, de sorte qu’elle est fondée à en réclamer la valeur soit selon elle 200.000 FF ou 30.490 € outre intérêts légaux à compter des conclusions du 14 avril 2014.
Sur le préjudice matériel résultant de la caducité du protocole d’accord transactionnel conclu avec le Crédit Agricole, la société Marbi fait valoir que si le comportement de la commune de [Localité 4] ne consiste pas en une violation des dispositions du code de l’urbanisme relatives à l’exercice du droit de préemption, il n’en demeure pas moins fautif eu égard à sa connaissance de la situation de la société Marbi.
L’appelante expose que l’intimée était informée de l’accord intervenu entre elle et le Crédit Agricole et a utilisé cette information pour contraindre la concluante à accepter une diminution du prix de vente. Le paiement dû au Crédit Agricole n’étant pas intervenu dans le délai prévu, la société Marbi expose qu’elle est redevenue débitrice vis à vis de la banque de l’intégralité de sa dette, un nouveau protocole transactionnel étant toutefois intervenu, qui a plafonné la dette de la société Marbi à 2.200.000 €, montant dont elle n’est redevable qu’en raison de l’attitude fautive de la ville de [Localité 4] qui doit donc l’en tenir quitte.
La société Marbi ajoute qu’elle a été dans l’obligation, du fait de la caducité du premier protocole transactionnel à raison du retard de paiement du prix, de vendre d’autres biens pour désintéresser le Crédit Agricole, pour un montant total de 391.793,97 € et qu’en outre la situation dans laquelle elle s’est trouvée du fait de la commune de [Localité 4] lui a fait perdre tout crédit vis à vis de sa banque et ainsi toute possibilité de poursuivre son activité d’investissement et de promotion immobilière.
Elle chiffre son préjudice sur ce point à la somme de 391.793,97 € augmentée d’un taux correspondant au passage de l’indice du coût de la construction de 1065 à 1769 soit 66,10 %, soit au total la somme de 650.782,66 €.
Sur le préjudice matériel résultant de la perte de chance d’exercer une activité, la société Marbi se réfère aux dispositions de l’article 1153 alinéa 4 ancien du code civil. Elle soutient avoir subi un préjudice distinct du simple retard dans le paiement, consistant dans la perte de chance d’exercer une activité professionnelle normale depuis 1995. Elle rappelle qu’elle avait une activité de marchand de biens et que cette activité s’est trouvée totalement paralysée par le contentieux qui l’oppose depuis 1995 à la ville de [Localité 4], et que du fait de la dette subsistant à l’égard du Crédit Agricole, elle n’a pu obtenir le moindre concours financier qui lui aurait permis d’exercer une véritable activité de marchande de biens. Elle estime son préjudice sur ce point à la somme de 500.000,00 €.
Elle se prévaut encore d’un préjudice matériel résultant de la résistance abusive de la commune de [Localité 4], qui l’a contrainte à exposer des honoraires considérables auprès d’avocats et d’huissiers, et au titre duquel elle prétend également à une somme de 500.000,00 € à titre de dommages et intérêts.
Elle se retient également un préjudice moral résultant du contentieux auquel elle est contrainte de faire face depuis 1995.
A ce titre elle considère que le dispositif de l’arrêt de la cour d’appel de Colmar en date du 29 janvier 1999, ayant notamment rejeté son préjudice moral ainsi que le préjudice lié à la perte de jouissance, est sans rapport avec la situation actuelle puisque en 1999 il était considéré qu’elle pouvait exercer son droit de rétrocession, alors qu’il est avéré depuis l’arrêt du 19 octobre 2011 que tel n’est pas le cas.
Par conclusions déposées le 13 septembre 2021, auxquelles il sera expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, l’intimé, la commune de [Localité 4], demande à la cour de :
déclarer les demandes de la SARL Marbi irrecevables compte tenu de l’autorité de la chose jugée et en tout état de cause mal fondées
débouter la SARL Marbi de l’intégralité de ses fins et conclusions
condamner la SARL Marbi aux entiers frais et dépens, ainsi qu’à un montant de 50 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Sur la recevabilité des demandes, la ville de [Localité 4] fait valoir que la société Marbi avait été radiée du registre du commerce et indiquait un siège social qui n’existait plus. Elle prend acte que la société Marbi a régularisé sa situation sur ces deux points.
Sur le fond, l’intimée fait valoir qu’au regard de l’autorité de la chose jugée attachée au dispositif de l’arrêt de la cour d’appel de Metz en date du 19 octobre 2011 qui a déclaré la SARL Marbi recevable et bien fondée à réclamer des dommages et intérêts suite à l’impossibilité de mettre en ‘uvre la rétrocession, la cour ne peut aujourd’hui statuer que dans cette limite.
De même la cour d’appel de Colmar dans son arrêt du 29 janvier 1999 a débouté la société Marbi de ses demandes en dommages et intérêts pour perte de jouissance et préjudice moral, et l’autorité de chose jugée attachée à cet arrêt fait obstacle à ce que la cour statue à nouveau sur ce point.
La ville de [Localité 4] en conclut que le seul préjudice dont la cour doit vérifier l’existence est celui pouvant résulter de l’impossibilité de mettre en ‘uvre en nature la rétrocession.
