Marchand de Biens : décision du 26 avril 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 19/07888

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Marchand de Biens : décision du 26 avril 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 19/07888
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1ère Chambre

ARRÊT N°153/2022

N° RG 19/07888 – N° Portalis DBVL-V-B7D-QJY3

M. [N] [Y]

C/

M. [X] [C]

Mme [A] [R] épouse [C]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 26 AVRIL 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Aline DELIÈRE, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre entendue en son rapport,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 18 Janvier 2022

ARRÊT :

contradictoire, prononcé publiquement le 26 Avril 2022 par mise à disposition au greffe, après prorogation du délibéré annoncé au 05 avril 2022 à l’issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [N] [Y]

[Adresse 8]

[Localité 1]

Représenté par Me Bertrand GAUVAIN de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représenté par Me Alban D’ARTIGUES de la SELARL ALÉO, Plaidant, avocat au barreau de NANTES

INTIMÉS :

Monsieur [X] [C]

né le 14 Mars 1944 à [Localité 10] (75)

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Benoît BOMMELAER de la SELARL d’Avocats Interbarreaux Cornet-Vincent-Ségurel, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représenté par Me Florent LUCAS de la SELARL d’Avocats Interbarreaux Cornet-Vincent-Ségurel, Plaidant, avocat au barreau de NANTES

Madame [A] [R] épouse [C]

née le 04 Juin 1950 à VILASECA

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Benoît BOMMELAER de la SELARL d’Avocats Interbarreaux Cornet-Vincent-Ségurel, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Florent LUCAS de la SELARL d’Avocats Interbarreaux Cornet-Vincent-Ségurel, Plaidant, avocat au barreau de NANTES

FAITS ET PROCÉDURE

Suivant acte authentique reçu le 22 mai 2008 par maître Xavier Bouché, notaire à Nantes, la Sci AMC était constituée entre 16 associés, dont M. [X] [C], marchand de biens spécialisé dans l’acquisition et la revente de bâtiments industriels et bureaux, dans le but de valoriser trois ensembles immobiliers précédemment acquis par lui et son épouse en nom propre, à savoir :

– des bureaux et des entrepôts acquis le 3 juillet 2006 à [Localité 4] (61), au prix de 894.734,27 € frais inclus, et loués à la société France Télécom devenue Orange,

– des bureaux et des entrepôts acquis en novembre 2007 à [W] (57), au prix de 2.046.633,99 € frais inclus, loués à la société Spie Est pour l’établissement de son siège régional (spécialisée dans le domaine du génie électrique, mécanique et climatique, de l’énergie et des réseaux de communication), l’ensemble étant situé à proximité des sites sidérurgiques de la société ArcelorMittal,

– deux plateaux de bureaux et des parkings acquis en avril 2008 à [Localité 5] (44), au prix de 769.762,59 € frais inclus, donné en location aux sociétés Ten et Dibcom.

Par le même acte authentique, les associés donnaient tous pouvoirs à [X] [C] et/ou [O] [S], cogérants, pour finaliser les acquisitions par la Sci AMC dans les termes suivants :

– Bureaux et entrepôts d'[Localité 4] : 1.405.000 €,

– Bureaux et entrepôts d'[W] : 2.230.000 €,

– Immeuble de [Localité 5] : 890.000 €,

Soit un total de 4.525.000 €.

Le capital social de la société AMC était fixé à 4.780.000 €, réparti en 80 parts sociales d’un montant nominal de 59.750 €.

[X] [C] faisait l’acquisition de 23 parts représentant un montant de 1.374.250 €, soit 28,75% du capital. Il était associé majoritaire et désigné premier gérant, tandis que M. [O] [S], son gendre, était désigné co-gérant.

Des modifications de capital intervenaient par la suite, ainsi que l’acquisition en 2009 d’un quatrième ensemble immobilier à [Localité 11] (44). Le nombre total d’associés était porté à 24. Le nombre de parts était porté à 1039 pour une valeur nominale de 4.980,00 €, portant le capital social à 5.174.000,00 €.

