République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 28/09/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 22/00257 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UB24
Jugement (N° 2019/1354) rendu le 15 décembre 2021 par le tribunal de commerce d’Arras
APPELANTE
SAS La Ferme Aquatique agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social, [Adresse 2]
représentée par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Frédéric Mangel, avocat au barreau de Saint-Quentin, avocat plaidant
INTIMÉE
La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France, société coopérative à capital variable agrée en tant qu’établissement de crédit, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège social, [Adresse 1]
représentée par Me François-Xavier Wibault, avocat au barreau d’Arras, avocat constitué
SELAS MJS Partners, prise en la personne de Me [W] [N] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société La Ferme Aquatique, nommé à cette fonction suivant jugement rendu par le tribunal de commerce d’Arras en date du 10 février 2023
ayant son siège social, [Adresse 3]
assignée en intervention forcée le 10 mars 2023 (remise à personne morale)
représentée par Me Virginie Levasseur, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
DÉBATS à l’audience publique du 21 mars 2023, tenue par Samuel Vitse magistrat chargé d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Samuel Vitse, président de chambre
Nadia Cordier, conseiller
Agnès Fallenot, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 28 septembre 2023 après prorogation du délibéré du 22 juin 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Samuel Vitse, président et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 21 mars 2023
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EXPOSE DU LITIGE
La société La Ferme aquatique, qui exerce une activité d’aquaculture en eau douce, a été constituée le 1er février 1993 sous la forme d’une exploitation agricole à responsabilité limitée ayant pour associé unique M. [O].
Suivant compromis du 21 mai 2014, M. [O] a cédé les parts sociales de la société La Ferme aquatique à M. [X], étant observé que le compromis était soumis à réitération.
Le 23 juin 2014, la société La Ferme aquatique a été transformée en société par actions simplifiée ayant pour associé unique M. [O].
Le compromis de cession des parts sociales a été réitéré par acte notarié du 28 octobre 2014, M. [X] y étant substitué par la société Ichtios, constituée aux fins de reprise de la société La Ferme aquatique.
Antérieurement à cet acte notarié, la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France (la banque) avait consenti divers concours financiers à la société La Ferme aquatique.
Avaient notamment été souscrits les engagements suivants :
Prêt
Montant
Durée
Objet
n° 99144885372 du 23 février 2009
40 000 euros
84 mois
Construction d’un bâtiment à usage professionnel
n° 99147403220 du 7 mars 2011
300 000 euros
84 mois
Rachat de compte courant d’associé
n° 10000067590 du 30 septembre 2014
40 000 euros
12 mois
Divers trésorerie ESE Trésorerie
Invoquant l’existence d’incidents de paiement au titre de chacun de ces prêts, la banque a, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 24 février 2016, mis en demeure la société La Ferme aquatique de s’acquitter des échéances impayées.
En réponse, la société La Ferme aquatique a contesté toute obligation au titre du prêt souscrit le 30 septembre 2014, soutenant essentiellement qu’un tel contrat avait été conclu sans autorisation de l’assemblée générale et de manière frauduleuse.
Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 13 mai 2016, la banque a prononcé la déchéance du terme du prêt n° 99147403220, rappelé que les prêts n° 99144885372 et n° 10000067590 étaient échus, et mis en demeure la société La Ferme aquatique de s’acquitter des sommes restant dues au titre de ces trois concours financiers.
Un protocole d’accord conclu aux fins d’apurement des prêts litigieux a finalement été dénoncé par chacune des parties.
Par acte du 10 juillet 2019, la banque a assigné la société La Ferme aquatique devant le tribunal de commerce d’Arras en paiement du solde des prêts litigieux.