Sur le préjudice résultant de la perte des biens immobiliers, la ville de [Localité 4] observe que si la société Marbi avait exercé son droit de rétrocession en nature, elle aurait dû payer le prix actualisé des terrains préemptés, ainsi que jugé par la cour d’appel de Colmar qui avait dans ce but ordonné une expertise et prévu dans son dispositif que la rétrocession prendrait effet après paiement du prix.
Elle en conclut que le préjudice allégué par la société Marbi ne peut s’évaluer en prenant pour base le prix de 1995, mais le prix qui aurait été dû par la société Marbi pour se faire rétrocéder les immeubles. La ville de [Localité 4] en conclut que le raisonnement de la société Marbi est faux, et que celle-ci ne démontre pas que les terrains vaudraient plus à ce jour que l’évaluation de l’expert, de sorte que tout préjudice est exclu de ce fait.
Quant au rapport d’expertise sur lequel se fonde la société Marbi pour évaluer son préjudice, la ville de [Localité 4] considère que la valorisation retenue par l’expert, qui aboutit à un écart extrêmement important avec le prix de vente initial, n’est pas justifiée dès lors que l’expert a considéré à tort que le POS de la commune aurait été modifié et aurait transféré une partie des terrains en zone constructible, alors que tel n’est pas le cas, et qu’il n’a pas non plus pris en compte la pollution des sols du site.
La commune de [Localité 4] soutient que la classification des terrains n’a jamais changé et produit différents documents en ce sens, en affirmant notamment que le projet de créer une zone résidentielle a été abandonné compte tenu de l’importante pollution des sols.
Elle soutient en outre que la cour doit se placer à la date à laquelle elle statue pour apprécier si l’impossibilité de procéder à une rétrocession en nature au pu générer un préjudice pour la société Marbi, et non à la date à laquelle il a été constaté que le droit à rétrocession ne pouvait s’exercer.
A ce titre elle produit une évaluation, réalisée par les Domaines, de la partie de terrains dont elle est restée propriétaire, et produit également le rapport d’un cabinet d’expertise comptable KPMG illustrant le fait que les objectifs initialement poursuivis par la commune de [Localité 4] n’ont pas pu être réalisés, et établissant qu’en définitive la commune supporte au titre de cette opération un déficit de 4.163.167,00 €.
Elle ajoute qu’il a été constaté une très importante pollution sur le site, non prise en compte par l’expert dans son évaluation, qui nécessitera des travaux de dépollution évalués entre 1,5 million d’Euros HT et 22,7 millions d’Euros selon le type de dépollution envisagé.
Elle en conclut que le prix encaissé par la société Marbi, que cette dernière avait elle-même fixée, est en réalité supérieur à la valeur actuelle des terrains litigieux et qu’en tout état de cause celle-ci ne démontre pas que les terrains auraient une valeur supérieure au prix de vente encaissé en 2015.
Quant aux créances du Crédit Agricole, réglées en partie lors de la procédure de purge des hypothèques, la ville de [Localité 4] observe que payer ses créanciers n’est pas un préjudice et que la société Marbi ne peut donc s’en plaindre.
Par ailleurs, si elle admet avoir perçu la somme de 1.249.642,00 Francs en indemnisation d’un sinistre, elle considère cependant que cette indemnité n’est que la contrepartie de ce sinistre et ne contribue pas à revaloriser un immeuble de sorte que la société Marbi ne peut se prévaloir de cette indemnité au titre de son préjudice.
La commune de [Localité 4] soutient en outre que la société Marbi revendique à tort l’application de l’indice du coût de la construction aux sommes réclamées, alors que la variation de valeur des terrains ne dépend nullement de cet indice mais uniquement des variations du marché, ainsi que l’avait retenu l’expert.
Quant à la somme mise en compte au titre de la destruction alléguée de matériel, la commune réplique qu’il s’agissait de matériel laissé sur place par la société Marbi qui n’en voulait pas, et que la somme réclamée n’est en rien justifiée.
S’agissant de l’allégation selon laquelle le retard dans le paiement serait à l’origine de la caducité du protocole transactionnel conclu avec le Crédit Agricole, la ville de [Localité 4] fait valoir qu’en application de l’article L.211-5 du code de l’urbanisme elle disposait d’un délai de six mois à compter du 1er juillet 1995 pour verser le prix de vente, alors que le protocole prévoyait sa caducité à défaut de paiement au 30 septembre 1995 de sorte qu’il ne peut être reproché à la commune de [Localité 4] de n’avoir pas respecté un délai auquel elle n’était pas tenue. Elle ajoute que le présent litige ne peut concerner que la question de la valorisation du droit de rétrocession et qu’enfin les termes des deux protocoles successifs ne permettent nullement à la société Marbi de prétendre qu’elle aurait subi sur ce point un préjudice.
Quant à la prétendue perte de chance d’exercer une activité, la commune de [Localité 4] observe que la société Marbi avait elle-même décidé de la vente de son site, et ne fait nullement preuve de ce qu’elle aurait été en mesure d’y exercer une activité quelconque.
