COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-4
ARRÊT AU FOND
DU 07 DECEMBRE 2022
N° 2022/ 310
Rôle N° RG 22/01436 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BIY45
[J] [Y] veuve [L]
C/
[O] [Y] épouse [D]
S.A. CAISSE D EPARGNE ET DE PREVOYANCE PROVENCE ALPES C ORSE
[C] [Y]
[F] [Y] épouse [H]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Charles REINAUD
Me Gilles MATHIEU
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance d’AIX EN PROVENCE en date du 18 Décembre 2017 enregistrée au répertoire général sous le n° 14/01993.
APPELANTE
Madame [J] [Y] veuve [L]
décédée le [Date décès 8] 2020
née le [Date naissance 5] 1922 à [Localité 10] (MAROC), demeurant EHPAD – [Adresse 3]
représentée par Me Charles REINAUD, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
INTIMEES
Madame [O] [Y] épouse [D]
née le [Date naissance 1] 1954 à [Localité 10] (MAROC), demeurant [Adresse 9]
représentée par Me Nicolas PEREZ, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
S.A. CAISSE D EPARGNE ET DE PREVOYANCE PROVENCE ALPES CORSE, prise en la personne de son représentant légal en exercice, dont le siège est [Adresse 12]
représentée par Me Gilles MATHIEU, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
PARTIES INTERVENANTES
Monsieur [C] [Y], es qualité d’héritier de Madame [L] veuve [Y], décédée le [Date décès 8] 2020
né le [Date naissance 4] 1949 à [Localité 10] (MAROC), demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Charles REINAUD, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
Madame [F] [Y] épouse [H], es qualité d’héritière de Madame [L] veuve [Y], décédée le [Date décès 8] 2020
née le [Date naissance 6] 1951 à [Localité 10] (MAROC), demeurant [Adresse 7]
représentée par Me Charles REINAUD, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 Octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Françoise FILLIOUX, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Laure BOURREL, Président
Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président
Madame Françoise FILLIOUX, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Décembre 2022.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Décembre 2022
Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président pour le Président empêché et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Faits, procédure, moyens et prétentions des parties :
Le 28 mars 1987, Madame [J] [Y] épouse [L] a ouvert un compte
n° 04660323368 au sein de l’agence de la Caisse d’Epargne Provence Alpes Corse située à [Localité 11].
Le 14 février 2001, un nouveau compte n° 04803585395 a été ouvert à son nom dans la même banque, mais au sein de l’agence située à [Localité 13].
Le 3 janvier 2007, Monsieur [C] [Y], son fils, a alerté la banque sur un possible abus de faiblesse commis à l’encontre de sa mère.
Le 19 mars 2014, Madame [Y] [J] a assigné la Caisse d’Epargne Provence Alpes Corse devant le tribunal de grande instance d’Aix en Provence afin de la voir condamnée à lui restituer la somme de 65 332,20euros correspondant à des sommes qui auraient été détournées de son compte en raison de fausses signatures apposées sur des chèques, 3 000euros à titre de dommages et intérêts et 2 500euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par acte du 2 octobre 2014, la Caisse d’Epargne Provence Alpes Corse a assigné Madame [O] [D] née [Y], la fille de Madame [Y] [J], en intervention forcée.
Par jugement contradictoire du 18 décembre 2017, le tribunal de grande instance d’Aix en Provence a déclaré prescrite l’action en responsabilité à l’encontre de la Caisse d’Epargne Provence Alpes Corse engagée par Madame [Y] pour les opérations passées avant le 19 mars 2009, l’a déboutée pour les actions postérieures à cette date et l’a condamnée aux entiers dépens.
La juridiction a retenu que les dispositions de l’article L 133-24 du code monétaire et financier n’étaient pas applicables au litige, que la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil devait recevoir application et que les opérations critiquées avaient été réalisées par Madame [D] qui avait reçu procuration pour le faire.
