Marchand de Biens : décision du 6 mars 2023 Cour d’appel de Nancy RG n° 21/02040

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Marchand de Biens : décision du 6 mars 2023 Cour d’appel de Nancy RG n° 21/02040
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D’APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile

ARRÊT N° /2023 DU 06 MARS 2023

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/02040 – N° Portalis DBVR-V-B7F-E2N4

Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de NANCY,

R.G.n° 18/00846, en date du 13 juillet 2021,

APPELANTS :

Monsieur [W] [X] [E]

né le [Date naissance 3] 1982 à [Localité 14]

domicilié [Adresse 5]

Représenté par Me Julie SAMMARI, avocat au barreau de NANCY

S.A.R.L. Unipersonnelle ARIANO, prise en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 5]

Représentée par Me Julie SAMMARI, avocat au barreau de NANCY

INTIMÉS :

Maître [P] [F]

Notaire associé de la société BLETOUX-[F]-HOUILLON-BURTE

né le [Date naissance 4] 1973 à [Localité 16]

domicilié [Adresse 6]

Représenté par Me Frédéric BARBAUT de la SELARL MAITRE FREDERIC BARBAUT, avocat au barreau de NANCY

Société ‘BLETOUX-[F]-HOUILLON-BURTE’ notaires associés, prise en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 6]

Représentée par Me Frédéric BARBAUT de la SELARL MAITRE FREDERIC BARBAUT, avocat au barreau de NANCY

S.A. MMA IARD, prise en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 1]

Représentée par Me Frédéric BARBAUT de la SELARL MAITRE FREDERIC BARBAUT, avocat au barreau de NANCY

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Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à

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COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 14 Novembre 2022, en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Nathalie CUNIN-WEBER, Président de Chambre, chargée du rapport,

Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller,

Madame Mélina BUQUANT, Conseiller,

qui en ont délibéré ;

Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;

A l’issue des débats, le Président a annoncé que l’arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 16 Janvier 2023, en application de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile. Puis, à cette date, le délibéré a été prorogé au 6 Mars 2023.

ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 6 Mars 2023, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par Madame CUNIN-WEBER, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;

FAITS ET PROCÉDURE :

Monsieur [W] [E] est associé unique de la société à responsabilité limitée unipersonnelle Ariano (ci-après, la ‘société Ariano’) et de diverses sociétés spécialisées notamment dans l’achat en vue de la revente de biens immobiliers et dans l’investissement immobilier.

Par un premier acte reçu le 14 mars 2017 par Maître [P] [F], notaire associé au sein de la SCP de notaires Blétoux-[F]-Houillon à [Localité 14], la société Ariano a acquis de la SCI JMM les lots n° 1, 5 et 7 dans un ensemble immobilier situé [Adresse 2] cadastré [Cadastre 10] et les lots n° 20, 21 et 22 dans un ensemble immobilier situé [Adresse 7] cadastré [Cadastre 12] et [Cadastre 11].

Les lots n° 1, 20 à 22 (locaux commerciaux à l’enseigne ‘Club 54’) ont été cédés pour 100000 euros, le lot n° 5 (studio d’habitation) pour 17000 euros et le lot n° 7 (studio d’habitation) pour 23000 euros. Le montant de l’acquisition était financé par un prêt de 204000 euros remboursable en 24 mois au taux de 3 %. Il était expressément stipulé que l’acquéreur entendait bénéficier du régime spécial des achats effectués en vue de la revente.

Par un second acte reçu le même jour par Maître [F], la société Ariano a acquis le lot n°19 (appartement de deux pièces) dans l’ensemble immobilier situé [Adresse 7] cadastré [Cadastre 12] et [Cadastre 11], propriété de Monsieur [L] [I] et de Madame [H] [N], dans un état vétuste, au prix de 25000 euros financé par le prêt susmentionné.

Le montant total du programme s’élevait à 240000 euros, financé à hauteur de 36000 euros par un apport de la société Ariano et par l’apport évoqué ci-avant. Le programme incluait le coût d’acquisition des immeubles (165000 euros), les frais de notaire, droits de mutation, inscriptions de sûretés et autres frais de vente (estimés à 7000 euros), les honoraires d’agent immobilier (8000 euros), les frais bancaires (estimés à 10000 euros) et des coûts afférents à quelques travaux de remise en état (35000 euros), en particulier de remise en état du plancher de l’appartement constituant le lot n°19 du [Adresse 7] et de mise aux normes de la colonne électrique (estimés à 15000 euros).