A cette occasion, en 2009, M. [Y] acquérait 26 parts pour un montant total de 129.480 €. Il détient à ce jour 2,5 % de la valeur actuelle de la SCI AMC.

En 2010, la société Spie Est, locataire de l’ensemble immobilier d'[W] depuis 1975, donnait congé des lieux pour le 31 décembre 2010.

Différents reproches étaient alors formulés par certains associés à l’encontre de M. [C] quant à la constitution et à la gestion de la Sci AMC, tels que la survalorisation du site d'[W] à hauteur de 2.230.000 € faite lors de son achat par la Sci AMC en 2008, l’absence d’information concernant la réalisation de travaux sur le site d’Alençon ou encore l’assouplissement des conditions d’agrément des associés dans la version finale des statuts de la SCI, le tout ayant eu pour effet de grever la rentabilité de leur investissement, tandis que dans le même temps, M. et Mme [C] se séparaient progressivement de biens immobiliers personnels à risque en transférant la charge des aléas sur la communauté des investisseurs.

Sur assignation en référé, M. [I] [H], expert judiciaire, était désigné par ordonnance des 17 septembre et 10 octobre 2013 avec pour mission :

– de déterminer si la valorisation des parts de la Sci AMC à hauteur de 59.750 € la part était ou non exacte ou pertinente voire injustifiée,

– d’apprécier la valeur des biens immobiliers de la Sci AMC (Alençon, [W], [Localité 5]) au jour de sa constitution ainsi qu’en octobre 2008,

– de se prononcer sur l’évaluation du préjudice subi si celui-ci était avéré ainsi que son imputabilité.

L’expert judiciaire déposait son rapport définitif le 28 mars 2015 dans lequel il concluait à une valorisation des trois immeubles à la somme globale de 3.091.000 €, soit une valeur de la part sociale fixée à la somme de 38.637 €, tant au 23 mai 2008 qu’en octobre 2008.

Par assignation en date du 17 décembre 2015, M. [Y] faisait convoquer [X] [C] et son épouse [A] [T] [R] devant le tribunal de grande instance de Nantes aux fins de remboursement du trop-versé sur le montant des parts sociales acquises et d’indemnisation des préjudices subis.

Par jugement du 7 novembre 2019, le requérant était débouté de ses demandes et condamné à payer à M. et Mme [C] la somme de 1000 € au titre des frais irrépétibles.

M. [Y] interjetait appel de l’ensemble des chefs du jugement le 6 décembre 2019.

PRÉTENTIONS ET MOYENS

M. [Y] expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions notifiées et remises au greffe le 28 décembre 2021 auxquelles il est renvoyé en application de l’article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.

Il demande à la cour :

– de réformer le jugement du tribunal de grande instance de Nantes du 7 novembre 2019, sauf la confirmation des motifs décisoires qui constatent qu’est devenue sans objet la demande reconventionnelle des consorts [C] d’obtenir la mainlevée du nantissement de parts sociales et de l’hypothèque judiciaire conservatoire,

– de condamner in solidum [X] [C] et [A] [T] [R] épouse [C] à lui verser les sommes de :

– 45.760,00 € au titre du trop versé en apport en contrepartie des parts sociales,

– 77.547,73 €, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts au titre du déficit de rentabilité du bien,

– le tout avec intérêts de droit à compter de la date d’acquisition des parts de la Sci AMC, outre la capitalisation desdits intérêts,

– 7.500 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,

– 8.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d’instance et d’appel,

– de condamner in solidum [X] [C] et [A] [T] [R] épouse [C] à payer les entiers dépens, en ce compris ceux de référés, les frais d’expertise et les dépens d’instance et d’appel, avec faculté de recouvrement direct pour la Scp Gauvain Demidoff en application des dispositions des articles 695, 696 et 699 du code de procédure civile,

– de débouter [X] [C] et [A] [T] [R] épouse [C] de toutes leurs demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires.

