Le 19 mars 2013, M. [L] [V] a signé une convention patrimoniale avec BNP Paribas, incluant deux contrats d’assurance-vie. Le 22 décembre 2020, il a demandé la clôture de cette convention, confirmée par la banque le 24 décembre. Le 12 mars 2021, M. [V] a mis en demeure BNP Paribas de lui verser 120.000 euros, arguant d’un manquement à l’obligation de conseil qui lui aurait fait perdre une opportunité d’investissement après la crise sanitaire de 2020. La banque a refusé cette demande le 13 avril 2021. M. [V] a ensuite saisi le médiateur de l’AMF le 7 juin 2021. Le 18 janvier 2024, il a assigné BNP Paribas devant le tribunal judiciaire de Paris, demandant le remboursement des frais liés à la convention, 120.000 euros pour perte de chance, 15.000 euros en dommages et intérêts, ainsi que des frais de justice. BNP Paribas a demandé le rejet des demandes de M. [V], affirmant qu’il n’avait pas donné d’instructions spécifiques et que la convention ne garantissait pas de résultats. Le tribunal a finalement condamné BNP Paribas à verser 12.000 euros à M. [V] pour perte de chance, tout en rejetant le reste de ses demandes et en condamnant la banque aux dépens.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
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Expéditions
exécutoires
délivrées le:
Me SCHLEEF
Me PENIN
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9ème chambre 2ème section
N° RG 24/01511 – N° Portalis 352J-W-B7I-C3MBZ
N° MINUTE :
Assignation du :
18 Janvier 2024
JUGEMENT
rendu le 16 Octobre 2024
DEMANDEUR
Monsieur [L] [V]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représenté par Me Catherine SCHLEEF, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #C1909
DÉFENDERESSE
S.A. BNP PARIBAS prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Maître Dominique PENIN du LLP KRAMER LEVIN NAFTALIS & FRANKEL LLP, avocats au barreau de PARIS, avocat plaidant, #J0008
Décision du 16 Octobre 2024
9ème chambre 2ème section
N° RG 24/01511 – N° Portalis 352J-W-B7I-C3MBZ
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Gilles MALFRE, Premier Vice-président adjoint,
Augustin BOUJEKA, Vice-président,
Alexandre PARASTATIDIS, Juge,
assistés de Quentin CURABET, Greffier, lors des débats et de Alice LEFAUCONNIER, Greffière, lors de la mise à disposition.
DÉBATS
A l’audience du 04 Septembre 2024 tenue en audience publique devant Monsieur PARASTATIDIS , juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 16 octobre 2024.
JUGEMENT
Rendu publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
Le 19 mars 2013, M. [L] [V] a souscrit une convention patrimoniale dite » Banque Privée » avec la SA BNP Paribas portant sur deux contrats d’assurance-vie.
Par courriel du 22 décembre 2020, M. [V] a notifié son souhait de clôturer la convention précitée à la banque qui a confirmé la prise en compte de cette demande par lettre du 24 décembre 2020.
Par lettre de son assureur de protection juridique en date du 12 mars 2021, M. [V] a mis en demeure la BNP Paribas de lui verser la somme de 120.000 euros, faisant grief à cette dernière d’avoir manqué à son obligation de conseil et de lui avoir ainsi fait perdre une chance de profiter de la hausse des cours de la bourse après l’effondrement des marchés financiers consécutif à la crise sanitaire de 2020.
Par lettre en date du 13 avril 2021, la BNP Paribas a informé M. [V] de son refus de faire suite à sa demande.
Par lettre de son assureur de protection juridique en date du 7 juin 2021, M. [V] a saisi le médiateur de l’Autorité des marchés financiers (ci-après AMF).