‘ Par jugement du 15 décembre 2021, le tribunal de commerce d’Arras a statué en ces termes :
« – Dit et juge la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL NORD DE FRANCE recevable et bien fondée en ses demandes et y fait droit,
– Déboute la SAS LA FERME AQUATIQUE de l’ensemble de ses prétentions, fins et conclusions,
– Condamne la SAS LA FERME AQUATIQUE au paiement de la somme de 58,51€ au titre du prêt n°9914488 5372 suivant décompte provisoire arrêté à la date du 18 mars 2019, outre intérêts postérieurs au taux majoré de 8,45 % jusqu’à parfait règlement,
– Condamne la SAS LA FERME AQUATIQUE au paiement de la somme de 32.267,09 € au titre du prêt n°99147403220 suivant décompte provisoire arrêté au 18 mars 2019, outre intérêts postérieurs au taux majoré de 6,94 % jusqu’à la date effective de règlement,
– Condamne la SAS LA FERME AQUATIQUE au paiement de la somme de 20.209,39 € au titre du prêt n°10000067590 suivant décompte provisoire arrêté à la date du 18 mars 2019, outre intérêts postérieurs au taux majoré de 7,16 % jusqu’à parfait règlement,
– Ordonne la capitalisation des intérêts par application de l’article 1343-2 du Code civil,
– Condamne la SAS LA FERME AQUATIQUE au paiement de la somme de 1.500 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
– Condamne la SAS LA FERME AQUATIQUE aux entiers frais et dépenses engagées dans le cadre de la présente instance, en ce compris les frais de greffe taxés et liquidés à la somme de 63,36 euros,
Déboute la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL NORD DE FRANCE de sa demande d’exécution provisoire de la présente décision,
Déboute la SAS LA FERME AQUATIQUE de toutes ses demandes. »
‘ Par déclaration du 17 janvier 2022, la société La Ferme aquatique a relevé appel de ce jugement, sa critique portant sur l’ensemble des chefs du dispositif, à l’exception de celui disant n’y avoir lieu à exécution provisoire.
‘ Par jugement du 7 octobre 2022, le tribunal de commerce d’Arras a prononcé l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société La Ferme aquatique et désigné la société SELAS M.J.S. PARTNERS, prise en la personne de Maître [W] [N], en qualité de mandataire judiciaire.
Après avoir déclaré sa créance, la banque a, par acte du 19 janvier 2023, assigné en intervention forcée la société SELAS M.J.S. Partners, ès qualités.
Par jugement du 10 février 2023, la procédure de redressement judiciaire a été convertie en liquidation judiciaire et la société SELAS M.J.S. Partners, prise en la personne de Maître [W] [N], désignée en qualité de liquidateur.
Après avoir actualisé sa créance, la banque a, par acte du 10 mars 2023, assigné en intervention forcée la société SELAS MJS Partners, ès qualités.
‘ Par conclusions notifiées par voie électronique le 13 mars 2023, la banque demande à la cour de :
« CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de Commerce d’ARRAS en date du 15 décembre 2021 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il y a lieu désormais non plus de condamner la société FERME AQUATIQUE en paiement des sommes dont elle est redevable mais de fixer au passif de ladite société ces mêmes sommes.
Par conséquent,
FIXER AU PASSIF de la société LA FERME AQUATIQUE, conformément à la déclaration de créance en date du 19 octobre 2022, les sommes suivantes :
‘ Au titre du prêt n°10000067590 en vertu du jugement rendu par le Tribunal de Commerce d’Arras en date du 15 décembre 2021, à titre chirographaire :
Principal : 19.899,74 €
Intérêts au taux de 7,16 % du 18/03/2019 au 07/10/2022 : 1.155,47 €
TOTAL : 21.055,21 €
‘ Au titre du prêt n°99144885372 en vertu du jugement rendu par le Tribunal de Commerce d’Arras en date du 15 décembre 2021, à titre chirographaire :
Principal : 72,10 €
Intérêts au taux de 8,45% du 18/03/2019 au 07/10/2022 : 4,94 €
TOTAL : 77,04 €
‘ Au titre du prêt n°99147403220 en vertu du jugement rendu par le Tribunal de Commerce d’Arras en date du 15 décembre 2021, à titre chirographaire :
Principal : 38.420,66 €
Intérêts au taux de 6,94% du 18/03/2019 au 07/10/2022 : 2.162,34 €
TOTAL : 40.583,00 €
‘ Au titre de l’article 700 du CPC et des dépens dus en vertu du jugement rendu par le Tribunal de Commerce d’Arras en date du 15 décembre 2021, à titre chirographaire :
Article 700 CPC : 1.500,00 €
Intérêts au taux légal : 9,69 €
Dépens : 220,59 €
TOTAL : 1.730,28 €
Au titre du cautionnement personnel et solidaire consenti au profit de la SARL DKV euro service france dans la limite de la somme de 5.500,00 € consenti par acte sous seing privé en date du 23/12/2005, à titre chirographaire :
Non-appelé 5.500,00 €
TOTAL CREANCES, A TITRE CHIROGRAPHAIRE : 68.945,53 €
FIXER AU PASSIF de la société LA FERME AQUATIQUE la somme de 3.000,00 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile
FIXER AU PASSIF de la société LA FERME AQUATIQUE les entiers frais et dépens engagés dans le cadre de la présente instance. »
‘ Par conclusions notifiées par voie électronique le 20 mars 2023, la société La Ferme aquatique et la société M.J.S. Partners, ès qualités, demandent à la cour de :
« Infirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a rejeté la demande d’exécution provisoire formulée par la CRCAMNF,
Et statuant à nouveau,
Sur l’inopposabilité et ou la nullité du prêt litigieux,
Principalement,
Débouter la CRCAMNF de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
Ordonner l’inopposabilité à la société « LA FERME AQUATIQUE » de l’acte de prêt en l’absence de pouvoirs de son dirigeant,
Débouter la CRCAMNF de sa demande en fixation au passif au titre du troisième prêt en date du 30/09/2014 n°100006590 qu’elle évalue à 21 055,21 euros faute de pouvoir du dirigeant à signer le contrat de prêt « court terme agricole » suivant acte sous seing privé en date du 30/09/2014 n°10000067590 d’un montant initial de 40 000 euros,
Subsidiairement,
Prononcer la nullité de l’acte de prêt « court terme agricole » en date du 30/09/2014 n°10000067590 d’un montant initial de 40 000 euros, en raison du détournement de pouvoirs connu de la CRCAMNF,
Débouter la CRCAMNF de ses demandes en fixation au passif, en raison du détournement des pouvoirs du Président de la SAS au détriment des intérêts de la SAS « LA FERME AQUATIQUE », détournement qui était connu ou qui ne pouvait être ignoré de la CRCAMNF,
Ordonner la remise des parties dans l’état dans lequel elles se trouvaient avant la conclusion du contrat de prêt,
Ordonner en conséquence à la CRCAMNF le remboursement à la SAS « LA FERME AQUATIQUE » de toutes sommes versées en principal évalué à 24 300 €, plus tous intérêts et accessoires au titre du prêt n°10000067590,
Sur la responsabilité de la banque,
Condamner la CRCAMNF à réparer le préjudice subi par la SAS LA FERME AQUATIQUE pour avoir engagé sa responsabilité en ce qu’elle a commis des fautes dans l’octroi du crédit litigieux,
En conséquence,
Condamner la CRCAMNF à payer à la SAS LA FERME AQUATIQUE la somme de 33 999,45 euros correspondant aux pénalités de retard et accessoires suivants (suivant décomptes au 18/03/2016 et 07/10/2022) :
– 27,95 euros au titre du prêt n°99144885372
– 28 616,29 euros au titre du prêt n°99147403220
– 5 355,21 euros au titre de l’emprunt litigieux n°10000067590
En tout état de cause,
Débouter la CRCAMNF de sa demande en fixation au passif au titre du prêt n°99144885372 qu’elle évalue à 72,10 euros à titre principal et 4,94 euros à titre d’intérêts au taux de 8,45 % du 18/03/2019 au 07/10/2022, puisque ne saurait être admis au passif que le principal de ce prêt soit 49,09 euros, au titre du prêt n° 144885372 (montant du principal de la créance au jour de la déchéance du terme soit 601,85 euros, déduction faite des montants perçus de 552,76 euros, selon décompte arrêté au 13/05/2016,
Débouter la CRCAMNF de sa demande en fixation au passif au titre du prêt n°99147403220 qu’elle évalue à 38 420,66 euros à titre principal et 2 162,34 euros à titre d’intérêts au taux de 6,94 % du 18/03/2019 au 07/10/2022, puisque ne saurait être admis au passif que le principal de ce prêt soit 11 966,71 euros (montant du principal de la créance au jour de la déchéance du terme, soit 106 924,55 euros en principal déduction faite des montants perçus de 94 957,84 euros selon décompte arrêté au 13/05/2016),
Vu les dispositions de l’article 564 du code de procédure civile,
Débouter la CRCAMNF de sa demande en fixation au passif au titre du cautionnement personnel et solidaire consenti au profit de la SARL DKV EURO SERVICE France dans la limite de la somme de 5 500 euros consenti par acte sous seing privé en date du 23/12/2005, à titre chirographaire, non appelé, cette créance n’étant qu’éventuelle et non justifiée,
Condamner la CRCAMNF au paiement de la somme de 4 000 euros à la SAS « LA FERME AQUATIQUE » au titre des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Condamner la CRCAMNF aux entiers dépens de première instance et d’appel. »
‘ En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions précitées des parties pour l’exposé de leurs moyens.
