Mannequin / Mannequinat : 6 octobre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/04816

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Mannequin / Mannequinat : 6 octobre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/04816
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Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 5

ARRET DU 06 OCTOBRE 2022

(n°2022/ , pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/04816 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCEYB

Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Juin 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CRETEIL – RG n° F 19/00142

APPELANTE

S.A. CHANTELLE

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

INTIMEE

Madame [V] [Z] épouse [G]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Hélène WOLFF, avocat au barreau de PARIS, toque : K0004

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 Avril 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nelly CAYOT, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat, entendu en son rapport, a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre,

Madame Nelly CAYOT, Conseillère,

Madame Lydie PATOUKIAN, Conseillère.

Greffière, lors des débats : Madame Lucile MOEGLIN

ARRET :

– CONTRADICTOIRE,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, prorogé à ce jour,

– signé par Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre et par Madame Cécile IMBAR, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [V] [Z] épouse [G] a été engagée par la société Chantelle par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 12 février 1996 en qualité de secrétaire.

Par avenant signé le 1er janvier 2010, elle a été promue en qualité d’assistante marketing.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des industries de l’habillement et la société Chantelle occupait à titre habituel au moins onze salariés.

Par lettre du 16 avril 2018, Mme [Z] épouse [G] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 25 avril 2018, sa mise à pied à titre conservatoire lui étant notifiée.

Par lettre du 2 mai 2018, elle a été licenciée pour faute grave.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, outre des rappels de salaires sur mise à pied, Mme [Z] épouse [G] a saisi le 31 janvier 2019 le conseil de prud’hommes de Créteil qui, par jugement du 29 juin 2020, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a :

– dit que le licenciement de Mme [Z] épouse [G] n’est pas une faute grave mais dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

– condamné la société Chantelle à payer à Mme [Z] épouse [G] les sommes suivantes :

* 1 209,60 euros à titre des salaires dus entre le 16 avril 2018 et le 2 mai 2018,

* 120,96 euros au titre des congés payés y afférents,

* 46 817 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 5 674,82 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

* 567,48 euros à titre d’indemnité de congés payés y afférents,

* 18 916,06 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

* 1 300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– dit que ces sommes porteront intérêt à compter du jugement soit le 30 mars 2020 ;

– ordonné la capitalisation des intérêts à compter de la date de la saisine soit le 31 janvier 2019 ;

– ordonné la rectification des documents conformes à la décision avec une astreinte de 50 euros par jour et par document : un certificat de travail, les bulletin de salaire, une attestation Pôle emploi ;

– ordonné l’exécution provisoire de la décision sur le fondement de l’article 515 du code de procédure civile ;

– débouté la société Chantelle de l’ensemble de ses demandes  ;

– mis les dépens à la charge de la société Chantelle.

Par déclaration du 21 juillet 2020, la société Chantelle a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 22 mars 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l’article 455 du code de procédure civile, la société Chantelle demande à la cour de :

A titre principal,

– infirmer le jugement en ce qu’il a jugé le licenciement de Mme [Z] épouse [G] dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

En conséquence, statuant à nouveau,

– juger que le licenciement pour faute grave de Mme [Z] épouse [G] est fondé ;

– débouter Mme [Z] épouse [G] de ses entières demandes ;

A titre subsidiaire,

– juger que le licenciement de Mme [Z] épouse [G] repose sur une cause réelle et sérieuse ;

A titre infiniment subsidiaire,

– réduire le quantum des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 8 513,13 euros (3 mois de salaire) ;

En tout état de cause,

– condamner Mme [Z] épouse [G] au paiement de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 19 janvier 2021 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l’article 455 du code de procédure civile, Mme [Z] épouse [G] demande à la cour de :

– l’accueillir en ses demandes ;

– débouter la société Chantelle de ses demandes principales et subsidiaires ;

– confirmer le jugement attaqué en l’ensemble de ses dispositions ;

– condamner la société Chantelle à lui régler la somme de 3 500 euros, à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d’appel.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 6 avril 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur Le licenciement

La lettre de licenciement, qui circonscrit les limites du litige, est ainsi rédigée :

« (‘) Les explications recueillies lors de cet entretien n’ont pas permis de modifier notre appréciation des faits et nous vous notifions votre licenciement pour faute grave pour les motifs ci-après qui vous ont été détaillés lors de l’entretien préalable.

