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délivrée le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
1re chambre sociale
ARRET DU 28 SEPTEMBRE 2022
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 17/00413 – N° Portalis DBVK-V-B7B-NCWY
ARRET n°
Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 FEVRIER 2017
CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION DE DEPARTAGE DE PERPIGNAN – N° RG16/00516
APPELANT :
Monsieur [P] [V]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : M. [B] [M] (Délégué syndical ouvrier)
Mandat syndical du 26 juillet 2021
INTIMEES :
S.A.S MANPOWER FRANCE prise en la personne de son représentant légal en exercice
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 3]
Représentant : Maître Fanny LAPORTE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat postulant au barreau de MONTPELLIER et Maître Stéphanie KUBLER de la SCP PEROL RAYMOND KHANNA ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
SA ELECTRICITE DE FRANCE (EDF)
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Maître CHEVALIER Marion de la SELARL CAPSTAN – PYTHEAS, avocat postulant au barreau de MONTPELLIER et Maître Michel JOLLY de la SELARL CAPSTAN SUD OUEST, avocat plaidant au barreau de TOULOUSE
INTERVENANT :
SYNDICAT CGT ENERGIE 66
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentant : M. [B] [M] (Délégué syndical ouvrier)
Ordonnance de clôture du 1er décembre 2021
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 24 MAI 2022,en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Caroline CHICLET, Conseiller, faisant fonction de Président et Monsieur Jacques FOURNIE, Conseilller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Caroline CHICLET, Conseiller, faisant fonction
de Président
Monsieur Jacques FOURNIE, Conseiller
Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller
Greffière, lors des débats : Madame Isabelle CONSTANT
ARRET :
– Contradictoire.
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Madame Caroline CHICLET, Conseiller, et par Madame Isabelle CONSTANT, Greffière.
*
**
EXPOSE DU LITIGE :
Vu l’arrêt avant dire droit du 9 février 2022 de la cour d’appel de Montpellier auquel il sera renvoyé pour plus ample exposé du litige et des prétentions des parties qui a ordonné la réouverture des débats à l’audience du mardi 24 mai 2022 à 9h00, sans révocation de la clôture, afin d’inviter les parties à conclure sur la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée par l’arrêt du 30 juin 2021 confirmant l’ordonnance du conseiller de la mise en état disant n’y avoir lieu à péremption d’instance ;
Vu les conclusions de [P] [V] sur la fin de non-recevoir relevée d’office par la cour, remises au greffe le 23 mars 2022 ;
Vu les conclusions de la société EDF sur la fin de non-recevoir relevée d’office par la cour, remises au greffe le 9 mai 2022 et notifiées au défenseur syndical le 12 mai 2022 ;
MOTIFS :
Le conseil des prud’hommes dans sa formation de départage a statué par un seul et même jugement sur deux instances distinctes savoir :
– la demande du 2 décembre 2016 de rétractation de la décision du 28 septembre 2016 ayant constaté la caducité de la requête introductive d’instance du 12 juin 2013, que le conseil a rejetée explicitement dans ses motifs et rejetée, implicitement mais nécessairement, dans son dispositif ;
– la demande renouvelée devant le bureau de jugement le 6 octobre 2016 en application de l’article R.1454-21 du code du travail que le conseil a rejetée comme ne ressortissant pas à sa compétence ou comme étant prescrite.
Il est constant que la jonction de deux instances n’a pas pour effet de créer un lien d’instance unique ; chacune de ces instances, même jugée ensemble, doit donc obéir à ses règles procédurales propres.
I) Sur l’instance introduite le 12 juin 2013 :
A) Sur la péremption :
La société EDF conclut à la péremption de l’instance introduite le 12 juin 2013 devant la cour.
Par conclusions d’incident du 25 septembre 2019, la société EDF a saisi le conseiller de la mise en état d’un incident de péremption de l’instance en visant la requête introductive d’instance du 12 juin 2013 comme date de saisine du conseil des prud’hommes.
La cour, dans son arrêt sur déféré du 30 juin 2021, a confirmé l’ordonnance du conseiller de la mise en état ayant rejeté l’incident de péremption de l’instance, introduite le 12 juin 2013, sur le fondement de l’article R.1452-8 du code du travail, dans sa version antérieure au 1er août 2016, qui subordonnait la péremption de l’instance au défaut d’accomplissement de diligences particulières mises à la charge des parties par la juridiction.
L’autorité de la chose jugée attachée à cet arrêt sur déféré s’impose, donc, pour l’instance introduite le 12 juin 2013 visant à obtenir la rétractation du jugement de caducité et l’incident de péremption soulevé par EDF devant la cour concernant cette instance doit être déclaré irrecevable.
B) Sur la demande de rétractation de la décision ayant prononcé la caducité de la requête du 12 juin 2013 :
[P] [V] conclut à l’annulation du jugement de caducité et du jugement ayant rejeté sa demande de rétraction en invoquant diverses irrégularités.
La sociétés EDF et Manpower concluent à la confirmation du jugement sur ce point.
Selon l’article R.1454-21 du code du travail dans sa version antérieure au 26 mai 2016 applicable au litige, ‘dans le cas où le bureau de jugement déclare la citation caduque en application de l’article 468 du code de procédure civile, la demande peut être renouvelée une fois.
Elle est portée directement devant le bureau de jugement selon les modalités prévues à l’article R. 1454-19 et R. 1454-20.’
L’article 468 du code de procédure civile prévoit que, ‘si, sans motif légitime, le demandeur ne comparaît pas, le défendeur peut requérir un jugement sur le fond qui sera contradictoire sauf la faculté du juge de renvoyer l’affaire à une audience ultérieure.
Le juge peut aussi, même d’office, déclarer la citation caduque. La déclaration de caducité peut être rapportée si le demande fait connaître au greffe dans un délai de 15 jours le motif légitime qu’il n’aurait pas été en mesure d’invoquer en temps utile. Dans ce cas, les parties sont convoquées à une audience ultérieure.’
Selon l’article 407 du code de procédure civile, qui est applicable à toutes les décisions de caducité incluant celles prononcées dans les instances prud’homales, contrairement à ce qui est soutenu, ‘la décision qui constate la caducité de la citation peut être rapportée, en cas d’erreur, par le juge qui l’a rendue’.
La décision de caducité prononcée le 28 septembre 2016 est fondée sur le défaut de comparution de [P] [V] à l’audience de ce jour-là.
[P] [V] a saisi le juge, par courrier reçu au greffe le 2 décembre 2016, afin d’obtenir que soit rapportée la caducité prononcée dans l’affaire enrôlée sous le numéro 13.0526 en concluant à l’existence d’une erreur du juge puisqu’il indiquait avoir été présent à toutes les phases de la procédure à l’exception de la dernière audience de renvoi.
Le jugement de départage du 15 février 2017, dont appel, a rejeté sa demande de rétractation en lui reprochant de n’avoir pas fait connaître au greffe dans un délai de 15 jours le motif légitime de son absence.
La demande de rétractation du 2 décembre 2016, fondée sur une erreur du juge et formée postérieurement à sa demande renouvelée du 6 octobre 2016, est recevable, contrairement à ce que soutient la société EDF, dès lors que [P] [V] y avait intérêt (les régimes de représentation et de prescription antérieurs à la loi du 14 juin 2013 et au décret du 20 mai 2016 lui étant plus favorables) et qu’elle ne se heurtait à aucun délai de forclusion.
En effet, le délai de forclusion de 15 jours prévu à l’article 468 alinéa 2 précité ne s’applique pas à la demande de rétractation pour erreur du juge de l’article 407 précité et, surabondamment, l’acte de notification du jugement de caducité produit en pièce 1 du bordereau de l’appelant (et pour la communication de laquelle la société Manpower n’a pas fait d’incident) n’a pas pu faire courir ce délai, ainsi que le soutient justement l’appelant, puisqu’il ne mentionne pas la possibilité d’une demande de rétractation dans le délai de 15 jours.
L’article 468 du code de procédure civile sanctionne le défaut de comparution du demandeur ; la non comparution à l’audience ultérieure à laquelle les débats sur le fond ont été renvoyés, d’un demandeur qui a, initialement, comparu devant le bureau de conciliation puis le bureau de jugement ne constitue donc pas une cause de caducité de la citation.