Monsieur [E], gérant de la société Ariano, s’est porté caution à titre personnel à hauteur de 66300 euros et a apporté un autofinancement de 36000 euros. Monsieur [E] affirme s’être rendu à la mairie de [Localité 14] le 19 avril 2017 afin de déposer une demande d’autorisation de travaux. Les services municipaux l’auraient informé que les immeubles acquis situés en secteur sauvegardé étaient destinés à la démolition.

La société Ariano a sollicité auprès de Maître [F] les notes de renseignements d’urbanisme adressées par la mairie au notaire préalablement à la signature des actes de vente, ces notes renvoyant au plan de sauvegarde du 22 juillet 1976 révisé et étendu le 7 décembre 2011 et à une note manuscrite mentionnant « voir plan zonage n°9-[Localité 13] ».

Le 11 septembre 2017, un courrier a été adressé par la société Ariano à Maître [F] qui lui a en retour demandé de transmettre un certain nombre de pièces.

Le 19 octobre 2017, le conseil de la société Ariano a transmis les pièces sollicitées à l’assureur de Maître [F] en évoquant sa responsabilité civile professionnelle.

Par acte d’huissier délivré à personne morale le 1er mars 2018, la société Ariano et Monsieur [E] ont fait assigner, au visa de l’article 1240 du code civil, Maître [F], la SCP Blétoux-[F]-Houillon devant le tribunal de grande instance de Nancy aux fins notamment de les voir condamnés à payer diverses sommes à titre de dommages et intérêts.

Maître [P] [F] et la SCP Blétoux-[F]-Houillon ont constitué avocat par acte du 9 avril 2018.

Par acte d’huissier délivré à personne morale le 12 novembre 2019, la société Ariano et Monsieur [E] ont fait assigner la société d’assurance mutuelle MMA IARD Assurances Mutuelles (ci-après, la compagnie MMA) devant le même tribunal aux fins de dire qu’elle devra garantir et relever les défendeurs des condamnations prononcées à leur encontre.

Cette procédure a été jointe à l’instance principale le 21 janvier 2020.

Par jugement contradictoire du 13 juillet 2021, le tribunal judiciaire de Nancy a :

– dit que Maître [F], notaire au sein de la SCP Blétoux-[F]-Houillon, notaires associés, a commis une faute en n’informant pas complètement la société Ariano de l’étendue des contraintes d’urbanisme pesant sur les biens immobiliers situés dans l’ensemble immobilier situé [Adresse 2] acquis par acte notarié le 14 mars 2017,

– débouté la société Ariano et Monsieur [E] de l’ensemble de leurs demandes principales à l’encontre de Maître [F], de la SCP Blétoux-[F]-Houillon et de la compagnie MMA en l’absence de preuve d’un préjudice effectif,

– débouté Maître [F] et la SCP Blétoux-[F]-Houillon de leur demande reconventionnelle pour procédure abusive,

– condamné in solidum Maître [F] et la SCP Blétoux-[F]-Houillon, notaires associés, à payer à la société Ariano et à Monsieur [E] la somme de 1000 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné in solidum Maître [F] et la SCP Blétoux-[F]-Houillon, notaires associés, aux dépens, la condamnation étant assortie, au profit de Maître [U] [M], du droit de recouvrer directement contre les parties condamnées ceux des dépens dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision,

– ordonné l’exécution provisoire du jugement.

Pour statuer ainsi, le tribunal a relevé qu’il revenait à Maître [F], en sa qualité de notaire, d’informer l’acquéreur des conséquences qu’impliquait le plan de sauvegarde et d’effectuer les investigations nécessaires, à savoir consulter le plan de zonage n°9 [Localité 13] dont il était fait mention manuscrite dans la note d’urbanisme de la ville de [Localité 14]. Il a considéré qu’en s’abstenant d’effectuer cette vérification utile, Maître [F] n’avait pas garanti l’efficacité des actes reçus et avait, en conséquence, manqué à son devoir de conseil envers les parties concernant la portée de leur engagement.

