Marchand de Biens : décision du 24 janvier 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/10883

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Marchand de Biens : décision du 24 janvier 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 19/10883
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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-1

ARRÊT AU FOND

DU 24 JANVIER 2023

N° 2023/ 31

Rôle N° RG 19/10883 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BERS3

S.C.P. MARTEL REISON FIORA DISDIERREBUFAT

C/

SNC DEMEURES ET INVESTISSEMENTS

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Maud DAVAL-GUEDJ

Me Jean-david WEILL

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 04 Juin 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 17/06646.

APPELANTE

S.C.P. MARTEL REISON FIORA DISDIER REBUFAT Notaires associés

demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, plaidant par Me Thomas DJOURNO, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

SNC DEMEURES ET INVESTISSEMENTS,

demeurant [Adresse 1]

représentée et assistée par Me Jean-david WEILL, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 05 Décembre 2022 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Olivier BRUE, Président, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Olivier BRUE, Président

Mme Danielle DEMONT, Conseiller

Madame Louise DE BECHILLON, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Colette SONNERY.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 24 Janvier 2023.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 24 Janvier 2023,

Signé par Monsieur Olivier BRUE, Président et Madame Céline LITTERI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Par acte authentique du 13 décembre 2012, la SNC Demeures et Investissements a acquis, auprès des sociétés La Poste et SCI BP Mixte cinq biens immobiliers, situés à Aix-en-Provence, Marseille, Barcelonnette, Serre et le Luc, constitués de bureaux de poste et de leurs annexes, pour un prix global de 2.284.000 € T.T.C., dont 157.120,50 € de T.V.A., les sociétés cédantes ayant expressément opté pour l’assujettissement de quatre de ces ventes à la T.V.A. sur la marge, en vertu des dispositions de l’article 260 5° bis du Code Général des Impôts.

Exerçant une activité de marchand de biens, la SNC Demeures et Investissements a revendu les biens, situés à [Localité 5], [Localité 3] et le [Localité 4], par actes authentiques établis par Me Rebufat, Notaire à [Localité 5] en 2013, 2014, et 2015.

A la suite d’une vérification de sa comptabilité, l’administration fiscale, a notifié, le 27 novembre 2015, à la SNC Demeures et Investissements, une proposition de rectification,afférente à la TVA de l’exercice 2012 et le 14 mars 2016, une rectification relative à la TVA des exercices 2013 et 2014.

Il a ainsi été procédé à un rappel de TVA de 157.120 €, déduite au titre de l’exercice 2012, outre les intérêts de retard, pour un montant de 21.909 €.

A également été notifié, pour les exercices 2013 et 2014, un rappel de 14.474 €, au titre de la TVA, auxquels s’ajoutent 1.563 €, d’intérêts de retard.

Vu l’assignation du13 mai 2016, par laquelle la SNC Demeures et Investissements a fait citer la SCP Martel Reison Fiora Disdier Rebufat, notaires, devant le tribunal de grande instance de Marseille.

Vu le jugement rendu le 4 juin 2019, par cette juridiction, ayant condamné la SCP Martel Reison Fiora Disdier Rebufat:

– à payer à la SNC Demeures et Investissements une somme de 76.842,59 €, à titre de dommages et intérêts ;

– à lui payer une somme de 2.000 €, au titre des dispositions de l’article 700 du Code de

procédure civile ;

– aux entiers dépens de l’instance.

Vu la déclaration d’appel du 4 juillet 2019, par la SCP Martel Reison Fiora Disdier Rebufat.

Vu les conclusions transmises le 10 novembre 2022, par l’appelante.

Elle expose qu’aucune faute ne peut lui être imputée, dès lors que la SNC Demeures et Investissements qui connaissait parfaitement l’option dont elle disposait en la matière, ne démontre pas l’avoir informée de son choix de se soumettre à la TVA, les pièces révélant au contraire qu’elle entendait s’y soustraire. Elle ajoute :

-que l’intimée reprochait en première instance au notaire de ne pas avoir prévu de mention relative à l’option matière de TVA et non un défaut de conseil et d’information et qu’en statuant sur ce point, le tribunal a renversé la charge de la preuve.