Enfin la commune de [Localité 4] conteste toute résistance abusive de sa part, comme elle conteste l’existence d’un prétendu préjudice moral dont pourrait se prévaloir la société Marbi. Elle conclut finalement que cette dernière ne justifie d’aucun préjudice.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 10 mars 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
I ‘ Sur la recevabilité des demandes de la SARL MARBI au regard de l’autorité de chose jugé
Aux termes de l’article 1351 ancien du code civil, l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, que la demande soit entre les mêmes parties et formées par elles et contre elles en la même qualité.
Elle n’a lieu qu’à l’égard de ce qui fait l’objet d’un jugement et a été tranché dans son dispositif.
En l’espèce, si l’arrêt de la cour d’appel de Colmar du 29 janvier 1999 a effectivement débouté la SARL Marbi de sa demande en dommages et intérêts pour perte de jouissance des immeubles préemptés et préjudice moral, il n’existe pas d’identité entre les demandes formulées dans cette procédure par la société Marbi et celles actuellement formulées.
La cour d’appel de Colmar avait en effet à statuer sur une demande de rétrocession dont il n’était nullement allégué ni jugé qu’elle ne serait pas possible, et la société Marbi sollicitait à tort des dommages et intérêts pour préjudice de jouissance et préjudice moral, alors que compte tenu de la consignation du prix intervenu la ville de [Localité 4] était en droit de prendre possession des immeubles, et ce jusqu’à une rétrocession effective, ce qui rendait illégitime toute demande au titre d’un préjudice de jouissance antérieure à la date effective de rétrocession.
Telle n’est pas la situation actuelle puisqu’il est acquis que la société Marbi ne pourra pas se voir rétrocéder les immeubles litigieux, et si elle formule une demande de dommages et intérêts au titre d’un préjudice moral, au fondement différent de celui réclamé en 1999, elle ne formule plus de demande de dommages et intérêts au titre d’un préjudice de privation de jouissance.
Quant au dispositif de l’arrêt de la cour d’appel de Metz en date du 19 octobre 2011, s’il dit que la SARL Marbi est recevable et fondée à réclamer des dommages et intérêts à la ville de [Localité 4] suite à l’impossibilité de mettre en ‘uvre la rétrocession dont le droit lui était reconnu, et réserve les droits de la SARL Marbi et de la ville de [Localité 4] à conclure sur les dommages et intérêts, il ne se prononce pas plus avant sur ce point, et en particulier ne déboute nullement la société Marbi d’une autre demande en dommages et intérêts formée sur un autre fondement, pas plus qu’il ne la déclare irrecevable.
La SARL Marbi avait dans cette procédure demandé la réserve de ses droits à conclure sur les dommages et intérêts, sans davantage de précision, et la cour d’appel dans l’arrêt précité n’a ni rejeté ni limité expressément cette demande.
Il n’apparaît donc pas que les actuelles demandes en dommages et intérêts formées par la société Marbi, fondées sur d’autres faits dommageables que la seule impossibilité de procéder à la rétrocession, puissent être déclarées irrecevables sur le fondement de l’autorité de chose jugée.
La demande sur ce point de la commune de [Localité 4] est rejetée et les diverses demandes de la SARL Marbi seront déclarées recevables.
II- Au fond
A ‘ Sur le préjudice matériel allégué par la SARL Marbi
Préjudice matériel résultant de la perte des biens immobiliers
Il est acquis aux débats que la société Marbi était en droit de se prévaloir des dispositions de l’article L.211-5 alinéa 5 du code de l’urbanisme dans sa rédaction applicable jusqu’au 1er mai 2010, pour exercer son droit de rétrocession, et la ville de [Localité 4] avait en conséquence l’obligation de donner suite à sa demande sur ce point, ce qu’elle n’a pas fait, la rétrocession étant devenue par la suite impossible.
La carence fautive de la ville de [Localité 4] dans l’exécution de cette obligation de rétrocession ne fait plus débat, et en application de l’article 1142 ancien du code civil l’impossibilité d’exécuter cette obligation se résout en dommages et intérêts.
Il appartient cependant à la société Marbi de faire la preuve de la réalité du préjudice qu’elle subit, en lien de causalité avec l’impossibilité d’exercer son droit de rétrocession du fait de la résistance de la commune de [Localité 4].
La société Marbi illustre le préjudice dont elle se prévaut en exposant qu’il consiste dans l’impossibilité de recouvrer l’ensemble immobilier en litige.
Cette affirmation générale, et non contestable, ne constitue cependant pas la démonstration concrète d’un préjudice, non plus que la preuve de son montant.
La somme mise en compte par la société Marbi représente la différence entre la valorisation du bien effectuée par l’expert en juin 2000, majorée de moins-values pour des immeubles détruits et d’une indemnité versée à la ville de [Localité 4] à la suite du sinistre ayant détruit un des immeubles, et minorée du montant perçu par la société Marbi lors de la préemption initiale , l’ ensemble converti en euros tenant compte de l’érosion monétaire, et actualisé par application de l’indice des prix à la construction.
Mais le calcul auquel procède la société Marbi ne peut être retenu.
