COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-1
ARRÊT AU FOND
DU 6 JUIN 2023
N° 2023/ 195
Rôle N° RG 19/16249 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BFBPR
SARL HALSTEAD BELL
C/
[X] [R]
[P] [H]
[U] [M] épouse [H]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Hélène BOURDELOIS
Me Elie MUSACCHIA
Me Françoise BOULAN
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de DRAGUIGNAN en date du 17 Septembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 17/03539.
APPELANTE
SARL HALSTEAD BELL,
prise en la personne de son représentant légal en exercice,
domiciliée Centre Europe – [Adresse 4]
réprésentée et plaidant par Me Hélène BOURDELOIS, avocate au barreau de TOULON
INTIMÉS
Monsieur [X] [R]
né le 06 Mai 1948 à [Localité 5],
demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Françoise BOULAN de la SELARL BOULAN-CHERFILS-IMPERATORE, avocate au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Baptiste BERARD, avocat au barreau de LYON, substitués et plaidant par Me Marine CHARPENTIER, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
Monsieur [P] [H]
demeurant [Adresse 3]
Madame [U] [M] épouse [H]
née le 12 Mars 1944 à [Localité 6],
demeurant [Adresse 3]
tous deux représentés et plaidant par Me Elie MUSACCHIA, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE assisté de Me Elodie GIGANT, avocate au barreau de DRAGUIGNAN,
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 02 Mai 2023 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Mme DEMONT, conseillère, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Olivier BRUE, Président
Madame Danielle DEMONT, Conseillère
Madame Louise DE BECHILLON, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur Nicolas FAVARD.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Juin 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Juin 2023,
Signé par Monsieur Olivier BRUE, Président et Monsieur Nicolas FAVARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous seing privé signé par M. [P] [H] le 23 mars 2016 , celui-ci a donné mandat non exclusif de vendre le bien sis [Adresse 1] (Var), propriété des époux [H] à la société Halstead bell au prix de 2’200’000 €.
Par bon de visite signé le 28 décembre 2016, le bien a été présenté par cet agent immobilier à M.[X] [R].
Des négociations sur le prix de vente ont débuté entre vendeur et acquéreur par courriels, M. [R] ayant visité plusieurs fois l’immeuble, fait des offres d’achat, et demandé que lui soient communiqués les plans de la propriété.
Par lettre datée du 13 février 2017, les époux [H] ont dénoncé le mandat conféré à la société Halstead bell.
Par acte authentique du 7 juillet 2017, les époux [H] ont vendu à M. [X] [R] leur propriété au prix de 2 178 286 €, sans l’entremise de la société Halstead, mais celle de la société Riviera immobilier Real Estate.
Apprenant cette vente, suite à l’affichage en mairie du permis de construire, la société Halstead bell a fait assigner, dans un premier temps, les époux vendeurs [H], puis M. [R], l’acquéreur, par exploits des 10 avril 2017 et 7 février 2018, aux fins d’obtenir le versement de dommages-intérêts correspondant aux honoraires d’entremise éludés.
Par jugement en date du 17 septembre 2019, le tribunal de grande instance de Draguignan a débouté la société Halstead bell de toutes ses demandes, débouté M. [R] de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, et condamné la société Halstead bell à payer aux époux [H], la somme de 2 000 € et à M. [R], la somme de 1 500 €, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Le 21 octobre 2019, la Sarl Halstead bell a relevé appel de cette décision.
Par conclusions du 9 mars 2023, elle demande à la cour, au visa des articles 1103 et suivants, 1217 et 1131-1 du code civil :
‘ de réformer le jugement entrepris ;
statuant à nouveau
‘ de condamner les époux [H] ‘solidairement et conjointement’ avec M. [R] à lui payer les sommes suivantes :
-132’000 € TTC, au titre de la perte d’une chance de recevoir la commission qu’elle aurait dû percevoir ;
– 10’000 €, au titre de leur résistance abusive et de leur attitude frauduleuse visant à l’évincer pour faciliter leur négociation ;
– 20’000 €, au titre de l’article 700 du code de procédure civile comprenant les frais de première instance et d’appel ;
‘ de débouter les intimés de toutes leurs demandes dirigées contre elle ;
‘ et de les condamner in solidum aux dépens.
Par conclusions du 22 mai 2020, M. [P] [H] et Madame [U] [M] épouse [H] demandent à la cour de confirmer le jugement entrepris, de débouter la société Halstead bell de toutes ses demandes, de débouter M. [R] de toutes ses demandes dirigées contre eux, à titre subsidiaire, en cas de condamnation, de leur accorder un délai de paiement de 24 mois, et de condamner la société Halstead bell à leur payer la somme de 5 000 €, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Par conclusions du 7 avril 2020, M. [X] [R] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, sauf le rejet de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive, à titre subsidiaire, de condamner les époux [H] à le relever et garantir de toute condamnation qui serait prononcée contre lui, de condamner la société Halstead bell à lui payer la somme de 5000 € de dommages-intérêts, pour procédure abusive et celle de 5000 €, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, applicable en cause d’appel, outre les dépens, avec distraction.
La cour renvoie aux écritures précitées pour l’exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties.
Motifs
Attendu que la société Halstead bell fait valoir au soutien de son appel :
– qu’elle a accompli de nombreuses diligences en vue de la vente, en répondant aux multiples courriels adressés par M. [H] ; qu’il est bien surprenant que son épouse ne s’estime pas engagée par les liens du mandat, alors qu’elle a cru devoir dénoncer le mandat par lettre recommandée, en ayant cette fois signé aux côtés de son mari ; qu’elle s’est comportée globalement comme une mandante ; que l’épouse avait confié à la société Halstead un mandat oral ;
– que le mandat de vente en exclusivité signé n’est pas un mandat ‘pour représenter et conclure la vente’, mais un mandat de recherche d’acquéreurs ; que le premier juge ne pouvait donc pas considérer nul le mandat litigieux, au regard des dispositions combinées des articles 1108 et 1424 du code civil et retenir que l’article 1988 du code civil reconnaît la validité d’un mandat tacite, mais en le réservant aux actes d’administration, alors qu’il s’agissait bien d’un mandat d’administration qui était donné ; que par une décision de principe rendu le 24 février 2017, la Cour de cassation estime que l’évolution du droit des obligations issue de l’ordonnance du 10 février 2016, y compris pour les contrats conclus antérieurement l’avaient conduite à apprécier différemment l’objectif poursuivi par certaines des prescriptions que doit respecter le mandat de l’agent immobilier et à décider que lorsqu’elle vise la seule protection du mandant dans ses rapports avec le mandataire, leur méconnaissance est sanctionnée seulement par une nullité relative ; que le formalisme du mandat de gestion immobilière, tel que prescrit par les articles 1 et 6 de la loi du 2 janvier 1970 est d’ordre public ; qu’il a pour objet dans les rapports entre les parties la sauvegarde des intérêts privés du mandant et qu’il s’ensuit que son non-respect entraîne une nullité relative qui peut être couverte par la ratification ultérieure des actes de gestion accomplis sans mandat ; que dès lors le mandat d’administration pouvait être tacite en ce qui concerne Mme [H] ; qu’en adressant, signée notamment de sa main, la ‘dénonce’ du mandat litigieux celle-ci a ratifié ce dernier autorisant la société à se prévaloir du mandat signé par M. [H] et ratifié par son épouse ; et que dès lors les époux [H] lui ont régulièrement confié mandat ;
Attendu que s’agissant de l’action délictuelle engagée contre M. [R], la société Halstead bell soutient qu’en réalité sa concurrente, la société Riviera immobilier Real Estate, a pratiqué une commission qui n’est absolument pas conforme aux prix du marché, d’un montant de 2,30 %, au lieu de la sienne de 5 % ; que cet agent immobilier n’a eu à accomplir aucune diligence puisque celles-ci avaient déjà toutes été effectuées par la société Halstead bell ; qu’au moment de la rupture des relations contractuelles, l’appelant allait évidemment proposer aux époux [H] un prix moindre que celui pour lequel ils l’avaient mandatée ; que le fait d’avoir eu recours à une autre agence ne dédouane pas les vendeurs de leur comportement fautif ; que le comportement fautif de M. [R] résulte des pièces versées aux débats ; qu’il avait déjà signé un bon de visite le 28 décembre 2016 puis de nouveau le 27 janvier 2017 ; qu’il ne pouvait pas évincer la société Halstead bell des négociations ; que la collusion frauduleuse entre M. [R] et les époux ressort clairement de ses propres écritures, puisqu’ il s’est estimé ‘libéré’ par leur dénonciation du mandat ; que M. [R] souhaitait faire son acquisition à moindre prix auprès des vendeurs lesquels souhaitaient pour leur part que la baisse du prix pèse sur la commission et non sur le prix net vendeur ; que l’intervention de la société Riviera immobilier Real Estate n’apparaît en réalité que dans l’acte de vente et n’a que peu d’incidence sur la responsabilité conjointe des époux et de M. [R] puisque leurs man’uvres conjointes respectives n’avaient pour but que d’évincer l’appelante grâce à laquelle M. [R] avait visité le bien et mis en contact avec les vendeurs ; que ces derniers n’expliquent pas pourquoi ils ont préféré traiter avec une autre agence qui leur offrait un prix moindre que l’appelante, sauf évidemment à réduire de plus de moitié le montant de commission de l’agent immobilier en évinçant l’appelante, de sorte que l’économie de prix pour M. [R] et l’absence de pertes pour les époux [H] s’est faite au détriment de la société Halstead bell ;
Mais attendu que le mandat de vente non exclusif enregistré, intitulé comme tel comporte en son article premier la mention que le mandant et le mandataire sont convenus : « Article 1er – objet de la convention : par les présentes le mandant s’engage à confier au mandataire, qui l’ accepte la mission de vendre le ou les biens désignés ci-après, dont il est propriétaire, et le mandataire accepte cette mission », même si, certes, ce dernier n’a pas qualité pour signer à la place du propriétaire ;
Attendu qu’il s’agit donc bien d’un mandat de vente, et non d’un mandat de gestion immobilière, de sorte que la jurisprudence invoquée, selon laquelle le formalisme du mandat de gestion immobilière prévu aux articles 1 et 6 de la loi du 2 janvier 1970 est d’ordre public et qu’il a pour objet dans les rapports entre les parties la sauvegarde des intérêts privés du mandant et qu’il n’entraîne, lorsqu’il n’est pas respecté, non pas une nullité absolue, mais nullité relative qui peut être couverte par une ratification ultérieure des actes de gestion accomplis sans mandat, ne s’applique donc pas au mandat donné en vue d’un acte de disposition, qui est l’objet de l’espèce ;
Attendu que le tribunal a exactement retenu qu’un mandat écrit est exigé ad validitatem, selon les articles 1er et 6 de la loi dite Hoguet n° 70-9 du 2 janvier 1970 qui sont d’ordre public dans les conventions conclues avec les personnes physiques ou morales se livrant ou prêtant leur concours, d’une manière habituelle, aux opérations portant sur les biens d’autrui et relatives, notamment, à la vente d’immeubles ; et que l’article 72 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972, ajoutant que le titulaire de la carte professionnelle « transactions sur immeubles et fonds de commerce » doit détenir un mandat écrit précisant son objet et qui, lorsqu’il comporte l’autorisation de s’engager pour une opération déterminée, fait expressément mention de celle-ci ; qu’un mandat apparent ne peut dès lors tenir en échec ces règles impératives ;
Attendu que Mme [H] n’a clairement manifesté son intention que de mettre fin au mandat donné par son mari à la société Halstead bell et qu’il ne saurait être sérieusement soutenu qu’une dénonciation expresse vaudrait acquiescement a posteriori ;
Attendu qu’en application de l’article 6 de la loi dite Hoguet du 2 janvier 1970 et et de l’article 73 du décret d’application du 20 juillet 1972 que l’agent immobilier dont le mandat est nul ne peut pas percevoir directement ou indirectement aucune rémunération au titre de ses activités de recherche, démarche, publicité ou entremise ;
Attendu le jugement déféré a dès lors exactement retenu que l’irrégularité du mandat de vente conféré à la société Halstead prive celle-ci de son droit à commission et de l’octroi de dommages-intérêts, tant à l’égard du vendeur que de l’acquéreur ; qu’il appartenait en effet à l’agent immobilier de vérifier la propriété du bien et de faire signer un mandat correspondant au titre de propriété ;
Attendu que le fait pour les vendeurs de s’adresser à une autre agence immobilière que celle ayant présenté l’acquéreur et fait visiter le bien, uniquement en raison du refus de cette agence de baisser sa commission, et alors même que les négociations s’étaient poursuivies directement entre le vendeur et l’acquéreur, ne constitue pas une faute, dès lors que la vente s’est finalement conclue à des conditions différentes ;
Attendu que le fait d’avoir continué les négociations, formulé une nouvelle offre d’achat et conclu la vente par l’entremise d’un autre agent immobilier également mandaté par les vendeurs n’est pas une faute susceptible d’engager la responsabilité délictuelle de M. [R] ;
Attendu que le mandat de vente était non exclusif et qu’il ne comportait pas la moindre clause pénale prévoyant et sanctionnant le cas d’une vente qui serait, comme ce fut le cas d’espèce, passée sans son entremise avec un acquéreur présenté par la société Halstead bell, alors que le bien immobilier en cause avait bien été visité grâce à cette société ;
Que de même M. [R] ne s’est pas davantage engagé contractuellement à l’égard de cette société qui lui avait fait visiter le bien en premier ;
Attendu qu’aucune collusion frauduleuse avec les vendeurs pour évincer l’agent immobilier appelant n’étant établie, il est plaidé utilement que le cadre légal et jurisprudentiel applicable en présence d’une pluralité de mandats de vente non exclusifs a été parfaitement respecté ; qu’aucune faute susceptible d’engager dans la responsabilité contractuelle des vendeurs et /ou la responsabilité délictuelle de M. [R] n’est caractérisée ;
Attendu qu’il s’ensuit la confirmation du jugement déféré ayant rejeté toutes les demandes de la société Halstead bell ;
Et attendu, s’agissant de l’appel incident formé par M. [R] du rejet de sa prétention au versement de dommages-intérêts pour procédure abusive, que l’exercice d’une action en justice est un droit qui ne dégénère en abus que s’il est démontré l’existence d’une erreur grossière équipollente au dol ou l’intention de nuire ; qu’aucun abus du droit d’ester en justice ne peut être retenu au cas d’espèce, d’où il suit le rejet de la demande de dommages intérêts présentée à nouveau en cause d’appel pour procédure abusive ;
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant
Déboute M. [X] [R] de sa demande reconventionnelle tendant à l’octroi de dommages intérêts,
Condamne la société Halstead bell aux dépens, et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
Vu l’article 700 du code de procédure civile,
Dit n’y avoir lieu de faire application de ce texte.
LE GREFFIER LE PRESIDENT