Mandat apparent : 5 octobre 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 20/03239

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Mandat apparent : 5 octobre 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 20/03239

45République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 1

ARRÊT DU 05/10/2023

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N° de MINUTE :

N° RG 20/03239 – N° Portalis DBVT-V-B7E-TE37

& N° RG 20/04254 (procédures jointes par ordonnance de jonction en date du 06 janvier 2021)

Jugement n°2019000048 rendu le 07 juillet 2020 par le tribunal de commerce de Lille Métropole

APPELANTE

La Caisse Régionale de Crédit Agricole Nord de France (Crédit Agricole Nord de France) prise en la personne de Madame [B] [F], chef du service contentieux, DGA/CTX, spécialement habilitée par délégation de pouvoirs en date du 8 janvier 2019

ayant son siège social [Adresse 1]

assistée de Me Martine Mespelaere, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉE

&APPELANTE au dossier RG 20/04254

SA Société Générale représentée par ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité, venant aux droits et obligations de la SA Crédit du Nord en suite de la fusion-absorption intervenue entre la Société Générale, société absorbante, d’une part et le Crédit du Nord, société absorbée d’autre part, ladite fusion-absorption étant devenue définitive en date du 1er janvier 2023

ayant son siège social [Adresse 3]

représentée par Me Caroline Chambaert, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉE aux deux procédures

SA Générali Vie prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 2]

représentée par Me Loïc Le Roy, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

assistée de Laetitia Fayon, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

DÉBATS à l’audience publique du 07 juin 2023 tenue par Clotilde Vanhove magistrat chargé d’instruire le dossier et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Valérie Roelofs

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Dominique Gilles, président de chambre

Pauline Mimiague, conseiller

Clotilde Vanhove, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 05 octobre 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président et Valérie Roelofs, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 17 mai 2023

****

EXPOSE DU LITIGE

Depuis le 1er juillet 1979, M. [U] exerçait en qualité d’agent général d’assurance pour le compte de la société La Concorde, puis pour le compte de la société Generali vie, suite à la fusion intervenue entre ces deux sociétés en 1997.

En avril 2012, la société Generali vie a mis fin au mandat de M. [U], lui reprochant des détournements à son préjudice, consistant à proposer des contrats portant sur des produits d’assurance Generali vie à sa clientèle, sans les transmettre à la société Generali vie, encaissant les chèques sur ses comptes.

Par jugement du 1er juillet 2014, le tribunal correctionnel de Saint Omer a condamné M. [U] à trois ans d’emprisonnement pour des faits de faux, usage de faux commis du 13 juin 2009 au 12 juin 2012 et d’abus de confiance commis du 1er janvier 2002 au 6 septembre 2012.

Sur l’action civile, le tribunal déclarait notamment recevable la constitution de partie civile de la société Generali vie, retenait une faute de la société Generali vie ayant concouru à la réalisation de son propre dommage et prononçait un partage de responsabilité à hauteur de 20% à la charge de la société Generali vie et 80% à la charge de M. [U].

Par arrêt du 1er octobre 2015, la cour d’appel de Douai a confirmé le jugement, sauf en ce qu’il a rejeté la constitution de partie civile de la société Generali IARD et en ce qu’il a procédé à un partage de responsabilité entre la société Generali vie et M. [U].

Le 15 septembre 2016, le tribunal correctionnel de Saint Omer a rendu un jugement sur les intérêts civils condamnant M. [U] à verser à la société Generali vie la somme de 2’900’808,02 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement, outre 5’000 euros au titre de son préjudice d’image et 2’500 euros au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

Les sommes détournées par M. [U] ayant été notamment versées sur des comptes ouverts au sein de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France et du Crédit du Nord, par acte d’huissier de justice du 16 février 2017, la société Generali vie les a fait assigner devant le tribunal de commerce de Lille Métropole afin de les voir condamner à l’indemniser de son préjudice financier.

Par jugement contradictoire du 7 juillet 2020, ce tribunal a :

– débouté la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France et le Crédit du Nord de leur demande respective de déclarer irrecevable la société Generali vie en ses demandes au motif de l’absence d’intérêt à agir, de l’enrichissement sans cause et de la prescription,

– débouté la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France de sa demande d’enjoindre à la société Generali vie de produire les pièces du dossier pénal et notamment la plainte reçue de Mme [TB],

– débouté la société Generali vie de sa demande d’enjoindre au Crédit du Nord de produire les bordereaux de remise de chèques,

– dit et jugé la société Generali vie recevable et bien fondée en ses autres demandes,

– condamné la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France à payer à la société Generali vie la somme de 919’802,58 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter de l’assignation du 16 février 2017,

– condamné le Crédit du Nord à payer à la société Generali vie la somme de 50’994,20 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter de l’assignation du 16 février 2017,

– condamné la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France et le Crédit du Nord à verser chacun à la société Generali vie la somme de 5’000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France et le Crédit du Nord aux entiers frais et dépens,

– ordonné l’exécution provisoire de la décision nonobstant appel et sans caution.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 18 août 2020, la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France a relevé appel de la décision, intimant la société Generali vie, sollicitant l’infirmation du jugement en ce qu’il’:

– l’a déboutée de sa demande tendant à déclarer irrecevable en ses demandes la société Generali vie,