Ainsi que mentionné aussi bien dans l’arrêt de la cour d’appel de Colmar en date du 29 janvier 1999 que dans l’arrêt de la cour d’appel de Metz du 19 octobre 2011, la rétrocession s’analyse comme une nouvelle acquisition des biens ayant fait l’objet de la préemption, et le dispositif de l’arrêt du 29 janvier 1999, ordonnant une mesure d’expertise aux fins d’évaluation du bien, mentionne expressément que la rétrocession des immeubles prendra effet après fixation du prix et sous réserve de son paiement dans le délai légal d’un mois à compter de cette fixation.
L’expertise n’avait donc pas pour but, en procédant à la valorisation actuelle de l’ensemble immobilier, d’évaluer le préjudice subi par la société Marbi, mais d’évaluer le prix que celle-ci aurait à payer pour obtenir la rétrocession du bien litigieux. Le raisonnement suivi par l’expert, en ce qui concerne tant l’attribution à la société Marbi d’une prime d’assurance que la mise en compte de moins-values pour des biens détruits, ne semble pas avoir pris en compte le but précité.
La commune de [Localité 4] fait dès lors valoir à juste titre que la société Marbi si elle avait voulu user de son droit de rétrocession, aurait dû acquitter le prix de cession des immeubles selon leur valeur à la date de la préemption, et ce quoi qu’il en soit de la discussion sur l’importance de ce prix de cession.
La société Marbi ne peut donc considérer que son préjudice, consistant dans la privation des biens immobiliers du fait de l’impossibilité d’une rétrocession, serait égal à la valeur de ces immeubles au jour théorique de la rétrocession, diminuée le cas échéant du montant précédemment perçu par elle à l’occasion de leur vente. Ainsi que précédemment indiqué ces deux opérations sont totalement distinctes.
Le préjudice résultant de l’impossibilité de procéder à la rétrocession ne peut s’apprécier que pour la période postérieure à la rétrocession, en fonction des bénéfices que la société Marbi pouvait en attendre et dont elle a été privée.
Il ne peut donc consister que dans la différence entre le montant qu’aurait dû débourser la société Marbi pour parvenir à la rétrocession des biens, et la valeur acquise par ceux-ci au moment où la cour statue, ce qui implique de démontrer que les biens concernés ont acquis de la valeur postérieurement à la date théorique de la rétrocession, démonstration qui pouvait s’effectuer par référence à la classification actuelle des terrains dans le PLU et aux prix actuels du marché pour ces biens, étant en revanche relevé que la référence à l’évolution de l’indice du coût de la construction, sans rapport avec les biens litigieux, ne peut être retenue.
A cet égard, le fait que la cour dans son précédent arrêt du 19 octobre 2011, ait dit n’y avoir lieu à fixation du prix de rétrocession, ne peut s’entendre que par référence à ce qui était initialement demandé à la cour, à savoir mettre en ‘uvre cette rétrocession en en fixant le prix.
Toutefois, cette disposition ne peut être étendue au-delà de ce qui a été tranché à ce stade, à savoir l’impossibilité de la rétrocession, et ne peut faire obstacle à ce que le calcul du préjudice subi par la société Marbi soit correctement effectué, par référence au prix qu’elle aurait dû acquitter pour parvenir à la rétrocession.
Il convient d’observer que ces modalités de calcul ont été expressément mises aux débats par la commune de [Localité 4] dans ses conclusions, celle-ci ayant ainsi relevé la fausseté du raisonnement présenté par la société Marbi, et fait valoir que cette dernière aurait dû s’acquitter d’un prix actualisé au jour de la rétrocession, la communique indiquant également que la société Marbi ne démontrait pas que les terrains vaudraient à ce jour plus que l’évaluation de l’expert.
La société Marbi ne répond pas sur ce point et ne fait pas la démonstration d’une augmentation de valeur des biens immobiliers entre l’époque théorique de la rétrocession, qui pouvait être fixée au 30 septembre 2001 soit un mois après l’arrêt ultérieurement cassé de la cour d’appel de Colmar, et la date des débats devant la cour.
En revanche il résulte de ses conclusions qu’elle n’entend pas remettre en cause la valorisation effectuée par l’expert en juin 2000, puisqu’elle s’en sert dans ses calculs et fait reproche à la ville de [Localité 4] de « critiquer la seule évaluation objective du bien préempté ».
Or, en l’état des documents produits, il n’est apporté aucune preuve de ce que les biens litigieux auraient acquis de la valeur postérieurement à l’année 2001 lors de laquelle la rétrocession aurait dû avoir lieu.
Ainsi que déjà indiqué, la société Marbi n’est pas fondée à se prévaloir de l’évolution de l’indice du coût de la construction, qui est sans rapport avec le litige, lequel porte sur l’évaluation du prix de vente de terrains nus ou porteur de constructions anciennes ayant vocation à être démolies ou éventuellement réhabilitées.
Au contraire, il apparaît que si en 1997 la ville de [Localité 4] avait décidé, anticipant sur la révision du POS, de créer immédiatement une zone NAc correspondant au futur lotissement situé sur le site de la Cartisane, et correspondant à certains terrains préemptés, ce dont l’expert avait tenu compte dans l’évaluation des terrains dits constructibles, tel n’est plus le cas aujourd’hui : Ainsi l’extrait du PLU produit en pièce 2 par la ville de [Localité 4] fait apparaître une classification des terrains antérieurement prévus pour ce lotissement, en zone 2AU « zone d’extension future pour laquelle une modification du PLU est obligatoire, inconstructible à ce jour ».