Vous êtes entrée dans la société le 12 février 1996 et occupez actuellement les fonctions d’Assistante Marketing au sein de la Direction Marché France.

Le 12 avril 2018, le CHSCT a alerté la Direction des Ressources Humaines concernant une situation de mal être au travail qu’il a détecté dans le cadre d’une enquête concernant un autre dossier. La DRH a alors investigué et découvert des faits graves, mettant en danger d’autres salariés.

Cette situation nous a conduit à engager une procédure de mise à pied conservatoire à votre encontre et à organiser un entretien préalable à un licenciement.

Dans ce cadre nous avons interrogé plusieurs collaborateurs de la Direction Marché France. Leurs témoignages concordants font état des faits suivants :

1. Propos irrespectueux à l’égard de collègues de travail (violence verbale) :

Nous avons appris que vous émettiez des critiques sur le physique de vos collègues du type : « gros cul », « jupe trop courte », « tu as vu comment tu es, arrête de bouffer ». Dès que quelqu’un quitte le bureau, ce sont des critiques permanentes, sur le physique et sur des éléments d’ordre personnel : quand une collègue annonce sa grossesse, vous dites « cela fait un an qu’elle est dans la boîte et elle est déjà en cloque »

Il nous a été rapporté que vous formuliez de nombreux commentaires négatifs portant sur la qualité du travail de vos collègues. Vous profitez de leurs périodes de congés pour critiquer leurs compétences.

Il en est de même sur la situation de vos collègues, tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel : « je n’aime pas les gens heureux », « ici tout le monde m’aime, et pas toi ». Lors de notre échange, vous avez reconnu avoir peut être tenu de tels propos, mais dans des circonstances particulières.

De plus, vous faites des remarques et des mimiques régulières du matin au soir à différentes personnes : « ta jupe me pique les yeux », « les gens ne t’aiment pas, tu es froide », « on ne sait pas comment te prendre », « les gens ont peur de toi (en citant plusieurs personnes)… ».

Nous avons également été informés de moqueries via des surnoms blessants et vulgaires que vous donniez à vos collègues : « Tête de bite », « l’autre pute », « portugaise voleuse », « Moi, Moche et Méchant ». Lors de l’entretien vous avez totalement nié avoir attribué de tels surnoms ainsi que d’avoir imité le Haka pour parler d’un de vos collègues en surpoids.

En revanche, vous avez reconnu donner des surnoms à plusieurs collègues en ajoutant que d’autres personnes de votre équipe le faisaient également, comme : « Sid de l’âge de glace », « Foire à toutou », « Neuneuil » (concernant une personne ayant un léger strabisme).

Différentes personnes confirment avoir entendu des insultes régulières de votre part avec un langage cru, déplacé et méchant, comme par exemple : « on sait qu’elle est de bonne humeur, quand elle a baisé le week-end », « ‘je vais me la faire, je vais lui péter les dents » ou des propos racistes : « les portugais sont tous des voleurs », et la propagation que l’une de vos collègues d’origine portugaise « volait des produits de lingerie depuis des années ».

Vous considérez que ces faits sont totalement faux.

En revanche, vous avez reconnu avoir dit « les chefs de produit sont toutes des putes », tout en ajoutant que d’autres personnes s’expriment ainsi au sein de la Direction Marché France.

2. Gestes déplacés et intimidations physiques (menaces de violences physiques)

Nous avons aussi été informés de gestes grossiers que vous pouviez avoir à l’égard de vos collègues (doigts d’honneur faits de façon répétée, gestes obscènes quand les gens passent devant votre bureau), ainsi que des menaces physiques quand certaines personnes quittent votre bureau. A titre d’exemple, vous brandissiez des ciseaux, le tampon encreur ou une statuette en proférant : « j’ai juste envie de lui faire du mal » tout en serrant les dents.

