Manuscrits : le défaut d’information sur les risques de placement à risques

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Quelque soit le placement y compris en matière d’investissement dans les oeuvres d’art (manuscrits), le professionnel conseiller en investissements a une obligation d’information sur les placements à risques.

Le fait que l’Autorité des marchés financiers avait appelé les épargnants à la plus grande vigilance en matière de placements atypiques proposés au public, dans des « secteurs aussi divers que les lettres et manuscrits, les oeuvres d’art, les panneaux solaires, les timbres, le vin, les diamants ou autres secteurs de niche » n’exonère pas le professionnel de son obligation d’information.

Nos conseils :

1. Attention à l’importance de vérifier les mises en garde émises par les autorités financières, telles que l’Autorité des marchés financiers, concernant les placements atypiques et les rendements élevés, afin de prendre des décisions éclairées en matière d’investissement.

2. Il est recommandé de s’assurer que les obligations d’information et de conseil des professionnels du secteur financier, tels que les conseillers en gestion de patrimoine, sont respectées, notamment en ce qui concerne la nature des produits d’épargne proposés et les risques associés.

3. Il est conseillé de vérifier si les préjudices subis peuvent être liés à un manquement aux obligations contractuelles, telles que l’obligation de mise en garde sur les risques associés à un produit financier, afin de déterminer la responsabilité éventuelle des parties impliquées.

Résumé de l’affaire

M. [Z] a acquis une collection de manuscrits de la société Aristophil pour 435 000 euros, avec un contrat de garde et de conservation. Après un an, la société a exercé son option d’achat et lui a payé une partie du prix. Cependant, la société a été mise en redressement judiciaire et en liquidation judiciaire, ce qui a empêché M. [Z] de recevoir le paiement complet. Il a donc assigné la société LPR avenir et ses assureurs en indemnisation pour manquement à leurs obligations d’information et de conseil.

Les points essentiels

Examen du moyen


Le moyen soulevé par M. [Z] concerne le rejet de ses demandes contre la société LPR avenir et ses assureurs. Il remet en question la responsabilité de la société dans la surévaluation des produits d’épargne proposés.

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche


Dans cette quatrième branche du moyen, M. [Z] conteste le fait que la cour d’appel n’a pas pris en compte les mises en garde de l’Autorité des marchés financiers concernant les placements atypiques. Il souligne que la société LPR avenir aurait dû informer et conseiller correctement les clients sur les risques associés à ces produits.

Enoncé du moyen


L’enoncé du moyen met en lumière le manquement présumé de la société LPR avenir dans son devoir d’information et de conseil envers M. [Z]. Ce dernier estime que la société aurait dû le mettre en garde sur le caractère risqué des produits d’épargne proposés, en se basant sur les avertissements de l’AMF.

En conclusion, le moyen soulevé par M. [Z] met en lumière la question de la responsabilité de la société LPR avenir dans la surévaluation des produits d’épargne proposés. Il souligne l’importance de l’information et du conseil donnés aux clients, notamment en ce qui concerne les placements atypiques.

Les montants alloués dans cette affaire: – M. [Z] a reçu un premier acompte de 155 322,19 euros de la société Aristophil
– La société Aristophil avait une excellente réputation et une cotation C3 attribuée par la Banque de France
– L’Autorité des marchés financiers avait appelé à la vigilance en matière de placements atypiques, mais ne visait pas spécifiquement la société Aristophil
– M. [Z] n’a pas réussi à prouver un manquement à une obligation d’information et de conseil de la part de la société LPR avenir
– La cour d’appel n’a pas accordé de somme d’indemnisation à M. [Z]

Réglementation applicable

– Article 1147 du Code civil

Article 1147 du Code civil:
“Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.”

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Mme Fèvre, conseiller
– SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. [Z]
– SARL Ortscheidt, avocat des sociétés LPR avenir, CNA Insurance Company Limited et CNA Insurance Company (Europe)

Mots clefs associés & définitions

– Examen du moyen
– Quatrième branche
– Enoncé du moyen
– Société Aristophil
– Autorité des marchés financiers
– Risque sensible
– Obligation d’information et de conseil
– Gestion de patrimoine
– Article 1147 du code civil
– Enoncé du moyen: formulation des arguments juridiques dans un acte de procédure
– Société Aristophil: société spécialisée dans l’investissement dans des manuscrits et documents historiques
– Autorité des marchés financiers: organisme de régulation des marchés financiers en France
– Risque sensible: risque qui peut avoir un impact significatif sur une entreprise ou un investissement
– Obligation d’information et de conseil: devoir pour un professionnel de fournir des informations et des conseils à ses clients
– Gestion de patrimoine: ensemble des activités visant à optimiser la gestion des actifs financiers et immobiliers d’une personne
– Article 1147 du code civil: article du code civil français qui définit la responsabilité contractuelle

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

2 mai 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-15.787
COMM.