C’est dans ce contexte que par exploit de commissaire de justice du 18 janvier 2024, constituant ses seules écritures, M. [V] a fait assigner la BNP Paribas devant le tribunal judiciaire de Paris auquel il est demandé de :
» CONDAMNER la BNP PARIBAS à rembourser Monsieur [V] des frais engagés pour la convention patrimoniale, (à parfaire, selon décompte)
CONDAMNER la BNP PARIBAS à verser à Monsieur [V] une somme de 120.000 € au titre de la perte de chance,
CONDAMNER la BNP PARIBAS à verser à Monsieur [V] une somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts,
CONDAMNER la BNP PARIBAS aux entiers dépens,
CONDAMNER la BNP PARIBAS au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du CPC. »
A l’appui de ses prétentions, M. [V] expose que les 28 février et 10 et 11 mars 2020, il a sollicité des préposés de la BNP Paribas des conseils sur le moment le plus opportun pour repositionner ses avoirs sur des valeurs boursières afin de profiter de la hausse des cours qui devait vraisemblablement intervenir après l’effondrement des marchés au cours de la période de février-mars 2020, et ce en vain. Il ajoute que sa demande de rendez-vous en date du 23 juin 2020 a subi le même traitement.
Il soutient dès lors que l’inaction et l’absence de conseil des gestionnaires de la BNP Paribas caractérisent un manquement à l’obligation contractuelle de conseil de la banque ainsi qu’à son obligation d’exécuter les instructions de son client qui lui a fait perdre une chance d’obtenir un gain qu’il évalue à la somme de 120.000 euros, outre la somme de 15.000 euros, au titre du préjudice subi. Il sollicite par ailleurs la restitution des frais engagés pour le bénéfice de la convention » Banque privée » dont il ne chiffre pas le montant.
Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 3 mai 2024, la BNP Paribas demande au tribunal de :
» Débouter M. [V] de l’intégralité de ses demandes à toutes fins qu’elles comportent.
Le condamner à verser à BNP Paribas la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Ecarter l’exécution provisoire en faveur de M. [V]. »
A l’appui de ses prétentions, elle expose que la convention souscrite par M. [V] concernait uniquement deux contrats d’assurance-vie et avait pour objet de mettre en place une » relation privilégiée » entre le client et son conseiller bancaire afin que celui-ci lui propose conseils et investissements, sans obligation de résultat, M. [V] conservant la gestion active de son portefeuille.
Elle soutient que M. [V] est mal-fondé à rechercher sa responsabilité dès lors que ce dernier ne lui a jamais donné d’instructions spécifiques, les interrogations très générales de ce dernier dans ses correspondances ne pouvant s’analyser en des ordres d’exécution. Elle ajoute que de plus, M. [V] a obstrué sa capacité de conseil par son absence de mise à jour de sa situation fiscale qui avait nécessairement changé du fait de sa mutation en février 2020 à un poste en Centrafrique, sa persistance à s’adresser à un conseiller bancaire qui n’était pas le sien, et son absence de réponse devant les propositions d’investissement qui lui ont été faites vis-à-vis des contrats d’assurance qui seuls faisaient l’objet de la convention » Banque privée » dont il était bénéficiaire.
La BNP Paribas estime dès lors n’avoir commis aucune faute et conclut au rejet des demandes d’indemnisation qui ne sont fondées ni dans leur principe ni dans leur quantum.
Elle conclut enfin à l’impossibilité de faire droit à la demande de restitution des frais qui ne pourrait découler que de la résolution de la convention et donc de la reconnaissance d’une inexécution suffisamment grave de sa part qui n’est par caractérisée au cas particulier, et ce alors que la convention a déjà fait l’objet d’une résiliation en décembre 2020 à l’initiative de M. [V].
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour l’exposé des moyens et arguments venant au soutien de leurs demandes.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 3 juillet 2024. L’affaire a été plaidée à l’audience tenue en juge rapporteur du 4 septembre 2024 et mise en délibéré au 16 octobre 2024.
