Marchand de Biens : décision du 7 février 2023 Cour d’appel de Chambéry RG n° 20/01534

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Marchand de Biens : décision du 7 février 2023 Cour d’appel de Chambéry RG n° 20/01534
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COUR D’APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile – Première section

Arrêt du Mardi 07 Février 2023

N° RG 20/01534 – N° Portalis DBVY-V-B7E-GSNI

Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d’ALBERTVILLE en date du 20 Novembre 2020

Appelant

M. [B], [V], [N] [Y]

né le 16 Septembre 1953 à [Localité 13], demeurant [Adresse 4] – [Localité 8] / FRANCE

Représenté par la SCP ARMAND – CHAT ET ASSOCIES, avocats au barreau de CHAMBERY

Intimées

S.A.R.L. AGENCE DES ALPES A.N, dont le siège social est situé [Adresse 15] – [Localité 7]

S.A.R.L. IMMOBILIERE GENERALE, dont le siège social est situé [Adresse 10] – [Localité 6]

Représentées par la SELARL SELARL VIARD-HERISSON GARIN, avocats au barreau de CHAMBERY

S.A.S. FISCALITE AUDIT INTERNATIONAL, dont le siège social est situé [Adresse 2] – [Localité 5]

Représentée par la SCP MILLIAND DUMOLARD THILL, avocats postulants au barreau d’ALBERTVILLE

Représentée par la SELARL ABEILLE & ASSOCIES, avocats plaidants au barreau de MARSEILLE

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Date de l’ordonnance de clôture : 24 Octobre 2022

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 29 novembre 2022

Date de mise à disposition : 07 février 2023

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Composition de la cour :

Audience publique des débats, tenue en rapporteur, sans opposition des avocats, par Mme Hélène PIRAT, Présidente de Chambre, qui a entendu les plaidoiries, avec l’assistance de Sylvie LAVAL, Greffier,

Et lors du délibéré, par :

– Mme Hélène PIRAT, Présidente,

– Mme Inès REAL DEL SARTE, Conseiller,

– Mme Claire STEYER, Vice-présidente placée,

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Faits et Procédure

Suivant acte authentique en date du 14 décembre 1994, Mme [E] [Y] aux droits de laquelle se trouve désormais M. [B] [Y], donnait à bail pour une durée de 9 ans à la société Agence des Alpes, désormais dénommée Immobilière Générale, des locaux commerciaux sis [Adresse 1] à [Localité 7] (73) pour l’exercice d’une activité d’agence immobilière.

Ce bail était renouvelé pour une durée de 9 années à compter du 15 novembre 2007, pour se terminer le 14 novembre 2016.

Suivant exploit d’huissier en date du 14 janvier 2016, M. [B] [Y], désormais bailleur, suite à une donation de sa mère, donnait congé à la société Immobilière Générale pour le 14 novembre 2016, date d’échéance du bail, avec refus de renouvellement du bail sans offre d’indemnité d’éviction avec dénégation du statut des baux commerciaux, en l’absence d’immatriculation de la société Immobilière Générale au registre du commerce et des sociétés pour les locaux donnés à bail.

Suivant exploit d’huissier du 20 juillet 2016, la société Agence des Alpes A.N faisait délivrer à M. [B] [Y] une demande de renouvellement du bail. Un exploit d’huissier en date du 21 septembre 2016, suite à la nullité d’un précédent exploit en date du 17 juin 2016, signifiait au bailleur un projet d’acte de cession de fonds de commerce entre les deux sociétés la société Immobilière Générale et la société Agence des Alpes A.N. M. [B] [Y] rappelait l’existence de son refus de renouvellement et sa demande de voir la société Agence des Alpes A.N quitter les lieux au 14 novembre 2016. Un acte notarié reprenant la cession du fonds de commerce intervenue entre les sociétés Immobilière Générale et Agence des Alpes A. N par acte sous seing privé en date du 8 janvier 2015, était établi le 30 septembre 2016 et sa copie exécutoire adressée par huissier au bailleur le 25 octobre 2016.

Par jugement en date du 20 novembre 2020, le tribunal judiciaire d’Albertville, avec le bénéfice de l’exécution provisoire :

disait que la cession de bail opérée entre la société Immobilière Générale et la société Agence des Alpes A. N était inopposable à M. [B] [Y] ;

disait que le congé délivré par M. [B] [Y] à la société Immobilière Générale le 14 janvier 2016 était valable ;

disait que le bail avait pris fin le 14 novembre 2016 par l’effet de ce congé ;

disait que la société Agence des Alpes A. N était occupante sans droit ni titre du local appartenant à M. [Y] depuis le 15 novembre 2016 ;

disait que M. [Y] sera tenu de payer à la société Agence des Alpes A. N une indemnité d’éviction ;

déboutait en l’état M. [Y] de sa demande de remise des clefs ;

disait qu’en cas de maintien des lieux, la société Agence des Alpes A.N sera tenue de payer à M. [Y] une indemnité d’occupation à compter du 15 novembre 2016 ;

condamnait la société Agence des Alpes A.N à payer une indemnité provisionnelle mensuelle de 1 500 euros sur le montant de l’indemnité d’occupation, tant qu’elle se maintenait dans les lieux ;

ordonnait une expertise en vue de la fixation de l’indemnité d’éviction et de l’indemnité d’occupation et commettait Mme [L], experte inscrite sur la liste de la cour d’appel de Chambéry avec consignation de 1 500 euros à la charge de la société Agence des Alpes A.N ;

condamnait la société Agence des Alpes A.N et la société Immobilière Générale à payer à la société Fiscalité Audit International la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

sursoyait à statuer sur le surplus des demandes ;

réservait les dépens.