En l’espèce, il n’est pas discuté que [P] [V] a comparu devant le bureau de conciliation puis le bureau de jugement et qu’il a également comparu devant le bureau de jugement siégeant en formation de départage lors de l’audience du 29 juin 2016.
Par conséquent, son unique absence à l’audience de renvoi du 28 septembre 2016 ne peut constituer une cause de caducité de la requête introductive d’instance du 12 juin 2013, peu important que ce renvoi ait été effectué à sa demande.
La déclaration de caducité du 28 septembre 2016 étant affectée d’une erreur, ainsi que le soutient justement l’appelant, elle doit être rétractée et le jugement entrepris sera infirmé (et non annulé) en ce qu’il a rejeté implicitement mais nécessairement cette demande de [P] [V].
La déclaration de caducité étant rapportée, l’instance introduite le 12 juin 2013 doit se poursuivre.
Cette instance est régie par les règles de la représentation non obligatoire et d’unicité de l’instance (saisine du conseil des prud’hommes antérieure au 1er août 2016) et par les règles de prescription antérieures à la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 (cf article 21 V alinéa 2 de cette loi).
II) Sur l’instance introduite le 6 octobre 2016 :
L’instance introduite le 12 juin 2013 se poursuivant par l’effet de la rétractation de la déclaration de caducité et n’étant pas périmée, la demande formée par [P] [V] le 6 octobre 2016, en application de l’article R.1454-21 précité, est sans objet et le jugement, qui n’a statué que sur cette dernière après avoir considéré que l’instance du 12 juin 2013 était éteinte, et qui a déclaré prescrites toutes les demandes du salarié par application de la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, doit être infirmé en toutes ses dispositions, les sociétés intimées étant déboutées de leur demande de confirmation de ce chef.
III) Sur le fond :
Les parties ayant toutes conclu sur le fond et le litige ayant débuté il y a presque 9 ans, la cour dit qu’il est de bonne justice de donner à l’affaire une solution définitive en évoquant le litige résultant de l’instance introduite le 12 juin 2013 sans avoir à rouvrir les débats.
Il convient de rappeler que [P] [V] a été mis à disposition de la société EDF par la société Manpower au moyen de trois contrats de mission successifs.
Par les deux premiers contrats, sans terme précis, il lui a été confié, à compter du 4 mai 2010, le poste de conseiller de clientèle au sein de la boutique EDF Bleu Ciel de [Localité 7] en remplacement d’une salariée en congé maternité puis en congé parental.
Courant avril 2011, le salarié a saisi l’inspection du travail pour se plaindre du harcèlement qu’il disait subir de la part de l’animatrice de la boutique.
Le salarié et la société Manpower ont signé un protocole de rupture amiable le 4 mai 2011 par lequel ils sont convenus de mettre un terme au deuxième contrat à compter du 5 mai 2011.
Par le troisième contrat, signé le 5 mai 2011 et devant expirer le 1er novembre 2011, [P] [V] s’est vu confier le poste de télévendeur à [Localité 8] en raison d’un accroissement temporaire d’activité.
Par courriel du 22 juillet 2011, [P] [V] a dénoncé à la responsable de direction le harcèlement moral qu’il disait subir et la société a déclenché une enquête interne.
Le 30 août 2011, [P] [V] a été élu aux mandats de délégué du personnel titulaire et de membre suppléant du comité d’établissement et il a été désigné en qualité de délégué syndical du 19 septembre 2012 au 11 septembre 2013.
Depuis le 16 novembre 2012, il est membre suppléant du comité central d’entreprise et depuis le 9 décembre 2013, il est membre du CHSCT.
Par courriel du 19 février 2015, il a informé la société Manpower de sa désignation par l’Union des syndicats anti-précarité, en qualité de représentant de la section syndicale de cette organisation.
A) Sur les demandes dirigées contre la société Manpower :
1) Sur l’exécution du contrat de travail :
[P] [V] demande à la cour de condamner la société Manpower à lui payer, en vertu du principe ‘à travail égal salaire égal’, divers rappels de salaire au titre :
a) de l’avantage en nature énergie valorisé sur la base des barème de fiscalisation soit les sommes de :
> 190,70 € bruts pour l’année 2010,
> 28 € bruts pour l’année 2011,
b) du 13ème mois non intégré dans les indemnités de congés payés soit les sommes de :
> 81,54 € pour le contrat 043310003,
> 68,42 € pour le contrat 044565764,
> 51,29 € pour le contrat 045854196.
L’obligation de verser au travailleur temporaire mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice des salaires conformes aux dispositions légales ou conventionnelles ou aux stipulations contractuelles qui lui sont applicables, pèse sur l’entreprise de travail temporaire laquelle demeure l’employeur, à charge pour elle, en cas de manquement à cette obligation, de se retourner contre l’entreprise utilisatrice dès lors qu’une faute a été commise par cette dernière.
Il est donc vain, de la part de la société Manpower, de se retrancher derrière la société EDF pour tenter de faire échec à cette demande du salarié.
L’employeur est tenu d’assurer une égalité de rémunération entre les salariés de son entreprise dès lors qu’ils effectuent un même travail ou un travail de valeur égale.
L’individualisation de la rémunération est permise sous réserve pour l’employeur de justifier la différence de traitement par des raisons objectives, pertinentes et matériellement vérifiables.
En l’espèce, l’avantage en nature énergie (réduction de la facture de consommation d’énergie) a été mis en place par la circulaire Pers.161 du 16 novembre 1949 au bénéfice des agents statutaires à l’exclusion des agents temporaires.
Cette circulaire ayant une valeur réglementaire depuis le 9 décembre 1949, elle s’impose à l’employeur qui n’a d’autre choix que de l’appliquer et justifie, par conséquent, la différence de traitement entre les agents statutaires et les agents temporaires.
Il n’est donc pas démontré de violation de l’employeur au principe ‘à travail égal, salaire égal’ sur ce point et [P] [V] sera débouté de ses prétentions de ce chef.
Par ailleurs, s’agissant du calcul de l’indemnité compensatrice de congés payés, il convient de rappeler que la rémunération totale brute à laquelle se réfère l’article L.1251-19 du code du travail pour le calcul de cette indemnité due par l’entreprise de travail temporaire au salarié intérimaire n’obéit à aucune spécificité autre que celle, prévue à l’article D. 3141-8, de l’inclusion dans son assiette de l’indemnité de fin de mission.
Et il est constant que les primes allouées pour l’année entière, période de travail et période de congés confondues, n’ont pas à être incluses dans l’assiette de l’indemnité compensatrice de congés payés.
La prime de 13ème mois étant allouée pour l’année entière, périodes de travail et de congés réunies, elle ne peut être intégrée dans le calcul de l’indemnité compensatrice de congés payés, contrairement à ce qui est soutenu par [P] [V] qui ne caractérise aucune atteinte de ce chef à l’égalité de traitement (les salariés titulaires, qui n’ont pu prendre leurs congés, bénéficiant du même droit à l’indemnité compensatrice de congés payés et du même mode de calcul que celui des intérimaires) et qui sera débouté de cette demande en paiement.
2) Sur la validité des contrats de mission :
[P] [V] conclut au caractère non avenu du deuxième contrat de mission dès lors que le premier, qui était sans terme précis, aurait dû se prolonger, selon lui, durant toute l’absence de la salariée remplacée c’est à dire jusqu’en février 2018.
En cas de remplacement d’un salarié absent, le contrat a pour terme soit le retour du salarié absent lorsque le contrat est conclu pour la durée de l’absence du salarié, quelle que soit sa durée, soit la fin de l’événement qui est à l’origine de celle-ci lorsque le contrat limite le remplacement à l’événement indiqué.
En l’espèce, le premier contrat de mission sans terme précis, signé le 4 mai 2010, prévoyait une durée minimale de 6 mois et pour le temps du congé maternité de la salariée absente.
Dès lors que le contrat n’avait pas pour terme le retour de la salariée absente, quels que soient la durée et le motif de son absence, et qu’il limitait, au contraire, le remplacement à la durée de son congé maternité, c’est sans méconnaître ses obligations que la société Manpower a fait signer à [P] [V], à l’issue de ce congé maternité expirant le 30 octobre 2010, un nouveau contrat sans terme précis à effet du 1er novembre 2010 afin de pourvoir au remplacement de la même salariée pendant la durée de son congé parental d’éducation d’un an.