Lors de l’entretien, vous avez reconnu ces faits, en précisant que cela avait pu arriver mais que vous ne le faisiez pas de façon répétée.

Ces agissements ont plongé certains de vos collègues, et plus particulièrement les deux personnes partageant votre bureau, dans un état de souffrance morale, dégradant ainsi leurs conditions de travail. Un de vos collègues nous a affirmé : « elle prend violemment le tampon encreur ou des ciseaux en les brandissant pour les reposer ensuite. J’ai peur qu’elle les lance sur moi ». Lors de notre échange vous avez tenu à rappeler que vous n’aviez jamais agressé un membre du personnel de Chantelle.

Il n’en demeure pas moins, que vous avez largement exprimé auprès de plusieurs personnes avoir « collé au mur votre responsable hiérarchique » lors d’une précédente collaboration avant votre entrée dans Chantelle. Lors de l’entretien vous avez reconnu ces faits en justifiant que « votre ancienne chef vous harcelait et qu’elle vous avait mise à bout ».

Nous vous avons alors expliqué que ces récits d’agissements anciens, où vous êtes passée à l’acte traduisent l’existence d’une volonté d’intimidation et d’une pression à l’égard des personnes auxquelles vous vous êtes confiée, et laissent à penser que vous pourriez une nouvelle fois passer à l’acte.

Vous nous avez répondu que cette situation relevait du passé, et que c’était n’importe quoi de dire que cela pourrait se reproduire.

Au-delà de votre posture, vous avez proféré oralement des intentions de nuire comme « vouloir crever les pneus des voitures de certaines personnes », ou dit « si tu le répétés, je t’éclate la gueule », ou encore « je rêve d’être une serial killeuse ». Vous ne manquiez pas également à la lecture des courriels envoyés par différentes personnes de la société, d’émettre des réflexions du type : « …je vais me la faire, je vais lui péter les dents ».

Pendant l’entretien, vous avez reconnu avoir pu tenir de tels propos, mais qu’il fallait encore une fois faire référence au contexte dans lequel vous vous étiez exprimé.

3. Emprise sur les collègues / manipulation / abus de pouvoir

Plusieurs collaborateurs ont évoqué un mode de communication difficile avec vous, de type Ami/Ennemi. En effet, dès que l’on n’est pas d’accord avec vos idées ou points de vue, vous vous braquez, vous n’adressez plus la parole pendant plusieurs jours. Il vous arrive d’ignorer les gens quand ils vous parlent. Certains ont affirmé qu’il faut : « être dans son camp, sinon elle maltraite les gens », « on est obligé d’être sa copine, pour pouvoir travailler dans une certaine sérénité », « pour ne pas s’attirer son agressivité, on rit avec elle, on fait tout comme elle pour avoir la paix ».

Vous avez répondu que ces propos étaient diffamatoires.

D’autres ont évoqué que vous créez un climat de dénonciation et de flicage : vous surveillez les horaires de vos collègues, leurs écrans pour voir ce qu’ils font…ou pas ; « t’es parti où, tu en es où… » ; vous pouvez même aller jusqu’à dénoncer les erreurs des autres auprès de la hiérarchie. Pour exemple, vous avez dit « Elle était en vacances ta stagiaire’ Parce qu’on ne l’a pas beaucoup vue », alors que la stagiaire assurait une mission sur le terrain.

Là encore vous avez réfuté ces accusations, et avez dit ne pas savoir de qui il s’agissait.

Vous manifestez un comportement distant voir impoli avec plusieurs personnes qui sont amenées à travailler avec vous, allant jusqu’à ne pas leur dire bonjour. Lors de l’entretien, vous avez reconnu les faits et avez fait remarquer qu’il était d’usage à la Direction Marché France de ne pas dire bonjour. Vous ne comprenez donc pas pourquoi nous vous en faisons le reproche.