Le tribunal fondait sa décision notamment sur les motifs suivants :

– l’immatriculation du locataire était une condition indispensable pour l’application du statut des baux commerciaux et sa non-observation pouvait être alléguée par le bailleur pour justifier le non-renouvellement du bail sans indemnité d’éviction et les conditions d’immatriculation s’appréciant à la date du congé, aucune régularisation ultérieure ou tardive n’était possible ;

– à la date du congé, le locataire était pour le bailleur, qui n’avait pas accepté même tacitement la cession, toujours la société Immobilière Générale, laquelle n’était pas immatricultée au RCS, alors que le local loué ne pouvait être considéré comme accessoire ;

– le manquement reproché au preneur, consistant à ne pas avoir procéder à la cession litigieuse par acte authentique, mais par simple acte sous seing privé, ne présentait pas un caractère de gravité suffisante pour entraîner la perte du bail sans indemnité d’éviction, d’autant que le bailleur était de mauvaise foi, ayant eu connaissance de la cession.

Par déclaration au Greffe en date du 16 décembre 2020, M. [B] [Y] interjetait appel de cette décision en ses dispositions concernant l’obligation de régler une indemnité d’éviction et l’instauration d’une expertise pour la déterminer.

Prétentions des parties

Par dernières écritures en date du 14 septembre 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [B] [Y] sollicitait la confirmation partielle du jugement entrepris en qu’il avait :

– jugé que la cession du bail commercial opérée entre la société Agence des Alpes A. N et la société Immobilière Générale lui était inopposable ;

– jugé qu’il avait valablement dénié le statut des baux commerciaux à la société Immobilière Générale, dans la mesure où cette dernière n’était pas immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés à la date du congé ;

– jugé que le bail avait pris fin le 14 novembre 2016 par l’effet du congé avec refus de renouvellement et refus d’indemnité d’éviction délivré par lui à la société Immobilière Générale,

et sollicitant l’infirmation pour le surplus, demandait à la cour de :

– débouter la société Agence des Alpes A.N, la société Immobilière Générale et la société Fiscalité Audit International de l’intégralité de leurs demandes, appels, incidents, fins et prétentions ;

– ordonner l’expulsion de la société Immobilière Générale et de la société Agence des Alpes A.N des locaux ;

– condamner solidairement la société Immobilière Générale et la société Agence des Alpes A.N et à lui remettre la clef desdits locaux, et ce, dans la huitaine de la signification de l’arrêt à intervenir sous peine d’une astreinte de 1 500 euros par jour de retard ;

– condamner solidairement la société Immobilière Générale et la société Agence des Alpes A.N à lui payer :

– une somme mensuelle de 1 612 euros à titre d’indemnité d’occupation à compter du 15 novembre 2016, outre intérêts au taux légal à compter du 15 de chaque mois sur le montant de ladite indemnité,

– une somme de 8 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner solidairement la société Immobilière Générale et la société Agence des Alpes A.N à lui payer une indemnité provisionnelle mensuelle de 1 500 euros à titre d’indemnité d’occupation à compter à tout le moins du 15 novembre 2016, outre intérêts au taux légal à compter du 15 de chaque mois sur le montant de ladite indemnité ;

– condamner solidairement la société Immobilière Générale et la société Agence des Alpes A.N ou qui il appartiendra à lui verser la somme de 8 000 euros au titre de l’indemnité procédurale ; ‘ condamner solidairement la société Immobilière Générale et la société Agence des Alpes aux entiers dépens dans lesquels seront compris le coût du congé en date du 14 janvier 2016, le coût de l’acte signifié le 16 octobre 2016 à la société Agence des Alpes A.N et le coût de la sommation de quitter les lieux en date du 21 décembre 2016 et ce, avec distraction au profit de Me François-Xavier Chapuis, avocat, en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, M. [B] [Y] faisait notamment valoir que :

‘ la société Agence des Alpes An n’était pas fondée à lui demander un renouvellement du bail commercial, dans la mesure où la cession de bail commercial intervenue entre elle et la société Immobilière Générale ne lui était pas opposable (absence d’acte authentique) et, qu’en tout état de cause, une dénégation du statut des baux commerciaux avait été préalablement opérée, avant toute signification de l’acte de cession et en l’absence de reconnaissance tacite ;

‘ en l’absence de possibilité de régularisation de l’acte de cession, la société Agence des Alpes A.N était occupante sans droit ni titre de son local depuis le 1er juillet 2014 ;

‘ en qualité d’occupant sans droit ni titre des locaux, sa présence lui étant inopposable, la société Agence des Alpes A.N ne pouvait prétendre ni au renouvellement du bail ni au paiement d’une indemnité d’éviction ;

Subsidiairement,

‘ la société Agence des Alpes A.N avait commis des fautes durant la période de maintien dans les lieux lui faisant perdre le droit au paiement d’une indemnité d’éviction, en ne réglant pas les indemnités d’occupation.