C’est donc à tort que l’appelant soutient que le premier contrat aurait dû se poursuivre jusqu’au retour effectif de la salariée dans les effectifs de l’entreprise en février 2018 (congé sans solde après le congé parental d’un an).
Le deuxième contrat n°044565746 n’est donc pas non avenu, contrairement à ce que soutient l’appelant et cette demande sera rejetée.
[P] [V] soutient, ensuite, que le troisième contrat, signé le 5 mai 2011, est illicite en ce qu’il aurait dû, selon lui, avoir une durée équivalente à celle du contrat auquel il se substituait en application de l’article L.1251-26 du code du travail et qu’il aurait dû se prolonger jusqu’au retour de la salariée absente en février 2018.
Il vient d’être vu que les deux premiers contrats de mission sans terme précis avaient pour terme l’événement indiqué savoir, pour le premier, la fin du congé maternité de la salariée absente expirant le 30 octobre 2010 et, pour le deuxième, la fin du congé parental d’éducation d’un an de la même salariée expirant le 30 octobre 2011.
Le troisième contrat du 5 mai 2011, signé après la rupture du deuxième contrat ayant pour terme la fin du congé parental d’un an, a été conclu pour une durée équivalente à celle restant à courir dans le contrat rompu puisqu’il devait expirer le 1er novembre 2011.
L’infraction alléguée aux dispositions de l’article L.1251-26 du code du travail n’est donc pas établie et la demande sera rejetée.
3) Sur la demande d’annulation de la rupture du 4 mai 2011, la réintégration et les demandes pécuniaires subséquentes :
[P] [V] demande à la cour d’annuler la rupture du 4 mai 2011 et demande sa réintégration au sein de l’entreprise Manpower avec un rappel de salaire depuis la rupture annulée basé sur un salaire de référence incluant la prime énergie, les heures supplémentaires rémunérées à 50% dès la première heure en application de l’article 16 du statut, les avancements d’échelon prévus par le statut outre les indemnités de fin de mission (10%) et l’indemnité compensatrice de congés payés (10%).
Il fonde sa demande de nullité sur les vices du consentement en soutenant que l’employeur lui a sciemment caché la date réelle du terme du contrat qui aurait dû, selon lui, expirer au retour de la salariée absente à savoir en février 2018, et qu’il a commis une erreur en pensant que cette information était exacte.
Cependant, il a été vu dans les motifs qui précèdent que les deux premiers contrats de mission avaient pour terme, non le retour de la salariée absente, mais l’événement indiqué à savoir, pour le premier, la fin du congé maternité et, pour le second, la fin du congé parental d’éducation d’un an expirant le 30 octobre 2011.
La société Manpower n’a donc pas commis de dol en proposant au salarié, en vue de la rupture amiable, un troisième contrat de mission expirant le 1er novembre 2011 et le salarié n’a pas consenti à la rupture par erreur.
[P] [V] ne démontre pas davantage avoir consenti à cette rupture par l’effet de la violence de l’employeur.
En effet, le fait qu’à l’époque de cette rupture, il était placé en arrêt maladie et se plaignait d’un harcèlement moral de la part d’un salarié de l’entreprise utilisatrice ne peut suffire, en l’absence d’autres éléments, à établir l’existence d’une contrainte morale ou physique exercée par la société Manpower pour le convaincre d’accepter la rupture.
Ces moyens seront par conséquent rejetés.
Il fonde également sa demande de nullité sur le fait que cette rupture est intervenue sans autorisation administrative et en violation de son statut protecteur puisqu’il était, à cette époque et depuis le 22 avril 2011, candidat déclaré aux mandats de membre du comité d’entreprise et de délégué du personnel.
Selon l’article L.2413-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, ‘l’interruption ou la notification du non-renouvellement de la mission d’un salarié temporaire par l’entrepreneur de travail temporaire ne peut intervenir qu’après autorisation de l’inspecteur du travail lorsque le salarié est investi de l’un des mandats suivants : (…)
2° Délégué du personnel, ancien délégué ou candidat aux fonctions de délégué;
3° Membre ou ancien membre élu du comité d’entreprise ou candidat à ces fonctions’
Ainsi que le soutient justement la société Manpower, qui ne discute pas avoir été informée à la date de la rupture de la candidature de [P] [V] aux mandats précités, l’interruption ou la notification du non-renouvellement doivent s’entendre, au sens de cet article, qui est d’interprétation stricte, comme émanant unilatéralement de l’employeur, ce qui exclut de son champ d’application la rupture licite, régulière et décidée d’un commun accord entre les parties, comme c’est le cas en l’espèce.
Ce moyen sera par conséquent rejeté.
[P] [V] soutient, enfin, que la rupture doit être annulée en ce qu’elle est intervenue consécutivement à sa dénonciation des faits de harcèlement moral.
La société Manpower, informée depuis le 21 avril 2011 des faits de harcèlement moral prétendument commis par un salarié de l’entreprise utilisatrice à l’encontre de [P] [V], a proposé à ce dernier, dans le but de garantir sa sécurité et sa santé, de rompre le contrat de mission en cours afin de lui permettre d’être mis à disposition d’EDF dans une autre agence moyennant une qualification similaire, une rémunération légèrement supérieure et pour une durée équivalente à celle restant à courir au titre du contrat rompu.
C’est dans ces conditions que la rupture du contrat est intervenue le 4 mai 2011 et qu’un troisième contrat de mission a été signé dès le lendemain avec le plein accord de [P] [V] qui a été reconnu apte à son poste par un avis du médecin du travail du 5 mai 2011.
La rupture amiable du deuxième contrat n’est donc pas intervenue pour sanctionner [P] [V] à raison de sa dénonciation des faits, contrairement à ce qui est soutenu, mais pour protéger sa santé et sa sécurité qu’il disait compromises du fait du harcèlement moral prétendument commis par la responsable de la boutique Bleu Ciel EDF de [Localité 7].
La société Manpower s’est donc conformée à ses obligations en proposant rapidement à son salarié, qui invoquait des faits de harcèlement moral commis par l’animatrice boutique de l’entreprise utilisatrice, de mettre un terme au contrat en cours et de signer un autre contrat de mission au sein de la même entreprise utilisatrice mais dans une autre agence dans le respect des dispositions de l’article L.1251-26 du code du travail.
La demande de nullité de la rupture doit donc être rejetée de même que la demande de réintégration et toutes les prétentions subséquentes de [P] [V] dirigées contre la société Manpower.
4) Sur la discrimination syndicale :
[P] [V] demande à la cour de condamner la société Manpower à lui payer la somme de 40.000 € à titre de dommages-intérêts pour discrimination syndicale.
En vertu de l’article 1132-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de (…) ses activités syndicales.
Au-delà de ce principe général de non-discrimination, l’article L.2141-5 du code du travail dans sa version applicable interdit, de manière spécifique, à tout employeur de prendre en considération l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d’avancement, de rémunération et d’octroi d’avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail.
Lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’une telle discrimination et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
En l’espèce, [P] [V] invoque au soutien de sa demande :
– le remboursement tardif, et effectué au prix de nombreuses réclamations, de ses frais de repas engagés pour les besoins de ses fonctions de délégué du personnel entre septembre 2014 et fin 2015,
– le refus de l’employeur, à compter de novembre 2013, de lui permettre de prendre le train de nuit pour se rendre aux réunions du comité central d’entreprise ou relatives aux élections professionnelles et l’adoption d’un accord collectif en 2014 interdisant l’usage du train de nuit alors qu’il était, selon lui, le seul salarié à en faire usage,
– le refus de l’employeur, jusqu’en juillet 2021, de reporter les crédits d’heures de délégation non pris sur les douze mois de l’année de référence ce qui l’a privé irrémédiablement de 222 heures de délégations qui n’ont pu, en outre, être comptabilisées pour le calcul de ses droits au chômage,
– le refus de l’employeur de lui indemniser, depuis 2017, ses temps de trajet et d’attente pour la part excédant le temps domicile/travail, dans le cadre de ses fonctions électives, au motif, erroné selon lui, que le salarié intérimaire en intermission n’a pas de temps de trajet domicile/travail alors que, selon le salarié, la totalité de ces temps de trajets et d’attente aurait dû lui être indemnisée,
– l’absence d’offre de mission entre le 1er novembre 2011 et le 23 mai 2013 (ce qui a fait l’objet d’une enquête de l’inspection du travail le 11 avril 2013) puis, à compter de mai 2013, l’absence d’offre ciblée (missions proposées coïncidant avec ses obligations représentatives ou requérant un permis de conduire dont il n’est pas titulaire ou très éloignées de son domicile),
– l’absence de paiement de ses heures de délégué syndical ou de représentant du comité conformément aux dispositions des articles L.2143-19 et L.2325-10 du code du travail qui prévoient de rattacher, pour leur rémunération, les heures ainsi accomplies au dernier contrat passé avec l’entreprise de travail temporaire au sein de laquelle il a été désigné comme délégué syndical ou membre du comité en y intégrant, selon le salarié, les heures supplémentaires ainsi que les primes et avantages en nature de la rémunération de base.
Il ne résulte pas des pièces produites aux débats par l’appelant que l’employeur, qui le conteste, aurait refusé de lui régler ses temps de trajet et d’attente depuis 2017; la pièce 64 sur laquelle [P] [V] fonde cette allégation dans ses écritures n’étant pas visée dans son bordereau ni produite aux débats. Ce fait n’est donc pas matériellement établi.
Il n’est pas davantage démontré l’absence d’offre de mission ciblée à compter du 23 mai 2013. En effet, en dehors d’une offre inopérante nécessitant un permis de conduire alors que [P] [V] n’en est pas titulaire, la société Manpower justifie avoir régulièrement proposé au salarié par téléphone, courriel, sms ou par l’intermédiaire du site internet sur lequel il était inscrit, entre mai 2013 et septembre 2020, plusieurs dizaines de missions qu’il a toutes refusées pour des motifs de convenances personnelles et/ou de délégations syndicales ou sur lesquelles il ne s’est pas positionné. L’appelant ne peut reprocher à son employeur de n’avoir pu convaincre une entreprise utilisatrice, en juin 2013, d’accepter qu’il soit absent pendant deux jours au titre de ses délégations syndicales sur une semaine de mission. Ce fait n’est donc pas matériellement établi.
En revanche, il est établi que la société Manpower a tardé, après avoir d’abord opposé un refus, pour rembourser au salarié en déplacement dans le cadre de ses mandats électifs ou représentatifs ses frais de repas achetés dans une supérette, qu’elle a refusé à compter de novembre 2013 de lui permettre de prendre le train de nuit entre [Localité 7] et [Localité 6] pour se présenter aux réunions prévues le matin, qu’elle a refusé jusqu’en juillet 2021 de reporter ses crédits d’heures de délégation sur une période de douze mois, qu’elle ne lui a proposé aucune mission entre novembre 2011 et le 23 mai 2013 et qu’elle a refusé d’intégrer dans le calcul de la rémunération due pour ses heures de délégation le mode de calcul des heures supplémentaires et les primes et avantages en nature prévus dans le dernier contrat auquel ils étaient rattachés.
Ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’une discrimination syndicale en ce qu’ils sont tous survenus à l’occasion de l’exercice par [P] [V], en intermission depuis novembre 2011, de son activité syndicale ou très rapidement après son premier mandat obtenu en août 2011.
Il appartient par conséquent à la société Manpower de démontrer que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs et étrangers à toute discrimination.
La société Manpower justifie son refus de rembourser les repas pris par [P] [V] dans une supérette par une politique générale de l’entreprise applicable à tout le personnel qui, jusqu’en octobre 2015, excluait du champ des remboursements de frais, les repas pris ailleurs que dans des établissements de restauration. Grâce à la bataille menée par le salarié, la direction des affaires sociales a modifié son approche et décidé, dans un courriel du 23 octobre 2015, de rembourser les achats alimentaires effectués dans des petites, moyennes ou grandes surfaces à condition qu’ils soient rattachables aux missions professionnelles ou syndicales et a accepté de prendre en charge la quasi totalité des frais en attente de [P] [V]. La position de refus initiale de l’employeur ne procédait donc pas d’une discrimination puisqu’elle valait pour tous les salariés.
Si le refus de l’employeur, à compter du 1er juillet 2014, d’indemniser le temps de trajet en train de nuit entre [Localité 7] et [Localité 6] (pour se rendre aux réunions CSE) est fondé sur une politique générale de l’entreprise applicable à tout le personnel en application du référentiel du dialogue social II adopté au sein de la société (pièce 58 de Manpower), son refus opposé par courriel (pièce 51 de l’appelant) de prendre en charge les trajets en train de nuit effectués entre le 22 novembre 2013 (ceux antérieurs à cette date ayant indemnisés) et le 1er juillet 2014, n’était fondé sur aucune règle explicite en vigueur dans l’entreprise de sorte que l’employeur échoue, pour cette période, à établir que son refus était motivé par un élément objectif, exclusif de toute discrimination.
La société Manpower fonde son refus de reporter sur une période de 12 mois les crédits d’heures de délégation de membre du CSE non utilisés dans le mois sur l’article 1.7.4 de l’accord relatif à la mise en place des comités sociaux et économiques d’établissement. Or, cet accord ne dit rien d’autre que ce qui est prévu à l’article R.2315-5 du code du travail, à savoir que les crédits d’heures de délégation peuvent être utilisés cumulativement dans la limite de 12 mois sans pouvoir excéder, sur le mois en cours, une fois et demi le crédit d’heures dont le membre du comité bénéficie. Autrement dit, les crédits d’heures non utilisés se capitalisent sur une période de 12 mois (et non sur un mois) sans que le membre du comité puisse prendre, par mois, plus d’une fois et demi le crédit d’heures dont il bénéficie. C’est donc en dehors de toute disposition conventionnelle ou légale que la société Manpower a cru pouvoir refuser à [P] [V], par courriel du 7 septembre 2020 (pièce 61 de l’appelant), de reporter sur 12 mois ses crédits d’heures de 2020 en l’informant que les heures non prises et non reportées sur le mois suivant étaient irrémédiablement perdues. La société a d’ailleurs très vite changé sa lecture des dispositions conventionnelles et légales précitées en acceptant, à compter de janvier 2021, le report des heures non utilisées sur 12 mois (cf page 73 des écritures de l’intimée). Le refus de l’employeur de permettre à [P] [V] de reporter sur une période de 12 mois ses heures non utilisées au titre de l’année 2020 (soit 171 heures selon le tableau en pièce 62 de l’appelant) n’est donc fondé sur aucune raison objective et étrangère à toute discrimination.
Il en va de même du refus de l’employeur d’inclure dans le taux horaire des heures de délégation de [P] [V], accomplies durant sa période d’intermission, le mode de calcul des heures supplémentaires, primes et avantages en nature prévus dans la rémunération de son dernier contrat alors que les dispositions des articles R.2315-13 (membre titulaire du comité) et L.2143-19 (délégué syndical) du code du travail sont très claires en ce qu’elles disposent que les heures de délégation utilisées entre deux missions sont considérées comme des heures de travail et sont réputées rattachées, en matière de rémunération et de charges, au dernier contrat de mission, ce qui implique de les rémunérer au même taux horaire que celui appliqué dans le dernier contrat en y incluant le mode de calcul des heures supplémentaires ainsi que les primes et avantages puisque ces éléments font partie du salaire. C’est d’ailleurs pourquoi l’employeur a finalement décidé d’intégrer à cette rémunération, après l’avoir refusé dans un premier temps, l’indemnité de fin de mission et les 10% de congés payés. C’est donc sans raison objective que la société Manpower a refusé de rémunérer les heures de délégation de [P] [V] conformément aux dispositions précitées.
Enfin, la société Manpower n’explique pas l’absence de toute offre de mission proposée au salarié entre novembre 2011 et le 25 mai 2013 ; l’indisponibilité ou le refus du salarié de se rendre, en dehors de toute mission proposée, à la visite médicale que l’employeur lui a proposée à compter d’avril 2013 (visite médicale dont la date de validité avait expiré depuis le 5 mai 2012) ne suffisant pas à justifier cette carence de l’employeur entre novembre 2011 et avril 2013.
La discrimination syndicale est donc établie.