– l’a déboutée de sa demande d’enjoindre à la société Generali vie de produire les pièces du dossier pénal et notamment la plainte reçue de Mme [TB],

– a dit et jugé la société Generali vie recevable et bien fondée en ses demandes,

– l’a condamné au paiement de la somme de 919’802,58 euros avec intérêts,

– l’a condamnée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

– a ordonné l’exécution provisoire de la décision.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 22 octobre 2020, le Crédit du Nord a relevé appel de la décision, intimant la société Generali vie, sollicitant l’infirmation du jugement en ce qu’il’:

– l’a débouté de sa demande de déclarer irrecevable la société Generali vie,

– l’a condamné à payer à la société Generali vie la somme de 50’994,20 euros avec intérêts,

– l’a condamnée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens

Les deux affaires ont été jointes par le magistrat chargé de la mise en état le 6 janvier 2021 sous le numéro de RG 20/03239.

Par ordonnance du 16 décembre 2021, le magistrat chargé de la mise en état, statuant sur incident’:

– s’est déclaré incompétent pour statuer sur les fins de non recevoir de la demande tirées du défaut de qualité à agir et de la prescription de l’action,

– a donné acte à la société Generali vie de la communication aux débats du jugement du tribunal correctionnel du 15 septembre 2016 et de l’audition de Mme [L], en pièces 12 et 18,

– a ordonné à la société Generali vie la communication aux débats des plaintes ou réclamations de Mme [TB],

– a dit n’y avoir lieu au prononcé d’une astreinte,

– a condamné la société Generali vie à payer sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile la somme de 1’000 euros chacun à la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France et au Crédit du Nord.

Par conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 9 mai 2023, la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France demande à la cour de :

– dire bien appelé et mal jugé,

en conséquence, infirmer le jugement,

statuant à nouveau,

à titre principal’:

– faire injonction à la société Generali vie de produire le jugement du tribunal de grande instance de Saint Omer du 15 septembre 2016, l’ensemble des pièces du dossier pénal et notamment la plainte ou réclamation datée du début de l’année 2012 reçue de Mme [TB], dont il est fait état dans l’arrêt de la cour d’appel de Douai du 1er octobre 2015, les procès-verbaux d’audition de Mme [TB], la plainte et les procès-verbaux d’audition de Mme [L],

– déclarer irrecevable la société Generali vie en ses demandes,

subsidiairement’;

– débouter la société Generali vie de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

en tout état de cause’:

– la voir condamner au paiement de la somme de 10’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– la voir condamner en tous les frais et dépens.

Elle fait valoir, en substance, à titre principal que l’action de la société Generali vie dirigée à son encontre est irrecevable, pour défaut d’intérêt à agir en l’absence de préjudice de la société Generali vie et compte tenu de l’existence d’une précédente condamnation à son profit, celle de M. [U]. Elle invoque également l’irrecevabilité des demandes de la société Generali à son encontre en raison de l’enrichissement sans cause qui en résulterait à défaut pour la société Generali vie et de la prescription de l’action de la société Generali vie.

Subsidiairement, elle souligne l’absence de faute de sa part, compte tenu du devoir de non-ingérence de la banque dans les affaires de son client, de l’absence d’anomalie relatives aux bénéficiaires des chèques et de sa croyance légitime en un mandat d’encaissement des chèques pour le compte de la société Generali vie. Elle ajoute que le préjudice allégué par la société Generali vie n’a en outre été rendu possible qu’en raison du défaut de contrôle de l’activité de son mandataire par la société Generali vie. Elle soulève enfin l’absence de préjudice et de lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice invoqué.

Par conclusions «’récapitulatives et d’intervention’» remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 1er février 2023, la Société générale, venant aux droits du Crédit du Nord en suite de la fusion-absorption intervenue entre la Société générale et le Crédit du Nord devenue définitive le 1er janvier 2023, demande à la cour de’:

– réformer en toutes ses dispositions le jugement,

statuant à nouveau’:

– à titre principal, dire et juger irrecevable la demande de la société Generali vie pour défaut d’intérêt et prescription,

– subsidiairement, débouter la société Generali vie de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– en tout état de cause, condamner la société Generali vie à lui payer la somme de 5’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les frais et dépens.

Elle fait valoir, en substance, que les demandes de la société Generali vie sont irrecevables d’une part pour défaut d’intérêt à agir et d’autre part en raison de la prescription intervenue.

Subsidiairement, elle estime la demande de la société Generali vie mal fondée, en l’absence de faute du Crédit du Nord et de préjudice et de lien de causalité démontrés par la société Generali vie.

Par conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 2 mai 2023, la société Generali vie demande à la cour de’:

– confirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions,

en toutes hypothèses’:

– débouter la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France et la Société générale de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

– condamner la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France et la Société générale à lui payer conjointement la somme de 10’000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France et la Société générale aux dépens.

Elle fait valoir, en substance, que son action est recevable, puisqu’elle a un intérêt à agir, qu’il n’y a aucune enrichissement sans cause et que son action n’est pas prescrite.