Il a cependant constaté que seule la parcelle [Cadastre 10] était représentée comme comportant des immeubles à démolir et jugé en conséquence que la société Ariano et Monsieur [E] ont été défaillants dans l’administration de la preuve de l’existence d’un préjudice pour ce qui concerne la vente des lots dans l’ensemble immobilier situé [Adresse 7].

Pour les premiers juges, la faute commise par le notaire apparaît avoir empêché la réalisation des travaux envisagés par la société Ariano dans l’appartement du [Adresse 2] et avoir contribué à limiter ses chances de revendre les biens immobiliers.

S’agissant de l’indemnisation des préjudices subis par la société Ariano et par Monsieur [E], le tribunal a examiné si la faute du notaire avait fait perdre aux demandeurs une chance de ne pas contracter ou de contracter à de meilleures conditions si la disposition particulière d’urbanisme affectant les biens immobiliers situés sur la parcelle [Cadastre 10] du [Adresse 2] avait été connue. Il a observé que si le bâtiment de cet ancien bar boîte de nuit est particulièrement vétuste et susceptible d’être à démolir, l’arrêté d’opposition aux travaux laisse cependant entrevoir la possibilité d’un réaménagement de la parcelle. De plus, à supposer que la municipalité s’oriente effectivement vers une démolition, celle-ci donnerait lieu à une procédure d’expropriation entraînant une indemnisation pour le propriétaire. Enfin, le tribunal a considéré que quand bien même les biens litigieux sont assujettis à une contrainte d’urbanisme, leur valeur ne peut être considérée comme inférieure au prix d’acquisition incluant les frais d’actes et coûts divers supportés par l’acquéreur.

Les premiers juges en ont déduit que la preuve d’un préjudice économique n’apparaît pas rapportée et que la faute commise n’ayant engendré aucun préjudice, la société Ariano et Monsieur [E] devaient être déboutés de l’ensemble de leurs demandes indemnitaires.

Enfin, le tribunal a jugé que n’était pas rapportée la preuve d’une faute dans l’exercice de l’action en justice ayant dégénéré en abus et que Maître [F] et la SCP Blétoux-[F]-Houillon devaient être en conséquence déboutés de leur demande reconventionnelle à ce titre.

En l’absence de condamnation pécuniaire au titre de la responsabilité civile, les premiers juges ont débouté les demandeurs de leur appel en garantie de l’assureur de responsabilité civile.

Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 19 août 2021, Monsieur [E] et la société Ariano ont relevé appel de ce jugement.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d’appel sous la forme électronique le 10 octobre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Monsieur [E] et la société Ariano demandent à la cour, au visa de l’article 1240 du code civil, de :

– infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Nancy en date du 13 juillet 2021 en ce qu’il a :

* limité la faute commise par Maître [F], notaire au sein de la SCP Blétoux-[F]-Houillon, notaires associés, de ne pas avoir complètement informé la société Ariano de l’étendue des contraintes d’urbanisme, aux biens immobiliers situés dans l’ensemble immobilier situé [Adresse 2] (soit la parcelle [Cadastre 10]),

* débouté la société Ariano et Monsieur [E] de l’ensemble de leurs demandes principales à l’encontre de Maître [F], de la SCP Blétoux-[F]-Houillon et de la compagnie MMA,

* limité la condamnation in solidum de Maître [F] et la SCP Blétoux-[F]-Houillon à payer à la société Ariano et Monsieur [E] la somme de 1000 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

– déclarer commun et opposable à la compagnie MMA la décision à intervenir,

– dire et juger que la compagnie MMA devra relever et garantir Maître [F] et la SCP Blétoux-[F]-Houillon, des condamnations prononcées à leur encontre,

– condamner la compagnie MMA solidairement ou in solidum avec Maître [F] et avec la SCP Blétoux-[F]-Houillon à payer à la société Ariano et à Monsieur [E] les condamnations prononcées au profit de ces derniers,

– condamner in solidum ou solidairement, avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l’assignation, Maître [F], la SCP Blétoux-[F]-Houillon, et la compagnie MMA à payer à la société Ariano les sommes de :