Cette discrimination a causé un préjudice au salarié puisque l’absence de toute offre de mission pendant près de 18 mois lui a fait perdre une chance de retrouver un emploi sur cette période, que la suppression arbitraire sur l’année 2020 de ses 171 heures de délégation non utilisées lui a causé une perte de rémunération et diminué ses droits au chômage, que l’amputation de son taux horaire de délégation, pendant la durée de son intermission, l’a privé de la rémunération à laquelle il pouvait prétendre et que le refus opposé par l’employeur pour l’usage du train de nuit de [Localité 7] à [Localité 6] entre le 22 novembre 2013 et le 1er juillet 2014 lui a donné le sentiment d’une stigmatisation.
La cour dispose des éléments d’appréciation suffisants pour allouer au bénéfice de [P] [V] une somme de 15.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de ses préjudices matériel et moral.
5) Sur l’entrave à l’exercice des fonctions syndicales :
[P] [V] soutient que les faits retenus au titre de la discrimination syndicale, le refus de paiement de ses heures de délégation à échéance, le refus d’application des articles L.2313-16 et L.4611-2 du code du travail ainsi que l’entrave à ses fonctions de délégué syndical d’octobre 2012 à septembre 2013 puis de représentant de la section syndicale Anti-précarité à compter du 18 février 2015 constituent une entrave prohibée au libre exercice de ses fonctions syndicales et réclame l’allocation d’une indemnité de 25.000€ à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice.
La société Manpower oppose, in limine litis, une exception d’incompétence à cette demande qu’elle estime relever des seules juridictions pénales.
Si la poursuite et le jugement sur la culpabilité et la peine du délit d’entrave ressortissent à la seule compétence des juridictions pénales, il en va autrement des demandes indemnitaires fondées sur la responsabilité civile de l’employeur pour délit d’entrave comme c’est le cas en l’espèce et l’exception d’incompétence sera par conséquent rejetée.
Le délit d’entrave est constitué par l’atteinte portée à l’exercice du droit syndical c’est-à-dire aux prérogatives dérivées d’un mandat, tandis que la discrimination syndicale est constituée par une différence de traitement illégitime sur la base d’un critère prohibé. Ces deux notions ne se confondent donc pas.
Le fait pour l’employeur, sans raison objective, d’avoir refusé entre le 22 novembre 2013 et le 1er juillet 2014 d’indemniser le temps de trajet en train de nuit de [P] [V] pour se rendre aux réunions du comité d’établissement dont il est membre, d’avoir refusé de reporter sur l’année entière ses heures de délégation non utilisées en 2020 lui faisant ainsi perdre un crédit de 171 heures et d’avoir limité la rémunération de ses délégations, durant sa période d’intermission, au taux horaire de base du dernier contrat majoré de l’indemnité de fin de mission et des 10% de congés payés sans y inclure les autres éléments du salaire (primes et avantages) est constitutif d’une entrave prohibée à ses fonctions syndicales.
Le fait que l’employeur ait cru pouvoir refuser de payer à échéance les 20 heures de délégation utilisées par [P] [V] les 3 et 4 juillet 2014, dans le cadre du remplacement de la membre titulaire en congé de formation depuis un an, au motif que cette dernière, de retour dans l’entreprise depuis le 7 juillet 2014, se retrouvait sans aucune heure de délégation à son crédit pour le mois de juillet 2014 est également constitutif d’une entrave, peu important que la paiement ait été régularisé avec un seul mois de retard, en août 2014. En effet, dès lors que [P] [V] n’a été prévenu du retour de cette titulaire, qu’il remplaçait depuis un an, que le 16 juillet 2014, il n’avait aucune raison, antérieurement à cette date, de conserver du crédit d’heures en prévision de cet éventuel retour et il appartenait à l’employeur soit de prévenir le salarié du retour de la titulaire dès avant le mois de juillet 2014, afin de permettre à [P] [V] d’apprécier avec elle la répartition du crédit d’heures sur le mois, soit de lui payer à échéance les heures de délégation utilisées sans faute de sa part, ce qu’il n’a pas fait.
Selon l’article L.2313-16 du code du travail dans sa version antérieure à l’ordonnance du 22 septembre 2017, ‘dans les établissements d’au moins cinquante salariés, s’il n’existe pas de comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les délégués du personnel exercent les missions attribuées à ce comité avec les mêmes moyens et obligations que celui-ci.’ Et l’article L.4611-2 du même code dans sa version antérieure à l’ordonnance du 22 septembre 2017 prévoit que ‘à défaut de comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail dans les établissements d’au moins cinquante salariés, les délégués du personnel ont les mêmes missions et moyens que les membres de ces comités. Ils sont soumis aux mêmes obligations.’ Ainsi que le soutient l’appelant, et comme le rappelait à l’employeur l’inspection du travail dans un courrier du 15 février 2016, entre la date d’échéance des mandats des membres du CHSCT de l’établissement Sud-Ouest/[Localité 10], intervenue le 8 décembre 2015, et la désignation du nouveau comité, le 29 mars 2016, (l’employeur ayant suspendu le processus électoral en novembre 2015 dans l’attente de la réponse de l’inspection du travail qu’il avait saisie de la question du nombre de comités distincts à prévoir dans le périmètre du comité d’établissement de [Localité 10] après l’absence d’accord, sur ce point, entre le comité d’établissement et la direction), l’établissement est resté sans CHSCT ce qui aurait dû conduire la société Manpower à confier à [P] [V] en sa qualité de délégué du personnel, qui le lui a réclamé par écrit dès le 21 décembre 2015, les moyens et obligations attribuées à ce comité dès le 9 décembre 2015. Or, elle a refusé d’accéder à cette demande légitime du délégué du personnel ce qui constitue une entrave à l’exercice de ses fonctions, peu important que l’inspection du travail n’ait pas dressé de procès-verbal après la lettre de rappel et que [P] [V] ait ensuite été débouté de sa demande d’annulation des désignations des membres de ce comité.
[P] [V] reproche à l’employeur d’avoir refusé de lui communiquer la liste des entreprises utilisatrices ainsi que leurs adresses, ce qui lui aurait permis d’entrer en contact avec les salariés intérimaires et les représentants du personnel ou syndicaux présents dans celles-ci en faisant valoir que, dans le même temps, l’entreprise a substitué aux modes de communication syndicale prévus aux articles L.2142-7 et L.2142-3 du code du travail des systèmes plus restrictifs et désavantageux, ce qui serait constitutif, selon lui, d’une entrave à ses fonctions de délégué syndical CGT d’octobre 2012 à septembre 2013 et de représentant de la section syndicale Anti-Précarité entre le 18 février 2015 et mai 2021. Mais, dès lors que l’article L.2142-3 du code du travail laisse la possibilité à l’employeur de déterminer les modalités de mise à disposition des panneaux d’affichage par un accord avec les sections syndicales et que le retrait physique des panneaux syndicaux en agence, devenu effectif à compter du 25 avril 2013 au profit de panneaux syndicaux électroniques, a été réalisé sur la base de l’avenant communication syndicale conclu le 20 décembre 2012 et du référentiel du dialogue social II de 2014, c’est sans entraver l’exercice du droit syndical de [P] [V] que l’employeur a agi comme il l’a fait. En revanche, l’employeur ne pouvait, sans entraver l’exercice du droit syndical de [P] [V], substituer à l’envoi postal mensuel à tous les salariés prévu par l’article L.2142-7, un envoi bi-annuel limité aux seuls intérimaires totalisant 455 heures d’ancienneté sur 12 mois glissants (cf accord d’entreprise de 2014) et refuser, dans le même temps, de communiquer au représentant syndical les listes et adresses des entreprises utilisatrices. En effet, à la supposer licite, cette sévère restriction conventionnelle à la prise en charge par l’employeur des communications syndicales mensuelles prévue par la loi aurait dû être compensée par la communication au délégué ou représentant syndical, qui en faisait la demande, de la liste et les adresses des entreprises utilisatrices, ce qui n’a pas été fait.
Enfin, en ayant refusé à [P] [V], membre titulaire du comité social d’établissement depuis décembre 2019, le droit de présenter des réclamations individuelles ou collectives au motif que cette attribution avait été confiée par accord d’entreprise aux représentants de proximité conformément à l’article L.2313-7 du code du travail, l’employeur a commis une nouvelle entrave à l’exercice du droit syndical de [P] [V] dès lors que l’accord prévu à l’article L.2313-2 du code du travail confiant aux représentants de proximité la mission de présenter à l’employeur les réclamations des salariés ne peut avoir pour effet de priver les membres du CSE, non désignés comme représentants de proximité, de cette prérogative essentielle.