Sur le fond, elle fonde son action sur les dispositions des articles 1240 et suivants du code civil et met en avant la responsabilité des banques du fait du manquement à leur obligation de surveillance et de vigilance, la jurisprudence faisant peser une telle obligation sur le banquier, notamment lors de la remise à l’encaissement de chèques par un client. Elle nie toute négligence de sa part.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 17 mai 2023. Plaidé à l’audience du 7 juin 2023, le dossier a été mis en délibéré au 5 octobre 2023.

MOTIVATION

La Société générale justifie venir aux droits du Crédit du Nord. Son intervention volontaire doit être accueillie.

1) Sur la demande d’injonction de production de pièces

Aux termes de l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

La cour constate qu’en l’espèce, si dans le dispositif de ses conclusions la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France sollicite qu’il soit fait injonction à la société Generali vie de produire le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Saint-Omer le 15 septembre 2016, l’ensemble des pièces du dossier pénal et notamment la plainte ou réclamation datée du début de l’année 2012 reçue de Mme [TB], les procès-verbaux d’audition de Mme [TB], la plainte et les procès-verbaux d’audition de Mme [L], elle n’invoque aucun moyen au soutien de ces prétentions dans la discussion de ses conclusions.

En conséquence, la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France ne pourra qu’être déboutée de ces demandes, étant en outre précisé qu’à supposer que des moyens aient été développés dans les conclusions de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France, ces demandes faisaient l’objet de l’incident sur lequel il a été statué par ordonnance du magistrat de la mise en état du 16 décembre 2021, qui a ordonné à la société Generali vie la communication aux débats des plaintes ou réclamations de Mme [TB] et seraient en conséquence irrecevables compte tenu de l’autorité de la chose jugée.

2) Sur la recevabilité des demandes de la société Generali vie

Aux termes de l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Sur le défaut d’intérêt à agir

L’article 31 du code de procédure civile prévoit que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

Pour fonder leur fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir de la société Generali vie, la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France et la Société générale soutiennent que la société Generali vie ne peut se prévaloir d’aucun préjudice, elle n’était pas tenue d’indemniser les victimes de M. [U] et a conclu des protocoles d’accord avec les victimes même quand elles n’agissaient pas en responsabilité contre elle pour des questions d’image. La société générale ajoute qu’aux termes de l’article 1199 du code civil, le contrat ne crée d’obligation qu’entre les parties. Elles invoquent également l’absence d’intérêt à agir en raison de la condamnation de M. [U] à payer à la société Generali vie la somme de 2’900’808,02 euros

Cependant, l’existence du préjudice invoqué par le demandeur dans le cadre d’une action en responsabilité n’est pas une condition de recevabilité de son action mais de son succès. En conséquence, le fait que la société Generali vie démontre ou non la réalité d’un préjudice subi par elle relève de l’examen au fond de ses prétentions.

En outre, s’agissant de la condamnation intervenue de M. [U] au profit de la société Generali vie, la circonstance que l’auteur d’une infraction pénale commise notamment au préjudice de la société Generali vie, qui s’est vue reconnaître la qualité de partie civile, ait été condamné à lui payer des dommages et intérêts en réparation de son préjudice n’est pas de nature à priver cette société de son action dirigée contre les banques dont elles recherchent la responsabilité et invoquent la faute, distincte des agissements sanctionnés pénalement, étant précisé qu’il n’est pas établi que la société Generali vie ait été réellement indemnisée, alors que la société Generali vie démontre qu’une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte à l’encontre de M. [U].

Enfin, la société Generali vie fonde son action à l’encontre de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France et de la Société générale sur les dispositions des articles 1240 et suivants du code civil, estimant leur responsabilité délictuelle engagée en raison de manquements à leur obligation de surveillance et de vigilance, notamment lors de la remise à l’encaissement de chèques par un client, de sorte que le moyen invoqué par la Société générale tiré du fait que la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France ne peut se prétendre sa créancière sur le fondement du contrat qu’elle a conclu avec M. [U] ni du contrat entre M. [U] et les assurés ou des protocoles d’accord conclus entre la société Generali vie et ses assurés est inopérant au regard de l’intérêt à agir de la société Generali vie.

L’intérêt à agir de la société Generali vie n’est ainsi pas valablement contesté par la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France et la Société générale.

Sur la prescription

Les parties évoquent toutes la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil.

C’est cependant la prescription de l’article L.110-4 du code de commerce qui s’applique dans les relations entre commerçants, qui est néanmoins également une prescription quinquennale et dont le régime est identique à celui de la prescription de l’article 2224 du code civil.

Ce délai de prescription court à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage.

Si le dommage était apparent, il n’est pas besoin d’établir que la victime en a eu connaissance puisqu’elle a ou aurait dû le connaître, le point de départ de la prescription étant ainsi fixé au jour de la naissance de la créance de réparation, soit au jour du dommage. Ce n’est que lorsque la victime n’est pas en mesure d’agir parce qu’elle ignore légitimement les faits soutenant son action que le point de départ de la prescription peut ne pas coïncider avec la naissance du droit.