Le 26 janvier 2018, Madame [J] [Y] a interjeté appel de ce jugement.
Le [Date décès 8] 2020, Madame [J] [Y] est décédée et par conclusions du 5 novembre 2020, Monsieur [C] [Y] et Madame [F] [Y], ses héritiers, sont intervenus volontairement à la procédure.
Une ordonnance de radiation est intervenue le 10 novembre 2020.
Le dossier a été remis au rôle le 16 mai 2022.
Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 13 janvier 2022 et tenues pour intégralement reprises, Monsieur [C] [Y] et Madame [F] [Y] demandent à la Cour de :
Vu les articles 2224, 2234, 1937 et 1142 du code civil
Infirmer la décision de première instance,
Juger que la Caisse d’Epargne et Madame [D] ne rapportent pas la preuve de l’existence d’une procuration sur le compte de Madame [Y],
Juger que l’action de Madame [Y] représentée par ses héritiers est ouverte à compter de la connaissance de l’existence du compte litigieux n° 04803585395 en 2012,
Juger que Madame [D] n’avait pas procuration sur ce compte,
Condamner la Caisse d’Epargne à la somme de 65 332,20euros correspondant au montant des sommes détournées du compte de Madame [Y] en suite de fausses signatures exécutées par un tiers dépourvu de mandat, somme versée à la succession de Madame [Y],
Condamner la Caisse d’Epargne à 3 000euros au titre de dommages et intérêts pour préjudice moral à la succession de Madame [Y],
Débouter la Banque de son appel incident et confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la Caisse d’Epargne de sa demande de forclusion,
Condamner la Caisse d’Epargne à la somme de 2 500euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens avec distraction au profit de Maître Reinaud.
Dans ses dernières écritures déposées et notifiées le 22 août 2022 et tenues pour intégralement reprises, la Caisse d’Epargne et de Prévoyance Provence Alpes Corse demande à la Cour de :
Vu l’article L 133-24 du code monétaire et financier,
Vu l’article 2224 du code civil,
Infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a dit que les dispositions de l’article L133-24 du code monétaire et financier ne sont pas applicables au présent litige,
Déclarer l’action formée par Madame [J] [Y] reprise par Monsieur [C] [Y] et madame [F] [Y], forclose,
Sur la prescription :
Confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a déclaré prescrite cette action, pour les opérations passées sur son compte avant le 19 mars 2009,
A titre principal :
Confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Madame [J] [Y] de ses demandes sur les opérations postérieures au 19 mars 2009 aux motifs que Madame [D] disposait d’une procuration sur ce compte,
Débouter Monsieur [C] [Y] et Madame [F] [Y] de leur demande,
A titre subsidiaire :
Débouter Monsieur [Y] [C] et Madame [F] [Y] de leurs demandes au motif qu’il existait un mandat apparent entre madame [J] [Y] et Madame [O] [D],
Débouter Monsieur [Y] [C] et Madame [F] [Y] de leurs demandes au motif que la Caisse d’Epargne n’a commis aucune faute et qu’à l’inverse Madame [J] [Y] est à l’origine de son préjudice par ses fautes en sa qualité de titulaire du compte litigieux,
Condamner Madame [O] [D] à relever et garantir la Caisse d’Epargne de toutes condamnations qui pourraient être prononcée à son encontre,
Condamner tout succombant à lui payer la somme de 2 000euros au titre de l’article 700 en cause d’appel et aux entiers dépens avec distraction au profit de Maître Matthieu, Avocat sur son affirmation de droit.
Par conclusions déposées et notifiées le 7 septembre 2022, Madame [O] [Y] demande à la Cour de :
Débouter Madame [Y] [J] de ses demandes,
Confirmer le jugement déféré,
Condamner Monsieur [Y] [C] et Madame [F] [Y] à lui payer la somme de 3 000euros au titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,
Condamner tout succombant à lui payer la somme de 3 000euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens avec distraction au profit de Maître Nicolas Perez.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 20 septembre 2022.