Par dernières écritures en date du 14 juin 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Agence des Alpes A.N et la société Immobilière Générale sollicitaient l’infirmation de la décision dans toutes ses dispositions et statuant à nouveau,

– dire que le bail s’était renouvelé à compter du 15 novembre 2016 au profit de la société Agence des Alpes A.N,

– fixer le montant du loyer du bail renouvelé à son montant actuel soit 13.817,41 euros TTC ;

– à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le jugement déféré serait confirmé, et pour le cas où il serait jugé qu’un congé régulier lui avait été donné, ou que le refus de renouvellement était régulier, condamner M. [B] [Y] à lui payer une indemnité d’éviction ;

– préalablement, et avant dire droit, confirmer le jugement déféré et ordonner une expertise, l’expert ayant pour mission de donner au tribunal les éléments lui permettant d’apprécier le montant de cette indemnité ;

– dire que l’expert judiciaire aura pour mission notamment d’évaluer son préjudice et celui de la société Immobilière Générale consistant en la perte de leur fonds de commerce ;

– dire que l’expert judiciaire aura également pour mission de déterminer, le cas échéant, le montant de l’indemnité d’occupation éventuellement due par elle ;

– dans l’hypothèse où il serait fait droit aux prétentions de M. [B] [Y], réformer le jugement déféré et dire que la société Fiscalité Audit International devra réparer l’intégralité du préjudice subi par elle et la société Immobilière Générale ;

– dire que la société Fiscalité Audit International sera condamnée à indemniser la société Agence des Alpes A.N de l’ensemble de ses postes de préjudices, et à tout le moins et a minima condamner la société Fiscalité Audit International à lui payer la somme de 225 026 euros en réparation de son préjudice, correspondant à la perte de son fonds de commerce ;

– dire que la société Fiscalité Audit International devra être condamnée à la relever et garantir ainsi que la société Immobilière Générale de toutes les condamnations éventuellement prononcées contre elles au profit de M. [B] [Y] ;

– en tout état de cause, débouter M. [B] [Y] de l’intégralité de ses prétentions formées en cause d’appel ;

– condamner M. [B] [Y] ou la société Fiscalité Audit International, ou qui mieux d’entre eux deux le devra, à verser la somme de 4 000 euros à elle et à la société Immobilière Générale, au titre des frais irrépétibles exposés en première instance non compris dans les dépens, et au visa des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, la même somme à chacune en appel,

– condamner M. [B] [Y] ou la société Fiscalité Audit International, ou qui mieux d’entre eux deux le devra au paiement des entiers dépens.

Au soutien de leurs prétentions, la société Agence des Alpes A.N et la société Immobilière Générale faisaient valoir notamment que :

‘ le congé délivré à la demande de M. [B] [Y] à la société Immobilière Générale le 14 janvier 2016 était nul et de nul effet, le motif invoqué n’étant pas fondé ni justifié ;

‘ ce congé ne saurait produire aucun effet dès lors que M. [B] [Y] avait tacitement accepté la cession après avoir eu connaissance de la cession du fonds de commerce et donc de la cession du droit au bail, en continuant à encaisser les loyers sans soulever la moindre contestation, et s’étant comporté à son égard comme si cette dernière était son locataire ;

‘ le bail du 14 décembre 1994, renouvelé à compter du 15 novembre 2007, dont était titulaire la la société Agence des Alpes devenue la société Immobilière Générale, avait été cédé à la société Agence des Alpes A.N à l’occasion de la cession du fonds de commerce de la société Agence des Alpes par acte du 8 janvier 2015, cession régularisée “constatée par acte notarié, en présence du bailleur ou lui dûment appelé” le 30 septembre 2016  

‘ le congé délivré par M. [B] [Y] était nul en raison de la mauvaise foi de ce dernier, notamment parce qu’il avait été convoqué en décembre 2014 pour la signature de l’acte de cession du fonds de commerce dont il avait reçu copie du projet ;

‘ elle avait demandé le renouvellement de son bail à compter du 15 novembre 2016 par acte du 20 juillet 2016 et le refus de renouvellement par acte du 7 octobre 2016 était nul puisqu’il ne comportait pas les mentions prescrites par l’article L 145-10 du code de commerce et qu’il n’étaitpas motivé ;

‘ l’acte de cession sous seing privé en date du 8 janvier 2015 avait été rédigé par la société Fiscalite Audit International qui devait donc garantir l’efficacité de son acte et répondre d’une obligation de conseil. Elle aurait dû informer sa cliente de la forme nécessaire de l’acte pour être opposable au bailleur.

Par dernières écritures en date du 11 juin 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Fiscalité Audit International sollicitait de la cour de confirmer le jugement entrepris qui l’avait mis hors de cause et qui avait condamné la société Immobilière Générale et la société Agence des Alpes A.N à lui payer une indemnité procédurale et de :

– prononcer sa mise hors de cause du fait de l’absence d’effet dévolutif à son égard ;

– débouter M. [B] [Y] de l’intégralité de ses demandes ;

A titre subsidiaire,

– confirmer le jugement entrepris en conséquence de sa mise hors de cause,

A titre infiniment subsidiaire,

– écarter sa responsabilité ;

– confirmer le jugement entrepris ;

– condamner toute partie succombante au paiement d’une indemnité procédurale de 5 000 euros, ainsi qu°aux entiers dépens de l’instance.

Au soutien de ses prétentions, la société Fiscalité Audit International faisait valoir notamment que :

‘ M. [B] [Y] n’avait pas critiqué le jugement sur un des chefs la concernant ;

‘ la cession intervenue en violation de la clause prescrivant un acte authentique était une irrégularité mineure et devait être déclarée opposable au bailleur à qui elle avait été notifiée ;

‘ le bailleur avait renoncé à se prévaloir de l’irrégularité de la cession ;

‘ il appartenait à la société Agence des Alpes A.N de se retourner contre son cédant au titre de la clause de garantie et la société Immobilière Générale n’avait subi aucun préjudice puisqu’elle avait perçu le prix de cession.

Une ordonnance en date du 24 octobre 2022 clôturait l’instruction de la procédure et l’affaire était appelée à l’audience du 29 novembre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l’audience ainsi qu’à la décision entreprise.