M. et Mme [C] exposent leurs demandes et moyens dans leurs dernières conclusions notifiées et remises au greffe le 4 janvier 2022 auxquelles il est renvoyé en application de l’article 455 alinéa 1 du code de procédure civile.

Ils demandent à la cour :

– de confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nantes en date du 7 novembre 2019,

– de débouter M. [Y] de ses demandes,

– de le condamner à leur payer la somme de 7.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– de le condamner aux entiers dépens avec le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

MOTIFS DE L’ARRÊT

Liminairement, il sera rappelé qu’ainsi qu’indiqué expressément au rapport définitif d’expertise judiciaire en page 5, la situation de relations personnelles de l’expert judiciaire M. [H] avec certaines des parties à l’instance a été explicitée par ses soins par courriels du 17 octobre 2013 adressés au président du tribunal de grande instance de Nantes qui a répondu par courrier du 29 novembre 2013 qu’aucune des parties n’avaient émis d’objection à son maintien pour exécuter la mesure d’instruction à lui confiée.

1) Sur le dol

S’appuyant sur le rapport d’expertise judiciaire de M. [H], M. [Y] soutient que [X] [C], tenu d’une obligation d’information et de conseil renforcée, a, de manière dolosive, survalorisé de 1.689.000,00 € les biens immobiliers composant l’actif de la Sci AMC et a surévalué de manière exagérée leur rentabilité, lui faisant perdre la chance du rendement promis, tandis que les époux [C] ont réalisé un enrichissement personnel important contraire au sens des affaires communément admis.

M. et Mme [C] soutiennent que le dol n’est pas établi, ni le manquement à l’obligation d’information et de conseil, et que les appelants, aguerris aux transactions immobilières spéculatives, n’ignoraient rien des risques de l’opération ni des décisions prises en assemblée générale concernant notamment les travaux, auxquelles ils étaient présents. Ils ajoutent que calculée au 31 décembre 2021, la rentabilité globale sur les 14 années écoulées de l’investissement réalisé par la Sci AMC affiche un taux de rendement de 4.51 %, ce qui, selon eux, demeure un rendement très attractif sur une telle période et fait obstacle à caractériser un quelconque préjudice, étant in fine précisé qu’aucun rendement n’a jamais été garanti, à plus forte raison « à vie ».

De la combinaison des articles 1109 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général de la preuve des obligations, et 1116 du même code dans sa rédaction applicable en l’espèce, il résulte que le dol, cause de nullité des conventions, consiste en une man’uvre ou un mensonge, par commission ou par réticence, ayant pour but et pour effet de surprendre le consentement d’une partie pour le déterminer à contracter. L’auteur des man’uvres, du mensonge ou de la réticence doit avoir agi « intentionnellement pour tromper le contractant ».

Ne se présumant pas, la charge de sa preuve pèse sur celui qui l’allègue et qui doit dès lors établir la réalité des agissements l’ayant conduit à consentir.

Il s’apprécie au moment de la conclusion du contrat et ne peut être établi par des éléments postérieurs à la formation de celui-ci sauf s’ils permettent d’éclairer les circonstances de la conclusion dudit contrat.

Enfin, il est constant que l’erreur sur le prix invoqué par l’acquéreur, à la supposer établie, ne peut être constitutive d’un dol.

Au cas particulier, [X] [C], marchand de biens, s’est engagé dans une opération de valorisation de trois sites industriels, constitués de bureaux, entrepôts et parkings, acquis en commun avec son épouse respectivement en juillet 2006, novembre 2007 et avril 2008 à Alençon (61), [W] (57) et [Localité 5] (44) pour un montant total de 3.711.130,85 € frais inclus, pour les revendre tous les trois le 22 mai 2008 au prix de 4.525.000 € à la Sci AMC constituée le même jour entre 16 investisseurs, dont lui-même à hauteur de 23 parts et M. [Y] à hauteur de 2 parts.