Les parties s’opposent en l’espèce sur le point de départ du délai de prescription. La Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France et la Société générale invoquent comme point de départ la réclamation de Mme [TB] auprès de la société Generali vie, qui a amené à la convocation de M. [U] pour révocation de son mandat. Ils reprochent à la société Generali vie de n’avoir pas communiqué cette réclamation, malgré les nombreuses sommations et l’injonction en ce sens faite par le magistrat chargé de la mise en état, et déduisent de cette absence volontaire de communication par la société Generali vie que cette pièce, évoquée comme datant du début d’année 2012 dans l’arrêt de la cour d’appel de Douai statuant au pénal, est nécessairement antérieure au 16 février 2012. Elles ajoutent que lors de l’entretien du 30 mars 2012 entre M. [U] et la société Generali vie, cette dernière avait déjà connaissance du procédé frauduleusement employé par M. [U] pour l’encaissement des chèques et était déjà en possession du chèque. Si la société Generali vie ignorait l’ampleur de la fraude, elle connaissait néanmoins déjà le stratagème employé. Elles précisent également que la société Generali vie aurait en tout état de cause dû avoir connaissance de l’attitude frauduleuse de M. [U] avant le début de l’année 2012.

La société Generali vie soutient que la date de la réclamation de Mme [TB] ne constitue que le point de départ de la prescription de l’action publique et qu’elle n’est pas en mesure de produire cette réclamation qui n’est pas en sa possession. Le point de départ du délai de prescription de son action en responsabilité à l’encontre des banques est le jour où elle a eu connaissance de l’existence de chèques encaissés sur les comptes personnels de M. [U], à savoir le 30 mars 2012, date de l’entretien préalable en vue de la révocation de son mandat au cours duquel il a reconnu le procédé utilisé. Il ne fallait pas seulement selon elle qu’elle dispose de la copie du chèque, mais il fallait aussi qu’elle sache que le chèque avait été encaissé sur un compte personnel de M. [U], inconnu d’elle, pour qu’elle puisse reprocher une faute aux banques.

La détermination du point de départ de la prescription vise à garantir à toute personne titulaire d’un droit de disposer de tous les éléments nécessaires à son action.

En l’espèce, le tribunal a parfaitement relevé qu’avant la date de l’entretien en vue de la révocation du mandat d’agent de M. [U], rien ne permet d’établir que la société Generali vie avait connaissance du mode opératoire précis des malversations opérées, notamment eu égard à l’utilisation par M. [U] de comptes bancaires non déclarés à la société Generali vie, ni a fortiori ne pouvait avoir connaissance de l’ampleur de la fraude et que ce n’est qu’au fur et à mesure de l’avancement de l’instruction pénale que le détail des faits, la multiplicité des encaissements de chèques et l’existence des comptes destinataires de ces chèques ont pu être révélés.

L’action engagée par la société Generali vie étant fondée sur le défaut de vigilance qu’elle impute aux banque, le point de départ du délai de prescription ne peut donc être fixé au moment où elle a connaissance des agissements frauduleux de M. [U], mais doit être fixé au moment où elle pouvait avoir conscience de la faute de vigilance qu’elle impute aux banques. Ce n’est aucunement au moment de la réclamation de Mme [TB] que la société Generali vie pouvait avoir connaissance des éléments permettant de caractériser selon elle une faute de vigilance des banques, ces éléments étant nécessairement apparus postérieurement, par l’instruction intervenue.

En conséquence, il n’est aucunement démontré par la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France et la Société générale que dès le 16 février 2012, la société Generali vie était en mesure de connaître les faits fondant la responsabilité qu’elle entend engager par la présente action.

L’acte introductif d’instance a été délivré aux banques le 16 février 2017, interrompant le délai de prescription qui n’était pas encore écoulé. Les premiers juges ont en conséquence exactement considéré que l’action de la société Generali vie, qui n’était pas prescrite, était recevable.

Sur l’enrichissement injustifié

Aux termes de l’article 1303 du code civil, en dehors des cas de gestion d’affaires et de paiement de l’indu, celui qui bénéficie d’un enrichissement injustifié au détriment d’autrui doit, à celui qui s’en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement.

Ainsi défini, l’enrichissement injustifié, qui est un quasi-contrat aux termes des dispositions de l’article 1300 du code civil et permet de fonder une action à l’encontre d’une partie, ne peut constituer une fin de non-recevoir, qui vise à critiquer le droit d’agir d’une partie.

En outre, la cour relève qu’en invoquant l’enrichissement injustifié comme fin de non-recevoir, la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France reprend en réalité les mêmes éléments que ceux invoqués au titre du défaut d’intérêt à agir constitué par le fait que M. [U] a été condamné à indemniser la société Generali vie à hauteur de 2 »900’808,02 euros, qui ont été précédemment évoqués.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le jugement sera confirmé en ce qu’il a déclaré recevables les demandes de la société Generali vie et a écarté les fins de non-recevoir invoquées par la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France et la Société générale.

3) Sur la responsabilité des banques

Aux termes de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Si le banquier a un devoir de non-immixtion dans les affaires de son client, la banque présentatrice d’un chèque est tenue de détecter les anomalies apparentes d’un chèque qu’elle est chargée d’encaisser pour le compte de son client et en s’en abstenant, elle prend un risque dont elle doit assumer les conséquences.

Avant de procéder à l’encaissement d’un chèque, le banquier doit en conséquence s’assurer de sa régularité et cet examen doit le conduire à déceler d’éventuelles anomalies en exécution de son devoir de vigilance. Il engage dès lors sa responsabilité s’il accepte d’enregistrer une opération dont l’illicéité ressort d’une anomalie apparente.

Sur les chèques présentés par la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France

La société Generali vie reproche à la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France un manquement à son obligation de vigilance, en tant que banque présentatrice pour 58 chèques encaissés sur les comptes de M. [U]. La Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France ne conteste pas avoir reçu ces chèques pour encaissement.

Il doit en premier lieu être précisé que les copies des deux chèques que la société Generali vie impute à M. [GF] pour des montants de 15’000 euros et 23’096,02 euros (pièces 135 et 138 de la société Generali vie), de même que la copie des deux chèques imputés à M. T. [IJ] pour un montant de 2’828 euros chacun (pièce 153 de la société Generali vie) et celle du chèque imputé à M. [Z] pour un montant de 3’030 euros (pièce n°175 de la société Generali vie) sont totalement illisibles. La société Generali vie ne peut donc se prévaloir d’une anomalie apparente dans les destinataires de ces chèques, ni de l’existence de deux destinataires. Aucune faute n’est en conséquence imputable à la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France en sa qualité de banque présentatrice des chèques.

Les autres chèques comportent comme bénéficiaire les mentions suivantes’:

– «’Generali vie’»’: chèque de M. [S] 2’020 euros,

– «'[V] [U] – Generali’»’: chèque de M. [S] de 10’000 euros,

– «’Generali M. [U]’»’: chèque de M. [P] de 18’699 euros, chèque de M. [G]. [IJ] de 2’000 euros, 3 chèques de Mme [E] de 5’000 euros chacun, chèque de M. M. [IJ] de 2’200 euros, chèque de Mme [T] de 10’100 euros, chèque de Mme [T] de 10’000 euros, chèque de M. [O] de 40’000 euros, chèque de Mme [X] de 101’000 euros, chèque de Mme [Z] de 10’000 euros, chèque de Mme [Z] de 7’000 euros, chèque de M. [H] de 14’140 euros, chèque de M. J. [IJ] de 10’100 euros, chèque de M. [J] de 3’030 euros, chèque de M. [J] de 2’020 euros, chèque de M. [J] de 14’450 euros, chèque de M. [MS] de 5’000 euros, chèque de M. [N] de 4’000 euros, chèque de Mme [X] de 20’200 euros, chèque de M. [Y] de 10’000 euros

– «’Generali vie [U]’»’: chèque de M. [E] de 3’030 euros, chèque de M. [G]. [IJ] de 11’000 euros, chèque de M. [G]. [IJ] de 11’000 euros, chèque de M. [WW] de 10’100 euros, chèque de M. [R] de 10’000 euros,

– «’Generali vie M. [U]’»’: chèque de M. [E] de 3’000 euros, chèque de M. O. [E] de 12’000 euros, chèque de M. M. [IJ] de 10’671,43 euros, chèque de M. [M] de 1’500 euros, chèque de M. J. [IJ] de 6’000 euros, chèque de M. J. [IJ] de 10’100 euros, chèque de Mme [K] de 10’100 euros, 2 chèques de M. L. [IJ] de 2’981 euros chacun, chèque de M. L. [IJ] de 35’350 euros, chèque de Mme L. [IJ] de 2’000 euros, chèque de Mme [T] de 15’150 euros,

– «’Generali assurance vie M. [U]’»’: 2 chèques de M. [ZA] de 30’300 euros chacun,

– «’M. [U] Generali Ardres’»’: chèque de Mme [D] de 15’000 euros,

– «’Generali A. [U]’»’: chèque de M. [Z] de 8’000 euros,

– «’Generali vie [V] [U]’»’: chèque de M. [W] de 113’773,13 euros,

– «’Generali assurances M. [U]’»’: chèque de M. [W] de 50’000 euros, chèque de M. [W] de 15’000 euros, chèque de Mme [I] de 30’300 euros,

– «’M. [U] [V] (Generali)’»’: chèque de Mme [S] de 10’000 euros,

– «’Generali [V] [U]’»’: chèque de M. [MS] de 10’100 euros,

– «’M. [U] [V] Generali’»’: chèque de M. [SN] de 30’300 euros,

– «’Generali Vie’»’: chèque de M. [SN] de 30’300 euros,

– «’Generali assurance vie’»’: chèque de Mme [T] de 20’200 euros.

Il doit d’abord être précisé que les mentions du bénéficiaire de ces chèques n’ont fait l’objet d’aucune rature, ajout ou surcharge.

Si la désignation du bénéficiaire d’un chèque n’est pas une mention obligatoire, sa présence, lorsqu’elle vise une personne autre que le titulaire du compte, constitue une anomalie apparente qui doit attirer l’attention du banquier.

En conséquence, la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France a manqué à son devoir de vigilance en procédant à l’encaissement sur les comptes de M. [U], sans l’accord du seul destinataire, des chèques de M. [S], de M. [SN] et de Mme [T], qui ne mentionnaient que la société Generali vie comme destinataire.

Les autres chèques mentionnent tous M. [U] comme bénéficiaire du chèque, avec la mention de la société Generali vie sous diverses formes.

En cas de mention de deux bénéficiaires sur un chèque, lors de la remise du chèque par l’un des deux bénéficiaires pour encaissement à son seul profit, la banque présentatrice est tenue de vérifier le consentement du second bénéficiaire à cet encaissement, étant précisé qu’en cas de mandat pour l’encaissement, elle peut tenir pour acquis ce consentement.

En l’espèce toutefois, les mentions sous leurs différentes formes de M. [U] comme bénéficiaire associé à la mention Generali ne constituent pas la désignation de deux bénéficiaires, ces mentions identifiant un bénéficiaire, M. [U], et précisant un autre élément concernant ce destinataire, l’enseigne sous laquelle il exerçait sa fonction, sans que cela n’implique que le chèque ait été libellé à l’ordre de M. [U] et de la société Generali vie. Cette analyse est confirmée par le fait que les mentions sont toutes de la même main, sans rature ou autre particularité.

En conséquence, aucune anomalie apparente ne peut être relevée sur ces chèques et aucune faute de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France n’est donc caractérisée.

S’agissant des trois chèques pour lesquels la responsabilité de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France est retenue, il n’apparaît pas que cette dernière ait pu légitimement croire en un mandat apparent détenu par M. [U] pour l’encaissement des chèques libellés au seul nom de la société Generali vie, dès lors que celui-ci n’était qu’agent général pour cette société, cette activité ne supposant pas, en elle-même, l’existence d’un tel mandat, ce que ne pouvait ignorer la banque peu important le fait que M. [U] ait bénéficié d’un mandat d’encaissement quelques années auparavant ou qu’il bénéficie d’un tel mandat pour la partie IARD ce qui, pour ce dernier point, n’est en outre aucunement démontré.

Sur les chèques présentés par le Crédit du Nord, aux droits duquel vient la Société générale

La société Generali vie reproche à la Société générale un manquement à son obligation de vigilance, en tant que banque présentatrice pour 10 chèques encaissés.

La Société générale conteste que 7 de ces chèques aient été présentés à l’encaissement auprès du Crédit du Nord. Cependant, la société Generali produit les relevés de compte de M. [U] au sein du Crédit du Nord sur lesquels figurent des remises de chèques globales et les relevés de comptes des clients concernés sur lesquels figure à la même date ou un jour d’écart, le débit des chèques litigieux. La cour considère en conséquence que la société Generali vie démontre que le Crédit du Nord a reçu ces chèques pour encaissement.

Il doit en premier lieu être précisé que les copies du chèque que la société Generali vie impute à M. J. [IJ] pour un montant de 4’545 euros (pièce 186 de la société Generali vie), de ceux qui sont imputés à M. [GF] pour des montants de 23’06,02 euros (pièce 191 de la société Generali vie) et 15’000 euros (pièce 135 de la société Generali vie), de celui qui est imputé à M. [H] pour un montant de 5’050 euros (pièce 194 de la société Generali vie) sont totalement illisibles. La société Generali vie ne peut donc se prévaloir d’une anomalie apparente dans le destinataire de ces chèques ni de l’existence de deux destinataires. Aucune faute n’est en conséquence imputable à la société Generali vie en sa qualité de banque présentatrice de ces chèques.

Pour les chèques dont les mentions des bénéficiaires suivent ‘:

– «’Generali France assurance vie M. [U]’»’: chèque de M. [KN] de 35’350 euros,

– «’Generali’»’: chèque de M. [R] de 3’019,20 euros,

– «’Generali vie [U]’»’: chèque de M. J. [IJ] de 10’100 euros,

– «’Generali vie pour M. [U]’»’: chèque de Mme [T] de 20’200 euros,

– «’Generali vie M. [U]’»’: chèque de M. [S] de 5’050 euros,

– «’M. [U] Generali’»’: chèque de M devos de 3’030 euros.

Il doit d’abord être précisé que les mentions du bénéficiaire de ces chèques n’ont fait l’objet d’aucune rature, ajout ou surcharge.

Si la désignation du bénéficiaire d’un chèque n’est pas une mention obligatoire, sa présence, lorsqu’elle vise une personne autre que le titulaire du compte, constitue une anomalie apparente qui doit attirer l’attention du banquier.

En conséquence, le Crédit du Nord, aux droits duquel vient la Société générale, a manqué à son devoir de vigilance en procédant à l’encaissement sur le compte de M. [U], sans l’accord du seul destinataire, du chèque de M. [R], qui ne mentionnait que la société Generali vie comme destinataire.

Les autres chèques mentionnent tous M. [U] comme bénéficiaire du chèque, avec la mention de la société Generali vie sous diverses formes.

Les mentions sous leurs différentes formes de M. [U] comme bénéficiaire associé à la mention Generali ne constituent pas la désignation de deux bénéficiaires, ces mentions identifiant un bénéficiaire, M. [U], et précisant un autre élément concernant ce destinataire, l’enseigne sous laquelle il exerçait sa fonction, sans que cela n’implique que le chèque ait été libellé à l’ordre de M. [U] et de la société Generali vie. Cette analyse est confirmée par le fait que les mentions sont toutes de la même main, sans rature ou autre particularité.

En conséquence, aucune anomalie apparente ne peut être relevée sur les autres chèques et aucune faute de la Société générale n’est donc caractérisée.

S’agissant du chèque pour lequel la responsabilité de la Société générale est retenue, il n’apparaît pas que cette dernière ait pu légitimement croire en un mandat apparent détenu par M. [U] pour l’encaissement des chèques libellés au seul nom de la société Generali vie, dès lors que celui-ci n’était qu’agent général pour cette société, cette activité ne supposant pas, en elle-même, l’existence d’un tel mandat, ce que ne pouvait ignorer la banque, peu important le fait que M. [U] ait bénéficié d’un mandat d’encaissement quelques années auparavant ou qu’il bénéficie d’un tel mandat pour la partie IARD ce qui, pour ce dernier point, n’est en outre aucunement démontré.

Sur la responsabilité de la société Generali vie dans la survenance de son dommage invoquée par les banques

La Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France reproche à la société Generali vie de n’avoir pas découvert plus rapidement les fraudes en raison de son fonctionnement interne, d’avoir manqué de rigueur dans le contrôle de l’activité de M. [U] et estime que sa négligence est à l’origine de son dommage.

La Société générale reproche à la société Generali vie d’avoir commis une faute en signant des transactions avec les victimes alors qu’elle n’avait jamais été condamnée à les indemniser et que cette faute est seule à l’origine de son dommage.

La société Generali vie dénie toute faute de sa part et toute responsabilité devant lui incomber.

Il ressort de l’arrêt de la cour d’appel de Douai du 1er octobre 2015, statuant sur appel du jugement du tribunal correctionnel, «’malgré les affirmations contraires de M. [U] lors de son audition du 20 septembre 2013, la procédure pénale n’a pas révélé que les victimes des agissements de M. [U] se soient plaintes durant toutes les années de la prévention, auprès du siège de la SA Generali vie’; elles s’adressaient directement à M. [U] lui-même, Generali vie ne recevant sa première plainte qu’au début de l’année 2012 de la part de Mme [C] [TB] ce qui a conduit la compagnie à révoquer le mandat de M. [U] le 4 avril 2012. De même Mme [L] employée comme secrétaire de M. [U] qui a eu des soupçons sur les détournements commis par son employeur, eu égard aux réclamations faites par les clients à l’agence, n’en a jamais avisé le siège de Generali vie ni les inspecteurs qui se déplaçaient dans l’agence, n’a jamais conseillé à ses clients d’écrire à Generali vie se contentant de renvoyer les clients mécontents vers M. [U]. M. [U] fait grief à la SA Generali vie de ne pas avoir contrôlé par des inspections son activité en qualité d’agent général pour Generali vie. Il est bien exact que suite aux contrôles des 13 novembre 2002 et 9 janvier 2003, la SA Generali a attendu le 30 mai 2007 pour recommencer ses contrôles de comptabilité et que ceux-ci ont essentiellement porté sur la partie IARD de l’activité. Il ressort toutefois de l’analyse opérée par l’adjudant [A], analyste en recherches criminelles à la section de recherches de [Localité 4], que la quasi totalité des sommes versées par chèques par les victimes des abus de confiance de M. [U] l’ont été sur des comptes professionnels ou personnels de M. [U] qui étaient inconnus de Generali vie et auxquels les inspecteurs n’auraient pas eu accès lors de leurs contrôles, M. [U] n’enregistrant pas au surplus sur le logiciel LEA destiné à la partie Generali vie les contrats qu’il ouvrait frauduleusement’».

Il doit être précisé, contrairement à ce que soutient la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France, qu’il ne s’agit pas là d’une exonération de toute faute pénale de la société Generali vie, qui n’a jamais fait l’objet de poursuites pénales, mais qu’il s’agit bien de l’appréciation de sa faute civile, dans le cadre du partage de responsabilité qui était invoqué par M. [U] pour limiter sa condamnation au paiement de dommages et intérêts à la société Generali vie.

La preuve d’une quelconque négligence de la société Generali en lien avec les abus de confiance réalisés par M. [U] ne résulte ainsi aucunement des pièces de la procédure pénale, précisément analysées par la cour d’appel. Le fait que la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France indique que la société Generali vie avait connaissance de certains des comptes sur lesquels des chèques ont été remis puisqu’elle y effectuait des virements n’est pas de nature à remettre en cause cette analyse, ne pouvant suffire à caractériser une quelconque négligence de la part de la société Generali vie. De même, le fait que des contrôles aient été effectués, en nombre important, sur l’activité IARD de M. [U] ne saurait suffire à caractériser sa négligence, alors même qu’aucun élément ne pouvait lui faire suspecter les fraudes commises par M. [U], les sommes qui lui étaient remises ne faisant l’objet d’aucun contrat officiel entre la victime et la société Generali vie.

En outre, aucune faute ne peut être reprochée à la société Generali vie dans l’indemnisation des victimes, contrairement à ce que soutient la Société générale, la société Generali vie démontrant avoir été actionnée par certaines d’entre elles sur le fondement des dispositions de l’article L.511-1 II du code des assurances, qui prévoit la responsabilité du mandant dans le cadre de l’intermédiation en assurance

En conséquence, aucune faute de la société Generali vie n’est démontrée par les banques.

4) Sur le préjudice de la société Generali vie et le lien de causalité avec les fautes de banques

Le préjudice invoqué par la société Generali vie ne correspond pas au seul bénéfice qu’elle aurait pu constituer sur les contrats souscrits s’ils avaient été enregistrés dans ses livres. La société Generali vie justifie en effet, pour les chèques pour lesquels la responsabilité de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France et de la Société générale a été retenue, avoir indemnisé les victimes.