– que le courrier adressé par l’expert-comptable informant de la déduction de la TVA de l’acquisition en 2012, ne peut avoir entraîné de sa part un défaut de conseil.

– que son devoir de conseil ne peut se prolonger dans le cadre du contrôle fiscal.

La SCP Martel Reison Fiora Disdier Rebufat souligne qu’il résulte de la motivation du redressement fiscal que celui-ci est fondé sur le fait que la récupération de la TVA a été réalisée à tort dès l’origine en 2012, donc antérieurement à la rédaction des actes de vente litigieux.

Elle conteste l’existence d’un préjudice, en l’absence de justification d’un recours à l’encontre des paiement de la TVA et de l’exécution de celui-ci et considère qu’il ne peut s’analyser qu’en une perte de chance d’avoir pu opter à la taxation à la TVA, alors qu’aucun des acquéreurs n’avait intérêt à consentir à une hausse du prix de cession correspondant à la TVA et qu’une partie des biens acquis était exclue du champ d’application de la TVA.

Vu les conclusions transmises, le 13 novembre 2022, par la SNC Demeures et Investissements.

Elle estime que le notaire a manqué à son devoir de conseil, dû alors même qu’elle a la qualité de professionnel, en ce qu’il a omis d’informer les parties de l’opportunité de mentionner au sein des actes authentiques de vente, la mention d’option expresse à la TVA alors que par courriel du 17 juillet 2013, l’expert comptable de la société Demeures et Investissement demandait à la défenderesse si la société devait garder à sa charge de la TVA à l’occasion de la revente des

biens. Elle lui reproche de ne pas l’avoir soutenue dans le cadre de la procédure de rectification.

La SNC Demeures et Investissements fait valoir, sur le lien de causalité que la doctrine de l’administration fiscale considère que la TVA n’aurait été déductible qu’à l’occasion de la revente des biens et ajoute qu’au titre des exercices 2013 et 2014, lors de la revente des biens, la TVA d’amont n’était pas plus déductible, faute d’option à la TVA formalisée dans l’acte authentique et que c’est donc l’absence d’option à la TVA qui a empêché par principe sa déductibilité. Elle soutient qu’en l’absence de carence du notaire, une régularisation auraît pu être demandée.

Elle invoque une perte quasi totale du bénéfice de la déduction pour les cessions à des assujettis et une perte de chance, pour des cessions à des non-assujettis, ainsi que préjudice pour non-déductibilité de la TVA afférente aux frais de notaire et frais d’étude.

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 14 novembre 2022.

SUR CE

Le notaire soutient à tort que le tribunal aurait commis une erreur de droit et renversé la charge de la preuve, au motif que la SNC Demeures et Investissements n’aurait pas fondé son action sur un manquement au devoir de conseil, mais seulement sur l’absence de mention de l’option relative à la TVA dans les actes qu’il a établis.

En effet il ressort des termes de l’assignation et des conclusions de cette dernière qu’elle estime que l’officier ministériel a commis une faute en ne portant pas mention dans les actes de vente de l’option matière de TVA, dont elle pouvait bénéficier, manquant ainsi à son devoir de conseil à l’égard d’une société n’ayant pas une vocation fiscaliste.

Le notaire est tenu d’informer et d’éclairer les parties de manière complète et circonstanciée sur la portée et les effets, notamment quant aux incidences fiscales, de l’acte auquel il prête son concours, dont il garantit la validité et l’efficacité.

Il était donc tenu d’un devoir de conseil sur cette option avec ses conséquences, alors même que la SNC Demeures et Investissements exerçait l’activité de marchand de biens et pouvait connaître la législation en la matière, sans pour autant être spécialiste en matière de contributions indirectes.

Dès lors qu’il lui appartenait d’interroger la SNC Demeures et Investissements sur son choix en matière de TVA, il ne peut lui faire grief de ne pas l’avoir informé spontanément de celui-ci.

La preuve de l’exécution de l’obligation de ce chef lui incombe étant observé que vu les conditions d’achat par la société Demeures et investissements et de revente, l’option était bien possible.

Il résulte en effet des dispositions des article 260 5° bis et 261 5 2°, du code général des impôts que pour être fondé à déduire lors de la revente du bien la TVA supportée lors de la transaction passée en 2012, le vendeur assujetti à la TVA doit, dans la mutation de revente, expressément opter pour ce régime, l’intérêt de l’option pour le vendeur étant de lui permettre de valider une déduction de la TVA antérieurement supportée.