Motifs
Sur la forclusion :
En application des dispositions de l’article L133-23 du code monétaire et financier dans la rédaction applicable au présent litige ‘ Lorsqu’un utilisateur de services de paiement nie avoir autorisé une opération de paiement qui a été exécutée ou affirme que l’opération de paiement n’a pas été exécutée correctement, il incombe à son prestataire de services de paiement de prouver que l’opération en question a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu’elle n’a pas été affectée par une déficience technique ou autre…’. L’article L133-24 du dit code limite les possibilités d’action en imposant à l’utilisateur du service de paiement d’agir dans un délai de 13 mois suivant le débit ou du moins 13 mois à compter de la mise à sa disposition des informations relatives à l’opération contestée.
Il est acquis que les appelants contestent des écritures passées depuis le 24 mars 2006 jusqu’au 2 février 2010 et que l’action a été engagée le 19 mars 2014. Toutefois, ainsi que l’a relevé avec raison le juge de première instance, Monsieur et Madame [Y] n’ont pas assigné la banque pour voir annuler des opérations passées au profit de tiers sur le fondement des articles sus visés et voir régulariser la situation bancaire mais afin de voir retenir la responsabilité de la banque sur le fondement de la responsabilité de droit commun, action recevable même si le débit n’a pas été contesté par le titulaire du compte dans le délai de l’article L 133-24 du code monétaire et financier.
Il convient de confirmer le jugement de première instance à ce titre.
Sur la prescription :
Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Madame [J] [Y] a engagé une action en responsabilité le 19 mars 2014 à l’encontre de la banque en dénonçant des écritures passées entre le 24 mars 2006 et le 2 février 2010.
Pour s’opposer à la prescription retenue par le juge de première instance pour les opérations antérieures au 19 mars 2009, les appelants soutiennent que la titulaire du compte litigieux n’aurait eu connaissance des écritures contestées que le 30 juillet 2012 c’est à dire à la réception des six récépissés de retrait d’espèce, qu’elle aurait alors pris connaissance de l’existence des opérations dénoncées sur le compte n° 04803585395 dont elle affirme ignorer l’ouverture jusqu’à ce jour, de sorte que l’action engagée le 19 mars 2014 ne serait pas prescrite.
Toutefois, il convient de relever que dès le 3 janvier 2007, Monsieur [C] [Y] et Madame [F] [Y], dans un courrier adressé à la Caisse d’Epargne située à [Localité 13], ont informé la banque de leur intention d’engager une action en justice pour sauvegarder les intérêts de leur mère, [J] [Y] en raison des agissements qu’ils soupçonnaient frauduleux de leur soeur, qui dilapiderait selon eux le patrimoine de sa mère.
Ce courrier fait expressément référence dans son entête au numéro de compte n°04803585395 et est adressé à l’agence de [Localité 13] sachant que le compte n° 04660323368 a été ouvert à l’agence de la Caisse d’Epargne située à [Localité 11] et que les opérations passées sur ce dernier compte n’ont jamais fait l’objet de contestation. De sorte qu’aucune confusion n’est possible entre les deux comptes.
Ce courrier est corroboré par la lettre du 23 février 2010 adressée à Madame [D] aux termes duquel Madame [Y] [J] l’informe de son intention de reprendre la gestion de ses affaires ‘compte tenu de l’important préjudice financier de ta gestion ‘. Madame [Y] n’ayant jamais remis en cause la gestion du compte n° 04660323368, il est incontestable que ce courrier vise les opérations intervenues sur le compte n°04803585395 dont Madame [Y] [J] aurait eu connaissance à cette date au moins.
Ainsi il convient de confirmer le jugement de première instance et de dire que l’action engagée est prescrite pour les opérations antérieures au 19 mars 2009.