A titre liminaire, le tribunal relève que le dossier de plaidoirie déposé par le demandeur comprend un jeu de conclusions n°1 qui n’a pas fait l’objet d’une signification par voie électronique antérieurement à la clôture de l’instruction de l’affaire intervenue le 3 juillet 2024. La présente décision sera donc rendue sur la seule base des termes de l’assignation.
1. Sur les manquements de la BNP
Aux termes de l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure applicable au litige, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi, cette dernière disposition étant d’ordre public.
L’article 1147 du même code, dans sa rédaction antérieure, dispose que le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.
En l’espèce, la convention dite » Banque privée » stipule que :
» Article 1 – Objet de la convention
Vous disposez d’un patrimoine dont la nature requiert une gestion adaptée et personnalisée. Aussi, la Banque, soucieuse de répondre à vos attentes, met-elle, en toute confidentialité, à votre disposition dans le cadre de la présente convention :
une relation privilégiée avec un Conseil en Banque Privée, particulièrement compétent pour Vous conseiller dans la définition et la réalisation de votre stratégie patrimoniale,
un ensemble de services Vous permettant de bénéficier: – d’une gestion de portefeuille conventionnellement choisie ;
– de prestations relatives aux contrats d’assurance vie ou de capitalisation que Vous avez souscrits ou auxquels Vous avez adhéré.
une large gamme de produits et services de gestion de patrimoine.
(…)
CONDITIONS PARTICULIERES DE LA GESTION CONSEILLEE DE VOS CONTRATS D’ASSURANCE VIE ET/OU DE CAPITALISATION
Article 1 – Modalités de fonctionnement
1.1 Vous disposez du ou des contrat(s) d’assurance vie et/ou de capitalisation suivant(s) :
– BNP Paribas Multiplacements 2 n° 9150218
– BNP Paribas Multiplacements 2 n° 9330195
souscrit(s) auprès de Cardif Assurance vie .
1.2 Dans le cadre de la Gestion Conseillée, Vous déterminez en toute liberté l’opportunité de suivre ou non les préconisations qui Vous sont proposées.
Tout ajout ou retrait d’un contrat dans le cadre de la Gestion Conseillée désignée dans les présentes Conditions Particulières nécessite l’accord exprès de la Banque. L’accord des Parties devra faire l’objet de la signature d’un avenant.
Article 2 – Profils de risque
Préalablement à la signature de la Convention Patrimoniale. la Banque Vous a présenté les différents niveaux de risque et Vous a précisé que la recherche d’un rendement plus élevé implique toujours une prise de risque plus importante. Face à cette recherche de rendement, les différents niveaux de risque que Vous pouvez être amené à supporter, en fonction de votre choix, Vous sont rappelés ci-après:
Faible :
Vous privilégiez la protection du capital.
Modéré :
C’est pour Vous la juste contrepartie d’une recherche de valorisation du capital.
Assez élevé :
Vous pensez que la diversification entre les classes d’actifs permet souvent de limiter le risque.
Fort :
Vous souhaitez profiter de la performance liée à l’évolution des marchés.
Très élevé :
Vous voulez profiter de la performance des marchés. Vous considérez que les phases de baisse constituent également des opportunités d’arbitrage entre actifs risqués.
Parmi ces niveaux de risque, vous avez défini :
pour le contrat n° 91 50218 le niveau de risque : Assez élevé,pour le contrat n° 9330195 le niveau de risque : Assez élevé,que Vous avez déclaré accepter. »
Il ressort de cette convention que si M. [V] restait le seul décisionnaire des investissement réalisés, il devait néanmoins pouvoir s’appuyer sur les conseils et préconisation d’un conseiller dédié à son portefeuille.
Or, il résulte des pièces produites que le demandeur a, par courriels des 28 février 2020, 10 et 11 mars 2020, sollicité des préposés de la BNP Paribas des conseils sur le moment le plus opportun pour repositionner ses avoirs sur des valeurs boursières.
Si ces demandes ne caractérisent pas des instructions précises, il n’en reste pas moins que la banque ne produit aucun document démontrant qu’une réponse a été apportée à M. [V] sur sa demande d’entretien.
