RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 21/04445 – N��Portalis DBVH-V-B7F-II6Q
SL-AB
TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP D’AVIGNON
19 avril 2021
RG:20/02195
[U]
C/
[S]
[O]
Grosse délivrée
le 08/12/2022
à Me Marion TURRIN
à Me Jean-michel DIVISIA
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
1ère chambre
ARRÊT DU 08 DECEMBRE 2022
Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d’AVIGNON en date du 19 Avril 2021, N°20/02195
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre,
Mme Elisabeth TOULOUSE, Conseillère,
Mme Séverine LEGER, Conseillère,
GREFFIER :
Audrey BACHIMONT, Greffière, lors des débats, et Mme Nadège RODRIGUES, Greffière, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l’audience publique du 18 Octobre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 08 Décembre 2022.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.
APPELANT :
Monsieur [Y] [B]
né le [Date naissance 5] 1962 à [Localité 12]
[Adresse 4]
[Localité 7]
Représenté par Me Marion TURRIN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau D’AVIGNON
INTIMÉS :
Monsieur [X] [S]
[Adresse 2]
[Localité 9]
Représenté par Me Jean-michel DIVISIA de la SCP COULOMB DIVISIA CHIARINI, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
Monsieur [I] [O]
NOTAIRE [Adresse 6]
[Localité 8]
Représenté par Me Jean-michel DIVISIA de la SCP COULOMB DIVISIA CHIARINI, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre, le 08 Décembre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Suivant compromis de vente en date du 20 novembre 2014, la SCI Belen prise en la personne de son gérant, M. [C], s’est engagée à vendre un ensemble immobilier situé [Adresse 3] à [Localité 10] (84) cadastre section CK, n°[Cadastre 1], à M. [Y] [B], moyennant le prix de 162000 euros net vendeur.
La signature de ce compromis s’est réalisée en l’étude de Maître [I] [O], notaire à [Localité 11], régulièrement mandaté à cet effet par le vendeur et M. [B] était assisté de son propre notaire, Maître [X] [S].
La réitération par acte authentique devait intervenir le 19 juin 2015. L’étude de Maître [O] a pris attache auprès de M. [B] à cette date pour l’informer de ce que la vente ne pourrait pas se faire, faute du pouvoir du gérant en ce sens, les associés de la SCI se refusant d’acquiescer au principe de cette vente.
Eu égard aux diligences accomplies par M. [B] et à l’intérêt patrimonial de l’opération envisagée, ce dernier a saisi le tribunal de grande instance d’Avignon aux fins de voir constater le caractère parfait de la vente sur le fondement du mandat apparent et accessoirement, de solliciter la condamnation de la SCI Belen au paiement de la somme de 16 000 euros au titre de la clause pénale contenue au sein dudit compromis.
Par jugement du 29 août 2017, le tribunal de grande instance d’Avignon a débouté M. [B] de ses demandes.
Considérant qu’il s’était vu priver de la chance d’acquérir l’ensemble immobilier appartenant à la SCI Belen en raison des manquements professionnels des notaires présents et ayant participé à la rédaction du compromis, M. [Y] [B] a assigné, par actes du 30 juillet 2020, Maître [I] [O] et Maître [X] [S] devant le tribunal judiciaire d’Avignon, afin de se voir indemniser des préjudices subis.
Par jugement contradictoire du 19 avril 2021, le tribunal judiciaire d’Avignon a :
– condamné solidairement Maître [I] [O] et Maître [X] [S] à payer à M. [Y] [B] la somme de 1 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral ;
– débouté M. [Y] [B] de ses demandes d’indemnisation formées au titre de la perte de chance de constitution de patrimoine, au titre de la privation de la clause pénale et au titre du montant de l’assurance emprunteur ;
– condamné in solidum Maître [I] [O] et Maître [X] [S] à payer à M. [Y] [B] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné in solidum Maître [I] [O] et Maître [X] [S] à supporter les dépens ;
– débouté M. [Y] [B] de ses demandes plus amples ou contraires;
– débouté Maître [I] [O] et Maître [X] [S] de leurs demandes plus amples ou contraires ;
– rappelé que l’exécution provisoire du présent jugement est de droit.
Le tribunal a retenu que les notaires avaient manqué à leurs obligations en ne procédant pas aux vérifications d’usage du pouvoir à agir du gérant et avaient engagé à ce titre leur responsabilité. Cependant, le tribunal a relevé que les demandes formulées par M. [B] au titre de la perte de chance de contracter, de la privation de l’application de la clause pénale et du montant de l’assurance emprunteur n’était pas imputables aux notaires et que seul le préjudice moral subi par le demandeur pouvait être indemnisé.