Enfin, vous véhiculez la réputation d’être « intouchable », en vous faisant bien voir auprès de personnes influentes. Votre comportement à l’égard de ces personnes véhicule une certaine image, qui vous permet de laisser penser aux équipes que vous bénéficiez d’une protection, qui vous autorise à « vous lâcher avec vos collègues ».

Vous avez nié ces faits lors de l’entretien.

Votre entourage regrette que votre attention puisse se porter parfois sur leur situation personnelle. Certains vous ont dans un premier temps fait confiance pour le regretter ensuite en constatant que vous en faites mauvais usage pour les dénigrer et profitez ainsi de situations de faiblesse : « Elle me pose beaucoup de questions très privées, pour s’en servir ensuite », « [V] cherche à s’attirer la sympathie en faisant la psy », « elle se sert des faiblesses des gens pour les dénigrer ».

Vous êtes décrite comme particulièrement gentille quand les gens vont mal ou qu’ils ont des problèmes : « quand [V] demande à ses collègues comment s’est passé leur week-end : s’ils répondent que le week-end n’a pas été bon, [V] sera très gentille. En revanche, s’ils répondent qu’ils ont passé un bon week-end, [V] adoptera un comportement désagréable ».

Vos collègues nous ont décrit être dans un climat de peur et de tension dans leur environnement professionnel : « j’avais peur », « …elle se lâche au bureau, elle se défoule », « elle m’a fait vivre l’enfer », « elle est capable de tout », « j’ai peur d’elle et de ses représailles », « je ne veux plus vivre cela ».

Ils sont alors en proie à un profond mal être et ont peur d’être seuls avec vous. Certains ont même constaté que vos collègues proches étaient en grande souffrance : pleurs, tremblements. D’autres pris pour cible ont attesté avoir perdu le sommeil « je faisais des cauchemars ».

Plusieurs personnes ont certifié avoir peur de vous, et subir tous les jours du matin au soir vos dérives voire votre acharnement.

Petit à petit cette situation déconcerte les gens, qui perdent confiance en eux. Beaucoup d’entre eux disent : « d’ailleurs on respire quand elle n’est pas là », « cela peut paraître blagueur, mais quand cela est répété, c’est lourd et cela devient anxiogène ».

Lors de l’entretien, vous avez affirmé être désarçonné de l’image que vous véhiculiez à savoir selon vous « une reine mère qui décide de la vie et de la mort de ses sujets ». Vous manquiez de mots et ne pensiez pas que cette situation pouvait aller aussi loin.

Votre attitude professionnelle est agressive. Vous vous exprimez avec certains sur un ton énervé, votre humeur change régulièrement. Votre comportement qui nuit fortement à la collaboration, n’est pas sans poser de problèmes à la volonté de travailler en mode collaboratif. En effet, certains appréhendent d’aller vous voir pour travailler avec vous « J’étais mal », « [V] disait qu’elle n’avait pas le temps, répondait d’un ton agressif, en s’énervant et refusait », « Elle disait : ça attendra », « La moindre chose que je demandais prenait des proportions énormes ».

Là encore, vous n’étiez pas d’accord avec les faits reprochés, et avez défendu que vous apportiez votre aide régulièrement à différentes personnes de l’équipe qui en avaient besoin.

Pour vous défendre sur l’ensemble des faits reprochés, vous avez tenu à dire que vous aviez pu tenir certains propos qui avaient dépassé votre pensée. Vous avez également réitéré que vous n’étiez pas une personne violente, et que vous n’aviez aucune volonté de faire du mal aux personnes de votre entourage professionnel.

Vous avez également mis en avant vos qualités professionnelles reconnues depuis plusieurs années par différents managers, tout en mentionnant que depuis plusieurs mois l’ambiance de travail au sein de la Direction Marché France n’était pas facile.

Il n’en demeure pas moins que les conséquences de vos agissements fautifs ont un impact sur l’intégrité mentale voir physique de vos collègues et dans une moindre mesure sur l’efficacité professionnelle. Un tel climat dégradé de suspicion et de tension, ne peut avoir qu’un impact déplorable sur les conditions de travail et les performances individuelles et collectives. En effet, les préoccupations vont clairement se focaliser sur la gestion de votre comportement, et freiner ainsi la prise d’initiative, la communication et la concentration.