Il convient de rappeler que l’auteur du dommage causé par sa faute doit réparation intégrale à la victime indépendamment de l’éventuel recours entre co-obligés.

La société Generali vie justifie que les chèques pour lesquels la responsabilité de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France a été retenue ont fait l’objet d’un protocole d’accord et d’une indemnisation des victimes’:

concernant le chèque de M. [S] de 2’020 euros, le protocole d’accord conclu le 5 septembre 2014 mentionne une instance engagée par la victime et une transaction intervenue dans ce cadre portant sur la somme totale 40’764,61 euros au titre des quatre chèques détournés,

concernant le chèque de Mme [T] de 20’200 euros, le protocole d’accord conclu le 26 août 2015 porte sur la somme de 125’719,20 euros au titre des trois chèques détournés,

concernant le chèque de M. [SN] d’un montant de 30’300 euros, un accord conclu avec son conseil en échange de la renonciation à toute action pour un montant de 38’769,06 euros au titre des deux chèques détournés.

La société Generali vie justifie également que le chèque de M. [R] d’un montant de 3’019,20 euros pour lequel la responsabilité de la Société générale a été retenue a fait l’objet d’un protocole d’accord et d’une indemnisation de la victime pour un montant de 32’414,22 euros au titre des sept chèques détournés.

Il est parfaitement inexact de prétendre comme le fait la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France que la société Generali vie a été exonérée de toute responsabilité par l’arrêt de la cour d’appel de Douai précité et qu’elle a donc indemnisé les victimes alors que rien ne l’y contraignait, dès lors que, ainsi qu’il l’a déjà été rappelé, la société Generali vie n’a jamais fait l’objet de la moindre poursuite pénale et que la question d’une faute de sa part n’était évoquée dans cet arrêt que dans le cadre de sa demande de dommages et intérêts à l’encontre de M. [U], qui se prévalait d’un partage de responsabilité. L’absence de toute mise en cause de la société Generali vie dans le cadre de la procédure pénale n’est pas de nature à exclure sa responsabilité civile à l’égard des victimes des agissements frauduleux de son agent d’assurance, sur le fondement du code des assurances, qui a été mise en ‘uvre devant le tribunal de grande instance de Saint-Omer par certaines victimes et a fait l’objet de transactions avec d’autres victimes. Il ne saurait être reproché à la société Generali vie d’avoir conclu ces transactions, compte tenu de sa responsabilité civile avérée à l’égard des victimes en sa qualité de mandant de M. [U] sur le fondement des dispositions de l’article L.511-1 II du code des assurances.

Le préjudice de la société Generali vie sera en conséquence fixé au montant des chèques pour lesquels la responsabilité des banques a été retenues, chèques qui ont fait l’objet d’une indemnisation des victimes dans le cadre de protocole d’accord globaux portant sur plusieurs chèques détournés par M. [U], ainsi qu’il l’a été précédemment exposé.

En conséquence, le jugement sera réformé en ce qu’il a condamné la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France à payer à la société Generali vie la somme de 919’802,58 euros et en ce qu’il a condamné la Société générale à payer à la société Generali vie la somme de 50’994,20 euros.

La Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France sera condamnée à payer à la société Generali vie la somme de 52’520 euros au titre de son préjudice matériel, en lien de causalité avec la faute commise, correspondant au montant total des chèques détournés par M. [U] pour lesquels elle a manqué à son obligation de vigilance, montant pour lequel la société Generali vie a indemnisé les victimes dans le cadre des protocoles d’accord.

La Société générale sera condamnée à payer la société Generali vie la somme de 3’019,20 euros au titre de son préjudice matériel, en lien de causalité avec la faute commise, correspondant au montant du chèque détourné par M. [U] pour lequel elle a manqué à son obligation de vigilance, montant pour lequel la société Generali vie a indemnisé les victimes dans le cadre des protocoles d’accord.

Ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de l’assignation du 16 février 2017, ce point n’étant pas contesté par les parties.

5) Sur les prétentions annexes

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a statué sur les dépens. Il sera en revanche réformé s’agissant de l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France et la Société générale, qui succombent en une partie de leurs prétentions, seront condamnées au dépens d’appel.

Il n’y a pas lieu en revanche, en équité, de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile’;

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Reçoit l’intervention de la Société générale venant aux droits du Crédit du Nord ;

Déboute la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France de ses demandes de production de pièces’;

Réforme le jugement en ce qu’il a condamné la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France à payer à la société Generali vie la somme de 919’802,58 euros, en ce qu’il a condamné la Société générale à payer à la société Generali vie la somme de 50’994,20 euros et en ce qu’il a statué sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile’;

Le confirme pour le surplus’;

Statuant à nouveau sur les chefs réformés et y ajoutant,

Condamne la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France à payer à la société Generali vie la somme de 52’520,00 euros avec intérêts au taux légal à compter du 16 février 2017′;

Condamne la Société Générale à payer à la société Generali vie la somme de 3’019,20 euros avec intérêts au taux légal à compter du 16 février 2017′;

Condamne la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France et la Société générale aux dépens d’appel’;

Dit n’y avoir lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le greffier

Valérie Roelofs

Le président

Dominique Gilles

 


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