COUR D’APPEL
D’ANGERS
CHAMBRE A – COMMERCIALE
CC/IM
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 21/01166 – N° Portalis DBVP-V-B7F-E2MS
Jugement du 19 Février 2021
Juge de l’exécution du MANS
n° d’inscription au RG de première instance 19-001319
ARRET DU 24 MAI 2022
APPELANT :
Monsieur [N] [D]
né le [Date naissance 2] 1965 à [Localité 8] ([Localité 8])
[Adresse 4]
[Localité 5]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/003190 du 01/06/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de ANGERS)
Représenté par Me Alice ROUMESTANT substituée par Me Audrey PAPIN, avocat au barreau d’ANGERS – N° du dossier 15210024
INTIME :
Monsieur [Z] [K]
né le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 6]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 3]
Représenté par Me Pascale PARE-DUVAL, avocat au barreau du MANS – N° du dossier 717119
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue publiquement à l’audience du 14 Mars 2022 à 14 H 00, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme CORBEL, Présidente de chambre, qui a été préalablement entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme CORBEL, Présidente de chambre
M. RIEUNEAU, Conseiller
M. BENMIMOUNE, Conseiller
Greffière lors des débats : Mme TAILLEBOIS
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 24 mai 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine CORBEL, Présidente de chambre, et par Sophie TAILLEBOIS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Exposé du litige
Sur requête du 2 septembre 214, M. [D], muni des titres exécutoires que sont un jugement sur intérêts civils rendu le 2 décembre 2010 par le tribunal de grande instance de Nanterre réformé partiellement par un arrêt de la cour d’appel de Versailles du 5 mai 2013, ayant condamné M. [K] à lui verser la somme globale de 12 585 euros outre 1 000 euros au titre de l’article 475-1 du code de procédure civile et 600 euros au titre des frais d’expertise, est intervenu comme créancier saisissant dans la procédure de saisie des rémunérations de M. [K] pour obtenir paiement de la somme de 15 340,93 euros correspondant au principal, intérêts et frais après déduction d’acomptes reçus d’un montant de 1 350 euros.
Considérant avoir payé en partie deux fois la même créance dès lors que le Fonds de garantie des victimes était lui-même intervenu à la saisie de ses rémunérations en qualité de subrogé dans les droits de M. [D], M. [K] a, le 22 octobre 2019, assigné M. [D] devant le tribunal d’instance du Mans statuant comme juge de l’exécution aux fins d’obtenir la mainlevée de la saisie de ses rémunérations et la condamnation de M. [D] à lui verser la somme de 14 397,43 euros à titre de trop perçu ainsi que la somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Par jugement rendu le 19 février 2021, le tribunal judiciaire du Mans, pôle proximité protection, statuant en qualité de juge de l’exécution, a :
– ordonné la mainlevée de la saisie des rémunérations pratiquée par M. [D] à l’encontre de M. [K].
– dit que les sommes versées par l’employeur de M. [K] au régisseur installé auprès du greffe du tribunal judiciaire et qui n’ont pas fait l’objet d’une répartition entre les créanciers, s’élevant à 3 947,66 euros au 15 février 2021, seront restituées à M. [K],
– condamné M. [D] à verser 11 393,27 euros à M. [K], en indemnisation de son préjudice financier résultant de l’abus de saisie, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,
– condamné M. [D] à verser 2500 euros à M. [K], en indemnisation de son préjudice moral résultant de l’abus de saisie, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement,
– condamné M. [D] à payer à M. [K] la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles,
– condamné M. [D] aux entiers dépens de l’instance,
– ordonné l’exécution provisoire de la décision.
Par déclaration du 11 mai 2021, M. [D] a interjeté appel de ce jugement en critiquant chacune de ses dispositions.
Par conclusions remises le 9 juin 2021, M. [D] prie la cour d’infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de surseoir à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pénale contre Maître [S], subsidiairement, de débouter M. [K] de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, qui sera payée selon les dispositions de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par conclusions remises le 20 juillet 2021, M. [K] demande à la cour de confirmer le jugement, de rejeter les demandes de M. [D] et de le condamner à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des moyens des parties, la cour renvoie à leurs écritures.
MOTIFS DE LA DECISION :
Selon les dispositions de l’article L. 121-2 du code des procédures civiles d’exécution, le juge de l’exécution a le pouvoir d’ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et, en cas d’abus de saisie, de condamner le créancier à des dommages et intérêts.
Il est justifié de ce que le Fonds de garantie a obtenu de M. [K], à travers la saisie des rémunérations qu’il avait fait pratiquer, la somme de 10 139,76 euros à la date du 6 septembre 2019.
De même, il n’est pas contesté qu’à cette même date, M. [D] a obtenu les versements, au titre de sa créance, de la somme totale de 11 393,90 euros par la voie de la saisie des rémunérations litigieuse, outre les acomptes d’un montant de 1 350 euros versés antérieurement.
Il en résulte que M. [K] a payé une somme de 22 883,66 euros au titre de sa dette, ce qui excède ce qui est dû même en tenant compte des intérêts et frais de procédure.