Si le document produit ne comporte aucune date certaine, la société Antea Group, dans son rapport, a reproduit en tout ou partie, divers documents sur lesquels elle s’est appuyée et notamment un extrait du PLU de 2018 faisant lui aussi apparaître que les terrains antérieurement classés en zone NAc sont actuellement en zone 2AU.
Plus globalement l’extrait du PLU, sur lequel ont été reportées les limites des parcelles préemptées, fait apparaître qu’aucune n’est plus actuellement en zone constructible habitable, et que seule une partie est en zone UEc « zone d’activité affectée aux activités artisanales, commerciales et de petites industries ». Le même constat peut être fait à la lecture de l’attestation émanant de l’adjoint au maire de la ville de [Localité 4], en date du 07 septembre 2021.
Il apparaît par conséquent que certaines contraintes, principalement la pollution d’une partie du site, ont conduit la commune à modifier le classement de divers terrains, ce qui a nécessairement une incidence sur leur valeur.
Sans qu’il soit nécessaire de se pencher sur les documents que la ville de [Localité 4] produit pour établir que l’opération projetée aurait été pour elle déficitaire, la cour constate, d’une part que la société Marbi n’a pas fait la preuve de ce que les biens immobiliers visés par l’opération de rétrocession auraient pris de la valeur entre la date théorique de rétrocession et la date des débats devant cette cour, et d’autre part que certains des éléments versés aux débats sont au contraire de nature à établir que les terrains litigieux n’ont, ni une valeur supérieure à celle établie par l’expert en juin 2000, ni même à minima une valeur supérieure à leur prix de vente en 1995.
En outre, la société Marbi ne peut intégrer dans le calcul de son préjudice, ni le montant des moins-values correspondant à des démolitions, ni le montant de la prime perçue par la ville de [Localité 4] en suite de l’incendie d’un bâtiment.
Ainsi qu’indiqué précédemment, une rétrocession n’est pas une annulation ou une résolution d’une vente supposant de remettre les parties dans leur état antérieur, mais une nouvelle vente. L’état des immeubles et leur éventuelle disparition doit donc être pris en compte lors de l’évaluation du prix de rétrocession, mais ne constitue pas un préjudice dont le rétrocessionnaire pourrait demander réparation si la rétrocession n’avait pas lieu. L’indemnité d’assurance a été logiquement versée à la ville de [Localité 4], propriétaire, en contrepartie du fait que l’un de ses immeubles était sinistré, et la société Marbi ne peut revendiquer de droit sur cette indemnité.
Il résulte de ce qui précède que la société Marbi ne fait pas la preuve du préjudice matériel qui résulterait pour elle de l’impossibilité d’obtenir rétrocession des biens antérieurement vendus, de sorte qu’elle doit être déboutée de sa demande sur ce point.
Sur le préjudice matériel résultant de la destruction de matériel appartenant à la société Marbi
Il résulte des pièces versées aux débats que M. [P] [X], à l’époque gérant de la SARL Marbi, a effectivement fait réaliser un constat d’huissier en date du 26 mars 1997 sur le site « [Localité 4] 2000 » autrefois exploité par sa société et inclus dans les terrains préemptés par la ville de [Localité 4].
Ce site comportait différents bâtiments et l’état des lieux réalisés par Me [E], huissier, fait apparaître que certains des bâtiments sont dégradés et d’autres détruits ou en voie de l’être.
S’agissant du matériel et des équipements autrefois présents dans les lieux, l’huissier n’a pu que s’en remettre aux indications de M. [X], pour constater que les locaux étaient pour la plupart vides et que du matériel en avait été enlevé : matériel lourd, toutefois non précisé, containers, moteurs, chariots contenant de l’aluminium. L’huissier note également sur place la présence de déchets voire de matériel dégradé (compresseur).
Cependant ce constat, outre qu’il intervient à une période postérieure à la consignation par la ville de [Localité 4] du prix de vente lui ayant permis de prendre possession du site, est largement imprécis quant à l’importance et à la qualité du matériel enlevé et ne renseigne en rien sur sa valeur véritable, alors que celui-ci se trouvait dans des locaux d’usine désaffectés et destinés à la vente, la société [Localité 4] SA ayant cessé toute activité avant la revente des terrains par la société Marbi.
En dehors des affirmations de M. [X] à l’huissier, la société Marbi ne produit aucun autre élément de preuve quant à la réalité d’un enlèvement de matériel appartenant à la société, et ne produit pas davantage d’élément permettant de penser que ce matériel aurait encore eu à la date du constat une quelconque valeur marchande, encore moins à hauteur de 30.490 €.
La SARL Marbi doit donc également sur ce point être déboutée faute de preuve du préjudice qu’elle invoque.