Certaines personnes de la Direction Marché France ont confié vivre dans un climat malsain, générateur de stress. Cette ambiance de travail délétère empêche vos collègues de se projeter positivement dans leurs missions.

Les témoignages recueillis nous ont alerté sur votre attitude qui s’est banalisée envers vos collègues. Les moqueries et marques d’irrespect sont devenues habituelles générant de la honte pour ceux qui les subissaient ainsi que pour ceux en étaient témoins. Une telle attitude est en complète contradiction avec les valeurs portées par l’entreprise Chantelle.

Lors de l’entretien, vous n’avez apporté aucun élément nous permettant d’expliquer ni même de comprendre vos agissements et votre comportement constitutifs d’harcèlement moral.

Dans ces conditions, et pour toutes les raisons qui ont été exposées ci-dessus, le maintien de votre contrat de travail au sein de la société Chantelle ne peut perdurer. C’est la raison pour laquelle nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave. (…)’.

La société Chantelle soutient que le licenciement de Mme [G] est fondé sur une faute grave car son comportement caractérise un harcèlement moral qui rendait son maintien impossible dans l’entreprise. Elle fait valoir que les faits cités dans la lettre de licenciement sont suffisamment précis, circonstanciés et vérifiables et qu’elle n’a eu connaissance de ceux-ci que le jour de la réunion extraordinaire du CHSCT le 12 avril 2018, de sorte qu’ils ne sont pas prescrits. Elle ajoute qu’en tout état de cause, ils se sont poursuivis. La société soutient ensuite que ce licenciement n’est pas fondé sur un motif économique, des départs de salariés ayant pu intervenir comme dans toutes les entreprises et le poste de la salariée n’ayant pas été supprimé. Elle précise qu’elle ne remet pas en cause les qualités professionnelles de la salariée.

Mme [G] soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse car la lettre de licenciement fait état de faits généraux, invérifiables, sans caractère fautif pour certains de sorte qu’il n’est pas possible de vérifier s’ils ne sont pas prescrits par application des dispositions de l’article L. 1332-4 du code du travail. Elle fait valoir que ses qualités professionnelles et relationnelles ont toujours été reconnues comme le démontrent selon elle le compte rendu d’entretien annuel 2017/2018, l’augmentation de salaire le 12 février 2018 et les attestations qu’elle produit. Elle souligne qu’elle n’a jamais été convoquée pour être entendue, qu’aucun avertissement ne lui a été notifié et qu’elle n’a pas été reçue dans le cadre de l’enquête du CHSCT. Elle soutient être victime de rumeurs et de ragots et conteste la réalité des faits qui lui sont reprochés. Enfin, elle fait valoir que la société souhaitait qu’elle quitte l’entreprise à moindre coût en raison des difficultés économiques rencontrées.

Il résulte des articles L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail que la faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et nécessite son départ immédiat sans indemnité. L’employeur qui invoque une faute grave doit en rapporter la preuve.

Sur la prescription des faits fautifs

La lettre de licenciement énonce des motifs précis et matériellement vérifiables en ce que notamment elle cite les propos et décrit les gestes reprochés à la salariée.

En application de l’article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.

Il résulte de ce texte que le point de départ de ce délai de prescription est le jour où l’employeur a une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié. Lorsque les faits sanctionnés ont été commis plus de deux mois avant l’engagement des poursuites disciplinaires, il incombe à l’employeur d’apporter la preuve qu’il n’en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l’engagement de ces poursuites.

La société produit aux débats une procès-verbal de la réunion extraordinaire du CHSCT du 12 avril 2018 aux termes duquel ses membres indiquent avoir recueilli en 48 heures des témoignages mettant en cause Mme [G] et décident de recevoir en urgence les 12 et 13 avril les salariés concernés. Elle verse également aux débats deux attestations de membres du CHSCT, Mme [U] et Mme [R] qui confirment l’alerte donnée, Mme [R] précisant au surplus que le premier témoignage recueilli date du 23 mars 2018.