Ces entraves répétées de l’employeur à l’exercice par [P] [V] de son droit syndical ont causé un préjudice important à ce dernier puisque celui-ci s’est retrouvé privé, en maintes occasions, de toute la latitude reconnue par la loi pour l’accomplissement de ses prérogatives, ce qui justifie l’allocation au profit du salarié d’une somme de 15.000 € à titre de dommages-intérêts.
5) Sur le harcèlement moral :
[P] [V] demande à la cour de condamner la société Manpower à lui payer la somme de 40.000 € à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral en soutenant que la répétition des pratiques discriminatoires et d’entrave, sa marginalisation, les dénonciations de l’employeur classées sans suite par le parquet ou ses vaines procédures civiles ainsi que les nombreux refus de répondre à ses questions dans le cadre du CSE opposés de manière agressive et humiliante ont porté atteinte à sa dignité et à sa santé.
Il convient de rappeler que les obligations résultant des articles L.1132-1 (discrimination) et L.1152-1 (harcèlement moral) du code du travail sont distinctes en sorte que la méconnaissance de chacune d’elles, lorsqu’elle entraîne des préjudices différents, ouvre droit à des réparations spécifiques.
L’article L. 1152-1 du code du travail énonce : ‘Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.’
Aux termes de l’article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, applicable au litige : ‘Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.’
Il résulte des dispositions des articles qui précèdent que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
[P] [V] ne démontre pas que les agissements discriminatoires retenus dans les motifs qui précèdent, qu’il invoque au soutien de sa demande indemnitaire pour harcèlement moral, lui ont causé un préjudice distinct de celui déjà réparé par l’allocation de dommages-intérêts au titre de la discrimination syndicale et ces faits ne seront donc pas retenus dans sa demande fondée sur le harcèlement moral.
En revanche, il résulte du compte-rendu de réunion du comité central d’entreprise de Manpower du 23 juillet 2013 que le directeur des affaires sociales et président du comité, [U] [K], a refusé de répondre aux questions posées par [P] [V] concernant la rémunération des heures de délégation des salariés intérimaires en intermission ou concernant les congés payés des salariés intérimaires par rapport à ceux des salariés permanents bien que ces points aient figuré à l’ordre du jour en lui reprochant de chercher à ‘instrumentaliser le comité’ pour ‘obtenir du procès-verbal qui est là un appui à vos démarches contentieuses’, en menaçant à diverses reprises de suspendre la réunion et en clôturant la séance par la conclusion suivante : ‘allons voir le juge’ alors que l’attitude et les propos du salarié restaient mesurés et courtois.
Lors de la réunion plénière de ce comité des 16 et 17 septembre 2014, le même président a refusé de communiquer à [P] [V] les normes AFNOR 42103 et 42025 mises en place pour la dématérialisation des bulletins de paie et de répondre à plusieurs de ses questions dont celle concernant les raisons d’une date butoir fixée au 30 septembre pour la réunion extraordinaire du CCE en lui disant publiquement: ‘Je pense que vous, qui êtes si avide de lectures juridiques, en lisant les textes tels que proposés au niveau de la branche, vous trouverez la réponse à votre question. Cherchez et vous trouverez. C’est la même réponse que la dernière fois.’
A la fin de cette réunion, l’attitude du président a fini par susciter l’indignation du représentant CFTC, [H] [L], qui lui a adressé la remarque suivante : ‘Monsieur [K], je m’insurge de la manière dont vous traitez [P] [V], c’est un élu comme un autre. Même s’il y a eu des différends avec un syndicat, il reste un élu, un représentant des salariés.(…) Or, je constate que, chaque fois qu’il prend la parole, vous le rembarrez rapidement dans les cordes, vous refusez de répondre à ses questions, vous le méprisez. En tant qu’élu aussi et représentant de mon syndicat, je m’insurge de la façon dont vous le traitez. [P] a droit au même traitement que n’importe quel représentant du CCE. Or, je constate que, par votre comportement que je juge inadmissible, dans la manière dont vous le traitez, qu’il a un traitement tout à fait à part. Vous refusez chaque fois de lui répondre, et non seulement vous refusez de lui répondre mais de plus vous l’envoyez quasiment promener, et je suis poli en disant cela.’
Ce représentant syndical témoigne (pièce 92 de l’appelant) qu’il avait déjà constaté, lors de précédentes réunions du CCE, le comportement vexatoire, méprisant et humiliant de ce président à l’égard de [P] [V] alors que ses questions concernaient bien les sujets à l’ordre du jour.
En refusant, de manière quasiment systématique, de répondre aux questions de [P] [V] alors que celles-ci correspondaient à l’ordre du jour et entraient dans sa mission, en s’adressant à lui sur un ton agressif et méprisant alors que ses propos restaient mesurés et courtois et en l’accusant de chercher à instrumentaliser le comité à des fins personnelles alors que les questions posées concernaient l’ensemble des salariés placés dans une même situation, l’employeur a commis des faits répétés qui, pris dans leur ensemble, font présumer l’existence d’un harcèlement moral au préjudice de [P] [V].
Il appartient par conséquent à l’employeur de renverser cette présomption en démontrant que ses agissements étaient étrangers à tout harcèlement.
Or, la société Manpower ne justifie pas des raisons objectives l’ayant conduite à agir ainsi ; l’existence de différends avec [P] [V] ne pouvant constituer une cause justificative de cette attitude répétée.
Ces agissements vexatoires et répétés ont porté atteinte à la dignité de [P] [V] en le stigmatisant, publiquement et à diverses reprises, lors des réunions de comité central d’établissement de 2013 et 2014 ce qui caractérise le préjudice subi et justifie l’allocation d’une somme de 8.000 € à titre de dommages-intérêts.
B) Sur les demandes dirigées contre la société EDF :
1) Sur la demande de requalification du contrat temporaire en contrat à durée indéterminée (CDI) et les demandes subséquentes:
[P] [V] demande à la cour de requalifier le contrat temporaire passé avec EDF en CDI et de condamner cette société à lui payer les sommes de :
– 1.900€ bruts au titre de l’indemnité de requalification,
– 380 € bruts au titre de l’indemnité de licenciement légale,
– 1.900 € bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
– 190 € de congés payés sur préavis,
– 11.400 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l’article L.1235-3 du code du travail,
– 10.000 € pour le recrutement irrégulier et la perte de chance d’une titularisation.
Il soutient, à l’appui de ses prétentions, que les circulaires pers 90 et 212 prises en application des articles 4 et 11 du statut des industries électriques et gazières (IEG) sont des textes à valeur réglementaire contraignants qui obligent la société EDF à remplacer, exclusivement en interne, l’agent statutaire en congé de maternité ou en congés sans solde pour convenances personnelles, sans pouvoir recourir au salarié d’une entreprise de travail temporaire. Il ajoute que la méconnaissance de ces obligations est constitutive d’un recrutement illégal ayant pour objet, et en tout cas pour effet, de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice ce qui doit entraîner la requalification demandée.
Ainsi que le fait valoir justement la société EDF la notion d’intérimaire au sens de la pers 90, rédigée le 7 août 1947, est sans rapport avec la notion de travailleur intérimaire telle qu’elle résulte des articles L.1251-1 et suivants du code du travail.
En effet, la pers 90 désigne, sous le terme ‘intérimaire’, une modalité de remplacement interne du personnel absent (qui est fonction de la durée et de la cause des absences et qui obéit à un régime indemnitaire et statutaire spécifique) ainsi que cela résulte de son article 3 b qui prévoit que ‘dès l’intérim terminé, l’agent qui a assuré ledit intérim retrouvera son salaire ou traitement précédent’ ce dont il se déduit que l’intérimaire, au sens de cette circulaire, est un agent, statutaire ou non, déjà employé par la société EDF et ne désigne pas le salarié d’une entreprise de travail temporaire.
La lecture faite par [P] [V] de cette circulaire, en comprenant le terme ‘intérimaire’ comme désignant le salarié temporaire des articles L.1251-1 et suivants du code du travail, est donc erronée.