MOTIFS ET DÉCISION

La société Agence des Alpes, devenue ultérieurement la société Immobilière Générale, a cédé son fond de commerce comprenant son droit au bail sur le local loué à M. [B] [Y] par acte sous seing privé en date du 8 janvier 2015 établi par la société Fiscalité Audit International à la société Agence des Alpes A.N, en l’absence du bailleur, dûment appelé. Elle a ultérieurement donné force authentique à cette cession par acte notarié en date du 30 septembre 2016, pour la rédaction duquel M. [B] [Y] a été dûment appelé, mais entre temps, soit le 14 janvier 2016, le bailleur a fait délivrer à sa preneuse un congé sans offre de renouvellement et sans indemnité d’éviction à compter du 14 novembre 2016 en raison de la dénégation du droit au statut des baux commerciaux.

La société Agence des Alpes A. N estime que la cession de son fonds de commerce était opposable à son bailleur, malgré les termes du contrat de bail qui visaient l’établissement d’un acte authentique, dès lors qu’elle avait pu régulariser et dès lors, le congé du bailleur en date du 14 janvier 2016 était nul. A défaut, elle demandait la garantie de la société Fiscalité Audit International, qui la déniait. M. [B] [Y] avait la position inverse de la société Agence des Alpes A.N.

I – Sur l’opposabilité de la cession du fonds de commerce au bailleur

Sur l’absence du respect des formes prévues par le bail pour la cession du fonds de commerce

L’article L145-16 du code de commerce prévoit que ‘Sont également réputées non écrites, quelle qu’en soit la forme, les conventions tendant à interdire au locataire de céder son bail ou les droits qu’il tient du présent chapitre à l’acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise ou au bénéficiaire du transfert universel de son patrimoine professionnel’.

Par ailleurs, l’article 1690 du code civil énonce que ‘Le cessionnaire n’est saisi à l’égard des tiers que par la signification du transport faite au débiteur.

Néanmoins, le cessionnaire peut être également saisi par l’acceptation du transport faite par le débiteur dans un acte authentique’.

Le contrat de bail signé en date du 14 décembre 1994, non modifié ultérieurement, liant M. [B] [Y] et la société Agence des Alpes devenue la société Immobilière Générale, contient les dispositions suivantes s’agissant de la cession de bail et de la cession du fonds de commerce :

‘Cession – Sous-locations – Locations-gérance :

– Cession : :

le preneur ne pourra céder son droit au présent bail qu’à l’acquéreur de son fonds de commerce dans le cadre de la cession portant sur l’intégralité des activités commerciales exercées dans les lieux loués.

– Conditions de validité des cessions :

Pour être valable, toute cession devra être constatée par acte notarié, en présence du bailleur ou lui dûment appelé………une copie exécutoire de l’acte de cession sera délivrée au bailleur, sans frais à sa charge, pour lui servir de titre exécutoire direct’.

Ainsi, si l’accord de M. [B] [Y] n’était pas requis en cas de cession du fonds de commerce, ce qui était conforme d’ailleurs avec les dispositions de l’article L145-16 susvisé, la cession devait s’effectuer par acte authentique en sa présence ou lui dûment appelé et une copie exécutoire de l’acte de cession devait lui être délivrée (voir notamment cass civ 17 juin 2014 pourvoi n°13-15.119 ; cass civ 3ème 5 mai 1975 pourvoi N°73-14.130)

En l’espèce, la société Agence des Alpes, avant de devenir la société Immobilière Générale, le 11 mai 2015 (date de la publication au RCS), a cédé son fonds de commerce comprenant plusieurs baux commerciaux à la société Agence des Alpes A. N dès le 1er juillet 2014, mais n’a signé l’acte sous seing privé de vente que le 8 janvier 2015. M. [B] [Y] avait été prévenu de cette vente envisagée par courrier recommandé en date du 4 décembre 2014, mais n’était pas présent le 8 janvier 2015 au cabinet de la société Fiscalité Audit International.

Sur la renonciation tacite au respect des formes prévues par le bail pour la cession du fonds de commerce

Cette cession non conforme à l’acte de bail n’était pas opposable à M. [B] [Y], bailleur, sauf à démontrer une renonciation tacite, sans équivoque de sa part (cass plén, 14 février 1975 pourvoi n°73.10912)

S’il n’est pas contestable que M. [B] [Y] a encaissé les loyers de la part de la société Agence des Alpes A.N après cette cession, sans toutefois que des quittances au nom du locataire aient été émises (en tout état de cause, aucune des parties n’évoque l’existence de quittances et le paiement était effectué par virement bancaire), il résulte des faits une confusion possible entre les deux agences successives, d’autant que les deux agences ne se sont pas succédeées en janvier 2015 mais en réalité en juillet 2014 sans que le bailleur n’ait été prévenu, de sorte qu’il a pu ne pas s’apercevoir du changement de payeur. En effet, le locataire, au moment de la cession, se nommait la société Agence des Alpes et le locataire après la cession s’appelait la société Agence des Alpes A.N. L’enseigne commercial est restée la même : agence des Alpes. Contrairement à ce que soutient la société Agence des Alpes A. N, son gérant M. [Z] avait déjà officié pour le compte de la société Agence des Alpes, comme cela résulte d’un courrier de Me [K] en date du 31 janvier 2008, rédigé à l’occasion d’un précédent litige avec Mme [Y] sur le montant du loyer, dans lequel son rédacteur écrivait : ‘j’ai assisté comme convenu à l’audience de la commission départementale des baux commerciaux et vous y ai représentée. Votre locataire était présent en la personne de M. [Z], assisté de Me Aguettaz, avocat à Albertville. Il en était de même d’un compte rendu de réunion en date du 10 février 2010 organisé par l’expert en affaires immobilières M. [V] [R], lequel écrivait qu’étaient présents à cette réunion : ‘ M. [Y] [B] représentant Mme [Y] et Mme [W] [I] et M. [Z] [A] représentant la SARL Agence des Alpes. Il citait par ailleurs à deux reprises l’intervention de M. [Z] sur la superficie du local et sur les références de baux situés à proximité du dit local.

Par ailleurs, s’il est certain que les parties ont beaucoup échangé au cours de l’année 2015 au sujet de travaux entrepris par M. [B] [Y] dans l’immeuble dans lequel se trouvait le local loué, et M. [Z] a toujours répondu avec des mails sur lesquels figurait uniquement le logo commercial Agence des Alpes.com. Sur un courrier du 19 janvier 2016 adressé par le service administratif de la preneuse au sujet des loyers suspendus pendant la période des travaux, figurait en pied de page Agence des Alpes A.N mais cette mention est peu visible et le recommandé était adressé au nom de l’agence des Alpes

Egalement, il est noté que sur le projet de cession de vente du fonds de commerce adressé par la société Fiscalité Audit International à M. [B] [Y] en décembre 2014, les deux sociétés la société Agence des Alpes et la société Agence des Alpes A.N sont représentées toutes deux par M. [G] [H], associé des deux sociétés, lequel figurait au demeurant en copie en sa qualité d’associé de M. [Z], sur un mail adressé par M. [Z] à M. [Y] au sujet des travaux de rénovation le 21 mai 2015.

En outre, contrairement également à ce que prétendait la société Agence des Alpes An, elle ne démontrait pas que M. [B] [Y] résidait depuis longue date au-dessus du local loué, puisqu’elles lui écrivait à [Localité 14], [Adresse 4] fin 2014, en 2015 et en 2016, adresse que celui déclarait d’ailleurs en janvier 2016 sur l’acte d’huissier aux fins de congé, même si fin 2015 sur les mails adressés à M. [Z], il mentionnait l’adresse de [Localité 7].

La confusion, compte tenu de l’extrême proximité des noms, a été faite :

– par un huissier : si dans le constat qu’elle a sollicité de l’huissier au sujet des travaux de rénovation entrepris par son bailleur, constat en date du 5 mai 2015 (pièce 3 de la société Fiscalité Audit International), elle figure bien sous le nom de la société Agence des Alpes A.N, dans le constat dressé toujours à sa demande dans le même cadre le 27 juillet 2015, elle figure comme la société Agence des Alpes ;

– par son avocat, Me [P], qui écrivait à M. [B] [Y] le 11 août 2015 au sujet des problèmes liés aux travaux en se présentant comme conseil de la société Agence des Alpes.

Enfin, il convient de préciser que l’enseigne commerciale de la société Agence des Alpes A. N est ‘Agence des Alpes’.

Ainsi, compte tenu de la confusion des noms des deux sociétés, la société Agence des Alpes et la société Agence des Alpes A.N et du fait également que si M. [B] [Y] a été informé du projet de cession, il n’est pas démontré ni même allégué dans le dossier qu’il ait eu une copie de l’acte sous seing privé de cession, la cession ayant pu rester à l’état de projet, la société Immobilière Générale et la société Agence des Alpes A.N échouent à rapporter la preuve d’une acceptation non équivoque de la cession du fonds de commerce.

Sur la possibilité ultérieure de céder le fonds de commerce avec le droit au bail dans les formes prévues par le bail pour la cession du fonds de commerce

La cession du fonds de commerce comprenant le droit au bail, par acte sous seing privé, n’était donc pas opposable au bailleur, lequel n’a pas renoncé de façon tacite et non équivoque à se prévaloir de l’irrégularité commise. D’ailleurs, la société Agence des Alpes, devenue en mai 2015 la société Immobilière Générale, et la société Agence des Alpes A.N ont sollicité un acte authentique, lequel, reprenant les clauses de cette cession contenues dans l’acte sous seing privé de janvier 2015 a été établi le 30 septembre 2016, le bailleur dûment appelé. La copie exécutoire a été signifiée au bailleur le 25 octobre 2016.

Si dans certaines affaires, le locataire a pu être admis à encore opérer une cession dans les formes prévues par le contrat de bail, malgré une saisie de la juridiction aux fins de résiliation du bail (notamment cass civ 22 mars 1995 pourvoi n°92.14045), il convient de noter qu’il s’agissait de situations d’espèce et que le preneur initial était encore titulaire de son droit au bail.

Mais en l’espèce, avant la notification de l’acte notarié intervenue très tardivement soit le 25 octobre 2016 pour une cession qui avait pris effet au 1er juillet 2014, le bailleur a fait délivrer à la cédante, la société Agence des Alpes (devenue la société Immobilière Générale) un congé avec refus de renouvellement du bail commercial devant se terminer le 14 novembre 2016, sans indemnité d’éviction pour dénégation du droit au statut.

En effet, au jour de la délivrance du congé soit le 14 janvier 2016, M. [B] [Y] avait pour locataire la société Agence des Alpes devenue la société Immobilière Générale en mai 2015. Compte tenu de l’absence de droit au statut des baux commerciaux, comme ci-après motivé, celle-ci ne pouvait pas céder un droit dont elle ne disposait pas.

II – Sur le bien fondé du congé délivré par le bailleur le 14 janvier 2016

M. [B] [Y] a fait délivrer un congé de refus de renouvellement du bail sans indemnité d’éviction en raison de la non immatriculation au registre du commerce et des sociétés de l’établissement secondaire de sa preneuse. Les intimées soutiennent qu’il ne s’agissait pas d’un établissement secondaire mais d’un local accessoire et que le congé délivré par l’huissier était insuffisament motivé.

En vertu de l’article L 145-1 al 1 notamment 1° du code de commerce, ‘ Les dispositions du présent chapitre s’appliquent aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d’une entreprise du secteur des métiers et de l’artisanat immatriculée au registre national des entreprises, accomplissant ou non des actes de commerce, et en outre :

1° Aux baux de locaux ou d’immeubles accessoires à l’exploitation d’un fonds de commerce quand leur privation est de nature à compromettre l’exploitation du fonds et qu’ils appartiennent au propriétaire du local ou de l’immeuble où est situé l’établissement principal. En cas de pluralité de propriétaires, les locaux accessoires doivent avoir été loués au vu et au su du bailleur en vue de l’utilisation jointe’.

L’inscription au registre de commerce et des sociétés du preneur d’un local commercial est obligatoire et elle est appréciée au jour de la délivrance du congé (voir notamment civ 3, 3 mai 2011 pourvoi 10.15428). Par ailleurs, un établissement secondaire exploité dans les lieux loués doit aussi faire l’objet d’une immatriculation secondaire (voir notamment cass civ 3ème 13-10-1999 pourvoi n°97.22258).

En l’espèce, la société Agence des Alpes (devenue la société Immobilière Générale) n’était pas inscrite au RCS pour le local loué à [Localité 7], [Adresse 1] comme cela résulte de l’extrait k-bis en date du 13 janvier 2016. Il résulte de cet extrait que cette société n’avait à cette date là que son établissement principal sis [Adresse 11] à [Localité 7] avec d’ailleurs un objet social différent de l’activité d’agence immobilière mentionnée dans le cadre du bail et exercée dans les locaux loués à M. [B] [Y] puisque visant ‘toute exploitation de résidence de tourisme, toute exploitation hôtelière ou para-hôtelière, d’hébergement, de restauration et plus généralement l’exercice de toutes activités dans le domaine du tourisme, marchand de biens, participation de la société par tous moyens à toutes entreprise, groupement économique’ et un établissement secondaire [Adresse 16] à [Localité 7] pour la création d’une activité d’agence immobilière.

Par ailleurs, contrairement à ce que les intimées soutiennent, il ne s’agit aucunement d’un local accessoire à son activité principale mais bien d’un local correspondant à un établissement secondaire. Un local accessoire se définit par rapport au local principal comme étant celui où ne sont pas effectués des actes de commerce et où la clientèle n’a pas accès. Le local accessoire bénéficie du statut des baux commerciaux que si deux conditions cumulatives sont remplies : ils doivent appartenir au même propriétaire que les locaux principaux et ils doivent être nécessaires ou indispensables à l’exploitation du fonds. La locataire de M. [B] [Y] disposait de plusieurs postes de travail avec le matériel informatique nécessaire, le directeur d’un bureau personnel, le local était doté de vitrines, d’une enseigne et il y était exercé l’activité d’agence immobilière avec la réception de la clientèle. Ceci résulte notamment des constats d’huissier établis à l’occasion des travaux entrepris par le bailleur, mais aussi des mails de M. [Z] échangés également à l’occasion de ces travaux. Par ailleurs, M. [B] [Y] n’était pas le propriétaire du local principal de la société Immobilière Générale. Enfin, l’extrait RCS de la société Immobilière Générale produit aux débats montre qu’elle avait bien inscrit comme établissement secondaire une agence immobilière sise [Adresse 12] à [Localité 7], de sorte qu’il lui appartenait d’en faire de même pour celle exploitée dans le local loué à M. [B] [Y].

Ainsi, l’établissement secondaire sis dans le local appartenant à M. [B] [Y] n’était pas immatriculé au registre du commerce et ne bénéficiait donc pas du statut des baux commerciaux.

Par ailleurs, la société Immobilière Générale ne peut soutenir que le congé n’était pas suffisamment motivé dès lors qu’il reprend la motivation suivante :

‘renouvellement du bail sans indemnité d’éviction, en raison de ce que le preneur ne peut se prévaloir du statut des baux commerciaux prévu par les articles L1445-1 du Code de commerce.

En effet, au regard de l’article L145-1 du Code de commerce et d’une jurisprudence constante de la Cour de Cassation (Cass. 3 ème Civ . 13 octo.1999, n°97-22258), chaque établissement secondaire doit faire l’objet d’une immatriculation pour que le statut des baux commerciaux puisse être appliqué.

Or, il ressort d’un extrait k-bis de la société Immobilière Générale établi ce jour par le greffier du Tribunal de commerce de Chambéry que l’établissement secondaire exploité à l’intérieur des locaux, propriété de M. [Y], sis à [Localité 7], [Adresse 1], n’est pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés de [Localité 9].

Par conséquent, la société Immobilière Générale devra rendre libres pour la date indique ci-dessus, les locaux loués en se conformant à toutes les obligations du locataire sortant ».

Il en était de même au demeurant de la signification ultérieure du refus de renouvellement du 7 octobre 2016 en réponse à l’offre de renouvellement de la société Agence des Alpes A.N.

Enfin la mauvaise foi du bailleur, au demeurant sans incidence sur la validité du congé régulièrement donné, n’est pas établie de façon certaine, contrairement à ce qu’avait estimé le premier juge, au vu des éléments visés ci-dessus sur l’inopposabilité de la cession du fonds de commerce.