Il appartient à M. [Y] qui invoque une réticence dolosive de la part de M. [C] de rapporter la preuve qu’à la seule fin de le déterminer à acquérir les parts sociales dans la Sci AMC, celui-ci l’a trompé en lui dissimulant volontairement un ou plusieurs faits avérés dont il avait connaissance.

Le congé donné par Spie Est, locataire historique du site d'[W]

M. [Y] reproche à [X] [C] d’avoir dissimulé aux investisseurs de la Sci AMC dès sa constitution le 22 mai 2008 l’information du départ anticipé au 31 décembre 2010 de la société Spie Est, locataire du site d'[W], d’où ils tirent la conclusion que les biens, et particulièrement ce site d'[W], avaient été surévalués au moment de leur apport au capital en mai 2008 à la Sci AMC et la rentabilité globale de l’opération fautivement exagérée.

De fait, courant 2010, la société Spie Est, locataire du site d'[W] depuis plus de 30 années, a fait connaître qu’elle déménageait ses activités dans un site en périphérie de [Localité 9] au plus tard le 31 décembre 2010.

Cette décision faisait suite à la crise de 2008 ayant touché notamment la sidérurgie et conduit la société ArcelorMittal à fermer ses sites de [Localité 7] et [Localité 6] dont dépendait à 60 % le site de la société Spie Est qui en assurait la maintenance.

Spie Est a finalement quitté les lieux en mars 2011 et les locaux sont restés vacants, aucun repreneur ne parvenant à être trouvé, outre que des loyers demeuraient impayés et des dégradations constatées.

Il résulte des pièces versées aux débats que le congé a été donné par la société Spie Est par acte d’huissier en date du 17 juin 2010 avec effet à l’issue de la deuxième échéance triennale, soit le 31 décembre 2010. Le CHSCT extraordinaire a été convoqué pour le 21 juin 2010.

Selon l’expert judiciaire, il est peu probable que l’information de ce déménagement n’ait été connue qu’en 2010 compte tenu de l’importance des opérations préparatoires à conduire.

De fait, Spie Est a signé une promesse de bail commercial portant sur un ensemble de bâtiment en état futur d’achèvement situés à [Localité 9] le 20 octobre 2009.

Toutefois, cette observation ne permet pas d’établir que M. [C] disposait quant à lui de cette information du départ de Spie Est dès avant la date de constitution de la Sci AMC le 22 mai 2008, soit deux années auparavant.

Et aucun élément n’est produit qui permettrait d’établir cette connaissance par M. [C] au jour du 22 mai 2008, voire dès début 2008 au moment où le projet de la Sci AMC a été envisagé.

Le fait qu’il rencontre M. [U] [J], le responsable immobilier de Spie Est, le 8 février 2008 sur site, ainsi que cela résulte d’un courriel établi le 28 septembre 2012 par ce dernier à Adexia Gestion, société de gestion d’immobiliers d’entreprises, n’établit pas plus cette preuve, M. [C] étant par ailleurs amené à entretenir des relations professionnelles avec le site industriel dont il avait fait l’acquisition en 2007.

Il peut être également retenu que [X] [C] a conservé 28,75 % des parts dans la Sci AMC constituée le 22 mai 2008, soit 23 parts sur 80 parts représentant une valeur de 1.374.250 €, ce qui paraît aller à rebours de l’attitude d’un investisseur en possession d’une information d’une perte de valeur des biens investis.

Enfin, suivant procès-verbal d’assemblée générale en date du 24 mars 2011, la quasi-intégralité des associés décidaient de mettre en vente le site d'[W] au prix de 1.000.000 €, sans qu’aucune contestation ait été élevée sur le prix d’acquisition ou les circonstances du départ inopiné du locataire historique.