De plus, si la BNP Paribas affirme dans ses écritures avoir fait parvenir à son client des propositions d’investissements auxquelles il n’a pas répondu, elle ne produit cependant aucune preuve en ce sens, la simple évocation de ces propositions dans sa réponse du 11 avril 2021 à la mise en demeure étant insuffisante à démontrer la réalité de ses diligences pendant la période litigieuse.
De même, la BNP Paribas qui fait grief au demandeur d’avoir obstrué sa capacité de conseil en ne lui fournissant pas des éléments actualisés sur sa situation fiscale suite à sa prise de fonction dans un autre pays ne démontre pas avoir sollicité de son client une telle actualisation et, a tout le moins, de l’avoir informé de son incapacité de remplir sa mission du fait de son refus de fournir les justificatifs qu’elle allègue avoir demandés.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la BNP Paribas a manqué à son devoir contractuel de conseil en ne répondant pas aux sollicitations du demandeur de pouvoir s’entretenir sur la gestion de ses avoirs.
2. Sur le préjudice
Aux termes de la convention dite » Banque Privée » précitée, M. [V] a choisi lui-même de garder le pouvoir décisionnel sur ses avoirs et donc de gérer activement son porte-feuille financier. De ce fait il ne peut imputer à la banque la totalité du préjudice qu’il allègue puisqu’il était en capacité de pallier l’inertie en matière de conseil de celle-ci.
De plus, rien ne permet d’affirmer que le demandeur aurait repositionné la totalité de ses avoirs sur des titres boursiers ni que ces éventuels investissements auraient été nécessairement bénéficiaires, étant rappelé qu’en matière d’investissement spéculatif ou boursier, il existe une part d’aléa et que M. [V] acceptait à l’époque un niveau de risque » Assez élevé « .
Enfin, le tribunal relève que la pièce n°6 du demandeur intitulée » Evolution du CAC 40 depuis un an » ne porte pas d’indication de date et ne permet donc pas de déterminer à quelle période correspond ce tableau étant rappelé que le préjudice subi doit être considéré sur la seule période s’étendant entre février 2020, date de la première demande de M . [V], et décembre 2020, date de la résiliation de la convention.
Dès lors, il ne peut être fait droit à la demande de M. [V] telle que présentée. La perte de chance de faire un profit peut en l’espèce, au vu de ce qui précède, être évaluée à 10% du montant des sommes réclamées, soit la somme de 12.000 euros à laquelle est condamnée la BNP Paribas.
En revanche, M. [V] ne rapporte pas la preuve d’un préjudice distinct de celui indemnisé au titre de la perte de chance. En conséquence, il est débouté de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 15.000 euros.
Enfin, sans qu’il soit besoin d’examiner les moyens développés au soutien de la demande de restitution des frais liés à la convention, il y a lieu de débouter le demandeur de cette prétention qui n’est pas chiffrée, ce qui rend impossible toute décision sur le fond s’agissant de cette prétention.
3 – Sur les demandes accessoires
3.1 – Sur les frais du procès
La BNP Paribas qui succombe supportera les dépens et est condamnée à payer à M. [V] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
3.2 – Sur l’exécution provisoire
La présente décision est revêtue de droit de l’exécution provisoire conformément aux dispositions de l’article 514 du code de procédure civile dans sa version applicable en l’espèce, l’instance ayant été introduite postérieurement au 31 décembre 2019.
Le tribunal statuant publiquement par jugement contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe :
CONDAMNE la SA BNP Paribas à payer à M. [L] [V] la somme de 12.000 euros en réparation de la perte de chance ;
DEBOUTE M. [L] [V] du surplus de ses demandes ;
CONDAMNE la SA BNP Paribas aux dépens ;
CONDAMNE la SA BNP Paribas à payer à M. [L] [V] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Fait et jugé à Paris le 16 Octobre 2024
La Greffière Le Président