* 107000 euros au titre du préjudice résultant de la différence entre la valeur réelle et la valeur d’acquisition des biens et de la perte de chance pour la société Ariano de ne pas contracter,

* 6975 euros au titre du préjudice résultant de la perte de chance de ne pas souscrire l’ouverture de crédit, de ne pas avoir engagé de frais bancaires et de ne pas avoir à rembourser des intérêts trimestriels,

* 18771 euros au titre du préjudice résultant de la perte de chance de ne pas engager inutilement divers frais,

* 1385,70 euros par mois, à compter du 1er avril 2017 et ce jusqu’à l’arrêt à intervenir, soit la somme de 88572,44 euros, arrêtée au 30 avril 2022, à parfaire jusqu’à l’arrêt à intervenir, au titre du préjudice résultant des frais inutilement engagés et qui continuent d’être assumés,

* 8155 euros au titre des droits de mutation dont doit s’acquitter la société Ariano, ou, à titre subsidiaire, cette même somme au titre de la perte de chance de ne pas acquérir les immeubles et de ne pas s’engager à les revendre dans un délai de 5 ans,

* 15000 euros au titre de son préjudice moral,

– En tout état de cause, les condamner in solidum ou solidairement à payer à la société Ariano les sommes de :

* 2427,18 euros au titre du remboursement du solde créditeur du compte ouvert au sein de la SCP de notaires avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l’assignation,

* 7000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance,

* 12000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés à hauteur d’appel,

– condamner in solidum ou solidairement Maître [F], la SCP Blétoux-[F]-Houillon, et la compagnie MMA à payer à Monsieur [E], les sommes de :

* 10000 euros au titre de son préjudice moral avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l’assignation,

* 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance,

* 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés à hauteur d’appel,

– les condamner in solidum ou solidairement aux entiers dépens de première instance et d’appel,

– débouter Maître [F], la SCP Blétoux-[F]-Houillon et la compagnie MMA de l’intégralité de leurs demandes.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d’appel sous la forme électronique le 5 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Maître [F], la SCP Blétoux-[F]-Houillon et la compagnie MMA demandent à la cour de :

– confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Nancy en date du 13 juillet 2021 en ce qu’il a débouté la société Ariano et Monsieur [E] de leurs demandes principales à leur encontre,

– l’infirmer pour le surplus,

Statuant à nouveau,

– débouter la société Ariano et Monsieur [E] de l’ensemble de leurs demandes à leur encontre,

– condamner in solidum Monsieur [E] et la société Ariano à payer à Maître [F] et la SCP Blétoux-[F]-Houillon la somme de 20000 euros chacun sur le fondement des dispositions de l’article 1240 du code civil, en réparation du préjudice subi par l’action abusive intentée,

– condamner in solidum Monsieur [E] et la société Ariano à payer à Maître [F], à la SCP Blétoux-[F]-Houillon et à la compagnie MMA la somme de 5000 euros chacun sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Monsieur [E] et la société Ariano aux entiers dépens.

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 18 octobre 2022.

L’audience de plaidoirie a été fixée le 14 novembre 2022 et le délibéré au 16 janvier 2023, délibéré prorogé au 6 mars 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Vu les dernières conclusions déposées par Monsieur [E] et la société Ariano le 10 octobre 2022 et par Maître [F], la SCP Blétoux-[F]-Houillon et la compagnie MMA le 5 septembre 2022 et visées par le greffe auxquelles il convient de se référer expressément en application de l’article 455 du code de procédure civile ;

Vu la clôture de l’instruction prononcée par ordonnance du 18 octobre 2022 ;

Sur la mise en jeu de la responsabilité de Maître [F]