Il résulte de ce qui précède que M. [Y] échoue à prouver que [X] [C] avait connaissance au jour de l’acquisition par la Sci AMC le 22 mai 2008 des trois sites industriels, dont celui d'[W], de ce que la société Spie Est, son locataire historique, allait quitter les lieux deux années et demi plus tard le 31 décembre 2010 et ce de manière anticipée.

Le risque locatif pour la Sci AMC n’en était pas moins sérieusement pris en considération par les associés puisqu’ils adoptaient à la majorité des voix lors de l’assemblée générale du 11 mars 2009 le « principe d’une acquisition complémentaire pour compléter la Sci, diversifier et lisser le risque locatif », ce qui s’analyse en une conscience partagée des aléas des investissements effectués et une gestion prudente des aléas. Cette résolution se concrétisera par l’acquisition d’un 4ème immeuble, situé à Saint-Herblain (44) dont chacun s’est accordé à reconnaître l’effet positif sur les comptes de la Sci.

La valeur des biens immobiliers d’entreprise et des parts sociales

M. [Y] estime que par suite d’une surévaluation des trois sites immobiliers au moment de leur apport à la Sci AMC le 22 mai 2008, la valeur des parts sociales s’en est trouvée également surévaluée à son détriment.

De fait, l’expert judiciaire M. [H] a retenu les évaluations suivantes :

– [Localité 4] :1.266.000 €

– [W] :1.070.000 €

– [Localité 5] : 755.000 €

– Total :3.091.000 €

Soit une valeur de part sociale de : 38.637 €, au lieu de 59.750 €.

Appliquant les principes de la charte de l’expertise en évaluation immobilière, l’expert judiciaire a procédé selon une approche par le revenu et qui conduisait « pour un investisseur avisé, d’anticiper ce qui pouvait se passer » dans l’hypothèse où le preneur en place donnait congé à l’expiration de la période triennale en cours, soit au 31 décembre 2010 pour le site d'[W].

Les deux expertises de M. [M] du cabinet [B] d’une part, et de M. [V] d’autre part, diligentées à l’initiative de M. [C], et ayant donné lieu à deux rapports respectivement remis en décembre 2013 et en novembre 2014, se plaçaient plutôt dans une perspective de poursuite d’activité, d’où les évaluations suivantes :

M. [M] :

– [Localité 4] : 1.620.000 € hors droits et 1.720.000 € droits inclus – [W] : 2.115.000 € hors droits et 2.250.000 € droits inclus

– [Localité 5] : 909.000 € hors droits et 970.000 € droits inclus – Total :4.570.000 €

Soit une valeur de part sociale de : 57.125,00 € au lieu de 59.750 €.

M. [V] :

– [Localité 4] : 1.540.000 €

– [W] : 2.035.000 €

– [Localité 5] : 780.000 €

– Total :4.355.000 €

Soit une valeur de part sociale de : 54.937,50 € au lieu de 59.750 €.

M. [H] notait, s’agissant du site d'[W], que le recul du marché français de l’investissement en matière de bureaux – ce qui constituait la part majoritaire dans les biens de la Sci AMC ‘, était apparu limité début 2008, que les volumes investis étaient restés à un niveau largement supérieur à la moyenne trimestrielle des années précédentes pour les opérations de province et que les valeurs en immobilier d’entreprise, contrairement à l’immobilier résidentiel, n’avaient évolué que modérément sur la période 2002/2008.

L’immobilier du site d'[W] avait été acquis au prix de 1.400.000 € par la société Amethyste Real Estate entre 2004 et 2006, puis a été acquis par M. et Mme [C] au prix de 1.900.000 € en novembre 2007 et enfin a été revendu à la Sci AMC au prix de 2.230.00 € le 22 mai 2008.