Sur le préjudice matériel résultant de la caducité du protocole d’accord transactionnel conclu avec le Crédit Agricole le 27 février 1995
Il est réclamé sur ce point réparation d’un préjudice sans lien avec l’impossibilité de procéder à la rétrocession des immeubles au profit de la société Marbi. Celle-ci doit donc démontrer l’existence d’une faute de la ville de [Localité 4], en lien de causalité avec le préjudice qu’elle subit.
Il est constant que la société Marbi avait conclu le 27 février 1995 un protocole d’accord avec la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d’Alsace, constatant qu’à cette date la société Marbi était redevable envers le Crédit agricole d’une somme de 23.855.856,89 Francs, et prévoyant, outre le versement immédiat d’une somme de 2.000.000 Francs, que la SARL Marbi s’engageait, à verser au Crédit agricole, au plus tard pour le 30 septembre 1995 une somme de 12.350.000,00 Francs, par le biais de la vente de ses actifs immobiliers ou autrement, somme augmentée des intérêts au taux de 9,70 % à compter du 1er mars 1995. Il était prévu que le paiement de la somme principale et des intérêts à bonne date entraînerait de plein droit l’extinction du solde de la dette et de tous droits et actions du Crédit agricole, sauf retour à meilleure fortune.
Dans un courrier du 30 mars 1995 M. [X], représentant la SARL Marbi informait la ville de [Localité 4] de son intention de vendre les biens immobiliers en exposant que les motifs de cette vente étaient liés à des engagements pris auprès du crédit agricole ne lui laissant « qu’un délai très court ».
Par courrier du 1er juillet 1995 le maire de [Localité 4] informait le notaire de M. [X] de son intention de préempter au prix de 13.506.156,08 Francs.
Il résulte des courriers échangés que la ville de [Localité 4] a manifestement contesté rapidement le prix de vente, puisqu’une assignation à jour fixe lui était délivrée le 9 octobre 1995, et que le 13 novembre 1995 le conseil de M. [X] indiquait à la ville de [Localité 4] que son refus de signer l’acte notarié avait provoqué pour son client un préjudice de l’ordre de 9.000.000 F pour lequel il entendait réserver ses droits.
Il convient cependant d’observer que l’article L.211-5 du code de l’urbanisme dans sa rédaction applicable en 1995, prévoyait en son alinéa 3 que en cas d’acquisition le titulaire du droit de préemption devra régler le prix au plus tard six mois après sa décision d’acquérir le bien au prix demandé ou six mois après la décision de la juridiction, étant toutefois rappelé que malgré ses contestations la ville de [Localité 4] n’a pas suivi la procédure requise, consistant à saisir la juridiction compétente en matière d’expropriation.
La ville de [Localité 4] n’a à répondre du préjudice subi par la SA Marbi, que si une faute est démontrée à son encontre.
Or s’il peut effectivement lui être reproché d’avoir refusé de payer sans saisir la juridiction compétente pour faire arbitrer le prix, ce qui a obligé la SARL Marbi à l’assigner à jour fixe devant le tribunal de grande instance de Mulhouse, il n’en demeure pas moins que rien ne pouvait obliger la commune à payer ce prix avant le 1er janvier 1996, alors que le protocole conclu avec le crédit agricole devenait caduc à défaut de paiement au 30 septembre 1995.
Seule l’attitude de la ville de [Localité 4] postérieurement au 1er janvier 1996 pourrait être considérée comme fautive, mais il est constant que le préjudice dont se prévaut la SARL Marbi s’était déjà réalisé à cette date.
Par ailleurs, les courriers produits ne font preuve, ni de ce que la ville de [Localité 4] aurait eu connaissance de la date à laquelle le protocole précité deviendrait caduc, ni de ce qu’elle aurait pris de façon officielle, et contraire au texte de l’article L.211-5 précité, l’engagement de payer avant le 30 septembre 1995, et pas davantage qu’elle aurait délibérément utilisé cette situation pour contraindre la société Marbi à baisser son prix ainsi que l’indique cette dernière.
Les éléments versés aux débats sont donc insuffisants pour établir une attitude délibérément fautive de la part de la ville de [Localité 4], non plus qu’un lien de causalité avec la caducité du protocole conclu avec le crédit agricole et le préjudice financier en découlant pour la société Marbi.
Par ailleurs la société Marbi indique sans aucune preuve avoir été dans l’obligation de vendre d’autres biens immobilier pour payer sa dette, étant observé qu’en tout état de cause le fait d’éteindre une dette en vendant un bien pour ce faire ne constitue pas en soi un préjudice.
Sur le préjudice matériel résultant de la perte de chance d’exercer une activité professionnelle normale
La cour observe que cette demande, ainsi désignée dans les conclusions de la société Marbi, correspond dans son dispositif à une demande pour « préjudice commercial et économique ».
La raison alléguée par la société Marbi pour faire état d’une paralysie de son activité professionnelle, est l’attitude considérée globalement comme fautive de la ville de [Localité 4] et ce depuis 1995. Le préjudice allégué n’est donc pas uniquement, la conséquence de l’impossibilité d’obtenir la rétrocession des biens préemptés, et implique de la part de la société Marbi la preuve d’une attitude fautive de la part de la ville de [Localité 4] et la preuve du préjudice qu’elle invoque en lien de causalité avec la faute alléguée.