Il peut donc être reproché au notaire de ne pas avoir avisé la société de l’existence de ce régime qui implique, pour en bénéficier, que l’option soit consignée à l’acte de cession.

Les actes authentiques de vente litigieux des 25 juin 2013, 17 juillet 2013 et 28 mai 2014, établis avec le concours de Me Rebufat, notaire assistant le vendeur, soit la SNC Demeures et Investissements portent tous la mention suivante :

« Pour la perception des droits, le vendeur déclare :

– être assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée, dans le cadre de son activité

économique ;

– que l’immeuble vendu est achevé depuis plus de 5 ans.

En conséquence, la présente vente est exonérée de la taxe sur la valeur ajoutée en application de l’article 261,5-2° du Code général des impôts mais est soumise à la taxe de publicité foncière au taux de droit commun prévu par l’article 1594 du Code général des impôts ».

Il apparaît cependant que les actes notariés de cession ne portent pas de mention expresse sur le choix pour la TVA, tel qu’il est expressément requis par l’article 260, 5° du Code général des Impôts.

Par courrier électronique adressé le 17 juillet 2013 à la collaboratrice de Me Rebufat, Mme [N], expert comptable de la SNC Demeures et Investissements lui a indiqué : « je vous rappelle que lors de l’acquisition il a été versé par la société Demeure et Investissements au vendeur la TVA. Cette TVA a fait l’objet d’une demande de remboursement. Ce remboursement a été obtenu par la société Demeure et Investissements en date du 31/05/2013. Merci de nous confirmer qu’il n’y a pas de TVA à reverser, lors de la revente de ce bien ».

L’absence de réponse à cette question précise constitue en elle-même un manquement du notaire à son obligation de conseil, alors même que les acheterurs n’étaient pas tous eux mêmes soummis à la TVA.

Le notaire n’apporte ainsi pas la preuve qu’il en a duement informé le vendeur et donc avoir rempli son devoir d’information et de conseil à l’égard de la SNC Demeures et Investissements.

Une faute doit donc lui être imputée de ce chef.

Il n’était pas tenu en revanche, postérieurement à la signature de l’acte, d’assister le vendeur dans le cadre du contrôle fiscal dont il a fait l’objet.

Il incombe à celui qui agit en responsabilité civile délictuelle de démontrer l’existence d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice qu’il allègue.

Le préjudice invoqué par la société intimée, s’analyse comme une perte de chance, à apprécier notamment au regard des rectifications opérées par l’administration fiscale.

La proposition de rectification notifiée par l’administration fiscale le 27 novembre 2015 , relative à l’exercice 2012, a rejeté la déduction de la TVA réalisée par la société Demeures et Investissements, lors de sa déclaration du quatrième trimestre 2012,pour un montant de 157.120 € pour les motifs suivants:

« Il est constaté sur la période du 01.01.2012 au 31.12.2012 (exercice fiscal 2012) qu’aucune cession de tout ou partie de l’immeuble n’est intervenue, qu’il n’y a donc pas eu, sur cet exercice, la possibilité pour la société d’opter dans un acte notarié de cession pour la taxation à la TVA des ventes.

En conséquence la TVA déduite sur le prix d’acquisition de l’immeuble ancien de plus de cinq ans, ne peut, s’agissant pour ces immeubles d’une option de taxation qui doit être éventuellement exercée par le vendeur dans l’acte notarié lors de la revente du bien, ouvrir droit à déduction conformément aux dispositions législatives ci- devant rappelées au §1- 1° Législation applicable.

Au surplus, il est noté que les ventes successives de lots d’immeuble en cause, opérées en 2013-2014 n’ont pas donné lieu à option pour la TVA.Rappel de la TVA déductible au 31.12.2012 : 157.120 € ».

Il résulte de cette formulation que le rejet de la déduction de la TVA était fondé du seul fait qu’elle ait été opérée prématurément sur la déclaration CA3 du quatrième trimestre 2012, indépendamment des options ayant pu être prises dans les actes de cession intervenue en 2013 et 2014.