En conséquence, la cession du bail entre la société Agence des Alpes et la société Agence des Alpes A.N était inopposable à M. [B] [Y], le congé sans indemnité d’éviction délivré par M. [B] [Y] à la société Agence des Alpes (la société Immobilière Générale) a été valablement donné, le bail a pris fin le 14 novembre 2016 et depuis le 15 novembre 2016, la société Agence des Alpes A.N, cessionnaire de la société Agence des Alpes (société Immobilière Générale) est occupante sans droit ni titre du local appartenant à M. [B] [Y].

III – Sur l’indemnité d’éviction

En vertu de l’article L145-14 al 1 du code de commerce, ‘le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement’.

En l’espèce, la société Agence des Alpes A.N n’est pas liée à un bail avec M. [B] [Y] puisque la cession du bail intervenue entre elle et la société Agence des Alpes (devenue société Immobilière Générale) n’était pas opposable à celui-ci et dans la mesure où la preneuse ne pouvait pas prétendre au statut des baux commerciaux, le juge n’a pas à apprécier la gravité de la faute commise par la preneuse ou le cessionnaire de la preneuse. En outre, comme ci-avant motivé, la société Agence des Alpes A.N. n’a pas pu sollicité valablement le renouvellement du droit au bail en date du 20 juillet 2016 puisqu’à cette date, l’acte authentique constatant la cession, opposable au bailleur, n’était pas intervenu et qu’un congé avait déjà été délivré au seul preneur lié à M. [B] [Y], étant rappelé que l’article L145-10 du code de commerce prévoit qu”à défaut de congé, le locataire qui veut obtenir le renouvellement de son bail doit en faire la demande soit dans les six mois qui précèdent l’expiration du bail soit le cas échéant à tout moment au cours de sa reconduction’. Or, un congé avait d’ores et déjà été valablement donné.

En conséquence, M. [B] [Y] ne saurait être tenu au paiment d’une indemnité d’éviction à l’égard de la société Agence des Alpes A.N laquelle peut envisager de mettre en cause la responsabilité de son cédant.

La société Agence des Alpes A. N étant occupante sans droit ni titre et sans droit à une indemnité d’éviction, il y a lieu d’ordonner la libération des lieux par cette dernière dans le délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt et à défaut d’ordonner son expulsion ainsi que de tous occupants de son chef, du local cadastré H n°[Cadastre 3], sis [Adresse 1] à [Localité 7] (73). La demande de restitution des clef sous huit jours avec astreinte formée par M. [B] [Y] sera rejetée. En outre, la société Agence des Alpes A.N sera condamnée, in solidul avec la société Immobilière Générale, à payer à M. [B] [Y] une indemnité d’occupation mensuelle payable au 15 de chaque mois à compter du 15 novembre 2016 et ce jusqu’à la libération effective des locaux au montant actuel du loyer et des charges avec indexation, la demande de M. [B] [Y] tendant à la condamnation à une indemnité de 1 612 euros par mois sera rejetée, en l’absence de préjudice particulier justifié, tout comme celle de 1 500 euros par mois qui au demeurant avait le même objet que la demande précédente. En outre, il n’y a pas lieu à ordonner une expertise pour fixer l’indemnité d’occupation.

IV – Sur la demande de condamnation formée à l’encontre de la société Fiscalité Audit International

La société Agence des Alpes A.N fait valoir que l’acte de cession sous seing privé du fonds de commerce de la société Agence des Alpes ayant été rédigé par la société Fiscalité Audit International, la responsabilité de celle-ci est nécessairement engagée pour défaut d’efficacité de l’acte et défaut à son devoir de conseil. Elle soutient que son préjudice est important (perte du fonds de commerce d’un montant de 225 026 euros, préjudices économiques et financiers) et sollicite une expertise pour l’évaluer, demande d’expertise non reprise au niveau des prétentions. La société Fiscalité Audit International prétend ne pas avoir commis de faute en soutenant que la cession était opposable à M. [B] [Y], lequel avait entrepris une manoeuvre d’éviction de son locataire, pour exercer une activité concurrente. Elle fait valoir également que la société Agence des Alpes A.N ne démontre l’existence d’aucun préjudice dès lors qu’elle dispose d’une garantie d’éviction contre son cédant, lequel ne subit pas de préjudice puisqu’il a reçu le montant du prix de cession, mais aussi en raison du fait que le préjudice est infondé en son quantum.

Contrairement à la décision du premier juge, non motivée sur ce point, qui a mis hors de cause la société Fiscalité Audit International, cette dernière, en sa qualité de rédactrice de l’acte sous seing privé de cession en date du 8 janvier 2015, a engagé sa responsabilité en commettant des manquements liés à l’inefficacité de l’acte qu’elle a rédigé et à l’insuffisance de son devoir de conseil. Il lui appartenait en effet de s’assurer au vu du bail initial de la forme que devait revêtir l’acte de cession, ou de s’assurer de l’accord formel du bailleur à la cession du fonds de commerce par acte sous seing privé, et d’informer ses clients du risque encouru en cas de persistance sur la forme d’un acte sous seing privé.

Cependant si la responsabilité de la société Fiscalité Audit International est incontestablement engagée, la société Immobilière Générale et la société Agence des Alpes A.N ne rapportent pas la preuve du préjudice allégué (perte du fonds de commerce, perte économique et financière) et il n’appartient pas à la juridiction d’ordonner une expertise pour suppléer la carence des parties. En effet, comme le souligne la société Fiscalité Audit International, l’acte de cession a porté sur la cession d’un fonds de commerce, lequel comportait plusieurs baux commerciaux ou non, autres que celui de M. [B] [Y]. Le fonds de commerce reste la propriété de la société Agence des Alpes A.N qui reste également titulaire des autres droits au bail. Or aucune ventilation du prix de cession n’a été fait s’agissant des droits incorporels qui ne comprenaient d’ailleurs pas uniquement les droits aux baux, mais aussi l’enseigne, le nom commercial, la clientèle et l’achalandage. En outre, s’agissant du local de M. [B] [Y], il s’agissait pour la société Agence des Alpes A.N d’un établissement secondaire.