A l’appui de leur recours, la société Ariano et Monsieur [E] font valoir que le notaire qui a concouru à la signature des actes authentiques de vente, a manqué à son obligation de conseil et d’information ; plus précisément, ils affirment qu’il a manqué à son obligation lorsqu’il a reçu la note de renseignements d’urbanisme indiquant « Voir plan zonage n° 9 ‘ [Localité 13] », il aurait dû aller consulter ledit plan, ce qui lui aurait permis d’exécuter correctement son obligation d’information et de conseil à l’égard de la société Ariano et ce qui aurait permis à cette dernière de donner son consentement à l’acte de façon libre, éclairée et non viciée ; ils affirment ainsi qu’une information complète et précise aurait permis à la société Ariano de renoncer à ces acquisitions ; ils ajoutent que la société Ariano par conséquent, a été mise dans une situation dans laquelle elle ne pouvait respecter son engagement de revente vis-à-vis du fisc, d’une part, et réaliser son projet d’autre part, ce qui implique que Maître [F] a manqué à son obligation de permettre l’efficacité des deux actes qu’il a reçus le 14 mars 2017 ; enfin ils affirment que Maître [F] avait connaissance du projet immobilier de la société Ariano, ce qui aurait dû le conduire à avertir son client que les biens acquis avaient vocation à être démolis et devait la mettre en garde sur le fait qu’elle rencontrerait les plus grandes difficultés pour mener à bien son projet de revente des différents lots ; leur appel porte sur le fait que la faute de Maître [F] n’a pas été retenue concernant l’ensemble des biens acquis par la société Ariano, ce qui justifie l’infirmation du jugement déféré ;

En réponse, Maître [F], la société des notaires et leur assureur la MMA Iard Assurances Mutuelles font valoir que le notaire n’a commis aucun manquement à son obligation d’information en matière de renseignements d’urbanisme ; ils indiquent que le plan litigieux n’était pas joint à la note d’urbanisme transmise par la mairie de [Localité 14] ne faisant pas partie intégrante du Plan de sauvegarde et de mise en valeur de la ville de [Localité 14] et que sa valeur juridique est contestable ;

Ils affirment que la société Ariano avait une parfaite connaissance des conditions d’urbanisme attachées aux biens acquis, tel que cela résulte des propres mentions de l’acte de vente et rappellent que les contraintes d’urbanisme expliquent le faible prix payé par la société Ariano ; Maître [F] conteste tout manquement à son obligation de conseil ;

Maître [F] ajoute que la société Ariano ne l’avait pas informée de son projet et a bien déclaré à l’acte ne pas vouloir modifier la destination du bien ; dès lors le notaire n’avait aucun indice sur le fait que la société Ariano solliciterait des autorisations d’urbanisme de travaux qui pourraient lui être refusées ; il considère que la note de renseignements d’urbanisme doit être considérée comme suffisante lorsque l’acquéreur n’a pas informé le notaire de ses intentions de construire sur une parcelle déjà bâtie ou de modifier la construction existante ;

Enfin il précise qu’il n’est pas le rédacteur des compromis de vente et qu’en tant que notaire chargé de dresser un acte de vente immobilière, il n’est pas tenu de vérifier la possibilité de réaliser sur l’immeuble vendu un projet d’agrandissement de construction qui n’est pas mentionné à l’acte et dont il n’a pas été avisé ; les intimés contestent la véracité des compromis de vente produits par la partie appelante, qui sont des documents de complaisance ;

Ils ajoutent que la société Ariano ne justifie d’aucun refus d’autorisation d’urbanisme que ce soit pour des travaux, un changement de destination ou un permis de construire et quand bien même, elle devrait démontrer que la mairie de [Localité 14] est fondée à prononcer une décision de refus d’autorisation d’urbanisme en se prévalant d’un plan non daté, dont on ne peut pas considérer qu’il fasse partie du Plan de sauvegarde et de mise en valeur ce qui justifie le rejet de ses prétentions ;

Aux termes de l’article 1240 du Code civil « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; »

En l’espèce, les appelants entendent obtenir la mise en jeu de la responsabilité de Maître [F], notaire, qui a contribué à la rédaction et à la signature des deux actes authentiques de vente passés le 14 mars 2017, en avançant que par son comportement fautif l’officier ministériel a permis la concrétisation de cette vente sans éclairer suffisamment et conseiller la société acquéreur, sur les conditions de celle-ci ;

Ainsi bien qu’exerçant le métier de marchand de biens, Monsieur [E] soutient que cette obligation de conseil à laquelle est tenue le notaire, est identique que son client soit un profane ou un professionnel ; en effet les notaires ne sont plus déchargés de leur devoir de conseil par les compétences de leur client ; selon lui cette obligation implique celle de se renseigner afin de pouvoir éclairer les parties et appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée sur la portée, les effets et les risques des actes ;