‘ L’ordonnance de clôture a été prononcée le 21 mars 2023.
‘ En application de l’article 445 du code de procédure civile, les parties ont été invitées à présenter leurs observations sur la nouveauté de la demande tendant à la fixation au passif de la société La Ferme aquatique de la somme de 5 500 euros au titre du cautionnement personnel et solidaire consenti le 23 décembre 2005 au profit de la société DKV euro service France, partant sur sa recevabilité au regard de l’article 564 du code de procédure civile.
La société La Ferme aquatique a présenté des observations faisant valoir qu’une telle demande avait été formée à hauteur d’appel, sans débat préalable en première instance.
La banque n’a pas transmis d’observations en réponse.
MOTIFS DE LA DECISION
1. Sur la recevabilité de la demande formée au titre d’un cautionnement
Aux termes de l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.
Selon l’article 565 du même code, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent, tandis que l’article 566 dispose que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
En l’espèce, la banque forme une demande au titre d’un cautionnement personnel et solidaire consenti le 23 décembre 2005 au profit de la société DKV euro service France.
Une telle demande, formée pour le première fois à hauteur d’appel et qui ne relève d’aucune des exceptions prévues aux articles 564 à 566 du code de procédure civile, doit être d’office déclarée irrecevable, étant observé que si la société La Ferme aquatique souligne à juste titre la nouveauté d’une telle demande, elle n’en tire pas les conséquences qui s’imposent dans le dispositif de ses écritures, dès lors qu’elle en sollicite le rejet et non l’irrecevabilité, ce qui a conduit la cour à relever d’office la fin de non-recevoir.
2. Sur les demandes en paiement au titre des prêts litigieux
2.1 Sur le prêt souscrit le 30 septembre 2014
La société La Ferme aquatique invoque l’inopposabilité (2.1.1) et la nullité (2.1.2) d’un tel contrat, avant de rechercher la responsabilité de la banque (2.1.3).
2.1.1 Sur l’inopposabilité du contrat de prêt
L’appelante soutient que le contrat de prêt lui est inopposable en ce qu’il aurait été souscrit sans autorisation préalable de l’assemblée générale.
Elle se prévaut du premier alinéa de l’article 1156 du code civil qui dispose que l’acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté, sauf si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant, notamment en raison du comportement ou des déclarations du représenté.
Etant issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ce texte est inapplicable au présent litige, dès lors que le prêt litigieux a été conclu antérieurement au 1er octobre 2016.
Sous l’empire du droit antérieur, il était cependant admis de manière prétorienne que l’acte accompli sans pouvoir était inopposable au représenté, mais aussi, en application de la théorie du mandat apparent, que la représentation produisait ses effets, même en cas d’absence ou de dépassement de pouvoir, lorsque le tiers contractant était de bonne foi et avait des raisons légitimes de croire que le mandataire était autorisé à conclure avec lui.