Et dès lors qu’aucune disposition du statut des agents des industries électriques et gazières n’interdit le recours au travail temporaire régi par les articles L.1251-1 et suivants du code du travail, c’est à tort que [P] [V] affirme qu’il ne pouvait pas être recruté par la société EDF pour remplacer une salariée titulaire en congé maternité ou parental.
L’appelant ne contestant pas les motifs du recours indiqué dans les contrats par la société EDF et les missions n’ayant été conclues que pour la durée de l’événement ayant justifié le recours (absence de la salariée en congé maternité (6 mois) puis en congé parental (1 an) et durant l’accroissement temporaire d’activité pour l’agence de [Localité 8] (6 mois), la cour dit, en l’absence d’autres éléments probants, qu’il n’est pas établi que ces mises à dispositions avaient pour but de pourvoir durablement à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
[P] [V] sera par conséquent débouté de sa demande de requalification du contrat et de toutes ses demandes subséquentes.
2) Sur la demande au titre du harcèlement moral :
[P] [V] demande à la cour de condamner la société EDF à lui payer la somme de 25.000 € de dommages-intérêts pour harcèlement moral.
L’article L. 1152-1 du code du travail énonce : ‘Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.’
Aux termes de l’article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, applicable au litige: ‘Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.’
Il résulte des dispositions des articles qui précèdent que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, [P] [V] invoque, au soutien de sa demande :
– les diverses remarques que lui a adressées l’animatrice de boutique concernant: > une plaisanterie, faite dans le cadre d’un repas pris en commun et qu’elle a estimé inappropriée, sur les traces de mains farineuses aperçues sur le fond de pantalon de sa boulangère,
> son manque d’attention lors de ses briefings,
> le fait qu’il pouvait être qualifié de girouette en pivotant sur son fauteuil pour la suivre du regard,
> un retard d’une minute ou deux après le repas de midi,
> sa consommation de bières dans les locaux de l’entreprise,
> les critiques qu’il se serait permises de faire en qualifiant de ‘pourri’ son projet de mailing,
– les trois entretiens avec le responsable de boutique en peu de temps,
– la partialité de l’enquêtrice mandatée par l’employeur et le refus de lui permettre d’être assisté par une personne de son choix,
– les conséquences de ces événements sur sa santé physique et mentale avec son arrêt de travail du 5 avril au 5 mai 2011,
– la tentative d’expulsion de la boutique de [Localité 7] par le vigile lors de ses deux visites du 19 mai 2011 et du 21 juillet 2011.
Contrairement à ce que soutient à tort [P] [V], les événements survenus le 19 mai 2011 et le 21 juillet 2011 dans la boutique de [Localité 7], dans laquelle il n’était plus salarié depuis le 5 mai 2011 et où il s’est rendu de son propre chef en qualité de client (besoin administratif) ou de camarade de certains salariés en poste dans cette boutique (rendez-vous pour déjeuner), ne peuvent être pris en compte puisqu’ils se sont produits alors qu’il n’avait plus aucun lien professionnel avec l’animatrice depuis 15 jours et à l’occasion d’initiatives qu’il a eues à titre privé.
En revanche, il résulte suffisamment des pièces versées aux débats (courrier exhaustif de plainte pour harcèlement moral du salarié du 21 avril 2011, témoignages des salariés et rapport d’enquête interne) que la nouvelle animatrice (arrivée en décembre 2010) en charge de coordonner les équipes de la boutique Bleu Ciel de [Localité 7] où [P] [V] était mis à disposition depuis le mois de mai a adressé à ce dernier diverses remarques concernant une plaisanterie qu’elle a estimé déplacée, son manque d’attention lors de ses briefings, son léger retard lors d’une reprise à 14h00 (ainsi que celui des deux collègues avec lesquels il se trouvait ce jour-là), sa consommation de bières dans les locaux de l’entreprise où il avait entreposé deux packs de 12 bières (l’un dans le réfrigérateur et l’autre à côté) et les critiques qu’il s’était permis de faire à l’égard d’un projet dont elle était l’auteure.
Ces faits sont donc matériellement établis.
Il ne résulte cependant pas des pièces produites que l’animatrice ait traité [P] [V] de girouette ainsi qu’il le soutient et ce fait non établi, ne sera pas retenu.
Le responsable de la boutique, alerté par les difficultés ressenties par l’animatrice, a reçu [P] [V] en entretien pour lui reprocher son verbe haut (critiques véhémentes de la politique commerciale de l’entreprise, ton peu discret, parfois ironique voire irrespectueux à l’égard d’intervenants extérieurs ou de collègues) ainsi que sa plaisanterie déplacée, l’animatrice lui rappelant dans le même temps l’importance d’être attentif durant les briefings.
Compte tenu de l’exacerbation des tensions entre l’animatrice et [P] [V], qui ont fini tous les deux en pleurs lors d’une tentative d’explications, et de la décision de l’animatrice, se disant terrorisée par cet intérimaire qui aurait procédé à des manoeuvres d’intimidation lors de leur dernière entrevue, de ne plus revenir travailler en sa présence, le responsable s’est de nouveau rendu à la boutique afin de recueillir la version de tous les salariés, dont [P] [V].
La 4 avril 2011 suivant, de nouveaux entretiens ont eu lieu avec tous les salariés par le responsable hiérarchique régional en présence du responsable local.
L’existence, non discutée, des trois entretiens intervenus dans un temps rapproché est donc établie.
Le 5 avril 2011, [P] [V] a été placé en arrêt maladie pour ‘syndrome dépressif réactionnel’ et a été adressé en urgence à la psychologue du travail pour risque psycho-social laquelle a noté que ‘l’état psychologique de Monsieur [V] est suffisamment alarmant pour que 2 autres entretiens soient encore prévus à sa demande lors de décompensation potentielles’.
Après la plainte pour harcèlement moral de [P] [V], l’entreprise utilisatrice a mandaté un de ses cadres RH pour procéder à une enquête interne.
L’enquêtrice, après avoir décrit les difficultés rencontrées dans le cadre de l’entretien avec [P] [V] d’une durée de 3h30 en relevant une ‘absence de synthèse et de clarté dans ses propos, tentative de destabilisation de l’enquêteur, pas de mandat syndical ni de délégué du personnel comme il le prétend mais candidat aux fonctions de délégué du personnel’, a retranscrit les auditions de l’intégralité des salariés, permanents, intérimaires, vigile ou apprentis de la boutique ainsi que du délégué national CGT en y joignant les documents communiqués par certains.
La totalité des salariés entendus, y compris le délégué CGT, a conclu à l’impossibilité pour eux de se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral ou à l’absence de harcèlement moral constaté, certains évoquant la forte personnalité du salarié intérimaire (‘verbe haut’, ‘meneur’, ‘provoque’ etc) ayant pu impressionner l’animatrice et être à l’origine de l’arrêt maladie de cette dernière, d’autres évoquant les qualités professionnelles indéniables et l’empathie de [P] [V] à l’égard des clients à l’origine de ses prises de position très critiques vis à vis de la politique commerciale de l’entreprise.
La hiérarchie intermédiaire ainsi que certains salariés ont imputé les tensions et les incidents à une situation de sous-effectif, source de fatigue pour l’équipe, à une difficulté de positionnement de l’animatrice due au flou de son statut et aux mauvaises habitudes prises par certains salariés de l’équipe en place, en évoquant la possibilité d’un burn-out réciproque des deux protagonistes.
Il ne résulte donc pas de cette enquête, qui a permis à l’ensemble du personnel présent dans l’établissement de s’exprimer librement et de communiquer les éléments qu’il avait en sa possession et dont les conclusions sont conformes à la synthèse des entretiens retranscrits, une partialité et une animosité de l’enquêtrice à l’égard de [P] [V], contrairement à ce que ce dernier soutient; la seule relation du ressenti de l’enquêtrice durant l’entretien de 3h30 avec l’intérimaire ne pouvant suffire à démontrer la partialité alléguée et ce fait n’est matériellement pas établi.
Il ne résulte par ailleurs d’aucune pièce produite que [P] [V] ait été empêché de se faire assister par une personne de son choix durant cet entretien et ce fait, non établi, ne sera pas retenu.
Au total, les diverses remarques de l’animatrice boutique adressées à [P] [V], entre décembre 2010 et début avril 2011, concernant une plaisanterie faite lors d’un repas qu’elle estimait déplacée, son déficit d’attention lors de ses briefings pour lequel le salarié admet s’être excusé, sa critique d’un projet dont elle était l’auteure, sa consommation de bières dans les locaux de l’entreprise ou son léger retard lors d’une reprise et la répétition d’entretiens hiérarchiques auxquels [P] [V] a été convié, entre février 2011 et le 4 avril 2011, ayant abouti à un syndrome anxio-dépressif réactionnel préoccupant constaté médicalement à compter du 5 avril 2011, sont des faits qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au préjudice de [P] [V].
Il appartient par conséquent à la société EDF de démontrer que ces agissements sont étrangers à tout harcèlement.
C’est à juste titre que la société EDF fait valoir que les remarques adressées par l’animatrice au salarié intérimaire étaient toutes légitimes et se justifiaient par son rôle de manager au sein de l’agence.
En effet, c’est sans excéder son pouvoir de manager que l’animatrice boutique a pu reprendre le salarié intérimaire sur une plaisanterie qu’elle estimait déplacée (sur l’origine des traces de mains farineuses sur le fond de pantalon de sa boulangère), même si celle-ci a été faite au cours d’un repas du midi pris par l’ensemble de l’équipe dans le restaurant conventionné par EDF, qu’elle lui a fait connaître son mécontentement après avoir appris qu’il s’était permis de critiquer son projet de mailing, qu’elle l’a interpellé sur sa consommation d’alcool sur le lieu du travail après avoir remarqué la présence de plusieurs packs de 12 bières entreposés dans le local de pause et trouvé plusieurs canettes vides dans la poubelle et qu’elle l’a invité, ainsi que deux autres collègues arrivés avec un très léger retard d’une ou deux minutes, sur l’importance d’être ponctuels.
Ensuite, c’est dans le cadre de son pouvoir disciplinaire que l’entreprise utilisatrice a recadré le salarié intérimaire sur sa manière parfois peu discrète, ironique voire irrespectueuse de s’exprimer, qu’elle avait constaté elle-même ou dont plusieurs personnes s’étaient plaintes auprès d’elle (cf courrier du responsable de la boutique du 22 avril 2011au responsable canal boutiques méditerranée) et qui s’est traduite dans son entretien de progrès (EDP) par la mention ‘s’exprimer en restant vigilant sur la forme’.
Enfin, postérieurement à ‘l’explication’ entre [P] [V] et l’animatrice ayant conduit cette dernière à être placée en arrêt maladie et à refuser de reprendre son poste en présence de l’intérimaire, c’est pour se conformer à son obligation de sécurité que l’entreprise utilisatrice a décidé de recueillir les explications des autres salariés et de [P] [V] à travers deux séries d’entretien (par le responsable local d’abord, puis par le responsable régional) afin de décider de la suite à donner à cette situation.
C’est d’ailleurs à l’issue de cette série d’entretiens que la société EDF a accepté de voir affecter [P] [V] dans son central d’appels téléphoniques de [Localité 8] pour une durée de 6 mois ce qui achève de démontrer l’absence d’animosité de l’entreprise utilisatrice à l’égard du salarié intérimaire.
Ainsi, la société EDF justifie que ses agissements sont étrangers à tout harcèlement et [P] [V] sera par conséquent débouté de sa prétention indemnitaire.
C) Sur les demandes dirigées contre les sociétés Manpower et EDF:
[P] [V] demande à la cour de condamner conjointement les société EDF et Manpower, conjointement, à lui payer les sommes de 20.000 € de dommages-intérêts pour marchandage et de 20.000 € de dommages-intérêts pour prêt de main d’oeuvre illicite.
Selon l’article L.8241-1 du code du travail, dans sa version antérieure à la loi du 28 juillet 2011, applicable au litige ‘Toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’oeuvre est interdite.
Toutefois, ces dispositions ne s’appliquent pas aux opérations réalisées dans le cadre :
1° Des dispositions du présent code relatives au travail temporaire, au portage salarial aux entreprises de travail à temps partagé et à l’exploitation d’une agence de mannequins lorsque celle-ci est exercée par une personne titulaire de la licence d’agence de mannequin ;
2° Des dispositions de l’article L. 222-3 du code du sport relatives aux associations ou sociétés sportives ;
3° Des dispositions des articles L. 2135-7 et L. 2135-8 du présent code relatives à la mise à disposition des salariés auprès des organisations syndicales ou des associations d’employeurs mentionnées à l’article L. 2231-1.’
En l’espèce, la mise à disposition de [P] [V] par la société Manpower auprès de la société utilisatrice EDF s’est faite par l’intermédiaire d’une société de travail temporaire dans le cadre des prescriptions légales régissant le travail temporaire. Le prêt de main d’oeuvre illicite n’est donc pas constitué.
Par ailleurs, l’article L.8231-1 du code du travail dispose que toute opération à but lucratif de fourniture de main-d’oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application de dispositions légales ou de stipulations d’une convention ou d’un accord collectif de travail, constitue un marchandage interdit.
Ce délit est constitué lorsque la mise à disposition de personnel a pour but d’écarter l’application de certains avantages issus des dispositions légales ou de la convention collective.
En l’espèce, et ainsi que cela résulte des motifs qui précèdent, la mise à disposition de [P] [V] par la société Manpower auprès de la société EDF, dont la validité a été retenue, n’a pas eu pour effet de pourvoir à une activité permanente et durable de l’entreprise utilisatrice ni d’écarter [P] [V] des avantages auxquels il pouvait prétendre.
Le marchandage n’est donc pas établi et [P] [V] sera débouté de sa demande indemnitaire de ce chef.
IV) Sur les demandes du syndicat CGT Energie 66 :
Le syndicat demande à la cour de condamner in solidum les sociétés EDF et Manpower à lui payer la somme de 3.000 € à titre de dommages-intérêts pour le préjudice porté à l’intérêt collectif de la profession du fait de la méconnaissance de l’égalité de traitement, des délits de marchandage et de prêt de main d’oeuvre illicite et des motifs de requalification du contrat de mission en contrat à durée indéterminée.
Mais, dès lors que l’appelant a été débouté de toutes les demandes visées par le syndicat, sa demande indemnitaire ne peut qu’être rejetée et le syndicat sera débouté de toutes ses prétentions.
V) Sur les autres demandes :
La société Manpower qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et à payer à [P] [V] la somme de 3.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour ses frais exposés en première instance et en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement et contradictoirement :
Dit que l’incident de péremption soulevé devant la cour, dans l’instance introduite le 12 juin 2013, est irrecevable comme se heurtant à l’autorité de la chose jugée de l’arrêt confirmatif sur déféré du 30 juin 2021 ;
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau sur le tout ;
Dit recevable et bien fondée la demande de rétractation formée le 2 décembre 2016 et, en conséquence, rapporte la déclaration de caducité du 28 septembre 2016 concernant l’instance introduite le 12 juin 2013 ;
Rappelle que cette instance est régie par les règles de la représentation non obligatoire et d’unicité de l’instance (saisine du conseil des prud’hommes antérieure au 1er août 2016) et par les règles de prescription antérieures à la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 (cf article 21 V alinéa 2 de cette loi) ;
Dit sans objet la demande renouvelée du 6 octobre 2016 et rejette les fins de non-recevoir opposées par les intimées et tirées de la prescription fondée sur la loi du 14 juin 2013 ;
Evoquant le fond du litige ;
Dit que la société Manpower a engagé sa responsabilité envers [P] [V] pour discrimination syndicale, entrave à l’exercice des mandats syndicaux et harcèlement moral ;
Condamne la société Manpower à payer à [P] [V] les sommes de :
> 15.000 € à titre de dommages-intérêts pour discrimination syndicale,
> 15.000 € à titre de dommages-intérêts pour entrave à l’exercice du droit syndical,
> 8.000 € à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,
Déboute [P] [V] de toutes ses autres demandes dirigées contre la société Manpower et de l’intégralité de ses demandes dirigées contre la société EDF ;
Déboute le syndicat CGT Energie 66 de toutes ses demandes ;
Condamne la société Manpower aux dépens de première instance et d’appel et à payer à [P] [V] la somme de 3.500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour ses frais exposés en première instance et en cause d’appel ;
Déboute les sociétés EDF et Manpower de leurs demandes dirigées contre [P] [V] et le syndicat CGT Energie 66 sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
la greffière, le conseiller,