La valeur retenue lors des ventes successives a tenu compte du contexte locatif particulier, à savoir la présence de l’entreprise Spie Est depuis plus de 30 ans, pour laquelle, même si la 2ème période triennale arrivait à échéance au 31 décembre 2010, aucun départ du site n’était envisagé à la date de la cession du 22 mai 2008, ce qui en faisait effectivement le point fort de l’investissement.

Aucune objection n’était du reste formulée par quiconque à cette date sur ladite valeur retenue. Pas plus que pour celle des deux autres sites.

La crise économique de 2008 est venue contrarier ces prévisions, spécialement pour le site d'[W] dont le locataire a mis fin à l’exploitation des lieux, ce qui constitue en vérité le point d’achoppement de cette affaire.

De ces circonstances doublement particulières ‘ présence d’un locataire historique / bon niveau du marché de bureaux ‘ il ne peut se déduire, par une approche à rebours des événements, que le site spécifique d'[W] était surévalué de manière déterminante au moment de son apport au capital de la Sci AMC.

Il en va de même pour les sites d'[Localité 4], toujours exploités par Orange, et de [Localité 5].

Il sera enfin souligné qu’en dépit des vicissitudes inhérentes à la gestion de toute Sci de placement, il n’est pas fait état de ce que les associés aient quitté la structure, ni que celle-ci ait été liquidée ou clôturée.

La plaquette commerciale

M. [Y] entend encore soutenir que la plaquette commerciale a présenté les mérites de l’investissement de manière trompeuse et mensongère, en vantant une rentabilité excessive, une pérennité des baux et une solvabilité acquise des locataires, tandis que le silence était selon lui orchestré par M. [C] quant à l’absence d’intérêt de l’emplacement du site d'[W], l’absence de marché local, le risque très important de l’investissement, la médiocrité de l’environnement, les bâtiments démodés et obsolètes, un site hors tertiaire et hors zone d’activité et une absence totale de marché de bureaux de cette importance.

De fait, la plaquette commerciale, dont il n’est pas contesté qu’elle a été élaborée par M. [C], est rédigée sur 7 pages utiles et comporte une description sommaire des biens qui auront vocation à composer les actifs de la Sci AMC. Il y est annoncé une rentabilité nette de 7,99 % en 2008 et 7,82 % en 2009, les années postérieures n’étant pas renseignées, le tout étant estampillé de la mention apposée sur chaque bas de page « document non contractuel remis à votre demande ».

Les investisseurs se sont contentés de cette plaquette publicitaire flatteuse.

Elle ne présentait pas l’investissement comme ayant une rentabilité garantie. Et les actes constitutifs de la Sci AMC n’ont pas reproduit ces éléments de rentabilité.

En pratique, la rentabilité locative nette de travaux s’est établie à :

– 6,6 % pour l’année 2008,

– 8,4% pour l’année 2009,

– 8,8 % pour l’année 2010.

Avec la précision que la société AMC a été constituée en mai 2008 et que ce n’est qu’à compter de cette date qu’elle a commencé à percevoir des loyers.

A la fin de l’année 2021, ainsi que l’admet M. [Y], la rentabilité moyenne s’est établie à 4,51 % sur 14 années, site de Saint-Herblain inclus puisqu’il fait partie des actifs et que la rentabilité d’une Sci ne peut s’apprécier que globalement même si ce bien n’a pas été pris en considération dans l’expertise judiciaire dont le périmètre de la mission était cantonné à l’année 2008.

C’est certes un rendement moindre que les promesses faites mais c’est néanmoins une rentabilité qui est demeurée positive au regard des risques qu’a pu constituer une telle opération d’investissement en immobilier d’entreprise.

Ainsi que le concèdent l’expert judiciaire désigné et les deux experts intervenus amiablement en amont du litige, « la science de l’estimation immobilière n’est pas une science exacte ».

Il en va de même de l’investissement en immobilier d’entreprise, l’aléa étant d’autant plus majoré que la promesse de gains est importante.

S’agissant de l’état des locaux d'[W], ceux-ci ont donné lieu à des loyers impayés ont subi des dégradations liées aux manifestations enclenchées après l’annonce du départ vers le site de [Localité 9]. Les réparations locatives ainsi que les loyers impayés ont toutefois été récupérés par la Sci AMC, certes au prix d’une procédure judiciaire, mais qui a pu aboutir.

Après le départ de la société Spie Est, aucun nouveau locataire n’a pu être trouvé et le site aurait finalement été revendu en 2 tranches au prix total de 445.000 €, le risque étant cette fois entièrement consommé.

Il peut encore être précisé que bien que sommaire, la brochure commerciale de présentation du projet a mentionné pour le site d'[Localité 4] que « des investissements complémentaires sur le site sont prévus par France Télécom avec une prolongation de bail supplémentaire ».

Certes les modalités n’étaient pas explicitées plus avant, mais le coût des travaux préfinancés par la Sci AMC s’est élevé à la somme de 164.784,65 € en 2008 et 36.583,79 € en 2009, dont 100.000 € sur fonds propres tandis que le locataire France télécom a, quant à lui, pris en charge des travaux pour un montant de 500.000 € et M. [C] personnellement à hauteur de 100.000 €. Ils ont été traduits dans les comptes de la Sci AMC et approuvés en assemblée générale.

Si la brochure commerciale n’est pas détaillée, elle n’en est pas moins demeurée prudente, son objectif étant de séduire les investisseurs, à charge pour eux ensuite d’entrer dans la négociation, dont il peut être rappelé qu’elle a été conduite notamment par [P] [L] et [K] [E], conseillers en gestion de patrimoine et eux-mêmes investisseurs.

Les conditions d’agrément des associés

M. [Y] reproche encore à M. [C] d’avoir fait modifier dans l’acte constitutif de la Sci AMC les conditions de cession des parts sociales qui, dans le projet initial, étaient soumises à l’agrément des associés à la majorité simple et, dans l’acte définitif, étaient libres de tout agrément pour les cessions au profit d’un associé, du conjoint, d’un ascendant ou descendant dudit associé, ce qui lui aurait permis de se désengager de la Sci AMC.

Si les pièces versées aux débats ne permettent pas de retracer les circonstances de cette modification ‘ initiative du notaire, demande de M. [C] ‘, il reste que M. [Y] n’explique pas en quoi elle aurait eu une incidence négative, voire dolosive, sur le projet de la Sci AMC.

Il peut être relevé qu’en effet, à la faveur de cette modification, si un associé se porte acquéreur, il est, de par son statut, déjà agréé par la communauté des investisseurs. Quant à la cession au conjoint ou à un membre de la famille, aucun exemple n’est cité, outre qu’il est permis de s’interroger sur le fait que M. [C] ait imaginé un tel stratagème pour revendre à son entourage familial des biens qui auraient perdu de leur valeur.

L’ensemble de ces constatations, qui témoignent de la difficulté, voire de l’impossibilité, de « performer » financièrement de manière durable dans des opérations d’investissement en immobilier d’entreprise portant sur des « véhicules à risques », fait obstacle à qualifier une intention délibérée de la part de M. [C] de tromper les investisseurs impliqués dans le projet de la Sci AMC.

La réalisation d’un risque ne fait pas le dol.

Et, pour étayé qu’il soit, le rapport d’expertise judiciaire établi par M. [H] est inopérant à effacer a posteriori cette dimension du risque de l’entreprise considérée.

Le jugement de première instance ayant écarté le dol sera confirmé.

2) Sur le devoir d’information et de conseil

M. [Y] soutient que lorsqu’une personne fait profession de cumuler pour chaque montage d’opération immobilière la quintuple qualité de propriétaire vendeur, apporteur d’affaire, associé fondateur, cédant de parts sociales et professionnel aguerri en immobilier, elle est nécessairement débitrice d’obligations renforcées d’informations et de conseils à l’égard des acquéreurs sollicités par elle.