Il résulte de ces éléments que l’employeur a eu connaissance des faits qu’ils reprochent à la salariée le 12 avril 2018 et que ces faits n’étaient pas prescrits au moment où il a engagé la procédure de licenciement.

Sur la faute grave

En l’espèce la lettre de licenciement invoque des agissements et un comportement constitutifs selon l’employeur de harcèlement moral.

En application de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En l’espèce, il est établi par le compte rendu et les attestations précédemment cités que le CHSCT a conduit une enquête dès lors que des salariés se sont plaints du comportement de Mme [G] ce afin de vérifier les allégations qui lui ont été rapportées. Il importe peu à cet égard que ces faits aient été portés à la connaissance de membres du CHSCT dans un autre cadre.

Au surplus, le respect des droits de la défense et du principe de la contradiction n’impose pas que, dans le cadre d’une enquête interne destinée à vérifier la véracité des agissements dénoncés par d’autres salariés, le salarié soit confronté aux collègues qui le mettent en cause ni qu’il soit entendu.

En l’espèce, la société produit à l’appui de la mesure de licenciement les comptes rendus d’entretien de cinq salariées, Mme [T] [I], Mme [Y] [B], Mme [S] [A], Mme [N] [F] et Mme [C] [H], établis par des membres du CHSCT. La cour relève que ces entretiens sont structurés et détaillés, qu’ils sont signés et datés. Ils sont confirmés par des attestations établies conformément aux dispositions de l’article 202 du code de procédure civile par les salariées auditionnées qui en confirment les termes. Ces documents ont donc une valeur probante suffisante.

Il ressort de ces documents concordants que contrairement à ce que soutient Mme [G], elle a adopté un comportement se manifestant par des critiques, des moqueries, de la violence verbale et physique, une déstabilisation dans les relations professionnelles et une forme de manipulation allant au-delà de simples plaisanteries entre collègues comme relaté dans la lettre de licenciement. Mme [G] souligne que ces collègues ne se sont pas plaintes auprès d’elle et qu’au contraire pour son anniversaire au mois de novembre 2017, quatre d’entre elles ont signé sa carte d’anniversaire et ont contribué à son cadeau. Cependant, ce seul élément ne suffit pas à contester utilement les faits rapportés dans ces entretiens alors que les témoins relatent l’ambivalence du comportement de Mme [G] qui pouvait organiser des moments autour d’un anniversaire (entretien de Mme [Y] [B]), se montrer amicale et assister une collègue (entretien de Mme [T] [I]), cette ambivalence même étant source de souffrance au travail. Il en va de même des attestations qu’elle produit, établies par M. [J], Mme [L] et Mme [M]. En effet, M. [J] et Mme [M] n’étaient pas des collègues de travail mais un collaborateur extérieur pour le premier et une Bookeuse/mannequin pour la seconde et Mme [L] était sa supérieure hiérarchique et non pas une collègue directe de travail. Au surplus, la cour relève que ce témoin utilise les locutions suivantes ‘de mon point de vue’, ‘il semble clair’ qui relativisent le caractère affirmatif de son propos.

Enfin, l’employeur justifie utilement de ce que son poste de travail n’a pas été supprimé, celle-ci ayant été remplacée, de sorte que le motif économique allégué par Mme [G] est inopérant.

La cour retient que Mme [G] a adopté un comportement inadapté et harcelant et que dès lors, son licenciement est fondé sur une faute grave.

En conséquence, elle sera déboutée de ses demandes et la décision des premiers juges sera infirmée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Partie perdante, Mme [G] sera condamnée au paiement des dépens.

Aucune circonstance de l’espèce ne conduit à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT le licenciement de Mme [V] [Z] épouse [G] fondé sur une faute grave,

DÉBOUTE Mme [V] [Z] épouse [G] de ses demandes,

DIT n’y avoir lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE Mme [V] [Z] épouse [G] aux dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE

 


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