Il y a lieu de relever que le premier acte authentique (pièce 1 appelants), porte sur la vente par la société immobilière JMM au profit de la société Ariano, « dans un ensemble immobilier situé à [Adresse 15], les lots 1, 5 et 7 cadastrés section [Cadastre 10], comprenant un local commercial au rez-de-chaussée ainsi que deux studios », ainsi que « dans un ensemble immobilier situé à [Adresse 7] les lots numéro 20, 21 et 22 sections [Cadastre 12] et [Cadastre 11] pour un prix de 140000 euros répartis comme suit : 100000 euros pour les lots numéro 1, 20 à 22 et 17000 euros pour le lot 5, puis 23000 € pour le lot 7 » ;

Le second acte authentique (pièce 3 appelants), concerne la cession par Monsieur [L] [I] et Madame [H] [N] à la même société Ariano, du lot numéro 19 (appartement) pour un montant de 25000 euros, situé « dans un ensemble immobilier situé à [Adresse 7] section [Cadastre 9] et [Cadastre 11] ;

Dans ces deux actes il est mentionné (pages14 et 12) que « l’immeuble se trouve dans un secteur sauvegardé crée conformément aux dispositions de l’article 313-1 du code de l’urbanisme et de l’article L 641-1 du code du patrimoine. Par suite le plan de sauvegarde et de mise en valeur peut comporter l’indication des immeubles, parties intérieures ou extérieures d’immeubles :

– dont la démolition l’enlèvement ou l’altération sont interdits dans la modification est soumise à des conditions spéciales,

– dont la démolition ou la modification pourra être imposée par l’autorité administrative à l’occasion d’opérations d’aménagement publiques ou privées. En outre, les travaux non soumis à permis de construire à effectuer à l’intérieur des immeubles, doivent être précédés, aux termes des dispositions de l’article R 421-17 du code de l’urbanisme, d’une déclaration préalable dans la mesure où le plan de sauvegarde de mise en valeur n’est pas approuvé ou est mis en révision, à l’exception des travaux d’entretien et de réparations ordinaires ;

-observations faites que les délais de base pour l’instruction des autorisations situées dans un secteur sauvegardé dans le périmètre était délimité sont de (‘) mois,

– que les opérations de restauration immobilière consistant en des travaux de remise en état de modernisation ou de démolition, doivent, si elles n’ont pas été prévues par un plan de sauvegarde de mise en valeur être déclarées d’utilité publique » ;

Ces deux documents mentionnent également que, a été obtenu un certificat d’urbanisme d’information, demeuré annexé à l’acte authentique, à savoir deux notes de renseignements d’urbanisme d’information délivrées par la mairie de [Localité 14] le 15 novembre 2016 dont il résulte que l’immeuble est situé dans le plan de sauvegarde et de mise en valeur de la ville de [Localité 14] (‘) ;

l’acte ajoute que « Les parties s’obligent à faire leur affaire personnelle de l’exécution des charges, prescriptions et du respect des servitudes publiques et autres limitations administratives au droit de propriété qui sont mentionnées dans ce document au caractère purement informatif et dont elles déclarent avoir pris connaissance ; reconnaissent que le notaire soussigné leur a fourni tous éclaircissements complémentaires sur la portée, l’étendue et les effets de ces charges et prescriptions » ;

Dès lors il y a lieu de constater, qu’en mentionnant l’existence d’un Plan de sauvegarde et de mise en valeur de la ville de [Localité 14], établi en date du 22 juillet 1976, puis révisé en décembre 2019, et en annexant ce plan à l’acte authentique, le notaire rédacteur n’a pas manqué à son devoir d’information concernant les règles d’urbanisme applicables à la transaction envisagée ; de même cet acte a fait ample mention des conditions de réalisation d’opérations de restauration immobilière ;

En effet, le seul fait que les deux notices de renseignements d’urbanisme contenues dans les pièces 6 et 7 des appelants, datées du 15 novembre 2016, comportent la mention manuscrite relative au plan de sauvegarde du 22 juillet 1976 « voir plan zonage 9 « [Localité 13] », lequel n’est pas annexé à l’acte authentique, n’est pas en soi constitutive d’une faute de la part de l’officier ministériel rédacteur de l’acte, dès lors que les termes des restrictions d’urbanisme ont été spécifiquement visés dans les actes authentiques, au paragraphe relatif au secteur sauvegardé, comme en découlant ;