M. [K] approuve le premier juge d’avoir retenu, d’une part, que le paiement fait le 18 avril 2013 par le Fonds de garantie des victimes d’infractions sur le compte CARPA de Mme [S], laquelle avait la qualité de mandataire apparant, valait paiement en vertu des dispositions de l’article 1239 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 et, d’autre part, qu’en application de l’article 1251 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, que le paiement avec subrogation a pour effet d’éteindre la créance à l’égard du créancier la laissant subsister au profit du subrogé qui dispose de toutes les actions qui appartenaient au créancier et qui se rattachaient immédiatement à cette créance avant le paiement, de sorte qu’il considère que quand bien même M. [D] aurait révoqué le mandat de Mme [S], ce dont il ne justifie pas, le paiement subrogatoire fait par la ‘CIVI’ (en réalité, le Fonds de garantie des victimes) est libératoire à l’égard de M. [D], lequel ne détenait plus alors qu’une créance de 905 euros à l’égard de M. [K], qui s’est trouvée éteinte par le versement direct de la somme de 1 350 euros fait par le débiteur antérieurement à la saisie.
M. [D] expose ne pas avoir reçu l’indemnisation versée par le Fonds de garantie des victimes entre les mains de Maître [S], son ancien conseil, qu’il accuse d’avoir saisi la commission d’indemnisation des victimes en son nom alors qu’il lui aurait retiré tout mandat pour agir, indiquant avoir choisi de poursuivre directement M. [K] en exécution de la condamnation. Il affirme ne jamais avoir été informé de ce que Mme [S] avait poursuivi la procédure ni de ce qu’elle avait reçu des sommes du Fonds de garantie des victimes.
Il justifie avoir, le 25 octobre 2019, déposé plainte au parquet du tribunal de grande instance de Paris contre Mme [S] pour escroquerie et produit une ordonnance du doyen des juges d’instruction, du 19 mai 2021, fixant le montant de sa consignation.
Faisant valoir que la décision pénale à venir aura nécessairement une influence sur la solution du présent litige dans la mesure où elle a vocation à démontrer que la procédure de saisie des rémunérations qu’il a mise en oeuvre n’était pas abusive ni inutile dès lors qu’il ignorait l’existence des paiements qui lui étaient destinés, il sollicite qu’il soit sursis à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pénale contre Mme [S].
Aux termes de l’article 4 du code de procédure pénale
L’action civile en réparation du dommage causé par l’infraction prévue par l’article 2 peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l’action publique.
Toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu’il n’a pas été prononcé définitivement sur l’action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement.
La mise en mouvement de l’action publique n’impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu’elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d’exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil.
Il résulte de ce texte que le sursis à statuer est facultatif dès lors que la présente action ne tend pas à la réparation du dommage causé par l’infraction reprochée à Mme [S].
Il convient, d’abord, de relever que M. [D] ne prétend pas que la procédure pénale pourait avoir une incidence sur un autre chef que celui qui l’a condamné au titre d’une saisie abusive et ne conteste pas que le Fonds de garantie a versé la somme de 13 280 euros sur le compte CARPA de l’avocat qui le représentait antérieurement.
Ensuite, la procédure pénale qui ne tend qu’à faire établir que Mme [S] aurait poursuivi la procédure devant la commission d’indemnisation des victimes en dépit de la révocation de son mandat par M. [D] et aurait encaissé les fonds versés par le Fonds d’indemnisation des victimes sans en informer son mandant et sans les lui reverser, ce point n’étant pas contesté, n’est pas déterminante pour la solution à donner au présent litige. La demande de sursis à statuer est donc rejetée.
M. [D] ne critique pas les motifs de droit du premier juge ayant retenu que le Fonds de garantie, en ayant versé l’indemnisation qui lui revenait à hauteur de 13 280 euros à Mme [S] en vertu d’un mandat apparent de celle-ci, a été valablement subrogé dans ses droits et était, dès lors, en droit d’obtenir du débiteur le paiement de la dette à cette hauteur.
Il y a lieu de rappeler que la subrogation du fonds de garantie des victimes d’infractions résulte des dispositions de l’article 706-11 du code de procédure civile aux termes desquels le fonds est subrogé dans les droits de la victime pour obtenir des personnes responsables du dommage causé par l’infraction ou tenues à un titre quelconque d’en assurer la réparation totale ou partielle le remboursement de l’indemnité ou de la provision versée par lui, dans la limite du montant des réparations à la charge desdites personnes.
L’ensemble de ces motifs suffit à confirmer la disposition du jugement en ce qu’il a ordonné la mainlevée de la saisie des rémunérations pratiquée par M. [D] dès lors que le Fonds de garantie étant subrogé depuis le 18 avril 2013 dans ses droits à hauteur de 13 280 euros en principal, M. [D] ne pouvait plus exercer ses droits que pour ce qui restait dû par différence avec ce que le Fonds avait versé à son mandataire apparant, en vertu de l’article 1152 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, de sorte qu’au regard du montant des sommes encaissées par lui qui excède celui de la créance qui lui reste, la saisie était inutile et devait donc faire l’objet d’une mainlevée conformément aux dispositions de l’article L. 121-2 du code des procédures civiles d’exécution, précité.