La proposition de rectification adressée le 14 mars 2016, pour la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014, relève cette déduction et observe que les biens immobiliers acquis par acte du 13 décembre 2012 ont été intégralement vendus en exonération de TVA et qu’en conséquence la TVA concernant l’acquisition, les frais d’acquisition, les commissions diverses versées aux tiers dans le cadre de cette opération immobilière ne peut être admises en déduction. Ont été ainsi exclus les montants d’une facture de conseil en investissement, ainsi que que celle d’un des notaires pour un montant total de 14’474 €.

Sur le lien causal entre cette faute et le préjudice, il résulte ainsi de la motivation adoptée par l’administration fiscale que le redressement invoqué au titre du préjudice a été généré par la déduction prématurée sur l’exercice 2012 de la totalité de TVA acquittée pour 157 120,50€, lors de l’achat, alors qu’en fait, aucun des lots n’avait été revendu sur ledit exercice et qu’en droit, la déduction n’était possible que si le bien avait été déjà revendu avec en outre mention à l’acte de revente de l’option à l’acte.

Le redressement en cause est donc motivé par l’impossibilité de déduction à raison de l’absence de revente.

La situation aurait donc été la même si la société avait exercé son option à l’acte de revente de 2014 et déduit l’entière TVA dans sa déclaration au titre de l’exercice 2012.

Certes, le redressement contenu à la proposition de rectification du 27 novembre 2015 mentionne aussi que ‘les ventes successives de lots d’immeuble, opérées en 2013- 2014, n’ont pas donné lieu à option pour la TVA’ et cette observation est réitérée dans la proposition du 14 mars 2016.

Pour autant, cette observation ne permet pas de considérer, ainsi que le prétend l’intimée, que si la mention de l’option avait été portée par le notaire à l’acte de 2013, l’administration aurait admis le droit à réduction d’impôt au titre l’exercice 2012, ni au demeurant, au titre d’un autre exercice.

En effet,

– d’une part, la société ne pouvait rien déduire de 2012, en l’absence de vente passée à cette date, le redressement précisant d’ailleurs clairement à ce sujet: « il est constaté sur la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2012 (exercice 2012) qu’aucune cession de tout ou partie de l’immeuble n’est intervenue, qu’il n’y a donc pas eu sur cet exercice la possibilité pour la société d’opter dans un acte notarié de cession pour la taxation de la TVA des ventes »

– d’autre part, quand bien même le notaire eût proposé l’option et que la société eût opté, elle avait, de toute façon, déduit de façon erronée et prématurée, au titre de l’année 2012, l’intégralité de la TVA payée au titre de son achat de 2012, de telle sorte qu’elle s’était ainsi, elle même, privée de toute autre déduction et qu’elle ne peut prétendre qu’elle aurait pu la récupérer sur un autre exercice,

– enfin, la cour ne peut remettre en cause la position de l’administration fiscale selon laquelle la TVA n’est déductible qu’à la revente du bien.

La société se prévaut donc vainement de ce que la faute du notaire l’aurait empêchée de bénéficier de toute autre déduction au titre d’un autre exercice fiscal et également de ce que ‘c’est …l’absence d’option à la TVA qui a empêché par principe sa déductibilité’;

Le statut fiscal des acquéreurs des biens immobiliers au regard de la TVA est sans incidence sur le lien ente le défaut d’option du vendeur et les rectifications opérées à son encontre par l’administration fiscale.

Il apparaît ainsi que le préjudice consécutif au redressement aurait donc existé sans la faute du notaire.

L’existence du lien de causalité entre la faute et le préjudice n’étant pas établie, les demandes formées par la SNC Demeures et Investissements, sont, en conséquence, rejetées.

Le jugement est infirmé, sauf en ce qui concerne les dépens.

Il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile.

La SCP Martel Reison Fiora Disdier Rebufat, qui succombe sur le principe de la faute est condamnée aux dépens de première instance et d’appel conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement déféré,sauf en ce qui concerne les dépens,

Statuant à nouveau,

Rejette l’ensembles des demandes formées par la SNC Demeures et Investissements.

Y ajoutant,

Dit n’y avoir lieu de faire application de l’article 700 du Code de procédure civile,

Condamne la SCP Martel Reison Fiora Disdier Rebufat aux dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 


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