L’inopposabilité de principe n’avait lieu d’être que si le représentant était dépourvu de pouvoir. En l’espèce, il est versé au débat un extrait des délibérations de l’assemblée générale de la société La Ferme aquatique en date du 29 septembre 2014, dont il ressort que l’assemblée générale donne pouvoir à M. [O] de solliciter l’attribution du concours financier litigieux aux fins de satisfaire un besoin de trésorerie. L’appelante dénie la force probante d’une telle pièce, au triple motif que la copie du registre des assemblées ne mentionne aucune assemblée à cette date, que le procès-verbal est complété de manière manuscrite et que M. [O] y est présenté comme gérant de L’EARL La Ferme aquatique, alors qu’au jour de l’assemblée générale litigieuse, la forme de la société avait évolué pour devenir par actions simplifiée. Si une telle erreur de qualification et la forme manuscrite du procès-verbal n’apparaissent pas de nature à remettre en cause la force probante de l’acte litigieux, le défaut avéré de report sur le registre des assemblées n’est en revanche pas de nature à la conforter.
Pour autant, ainsi qu’il a été dit, la représentation peut produire ses effets s’il est établi que le tiers contractant était de bonne foi et avait des raisons légitimes de croire que le mandataire était autorisé à conclure avec lui. Or, tel est le cas en l’espèce. En effet, le contrat de prêt litigieux mentionne, en page 1, que la société La Ferme aquatique est représentée par M. [O], habilité à l’effet des présentes en vertu Assemblée générale en date du 29/09/2014, avant de préciser, en page 3, que l’emprunteur déclare que la signature de ce contrat a été régulièrement autorisée par les organes compétents de la personne morale. Au regard de telles mentions, et dès lors que M. [O] intervenait habituellement en qualité de représentant de la société La Ferme aquatique dans ses relations d’affaires avec la banque, celle-ci, dont la mauvaise foi n’est pas démontrée, pouvait légitimement croire que M. [O] disposait du pouvoir de souscrire l’engagement litigieux.
Il y a donc lieu de rejeter la demande tendant à voir déclarer inopposable le prêt litigieux, le jugement étant confirmé de ce chef.
2.1.2 Sur la nullité du contrat de prêt
L’appelante soutient que le contrat prêt est nul en ce que M. [O] l’aurait détourné de sa finalité pour servir, non pas l’intérêt social, mais son intérêt personnel, un tel détournement étant nécessairement connu de la banque.
Elle se prévaut du premier alinéa de l’article 1157 du code civil qui dispose que, lorsque le représentant détourne ses pouvoirs au détriment du représenté, ce dernier peut invoquer la nullité de l’acte accompli si le tiers avait connaissance du détournement ou ne pouvait l’ignorer.
Issu de l’ordonnance précitée du 10 février 2016, ce texte est inapplicable au présent litige, ainsi qu’il a été dit précédemment.
Sous l’empire du droit antérieur, il était cependant admis de manière prétorienne que l’acte accompli au prix d’un détournement de pouvoir du représentant au préjudice du représenté encourait la nullité si le tiers contractant connaissait le détournement ou ne pouvait l’ignorer.
En l’espèce, l’appelante soutient, sans toutefois en rapporter la preuve, que M. [O] a souscrit le contrat de prêt litigieux dans le seul but de permettre le remboursement de son compte courant d’associé par le cessionnaire des parts sociales. A supposer même que tel fût le cas, il n’est pas démontré que le prêteur ait eu connaissance d’un tel dessein, étant observé que si la banque était manifestement informée du projet de cession des parts sociales, aucun élément ne permet de se convaincre qu’elle était au courant des modalités particulières d’une telle cession, qu’il s’agisse des conditions de remboursement du compte courant d’associé de M. [O] ou de l’engagement pris par ce dernier de ne souscrire aucun emprunt postérieurement au compromis de cession des parts sociales. Aussi l’appelante échoue-t-elle à établir la connaissance par la banque d’un prétendu détournement de pouvoir de M. [O] et encore moins l’existence d’une collusion frauduleuse entre eux.
Il y a donc lieu de rejeter la demande en nullité du contrat de prêt litigieux, le jugement étant confirmé de ce chef.
2.1.3 Sur la responsabilité de la banque
L’appelante soutient que la responsabilité de la banque est engagée en raison des fautes qu’elle a commises dans l’octroi du prêt litigieux.