Il résulte du jugement rendu le 16 février 1996 par le tribunal de grande instance de Mulhouse, que le tribunal n’a pas fait droit à l’argumentation de la ville de [Localité 4] qui critiquait le prix de vente réclamé par la société Marbi, et a condamné la commune à verser la somme prévue.
La ville de [Localité 4] ne s’est exécutée qu’en octobre 1996, mais les raisons de ce retard ne sont en l’état nullement éclaircies, chacun mettant la responsabilité à la charge de l’autre.
Il n’est versé aux débats aucun document contemporain de cette époque permettant d’éclairer la cour, sur les raisons pour lesquelles il n’a pas été possible que le prix de vente soit versé en temps voulu entre les mains du notaire de la société Marbi. L’arrêt de la cour d’appel de Colmar du 28 novembre 1997 mentionne ainsi que la ville de [Localité 4] aurait « sollicité en vain » le notaire de la société Marbi.
Il apparaît que la société Marbi s’est bien ensuite opposée à la mise en ‘uvre d’une procédure de purge, pour des raisons ici non explicitées, et que des procédures ont en conséquence opposé les parties pendant plusieurs années, jusqu’en cassation. Bien que certaines décisions de justices ne semblent pas produites, il apparaît que cette procédure a finalement été validée, puisqu’un état de collocation a été clôturé le 7 octobre 2002.
En revanche, il est constant, bien que les actes extra-judiciaires correspondants ne soient pas versés aux débats, que la société Marbi a fait savoir à la ville de [Localité 4] à compter de septembre 1997 qu’elle entendait faire jouer son droit de rétrocession, et sur le principe il a été jugé que la société Marbi était bien fondée à le faire. Compte tenu de l’opposition manifestée par la commune, mais également de l’initiative prise par la société Marbi de céder son droit à rétrocession ce qui a encore complexifié la situation, la procédure entre les parties a finalement duré jusqu’à la date de la présente décision.
Il résulte donc des observations qui précèdent, que la longueur de cette procédure n’est pas imputable uniquement aux refus ou initiatives de la ville de [Localité 4], et que les éléments produits sont insuffisants pour caractériser une attitude fautive.
Par ailleurs il aurait appartenu à la société Marbi d’apporter la preuve de la nature et de l’importance de son activité, ainsi que de sa santé financière avant 1997, date à laquelle elle s’est heurtée au refus de la ville de [Localité 4] d’accepter la rétrocession des biens, afin qu’il soit plausible de considérer qu’elle aurait réellement, du fait des nombreuses procédures opposant les parties, perdu une chance d’exercer normalement son activité de marchand de bien.
Or il n’est versé aux débats aucun élément faisant preuve de ce qu’était l’activité de la société Marbi au cours des années ayant précédé le conflit qui l’a opposée à la ville de [Localité 4]. Rien ne permet en l’état de considérer que cette société avait une réelle activité de marchande de biens, alors au contraire que la vente du site de [Localité 4] apparaissait être le but poursuivi par cette société, et également une conséquence de la fin de l’activité industrielle de la société [Localité 4] SA antérieurement implantée sur ce site et faisant partie du même groupe de sociétés.
En l’absence d’élément probant relatif à l’activité de la société, à la réalité de sa santé financière, il n’est nullement établi que les procédures qui l’ont opposée à la ville de [Localité 4] lui aient fait perdre une chance d’exercer une activité professionnelle quelconque et la société Marbi sera déboutée de sa demande sur ce point.
Sur le préjudice matériel résultant de la résistance abusive de la commune de [Localité 4]
La société [Localité 4] met en compte les divers honoraires qu’elle a versés à ses conseils, ou à des huissiers, en considérant que seule la résistance abusive de la ville de [Localité 4] l’a conduite à exposer de tels frais.
Ainsi que précédemment observé par la cour, les responsabilités dans le nombre et la longueur des procédures ayant opposé les parties ne peuvent être imputées exclusivement à la commune de [Localité 4] et il n’est pas possible en l’état de départager les parties.
Compte tenu du nombre et de la complexité manifeste des procédures ayant opposé les parties, il ne peut être considéré que l’une ou l’autre, en s’opposant à une demande ou en usant des voies de recours qui lui étaient offertes, aurait fait preuve d’une résistance abusive, ce qui vaut donc aussi bien pour la ville de [Localité 4] que pour la société Marbi.
Il est constant au vu des justificatifs produits, que la société Marbi a dépensé des sommes considérables au titre des différentes procédures suivies, et notamment à raison des procédures devant la cour de cassation qui ont finalement permis au litige d’aller jusqu’à son terme.
Cependant et compte tenu des constatations qui précèdent, elle n’est pas fondée à réclamer remboursement de toute ou partie de ces sommes sur le seul fondement de la prétendue résistance abusive de la ville de [Localité 4], et sa demande sur ce point ne pourra donc être accueillie.
B- Sur la demande au titre du préjudice moral
Ainsi que précédemment constaté, la présente décision intervient alors que la société Marbi a intenté en 1997, soit il y a 25 ans, une action tendant à voir reconnu et mis en ‘uvre son droit de rétrocession, qui lui a été refusé à tort par la ville de [Localité 4].