Par conséquent le fait que la société Ariano se soit vue délivrer un arrêté d’opposition du 3 janvier 2018 s’agissant des travaux envisagés au numéro 17, de la rue de Serre (pose de fenêtres et remplacement de menuiseries) au sein de l’appartement [Cadastre 8] et de l’appartement [Cadastre 11] ne démontre en rien l’existence d’un manquement imputable à Maître [F] concernant son obligation de conseil ou de mise en garde tel qu’avancé par les appelants ;

en effet toutes les contraintes résultant de l’existence d’un plan de sauvegarde ont été visées dans l’acte authentique chacune des parties étant en capacité d’en vérifier les conséquences réelles ;

A cet égard et pour conclure, il sera relevé qu’aucun élément intrinsèque aux actes contestés, ou probant produit par les parties, ne vient démontrer que les intimés connaissaient les objectifs économiques du projet de la société Ariano et de Monsieur [E], cette affirmation étant d’autant plus contestable que, dans l’acte de vente du bar discothèque, la partie acquéreur s’engageait à ne pas changer la destination des lieux, commerciaux alors que cette modification était inhérente à un projet de revente rapide par lot tel qu’envisagé par les appelants  ; enfin il sera relevé que le prix d’acquisition notamment du local commercial mais aussi des logements, est très inférieur à celui du marché concernant les immeubles du secteur, eu égard à leur état dégradé, mais aussi aux contraintes inhérentes au plan de sauvegarde urbain, publié de longue date ;

Dès lors le jugement déféré sera infirmé en ce qu’il a considéré que Maître [F] n’avait pas garanti l’efficacité des actes reçus en manquant à son obligation de conseil concernant l’unique parcelle [Cadastre 10] ; l’absence de faute concerne tous les biens visés dans les deux actes en litige ;

En l’absence de faute retenue à l’encontre de Maître [F] et la société de notaires, les demandes concernant la société MMA Iard Assurances Mutuelles, leur assureur seront rejetées.

Sur la demande en dommages-intérêts pour procédure abusive

La partie intimée a fait un appel incident s’agissant du refus d’accueillir sa demande indemnitaire fondée sur l’existence d’une procédure abusive de la part des appelants ;

Pour accueillir cette demande, il y a lieu d’établir que l’action de la société Ariano et Monsieur [E] a été formé dans le but de nuire à la partie intimée ou pour le moins, en ayant connaissance de l’absence de manquements de celle-ci, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ;

dès lors l’appel incident sera rejeté à cet égard ;

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

La société Ariano et Monsieur [W] [E] succombant dans leurs prétentions, le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné les intimés aux dépens ainsi qu’au paiement de la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société Ariano et Monsieur [W] [E], partie perdante, devront supporter les dépens ; en outre ils seront condamnés à payer à Maître [F], à la SCP Blétoux-[F]-Houillon et à la société MMA Iard Assurances Mutuelles, la somme totale de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; en revanche les appelants seront déboutés de leur propre demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté la société Ariano et Monsieur [W] [E] de leurs demandes principales à l’encontre de Maître [F], de la SCP Blétoux-[F]-Houillon et de la société MMA Iard Assurances Mutuelles,

L’infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute la société Ariano et Monsieur [W] [E] de leurs demandes à l’encontre de Maître [F], de la SCP Blétoux-[F]-Houillon et de la société MMA Iard Assurances Mutuelles,

Rejette l’appel incident s’agissant des dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Condamne la société Ariano et Monsieur [W] [E] à payer à Maître [F], la SCP Blétoux-[F]-Houillon et la société MMA Iard Assurances Mutuelles ensemble, la somme de 3000 euros (TROIS MILLE EUROS) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Ariano et Monsieur [W] [E] aux entiers dépens.

Le présent arrêt a été signé par Madame CUNIN-WEBER, Présidente de la première chambre civile de la Cour d’Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Signé : C. PERRIN.- Signé : N. CUNIN-WEBER.-

Minute en douze pages.

 


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