Si elle ne précise pas le fondement juridique de son action, il apparaît néanmoins qu’elle entend manifestement se prévaloir des dispositions de l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, dont il résulte que le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.
Ainsi qu’il a été dit précédemment, la banque pouvait se fier aux déclarations de M. [O] dont il résultait que la souscription du contrat avait été régulièrement autorisée par les organes compétents de la personne morale, sans donc être tenue de vérifier plus amplement les pouvoirs de l’intéressé.
Il ne saurait davantage être reproché à la banque d’avoir désigné l’emprunteur sous son ancienne forme juridique, aucun préjudice subséquent n’étant démontré.
Comme indiqué plus haut, il n’est pas établi que la banque connaissait les modalités particulières de cession des parts sociales, de sorte que sont inopérants les griefs tirés de la méconnaissance des termes du compromis organisant une telle cession.
Il est enfin soutenu à tort que la banque devait vérifier l’affectation des fonds empruntés, le contrat litigieux lui ménageant une simple faculté stipulée dans son seul intérêt.
Il s’ensuit que l’appelante n’établit aucun manquement propre à engager la responsabilité de la banque, de sorte qu’elle sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts venant en compensation des sommes dues au titre du prêt, le jugement étant confirmé de ce chef.
»’
Il résulte de tout ce qui précède que la société La Ferme aquatique est tenue au paiement du prêt litigieux, la décision entreprise étant confirmée de ce chef, sauf à fixer le montant de la créance au passif de la société La Ferme aquatique, conformément à l’article L. 622-22 du code de commerce, une telle fixation intervenant dans les limites de la déclaration de créance du 19 octobre 2022.
2.2 Sur les prêts souscrits les 23 février 2009 et 7 mars 2011
L’appelante ne conteste pas être tenue au titre de ces prêts et ne remet pas en cause le décompte produit par la banque pour chacun d’eux. Si elle sollicite la décharge des frais dus au titre des retards de paiement, ce n’est qu’à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le comportement fautif de la banque, dont on a vu qu’il n’était pas caractérisé.
Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef, sauf à fixer le montant de la créance au passif de la société La Ferme aquatique, conformément à l’article L. 622-22 du code de commerce, une telle fixation intervenant dans les limites de la déclaration de créance du 19 octobre 2022.
3. Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le sens de la présente décision justifie que soient confirmés les chefs du jugement relatifs aux dépens et frais irrépétibles, sauf à en fixer le montant au passif de la société La Ferme aquatique dans les limites de la déclaration de créance du 19 octobre 2022. La société La Ferme aquatique sera tenue aux dépens d’appel. L’équité commande de laisser à chacune des parties la charge de ses propres frais irrépétibles d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a condamné la société La Ferme aquatique au paiement de diverses sommes, celles-ci devant désormais être fixées au passif de ladite société ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare irrecevable la demande formée par la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France au titre d’un cautionnement personnel et solidaire consenti le 23 décembre 2005 au profit de la société DKV euro service France ;
Fixe au passif de la société La Ferme aquatique la somme de 77,04 euros au titre du prêt n° 99144885372 incluant le principal au 18 mars 2019 et les intérêts au taux de 8,45 % du 18 mars 2019 au 7 octobre 2022 ;
Fixe au passif de la société La Ferme aquatique la somme de 40 583,00 euros au titre du prêt n° 99147403220 incluant le principal au 18 mars 2019 et les intérêts au taux majoré de 6,94 % du 18 mars 2019 au 7 octobre 2022 ;
Fixe au passif de la société La Ferme aquatique la somme de 21 055,21 euros au titre du prêt n°10000067590 incluant le principal au 18 mars 2019 et les intérêts au taux majoré de 7,16 % du 18 mars 2019 au 7 octobre 2022 ;
Fixe au passif de la société La Ferme aquatique la somme de 1 730,28 euros au titre des frais irrépétibles et des dépens exposés en première instance par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres frais irrépétibles d’appel ;
Condamne la société La Ferme aquatique aux dépens d’appel.
Le greffier
Marlène Tocco
Le président
Samuel Vitse