Ainsi, à défaut de rapporter de démonter l’existence du préjudice allégué, la société Agence des Alpes A.N sera déboutée de sa demande à être indemnisée de l’ensemble de ses préjudices, demande indéterminée, et de sa demande de condamnation ‘a minima ‘à la somme de 225 026 euros en réparation de la perte de son fonds de commerce.

En revanche, la société Fiscalité Audit International sera tenue de relever et garantir la société Immobilière Générale et la société Agence des Alpes A.N de leurs condamnations au paiement des dépens et de l’indemnité procédurale, mais pas de l’indemnité d’occupation mise à la charge de la société Agence des Alpes A.N qui est sans lien avec les fautes commises par elle.

V- Sur les demandes accessoires

Succombant, la société Immobilière Générale et la société Agence des Alpes A.N seront tenus in solidum aux dépens de première instance et d’appel dont notamment le coût du congé en date du 14 janvier 2016, de la signification du 7 octobre 2016 et de la sommation de quitter les lieux du 21 décembre 2016 de première instance et d’appel, en lien direct avec la présente instance, distraits au profit de Me [D], sur son affirmation de droit.

L’équité commande de faire droit à la demande de M. [B] [Y] au titre de l’indemnité procédurale et de condamner in solidum la société Agence des Alpes A.N et la société Immobilière Générale à lui payer à ce titre la somme de 5 000 euros ensemble pour la première instance et l’instance d’appel. Les autres parties seront déboutées de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile, y compris la société Fiscalité Audit International.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a :

– dit que la cession de bail opérée entre la société Immobilière Générale et la société Agence des Alpes A.N était inopposable à M. [B] [Y] ;

– dit que le congé délivré par M. [B] [Y] à la société Immobilière Générale le 14 janvier 2016 était valable ;

– dit que le bail avait pris fin le 14 novembre 2016 par l’effet de ce congé ;

– dit que la société Agence des Alpes A.N était occupante sans droit ni titre du local appartenant à M. [Y] depuis le 15 novembre 2016 ;

– débouté M. [B] [Y] de sa demande de remise de clefs,

Infirme le jugement entrepris sur le surplus,

Déboute la société Agence des Alpes A.N de sa demande tendant à voir condamner M. [B] [Y] au paiement d’une indemnité d’éviction,

Ordonne la libération des lieux cadastré H n°[Cadastre 3], sis [Adresse 1] à [Localité 7] (73) par la société Agence des Alpes A.N dans le délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt,

Ordonne, à défaut de libération volontaire dans le délai sus-visé, l’expulsion de la société Agence des Alpes A.N, ainsi que de tous occupants de son chef, du local cadastré H n°[Cadastre 3], sis [Adresse 1] à [Localité 7] (73),

Condamne in solidum la société Agence des Alpes A.N et la société Immobilière Générale à payer à M. [B] [Y] une indemnité d’occupation mensuelle payable au 15 de chaque mois à compter du 15 novembre 2016 et ce jusqu’à la libération effective des locaux au montant actuel du loyer et des charges avec indexation conforme au contrat de bail initial,

Déboute M. [B] [Y] du surplus de ses demandes liées à l’indemnité d’occupation,

Dit que la société Fiscalité Audit International a engagé sa responsabilité vis à vis de la société Immobilière Générale et de la société Agence des Alpes A.N lors de la rédaction de l’acte de cession sous seing privé en date du 8 janvier 2015 en raison des manquements commis,

Déclare irrecevable la demande de la société Agence des Alpes A.N de voir condamner la société Fiscalité Audit International à indemniser l’ensemble de ses postes de préjudice, sa demande étant indéterminée,

Déboute la société Agence des Alpes A.N de sa demande formée contre la société Fiscalité Audit International en réparation de la perte de son fonds de commerce,

Condamne la société Fiscalité Audit International à relever et garantir la société Agence des Alpes A.N et la société Immobilière Générale des condamnations prononcées à leur encontre au paiement des dépens et de l’indemnité procédurale,

Déboute la société Immobilière Générale et la société Agence des Alpes A.N du surplus de leur demande tendant à être relevées et garanties par la société Fiscalité Audit International,

Déboute la société Immobilière Générale, la société Agence des Alpes A.N et la société Fiscalité Audit International de leurs demandes d’indemnité procédurale,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne in solidum la société Immobilière Générale et la société Agence des Alpes A.N aux dépens de première instance et d’appel, comprenant notamment le coût du congé en date du 14 janvier 2016, le coût de l’acte signifié le 7 octobre 2016 à la société Agence des Alpes An et le coût de la sommation de quitter les lieux en date du 21 décembre 2016, distraits au profit de Me [D], sur son affirmation de droit,

Condamne in solidum la société Immobilière Générale et la société Agence des Alpes A.N à payer à M. [B] [Y] la somme de 5 000 euros ensemble pour la première instance et l’instance d’appel,

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie délivrée le

à

la SCP ARMAND – CHAT ET ASSOCIES

la SELARL SELARL VIARD-HERISSON GARIN

la SCP MILLIAND DUMOLARD THILL

Copie exécutoire délivrée le

à

la SCP ARMAND – CHAT ET ASSOCIES

la SELARL SELARL VIARD-HERISSON GARIN

la SCP MILLIAND DUMOLARD THILL

 


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