Alors que ce droit existait et lui a finalement été reconnu, il est devenu impossible à mettre en ‘uvre à raison de la longueur de la procédure, de la vente de certains terrains, des aménagements pratiqués. La situation au jour où la cour statue est donc totalement différente de celle soumise à la cour d’appel de Colmar lorsque celle-ci a eu à statuer en janvier 1999.
Indépendamment d’un préjudice matériel dont la preuve n’est pas rapportée, il ne peut être contesté que l’impossibilité pour la société Marbi, après de nombreuses années de procédure, de mettre en ‘uvre un droit légitime, qui lui a été reconnu le 29 janvier 1999 soit il y a 24 ans, génère un important préjudice moral dès lors que la reconnaissance de son droit ne peut plus déboucher sur aucune réalisation concrète.
Cette situation, imputable au refus de la ville de [Localité 4] justifie l’allocation d’une somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts.
C- Sur le surplus des demandes
L’arrêt de la cour d’appel de Colmar du 29 janvier 1999 a infirmé dans son ensemble le jugement rendu le 25 mars 1998 par le tribunal de grande instance de Mulhouse.
La demande formée par la société Marbi devant ce tribunal était fondée de sorte qu’il convient de condamner la ville de [Localité 4] aux dépens de première instance.
Devant la présente cour, il n’est formé aucune demande spécifique concernant les frais irrépétibles exposés devant le tribunal de grande instance de Mulhouse.
Le droit de la société Marbi lui ayant été en son temps reconnu, de sorte que dans son principe sa demande était à l’origine fondée, il convient d’en tenir compte dans la répartition des dépens d’appel.
Cependant, et compte tenu également du fait qu’il n’est pas fait droit à la majeure partie des demandes en dommages et intérêts finalement formées et portant sur des montants particulièrement importants et non fondés, et eu égard aux modalités de calcul des dépens dans les départements d’Alsace Moselle, il convient de prévoir que la société Marbi supportera les trois quarts des dépens et que la ville de [Localité 4] en gardera un quart à sa charge, ce y compris les frais de l’expertise ordonnée par la cour d’appel de Colmar.
Pour les raisons qui précèdent, il est équitable d’allouer à la société [Localité 4], en remboursement des frais irrépétibles exposés à l’occasion de la présente instance une indemnité de 20.000 €.
PAR CES MOTIFS
Vu l’arrêt de la cour d’appel de Metz en date du 19 octobre 2011 ayant notamment :
Constaté que la SARL Marbi reste titulaire du droit de rétrocession qui lui a été reconnu par l’arrêt de la Cour d’Appel de Colmar en date du 29 janvier 1999, et qu’elle n’a pas renoncé à l°exercice de son droit à rétrocession ;
Constaté que la rétrocession au bénéfice de la SARL Marbi est désormais impossible à mettre en ‘uvre sur les biens immobiliers préemptés le 1°’ juillet 1995 par la ville de [Localité 4], et dit en conséquence n’y avoir lieu à fixation du prix de rétrocession ;
Ordonné la radiation de la prénotation inscrite par le tribunal d’instance de Thann, bureau foncier de [Localité 4], en date du 22 décembre 2008 ;
Dit que la SARL Marbi est recevable et fondée à réclamer des dommages-et-intérêts à la ville de [Localité 4] suite à l’impossibilité de mettre en ‘uvre la rétrocession dont le droit lui était reconnu, et réservé les droits de la SARL Marbi et de la ville de [Localité 4] à conclure sur les dommages-et-intérêts ;
Vu l’arrêt de la cour de cassation en date du 17 avril 2013 ayant rejeté les pourvois contre cet arrêt,
Déclare recevables les demandes de la société Marbi,
Au fond,
Déboute la SARL Marbi de sa demande en dommages et intérêts au titre du préjudice matériel résultant de la perte du bien immobilier préemptées,
Déboute la SARL Marbi de sa demande en dommages et intérêts au titre du préjudice matériel résultant de la destruction de son matériel,
Déboute la SARL Marbi de sa demande en dommages et intérêts au titre du préjudice résultant de la caducité du protocole d’accord transactionnel conclu avec la caisse régionale de crédit agricole mutuel en date du 27 février 1995,
Déboute la SARL Marbi de sa demande en dommages et intérêts pour préjudice commercial et économique (perte de chance alléguée dans ses conclusions),
Déboute la SARL Marbi de sa demande en dommages et intérêts au titre de la résistance abusive de la ville de [Localité 4],
Condamne la commune de [Localité 4] à verser à la SARL Marbi une somme de 20.000 € au titre de son préjudice moral,
Condamne la commune de [Localité 4] aux entiers dépens de la procédure de première instance,
Condamne la SARL Marbi à payer les trois quarts des dépens d’appel comprenant le coût de l’expertise judiciaire ordonnée par arrêt de la cour d’appel de Colmar du 29 janvier 1999 et condamne la commune de [Localité 4] à en supporter un quart,
Condamne la commune de [Localité 4] à verser à la SARL Marbi une somme de 20.000 € au titre des frais irrépétibles exposés à l’occasion de la présente instance.
La Greffière La Présidente de chambre