SH

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 2 mai 2024

Cassation partielle

M. VIGNEAU, président

Arrêt n° 226 F-D

Pourvoi n° Q 22-15.787

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 2 MAI 2024

M. [W] [Z], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Q 22-15.787 contre l’arrêt rendu le 3 mars 2022 par la cour d’appel de Versailles (3e chambre), dans le litige l’opposant :

1°/ à la société LPR avenir, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à la société CNA Insurance Company Limited, dont le siège est [Adresse 3],

3°/ à la société CNA Insurance Company (Europe), dont le siège est [Adresse 4], exerçant sous le nom commercial CNA Hardy,

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Fèvre, conseiller, les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. [Z], de la SARL Ortscheidt, avocat des sociétés LPR avenir, CNA Insurance Company Limited et CNA Insurance Company (Europe), après débats en l’audience publique du 5 mars 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Fèvre, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Versailles, 3 mars 2022), le 18 juillet 2013, sur les conseils de la société LPR avenir, M. [Z] a acquis de la société Aristophil une collection de manuscrits pour un montant de 435 000 euros. Le même jour, M. [Z] a conclu avec cette société un contrat de garde et de conservation d’une durée d’un an, renouvelable chaque année par tacite reconduction, stipulant que le premier promettait de revendre les manuscrits à la seconde, si bon semblait à celle-ci au terme du contrat, la société Aristophil s’engageant alors à payer le prix de vente initial majoré de 8,75 % par année de garde et de conservation.

2. A l’issue de la première année d’exécution de cette convention, sur la proposition de M. [Z], la société Aristophil a exercé son option d’achat et lui a payé, le 4 novembre 2014, la somme de 155 322,19 euros, le solde du prix devant lui être payé ultérieurement.

3. La société Aristophil a été mise en redressement judiciaire le 16 février 2015 puis en liquidation judiciaire le 5 août 2015, tandis que son président et divers autres concepteurs de l’investissement en cause ont été mis en examen du chef d’escroquerie.

4. Faisant valoir qu’il ne pourrait obtenir le paiement du solde du prix de revente de la collection de manuscrits en cause et soutenant que la société LPR avenir avait manqué à ses obligations d’information et de conseil envers lui, M. [Z] l’a assignée, ainsi que ses assureurs, les sociétés CNA Insurance Company Limited et CNA Insurance Company (Europe), en indemnisation de ses préjudices.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

5. M. [Z] fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes formées contre la société LPR avenir et ses assureurs, alors « que si, comme l’a constaté la cour, en 2013, la société Aristophil bénéficiait d’une image de sérieux et paraissaient présenter toutes les garanties requises au regard des règles prudentielles et si la surévaluation et l’incapacité subséquente d’honorer ses engagements financiers futurs n’étaient pas encore connues des spécialistes de l’analyse financière de la Banque de France qui diffusaient des informations rassurantes sur cette société, il n’en demeurait pas moins que dès le mois de décembre 2012, l’Autorité des marchés financiers avait publié un communiqué appelant les épargnants à la plus grande vigilance en matière de placement atypiques proposés au public dans des secteurs aussi divers que les lettres et manuscrits, les œuvres d’art, les panneaux solaires, les timbres, le vin, les diamants ou autres secteurs de niche ; que le communiqué de l’AMF rappelait “Aucun discours commercial ne doit vous faire oublier qu’il n’existe pas de rendement élevé sans risque élevé. Tout produit affichant un rendement supérieur au taux monétaire (l’épargnant peut aussi se référer au taux du livret A) comporte a priori un risque sensible…” ; qu’en l’espèce le rendement promis (soit 8,75% par an pour les produits souscrits en 2013) était de ceux dont l’AMF considérait qu’ils faisaient entrer le produit d’épargne dans la catégorie des produits comportant “un risque sensible” ; qu’en énonçant qu’il n’était pas établi que la société LPR avenir ait manqué à ses obligations et soit à l’origine des préjudices invoqués par l’appelant au motif inopérant qu’il s’agissait d’une mise en garde générale qui ne visait pas spécifiquement la société Aristophil, laquelle figurait dans le classement du Point de “plus belles sociétés françaises indépendantes” en 31e position affichant une rentabilité en 2012 de 17,21 % sans rechercher, comme elle y était invitée, si l’obligation d’information et de conseil dont la société LPR avenir était débitrice vis-à-vis de M. [Z] dans son activité de conseil en gestion de patrimoine ne devait pas l’amener, lors des opérations des 18 et 31 juillet 2013, à mettre en garde ce dernier sur le fait que le produit d’épargne proposé ne bénéficiait pas de la réglementation protectrice des instruments financiers et que le risque de ce vecteur d’épargne n’était pas “faible” voir nul, mais “sensible”, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 455 du code de procédure civile :

6. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.

7. Pour rejeter les demandes d’indemnisation de M. [Z], l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu’au terme de la première année de l’investissement, conformément aux prévisions contractuelles, la société Aristophil a acquiescé à la proposition de vente de la collection acquise par M. [Z], qu’elle lui a versé, le 4 novembre 2014, un premier acompte de 155 322,19 euros et que seule l’ouverture de la procédure collective a empêché la réalisation pleine et entière de l’opération conclue.

8. L’arrêt retient ensuite que la société LPR avenir ne saurait être considérée comme fautive pour ne pas avoir anticipé le redressement ou la liquidation judiciaire de la société Aristophil, dès lors qu’il ressort des éléments de procédure que cette déconfiture ne pouvait en aucun cas être prédite le jour de la conclusion de l’investissement litigieux, au mois de juillet 2013, cependant que la société LPR avenir ne pouvait avoir connaissance des malversations des dirigeants de la société Aristophil, qui ne seront révélées que fin 2014.

9. L’arrêt précise qu’à cet égard, les pièces versées aux débats démontrent que la société Aristophil, qui avait créé le Musée des [6], installé en dernier lieu dans un hôtel particulier situé [Adresse 5] à [Localité 7] et abritant plus d’un millier de lettres, de manuscrits, de dessins et d’éditions originales de [B], [D], [K], [P] ou [O], jouissait jusqu’en 2014 d’une excellente réputation dans son secteur d’activité et bénéficiait de l’approbation des acteurs institutionnels en matière de placements et d’investissements, la Banque de France lui ayant notamment attribué au mois de juin 2011 une cotation C3 correspondant à un niveau d’activité compris entre 50 et 150 millions d’euros et une capacité à honorer ses engagements financiers à horizon de 3 ans qualifiée de forte.

10. L’arrêt ajoute que, s’il est exact que, dans un communiqué de presse du 12 décembre 2012, l’Autorité des marchés financiers avait appelé les épargnants à la plus grande vigilance en matière de placements atypiques proposés au public, dans des « secteurs aussi divers que les lettres et manuscrits, les oeuvres d’art, les panneaux solaires, les timbres, le vin, les diamants ou autres secteurs de niche », il s’agissait de rappeler que ces secteurs n’étaient pas soumis à la réglementation protectrice des instruments financiers, ce qui signifiait notamment qu’elle n’examinait pas les documents commerciaux établis par la société, cette mise en garde, générale, ne visant pas spécifiquement la société Aristophil, laquelle figurait dans le classement du Point des « plus belles sociétés françaises indépendantes » en 31e position, affichant une rentabilité en 2012 de 17,21 %.

11. L’arrêt en déduit que la cause exclusive du dommage subi par M. [Z] réside dans l`ouverture de la procédure collective de la société Aristophil, que la société LPR avenir ne pouvait anticiper, de sorte que M. [Z] échoue à rapporter la preuve d’un manquement à une obligation d’information et de conseil de la société LPR avenir en lien avec le préjudice qu’il a subi.

12. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. [Z] qui soutenait qu’aux termes de son communiqué du 12 décembre 2012, pour justifier son appel à la vigilance en matière de placements atypiques, parmi lesquels les lettres et les manuscrits, l’Autorité des marchés financiers avait rappelé qu’aucun discours commercial ne doit faire oublier qu’il n’existe pas de rendement élevé sans risque élevé, de sorte qu’en lui recommandant un tel placement sans tenir compte de cette alerte concernant le risque qu’était susceptible de présenter le placement proposé par la société Aristophil, que le rendement proposé imposait de prendre en considération, la société LPR avenir avait manqué à ses obligations d’information et de conseil envers lui, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.