Par déclaration du 14 décembre 2021, M. [Y] [B] a interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance du 17 juin 2022, la procédure a été clôturée le 4 octobre 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 18 octobre 2022 et mise en délibéré par mise à disposition au greffe de la décision le 8 décembre 2022.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET DES MOYENS
Par conclusions notifiées par voie électronique le 11 mars 2022, l’appelant demande à la cour de:
– réformer partiellement le jugement dont appel et de :
– constater que Maître [S] a manqué à son obligation professionnelle de vérification des pouvoirs de son confrère rédacteur, Maître [O] ;
– constater que Maître [O] a manqué à son obligation professionnelle de vérification de la capacité à agir du gérant de la SCI Belen ;
– juger que Maître [S] et Maître [O] ont manqué à leur obligation professionnelle de vérification de l’efficacité du compromis de vente, créateur de droit pour les parties ;
– juger que la responsabilité professionnelle de Maître [S] ainsi que de Maître [O] sont engagées à l’encontre de M. [B] ;
– juger que le préjudice subi s’analyse en une perte de chance de n’avoir pu acquérir l’ensemble immobilier détenu par la SCI Belen et ainsi d’obtenir un complément de revenus tirés de produits locatifs ;
– condamner solidairement Maître [O] et Maître [S] à lui payer la somme de 35 000 euros en réparation de ce préjudice tiré du défaut de constitution de ce patrimoine ;
– juger que le préjudice subi s’analyse en une perte de chance de n’avoir pu acquérir l’ensemble immobilier détenu par la SCI Belen dans les conditions financières fixées au moment du compromis ;
– condamner solidairement Maître [O] et Maître [S] à lui payer la somme de 720 euros en réparation de ce préjudice tiré du montant de l’assurance emprunteur ;
– juger que les carences fautives de Maître [O] et Maître [S] l’ont privé de l’application de la clause pénale ;
– condamner solidairement Maître [O] et Maître [S] à lui payer la somme de 16 200 euros en réparation de ce préjudice financier ;
– condamner solidairement Maître [O] et Maître [S] au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral qu’il a subi ;
– les condamner sous la même solidarité au paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de la procédure.
L’appelant fait valoir que les conditions d’engagement de la responsabilité des notaires sont réunies en ce qu’ils ont manqué aux vérifications nécessaires au bon accomplissement de l’acte et que leur manquement est à l’origine de préjudices directs et certains dont il s’estime être bien fondé à obtenir réparation.
Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 mai 2022, les intimés demandent à la cour de :
– confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
– débouter M. [B] de toutes réclamations complémentaires,
– condamner M. [B] à leur payer à chacun la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Les intimés concluent à l’inexistence du préjudice allégué en raison de l’impossibilité d’acquérir le bien litigieux et exposent que le tribunal a parfaitement arbitré la demande au titre du préjudice moral.
Il est fait renvoi aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la faute imputée aux notaires :
Le notaire, en sa qualité de professionnel, est tenu d’un devoir de conseil à l’égard de ses clients en vertu duquel il lui incombe de les éclairer sur la portée, les effets et les risques de l’acte dressé dont il est également tenu d’assurer par ailleurs la validité, l’efficacité et la sécurité juridique.
Dans le cadre de cette dernière obligation, il doit s’informer auprès de ses clients et procéder à toutes vérifications utiles de manière à assurer l’utilité et l’efficacité de l’acte dressé.
En l’espèce, le compromis de vente signé le 20 novembre 2014 par les parties était dépourvu d’une quelconque efficacité puisque le gérant de la SCI ne disposait pas du pouvoir de consentir seul à la vente, les statuts exigeant le consentement de tous les associés.
Ni le notaire du vendeur ayant rédigé l’acte litigieux, ni le notaire de l’acquéreur ayant participé à l’acte n’ont procédé à la vérification de la capacité des parties.
Il appartenait pourtant au notaire rédacteur et au notaire ayant participé à l’acte de vérifier les déclarations du vendeur qui, par leur nature ou leur portée juridique, conditionnaient en l’espèce la validité de l’acte, s’agissant plus particulièrement du pouvoir du gérant de la SCI d’engager celle-ci dans la vente du bien immobilier.
Il incombait ainsi aux notaires de vérifier les statuts de la SCI venderesse avant de procéder à la signature du compromis de vente afin de s’assurer de la validité de l’acte.
En s’étant abstenus de procéder aux vérifications nécessaires, dont l’absence a privé le compromis de vente signé le 20 novembre 2014 par les parties de toute efficacité, les notaires ont manqué à leurs obligations professionnelles.
La décision déférée mérite ainsi confirmation en ce qu’elle a retenu que les notaires avaient engagé leur responsabilité civile professionnelle à l’égard de M. [B].
Sur les préjudices allégués :
L’appelant fait grief au tribunal d’avoir retenu qu’il ne souffrait d’aucune perte de chance de contracter imputable aux notaires aux motifs que la vente n’aurait pu aboutir en l’absence d’accord de tous les associés de la SCI et excipe du préjudice résultant du fait de n’avoir pu se prévaloir d’un mandat apparent en raison de la présence des deux notaires à l’acte.
L’appelant argue d’une perte de chance de ne pouvoir se prévaloir du caractère parfait de la vente puisque le compromis a été signé en la forme notariée et se prévaut tout à la fois d’une perte de chance d’acquisition de l’immeuble aux conditions stipulées à l’acte et de la perte d’un rapport locatif, d’une perte des conditions d’assurance telles que prévues dans l’offre de prêt obtenue par ses soins en raison de la dégradation de son état de santé depuis lors, ainsi que du préjudice constitué par la privation de la clause pénale de 16 200 euros stipulée à l’acte.
Le préjudice subi par l’appelant est en réalité constitué par la croyance erronée en la validité du compromis de vente signé et en la réalisation de diligences inutiles dans les suites de cet acte dans la mesure où M.[B] justifie avoir procédé à une demande de prêt qu’il a effectivement obtenue par offre du 22 janvier 2015.
C’est à bon droit que le tribunal a retenu que M. [B] ne justifiait d’aucune perte de chance de n’avoir pu acquérir le bien immobilier car le gérant n’avait pas la capacité de procéder à la vente du bien et que les associés n’ont jamais voulu procéder à sa vente.
Si les notaires avaient procédé aux vérifications utiles, le compromis n’aurait pas été dressé et le préjudice est ainsi constitué par la réalisation d’un acte notarié inutile car dépourvu d’une quelconque efficacité affectant l’ensemble de ses clauses.
L’appelant ne peut invoquer un préjudice distinct constitué par la perte de chance de se prévaloir du mandat apparent dans la mesure où il a précisément sollicité la signature d’un compromis par acte notarié, cette voie excluant le recours au mandat apparent en raison des vérifications auxquelles les notaires auraient dû procéder.
C’est ainsi seulement si M. [B] avait signé un acte sous seing-privé sans l’intervention des notaires qu’il aurait eu la possibilité d’exciper d’un mandat apparent mais le préjudice n’est pas constitué puisqu’il n’a pas opté pour cette procédure.
Le préjudice subi par M. [B] est ainsi exclusivement constitué par le préjudice moral subi du fait de la signature d’un acte notarié inutile en ce qu’il était dépourvu d’efficacité.
C’est à bon droit que l’appelant se prévaut d’une sous-évaluation de son préjudice moral évalué par le premier juge à la somme de 1 000 euros de dommages-intérêts alors qu’il était précisément en droit de prétendre à la sécurité juridique du compromis de vente dressé par l’intermédiaire de deux notaires.
Le préjudice de M. [B] sera intégralement réparé par l’allocation de la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts que Maître [S] et Maître [O] seront condamnés à lui payer in solidum par voie d’infirmation de la décision déférée sur ce point.
La décision sera en revanche confirmée en ce qu’elle a débouté M.[B] de ses autres prétentions, tant s’agissant du préjudice allégué au titre de la perte de chance de contracter que de celui résultant de la privation de la clause pénale puisque celle-ci n’avait aucune chance de prospérer en raison de l’absence d’accord des associés de la SCI ainsi que de celui résultant des conditions afférentes à l’offre de prêt puisque le financement de la vente n’avait pas vocation à se concrétiser en l’absence d’accord du vendeur à la vente du bien.
Sur les autres demandes :
Succombant à l’instance, Maître [S] et Maître [O] seront condamnés in solidum à en régler les entiers dépens, de première instance et d’appel en application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.
L’équité commande par ailleurs de les condamner au paiement d’une somme complémentaire de 3 000 euros à M. [B] au titre des frais irrépétibles exposés par ce dernier en cause d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La prétention du même chef présentée par les intimés sera rejetée en ce qu’ils succombent.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement déféré sur le quantum de la condamnation prononcée à l’encontre de Maître [I] [O] et de Maître [X] [S] en réparation du préjudice moral subi par M. [Y] [B] ;
Statuant à nouveau sur ce chef,
Condamne in solidum Maître [I] [O] et Maître [X] [S] à payer à M. [Y] [B] la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral ;
Confirme le jugement déféré pour le surplus de ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant,
Condamne in solidum Maître [I] [O] et Maître [X] [S] aux entiers dépens de l’appel;
Condamne in solidum Maître [I] [O] et Maître [X] [S] à payer à M. [Y] [B] la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel ;
Rejette toute autre demande plus ample ou contraire.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,