Il se fonde à cet égard sur les articles 1134, 1135, 1147 et suivants du code civil, dans leurs versions applicables au litige, antérieures à l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 en vigueur depuis le 1er octobre 2016 ainsi que 1104, 1112, 1602 et 1603 du même code et reproche à M. [C] un manque d’information sur la méthode de calcul des actifs, sur le descriptif des biens, sur les travaux à venir (site d'[Localité 4]), sur les risques de non perception des loyers ou encore sur l’aléa de la rentabilité.

Or, M. [Y] est aguerri aux investissements sur des « véhicules à risque » de sorte qu’il ne peut prétendre qu’à une information simple pourvu qu’elle ne soit pas fausse ou déloyale.

M. [Y] est un investisseur éclairé.

Que ce soit pour le dol ou bien l’obligation de renseignements et d’information, le comportement du vendeur est apprécié en fonction de la situation du client. Il est constant en effet que la jurisprudence apprécie moins rigoureusement cette obligation en présence d’un client et/ou acquéreur aguerri et averti.

En l’occurrence, M. [Y] est le gérant, depuis plus de dix ans, de son propre commerce. Il est en outre gérant et associé unique d’une SCI ayant une activité immobilière.

Ainsi, il est constant que Monsieur [Y] est un investisseur aguerri particulièrement rompu au monde des affaires en général et à l’investissement immobilier en particulier.

Il ne le conteste du reste pas.

C’est donc à juste titre que le tribunal a jugé qu’il ne pouvait être considéré comme un simple particulier, qu’il était au contraire un professionnel dans ce domaine et qu’il avait fait le choix d’investir dans une opération financière visant à obtenir un rendement plus intéressant que la moyenne et ne pouvait dès lors en ignorer les risques.

Ainsi qu’il l’a été ci-dessus rappelé, la brochure publicitaire des biens immobiliers proposés à l’investissement a retenu une présentation flatteuse desdits biens sans pour autant s’engager sur une rentabilité au-delà de l’année 2009, ni sur une garantie locative permanente, tout en précisant que le document n’avait pas de valeur contractuelle.

Professionnel de l’investissement immobilier, M. [Y] disposait des connaissances utiles pour apprécier à sa juste valeur le document publicitaire présenté par M. [C] et évaluer à leur juste niveau les risques inhérents à l’opération d’investissement.

Au regard de ces éléments, M. [Y] ne peut se prévaloir d’un manquement à l’obligation d’information et de conseil de la part de M. [C].

Il n’allègue, ni a fortiori n’établit, qu’il ait cherché, au travers d’échanges épistolaires par exemple, à obtenir un quelconque renseignement complémentaire aux informations délivrées par M. [C], ni qu’il ait exprimé le souhait de souscrire à des conditions différentes, ou encore qu’il ait formulé des réserves sur la rentabilité annoncée.

Le jugement de première instance ayant écarté le manquement au devoir d’information et de conseil sera confirmé.

3) Sur le préjudice moral

Compte tenu de ce qui précède, M. [Y] sera débouté de sa demande au titre du préjudice moral.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

4) Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant, M. [Y] sera condamné aux dépens d’appel, le premier jugement étant par ailleurs confirmé s’agissant des dépens de première instance mis à la charge de M. [Y] et qui comprennent les frais d’expertise de référé et pourront être recouvrés directement par la Selarl d’avocats interbarreaux (Nantes-Paris-Rennes-Lille-Bordeaux) Cornet-Vincent-SégureI (C.V.S. Maître Florent LUCAS) conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

M. [Y] sera débouté de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

Enfin, il apparaît équitable qu’il verse à M. et Mme [C] une somme de 1.000 € au titre des frais irrépétibles que ceux-ci ont dû engager pour se défendre dans le cadre de la procédure initiée.

 


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