Le jugement a dit que les sommes versées par l’employeur au régisseur installé auprès du greffe du tribunal judiciaire et qui n’avaient pas encore fait l’objet d’une répartition entre les créanciers, s’élevant à 3 947,66 euros au 15 février 2021, devaient lui être restituées.
Cette disposition doit être infirmée dans la mesure où elle préjudicie au Fonds de garantie, créancier intervenant à la saisie des rémunérations, et à l’égard duquel, au vu d’un décompte en date du 20 mai 2020, M. [K] restait devoir la somme de 7 235,58 euros, déduction faite des encaissements d’un montant de 7 235,58 euros et qui n’a pas été appelé à la cause en violation des dispositions de l’article 14 du code de procédure civile, étant rappelé que l’inobservation de cette règle doit être relevée d’office.
M. [D] ne critique que les dispositions qui l’ont condamné, sur le fondement de l’article L. 121-2 du code des procédures civiles d’exécution, à payer à M. [K] la somme de 11 393,27 euros en indemnisation du préjudice financier correspondant aux rémunérations de M. [K] saisies par lui et la somme de 2 500 euros en indemnisation de son préjudice moral, en contestant l’abus de saisie retenu par le premier juge.
Le premier juge, approuvé par M. [K], a condamné M. [D] sur le fondement de l’article L. 121-2 du code des procédures civiles d’exécution en retenant, d’abord, qu’il n’avait produit aucune justification de ce qu’il avait révoqué le mandat qu’il avait donné à Mme [S] et, ensuite, qu’il ressortait de la lecture de l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 5 mai 2013 qu’il avait lui-même indiqué avoir saisi la commission d’indemnisation des victimes de sorte qu’il avait, à tout le moins, commis une faute en ne s’assurant pas de ce que devenait la procédure devant la dite commission et, enfin, que son refus de donner mainlevée de la saisie des rémunérations après le 22 octobre 2019 alors qu’il était informé du double paiement fait par M. [K] était également fautif.
En appel, M. [D] ne conteste pas avoir lui-même saisi la commission d’indemnisation des victimes.
Pour autant, ce fait ne suffit pas à caractériser de sa part un abus de saisie dès lors qu’il n’est pas démontré ni même prétendu qu’il aurait eu connaissance de ce que le Fonds de garantie avait versé des sommes au titre de son indemnisation entre les mains de son précédent conseil. Le fait de ne pas s’être assuré du devenir de la procédure devant la commission d’indemnisation des victimes, qui s’apparente à une légèreté blâmable, ne suffit pas à caractériser de sa part un abus en ayant fait pratiquer la saisie-attribution.
Il ne saurait donc être condamné pour saisie abusive, à titre de dommages et intérêts, à la restitution des sommes reçues en exécution de la saisie des rémunérations, demande qui se distingue d’une demande d’annulation de la saisie pour défaut de cause ou d’une demande en répétion de l’indu, qui n’ont pas été formées.
Il est constant, toutefois, que M. [D] n’a pas accepté de donner mainlevée de la saisie des rémunérations de M. [K] après avoir eu connaissance du double paiement réclamé au débiteur.
Ainsi, par des motifs pertinents que la cour adopte, le premier juge a caractérisé, à compter du 22 octobre 2019, l’abus de saisie dont a fait preuve M. [D] en maintenant de sa part une saisie dépourvue alors de cause et le préjudice moral en découlant pour M. [K]. Le chef du jugement qui a condamné le premier à payer au second la somme de 2 500 euros à M. [K], en indemnisation de son préjudice moral résultant de l’abus de saisie, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement est confirmé.
Le jugement sera également confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
Il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
Chacune des parties, qui succombe partiellement, conservera ses dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement et par arrêt rendu par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement sauf en ses dispositions qui ont :
– dit que les sommes versées par l’employeur de M. [K] au régisseur installé auprès du greffe du tribunal judiciaire et qui n’ont pas fait l’objet d’une répartition entre les créanciers, s’élevant à 3 947,66 euros au 15 février 2021, seront restituées à M. [K],
– condamné M. [D] à verser 11 393,27 euros à M. [K], en indemnisation de son préjudice financier résultant de l’abus de saisie, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;
Statuant à nouveau de ces chefs :
– déclare irrecevable la demande tendant à voir dire que les sommes versées par l’employeur de M. [K] au régisseur installé auprès du greffe du tribunal judiciaire du Mans et qui n’ont pas fait l’objet d’une répartition entre les créanciers doit être restituée à M. [K] ;
– rejette la demande de restitution des rémunérations saisies par M. [D] à titre de dommages et intérêts pour abus de saisie ;
Rejette les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en appel.
Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
S. TAILLEBOIS C. CORBEL