Sur les opérations postérieures :
Selon les dispositions de l’article 1984 du code civil, le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom et selon l’article 1985 ‘Le mandat peut être donné par acte authentique ou par acte sous seing privé, même par lettre. Il peut aussi être donné verbalement….’.
La banque soutient que Madame [D], la fille de Madame [Y], qui a effectué les opérations litigieuses bénéficiait d’une procuration sur le compte n° 04803585395 ce que contestent les appelants.
Toutefois, dans leur courrier du 3 janvier 2007, Monsieur [C] [Y] et Madame [F] [Y] indiquent ‘… des actes de notre soeur Madame [O] [Y] épouse [D], bénéficiaire d’une procuration sur le compte indiqué en objet…’. Or le courrier indique expressément en son entête se référer au compte n° 04803585395.
L’existence de la procuration dont bénéficiait Madame [D] résulte également du courrier du 23 février 2020 adressé par Madame [Y] [J] à sa fille Madame [O] [D] aux termes duquel elle l’informe avoir ‘ révoqué ta procuration sur mon compte bancaire compte tenu de l’importance du préjudice financier de ta gestion ‘. Or il n’est nullement fait état d’opérations contestées sur le compte n° 04660323368 démontrant que cette procuration est afférente au compte n° 04803585395.
La télécopie lapidaire produite par les consorts [Y] et émanant du service des archives de la Caisse d’Epargne expédiée par Monsieur [G] à Madame [X] [P] et indiquant ‘sur le n° de compte demandé il n’y a pas de procuration concernant Madame [D] par contre elle apparaît sur un autre compte’ ne permet nullement de lier cette affirmation avec le compte litigieux, faute de précision sur le n° de compte demandé.
Les appelants critiquent la solution retenue au motif que le compte n° 04660323368 serait un compte joint et que Madame [D] n’aurait pas eu besoin d’une procuration pour agir de sorte que par un raisonnement a contrario, il conviendrait de rattacher l’absence de procuration au compte litigieux.
Outre qu’un tel raisonnement reste taisant sur l’existence reconnue d’une procuration qui ne se rattacherait alors à aucun compte, l’existence d’un compte joint n’est nullement démontrée par la production d’un document imprimé de la banque qui mentionne pour le compte n° 04 660323368 et au titre des personnes habilitées par le contrat Madame [Y] et Madame [D], cette qualité ‘habilité’ pouvant résulter non pas d’un compte joint mais d’une procuration donnée lors de l’ouverture du compte.
De surcroît, l’existence d’un compte joint sous le numéro compte n° 04 660323368 réduit à néant l’argumentaire des appelants sur le fait que la révocation de la procuration intervenue par courrier du 23 février 2010 émanant de Madame [Y] concernait le dit compte.
Il convient de confirmer le jugement de première instance à ce titre.
Sur la demande de dommages et intérêt émanant de Madame [D] :
Madame [D] sollicite la condamnation de Monsieur [Y] [C] et Madame [Y] [F] au paiement d’une somme de 3 000euros au titre du préjudice moral subi en raison du caractère vexatoire et diffamant de cette procédure.
Toutefois, il convient de relever que les appelants qui ont fondé leur action sur la faute de la banque dont ils ont sollicité la condamnation, n’ont formulé aucune prétention à l’égard de Madame [D] qui a été assignée en intervention forcée par la Caisse d’épargne.
De sorte qu’aucune condamnation ne peut être prononcée à l’encontre des appelants pour le motif invoqué.
Sur la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile :
Les appelants succombant doivent supporter les entiers dépens sans que l’équité n’impose de condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs, La Cour statuant par arrêt contradictoire :
Confirme le jugement de première instance rendu le 18 décembre 2017 par le tribunal de grande instance d’Aix en Provence,
Y ajoutant :
Déboute Madame [D] [O] et la Caisse d’Epargne Provence Alpes Corse de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne Monsieur [Y] [C] et Madame [Y] [F] aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT