EP/KG
MINUTE N° 23/232
Pôle emploi Alsace ( )
Clause exécutoire aux :
– avocats
– délégués syndicaux
– parties non représentées
Le
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE – SECTION A
ARRET DU 24 Février 2023
Numéro d’inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/02315
N° Portalis DBVW-V-B7F-HSPS
Décision déférée à la Cour : 26 Mars 2021 par le CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE SCHILTIGHEIM
APPELANTE :
ASSOCIATION GÉNÉRALE INTERPROFESSIONNELLE DE PRÉVOYANCE ET D’INVESTISSEMENT (AGIPI)
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
S.A. ASSOCIATION DIFFUSION SERVICES (ADIS)
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
Représentées par Me Aurélien WULVERYCK, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE :
Madame [W] [E]
[Adresse 2]
Représentée par Me Patrick BARRAUX, avocat au barreau de STRASBOURG
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 Décembre 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant M. PALLIERES, Conseiller rapporteur, et M. LE QUINQUIS, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme DORSCH, Président de Chambre
M. PALLIERES, Conseiller
M. LE QUINQUIS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme THOMAS
ARRET :
– contradictoire
– prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,
– signé par Mme DORSCH, Président de Chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Salariée du groupe Axa depuis janvier 1973, Madame [W] [E], détachée, par Axa, auprès de la société Association Diffusion Services (ci-après sous le vocable Adis), a engagée, par cette dernière, selon contrat de travail à durée indéterminée et à temps plein, à compter du 1er janvier 2000, en qualité de secrétaire générale, statut cadre, position 9, indice 300 de la grille des emplois conventionnels de la convention collective des cabinets de courtage d’assurances.
Selon contrat de travail à durée indéterminée du 1er juillet 2003, la Sa Adis a modifié le contrat pour employer Mme [E] en qualité de responsable manager, toujours à plein temps.
Selon contrat de travail à durée indéterminée du 1er avril 2004, l’Association Générale Interprofessionnelle de Prévoyance et d’Investissement (ci-après sous le vocable Agipi) a embauché Mme [E] en qualité de directrice des affaires générales, à temps partiel (43 jours /an).
Un avenant à son contrat de travail avec la société Adis est signé, le même jour, pour modifier le temps de travail (80 %).
Par avenant au contrat Agipi du 3 janvier 2005, le temps de travail est fixé à 64 jours/an.
Par avenant au contrat Adis, le temps de travail est fixé à 150 jours/an.
Mme [E] a fait valoir ses droits à la retraite pour le 30 novembre 2010.
Selon contrat de travail à durée indéterminée du 30 novembre 2010, elle a été, de nouveau, embauchée par la Sa Adis, avec effet à compter du 1er décembre, en qualité de secrétaire générale, selon convention forfait jours de 113 jours/an.
Selon contrat de travail à durée indéterminée du 1er décembre 2010, elle a été, de nouveau, embauchée par l’association Agipi en qualité de secrétaire générale, selon convention forfait jours de 41 jours/an.
Selon des lettres non datées, Mme [E] a présenté sa démission à Monsieur [H] [J], tant es qualité président et directeur général d’Agipi que de président de l’Adis, avec effet au 31 mars 2014 (initialement 1er, modifié manuscritement).
Par requête du 6 mars 2015, Madame [W] [E] a saisi la section encadrement du Conseil de prud’hommes de Schiltigheim d’une demande, en réalité, de requalification de sa démission, avec effet au 31 mai 2014, en licenciement sans cause réelle et sérieuse, et aux fins de condamnation :
– de l’Agipi à lui payer la somme de 2 564,12 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,
– de l’Adis à lui payer la somme de 12 050,89 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,
– » conjointe et solidaire » de l’Agipi et de l’Adis à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive et vexatoire des relations contractuelles,
– de l’Agipi à lui payer la somme de 1 766,11 euros, à titre de solde d’indemnité de congés payés 2013, avec intérêts au taux légal à compter de la demande,
– de l’Agipi à lui payer la somme de 1 275,53 euros, à titre de d’indemnité de congés payés acquis en 2014, avec intérêts au taux légal à compter de la demande,
– de l’Agipi à lui payer la somme de 206 812 euros bruts, correspondant à la partie variable de sa rémunération, avec intérêts au taux légal à compter de la demande,
– » conjointe et solidaire » de l’Agipi et de l’Adis à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Par jugement avant-dire droit du 27 janvier 2017, ledit Conseil a ordonné le sursis à statuer dans l’attente de la décision à intervenir d’une juridiction pénale.
Par écritures du 11 septembre 2020, la demanderesse a sollicité la reprise de l’instance.
Par jugement du 26 mars 2021, le Conseil de prud’hommes de Schiltigheim, section encadrement, a :
– dit et jugé que la démission de Madame [E] repose sur une volonté claire et non équivoque,
– débouté Madame [E] de sa demande requalification de la rupture des relations contractuelles en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamné Agipi à payer à Madame [E] la somme de 1 766,11 euros à titre d’indemnité au titre des congés payés 2013, et la somme de 1 275,53 euros à titre d’indemnité au titre des congés payés 2014,
– condamné Agipi à payer à Madame [E] la somme de 206 812 euros bruts au titre de l’intéressement,
– débouté Madame [E] du surplus de ses demandes,
– débouté » la société défenderesse » de sa demande reconventionnelle,
– condamner » la société » Agipi à 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et les dépens.
Par déclaration du 2 mai 2021, l’Agipi et l’Adis ont interjeté appel de la décision entreprise uniquement en ce que l’Agipi a été condamnée aux indemnités de congés payés 2013 et 2014, au rappel de salaire au titre de l’intéressement, à l’indemnité au titre des frais irrépétibles et aux dépens.
Par écritures transmises par voie électronique le 30 novembre 2022, l’Agipi et l’Adis sollicitent l’infirmation du jugement entrepris sur les points précédents et la confirmation du jugement en ce qu’il a débouté Madame [E] au titre de ses demandes relatives à la rupture de son contrat de travail.
Par ailleurs, l’Agipi sollicite l’infirmation du jugement en ce qu’elle a été déboutée de ses demandes reconventionnelles, et qu’il soit dit que ses demandes reconventionnelles ne sont pas prescrites.
Elle demande que Madame [E] soit condamnée à lui rembourser les sommes de :
– 36 000 euros versée au titre du deuxième semestre 2010 de la prime de direction,
– 143 533 euros versée au titre de la prime de direction 2011,
– 420 965 euros versée à titre d’indemnité de départ à la retraite,
En tout état de cause, les appelantes sollicitent la condamnation de Madame [E] à leur payer, à chacune, la somme de 5 000 euros au titre article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Par écritures transmises par voie électronique le 23 novembre 2022, Madame [W] [E] sollicite :
1. sur l’appel principal :
– la confirmation du jugement en ce qu’il a condamné l’association Agipi à lui payer la somme de 1 766,11 euros bruts au titre du solde des congés payés 2013, la somme de 1 275,53 euros bruts au titre du solde des congés payés 2014, et la somme de 206 812 euros bruts au titre de la partie variable de la rémunération 2012,
2. sur la demande reconventionnelle formée par l’Agipi :
– que cette demande soit déclarée prescrite, et donc irrecevable,
subsidiairement, la confirmation du jugement en ce qu’il a débouté les appelantes de leurs demandes reconventionnelles,
– la confirmation du rejet des demandes reconventionnelles portant sur les sommes perçues lors du départ en retraite au 30 novembre 2010 et dans le cadre du cumul emploi/retraite jusqu’à son terme au 31 mai 2014.
Madame [E], qui a formé, par ailleurs un appel incident, sollicite l’infirmation du jugement en ce qu’il a dit et jugé que sa démission repose sur une volonté claire et non équivoque,
et demande qu’il soit dit que la rupture des relations contractuelles entre les parties intervenues le 31 mai 2014 s’analyse non pas en une démission mais en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, avec condamnation de :
– l’association Agipi à lui payer la somme de 2 564,12 euros acquis d’indemnité conventionnelle de licenciement avec intérêts au taux légal à compter du 31 mai 2014,
– la société Adis à lui payer la somme de 12 050,89 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement avec intérêts au taux légal à compter du 31 mai 2014,
– des 2 appelants » conjointement et solidairement » à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement intervenu dans des conditions abusives et vexatoires, avec intérêts au taux légal à compter du 31 mai 2014.
Pour le surplus, elle demande en outre :
– la confirmation du jugement entrepris sur l’article 700 du code de procédure civile,
– qu’il lui soit donné acte qu’elle maintient toute réserve de ses droits aux sommes qui lui reviennent au titre de l’accord d’intéressement aux fruits de l’expansion de l’entreprise pour les exercices 2013 et 2014,
– qu’en tant que de besoin, il soit fait injonction aux appelantes de transmettre, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du 30ème jour suivant l’arrêt intervenir, tous les documents fournis, comme chaque année, à chaque salarié d’entreprise, et déterminant le montant de l’intéressement global aux fruits de l’expansion de l’entreprise pour les exercices 2013 et 2014, ainsi que la quote-part revenant à chaque salarié,
– la condamnation de l’Agipi à lui payer, au titre de la part fixe et de la part variable de sa rémunération 2013, la somme de 258 761,69 euros bruts, avec intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2013,
– la condamnation de l’Agipi à lui payer la somme de 20 833 euros au titre du prorata de la partie fixe de sa rémunération pour l’année 2014, arrêtés au 31 mai, avec intérêts au taux légal à compter du 31 mai 2014,
– la réserve de ses droits réclamations et paiement du prorata de la partie variable de sa rémunération pour l’exercice 2014 arrêtés au 31 mai 2014,
– en tant que de besoin, qu’il soit fait injonction à l’Agipi de produire le bilan de l’exercice 2014 et à tout le moins les comptes de résultats d’entreprises pour ledit exercice.
Elle sollicite, enfin, la condamnation des appelantes, » conjointe et solidaire » à lui payer la somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère aux conclusions susvisées pour plus amples exposé des prétentions et moyens des parties.
En cours de délibéré, par message Rpva du 12 décembre 2022, le conseil des appelantes a sollicité que sa pièce n°49 soit retirée des débats en l’absence de justificatif de communication au conseil de la partie adverse.
MOTIFS
Liminaires
La pièce n°49 des appelantes est écartée des débats, en application de l’article 16 du code de procédure civile.
I. Sur la démission et la rupture des relations contractuelles
Selon l’article 1130 du code civil, l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.
Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.
La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.
Par lettre non datée, mais rédigée, ce qui n’est pas contesté le 12 février 2014, Madame [W] [E] a indiqué à Monsieur [H] [J], en sa qualité de président et directeur général d’Agipi :
» Mes conditions de travail actuelles ne me permettent plus de mener à bien mes missions dans de bonnes conditions, aussi je vous remets par la présente ma démission à effet au 01 (modifié manuscritement en 31) /03/2014 pour les fonctions que j’exerce au sein de l’Association en tant que directeur des activités non assurancielles.
Je vous informe par ailleurs que je prends mes dispositions pour démissionner de mes fonctions au sein des filiales d’Agipi : gérante de la Sarl La Carambole, gérante de la Sarl Centre de conférences Agipi et présidente de la Sas La Glacière.
Etant donné la situation, je sollicite l’autorisation de ne pas exécuter le préavis de 3 mois prévu par la convention collective « .
Par lettre du même jour, non datée, adressée à la même personne, es qualité de président d’Adis, rédigée de façon similaire, Madame [W] [E] a précisé présenter sa démission à effet au 01/02/2014 (modifié manuscritement en 31/03/2014).
Madame [E] prétend qu’elle n’avait nullement l’intention de démissionner de toutes ses activités professionnelles, et que Monsieur [H] [J], nouveau président directeur général, le 12 février 2014, lui a indiqué la volonté du conseil d’administration de mettre fin à toutes ses fonctions.
Elle soutient avoir rédigé sa démission sous l’emprise d’une forte émotion, et que craignant des difficultés pour les mandats qu’elle exerçait par ailleurs, elle a rédigé des lettres de démission identiques pour les filiales d’Agipi.
Elle précise que le président lui a remis officiellement, le 4 mars 2014, un courrier lui demandant le remboursement des sommes perçues au titre de la prime de direction 2010 ( à hauteur de la moitié), de la prime de direction 2011 et de l’indemnité de départ à la retraite versée le 30 novembre 2010.
Elle ajoute que les lettres de démission ont été, postérieurement, ré-écrites par l’employeur.
Toutefois, elle ne justifie pas d’un dol, une contrainte, telle que des pressions exercées sur elle, ou une violence, ni même une erreur qui aurait pu vicié son consentement et l’expression de sa volonté de mettre fin à ses contrats de travail.
L’existence d’une procédure d’enquête interne en cours, concernant Monsieur [D] [L] et les rémunérations, et primes, perçues par plusieurs personnes, dont elle, ne permet pas, en soi et à elle seule, d’établir que la volonté, de Madame [W] [E], compte tenu de ses fonctions, et qui connaissait les conséquences de telles lettres, aurait été équivoque.
Il importe peu que les lettres de démission aient été, postérieurement, ré-écrites par les employeurs, dans des termes indentiques, datées du 28 février 2014 et soumises à la signature de Madame [W] [E], cette dernière ayant déjà exprimé, antérieurement, sa volonté de rompre les contrats de travail.
Ces lettres de démission, du 12 février 2014, apparaissent claires et non équivoques sur la volonté de Madame [W] [E] de mettre fin au contrat, de telle sorte que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a dit et jugé que la démission (plutôt les démissions) repose (nt) sur une telle volonté et débouté Madame [W] [E] de sa demande de requalification de (s) la rupture (s), suite à démissions, en licenciement sans cause réelle et sérieuse et rejeté les demandes d’indemnité en conséquence, dirigées tant contre l’Adis que contre l’Agipi.
II. Sur la part variable de la prime d’intéressement 2012
L’Agipi conteste sa condamnation, par le Conseil de prud’hommes au paiement de la somme de 206 812 euros au titre de la prime d’intéressement 2012 aux motifs que la salariée a bénéficié de sommes, suite à des cas de fraude à l’initiative de Monsieur [D] [L], alors, président de l’Agipi, et de président-directeur général de l’Adis jusqu’en 2011 puis de président jusqu’en 2013.
Elle conteste le cumul, par Madame [E], d’un contrat salarié de responsable manager au sein de la société Adis avec, à compter du 1er avril 2004 un contrat salarié de directeur des affaires générales au sein de l’association Agipi.
Elle précise que la mise en place d’un comité d’audit et des rémunérations, le 28 septembre 2012, par le conseil d’administration de l’Agipi a fait apparaître un vaste système de détournements de fonds et de corruption au sein de l’association organisée par Monsieur [L].
S’agissant de la prime d’intéressement, l’Agipi soutient que cette dernière n’est pas contractuelle et repose sur des décisions illégales d’un comité des rémunérations occulte mis en place par Monsieur [L].
Toutefois, il résulte des écritures de l’Agipi que le versement d’une prime d’intéressement a été décidé par Monsieur [D] [L], suite à un comité des rémunérations qui aurait été mis en place par ce dernier.
Or, selon la plainte avec constitution de partie civile, notamment, de l’Agipi, Monsieur [D] [L] a présidé l’Agipi du 1er janvier 2002 au 10 juillet 2013.
Ainsi, le versement d’une prime d’intéressement après résultats de l’Agipi a été décidé par le représentant légal de l’employeur.
Il ne peut être reproché à un salarié de ne pas vérifier si le représentant légal de son employeur (association ou société) dispose du pouvoir de fixer les rémunérations et de verser une prime, dès lors que, compte tenu de sa qualité de président, Monsieur [L] disposait d’un mandat apparent.
Contrairement à ses écritures, l’Association répond, dès lors, en l’espèce, à l’égard des salariés, des actes de son représentant légal et il lui appartient, comme elle l’a d’ailleurs fait, de se retourner contre ce dernier en cas d’irrégularités au regard des statuts ou d’infractions pénales commises par ce dernier.
Dès lors qu’il est constant que Madame [W] [E] n’était pas membre du comité des rémunérations (cf plainte précitée page 4), dit occulte par l’Agipi, et qu’il n’est pas plus établi, par l’employeur, qu’il aurait existé une collusion frauduleuse entre son représentant légal, Monsieur [L], et Madame [W] [E], le principe de la prime 2012 (outre des primes des années postérieures) ne peut être remis en cause, en l’absence de stipulations, que si la prime ne revêt pas les caractères de généralité, constance, et fixité, et ne constitue pas un usage.
Or, nonobstant leur irrégularité, selon les procès-verbaux du « comité des rémunérations » des 19 octobre 2010 et 9 juin 2011, :
– la prime d’intéressement était versée à tous les membres du comité de direction,
– l’assiette de l’intéressement portait sur les résultats consolidés de l’association et de sa filiale » Agipi-Développement » obtenu par le cumul des bénéfices et des pertes, après impôts sur les sociétés et participation et/ou intéressement des salariés,
– la prime d’intéressement 2011 et 2012 de Madame [W] [E] comprenait une part en fixe de 50 000 euros et une part variable de 3 % de l’assiette,
– la prime d’intéressement a été versée à Madame [W] [E] de 2008 à 2011 inclus (cf arrêt de la Chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris du 4 juin 2020 page 14).
Il en résulte que la prime d’intéressement en cause revêtait bien les caractères de généralité, fixité et constance, et est constitutif d’un usage, pour lequel il n’est pas justifié d’une dénonciation régulière.
Madame [W] [E] reconnaît avoir reçu, pour l’année 2012, la part fixe de 50 000 euros de la prime d’intéressement précitée.
Pour justifier de la part variable sollicitée, Madame [W] [E] produit un tableau, en sa pièce n°49, dont l’origine est inconnue, de telle sorte que Madame [W] [E] ne rapporte pas la preuve de la réalité des sommes indiquées pour les personnes visées dans ce tableau.
Toutefois, Madame [W] [E] produit les bulletins de paie des mois d’avril et mai 2013 de Madame [R] [C] faisant état de la perception, au total de la somme de 103 406 euros bruts au titre de la » prime directeur « , dont il n’est pas contesté qu’elle correspond à la prime de direction, appelée également prime d’interessement.
Or, selon procès-verbal du 19 octobre 2010 de la commission des rémunérations, la prime d’intéressement ou de direction, octroyée pour l’année 2012, à Madame [C] était de 15 000 euros + 1, 5 %, qui représente la somme de :
103 406 – 15 000 = 88 406 euros.
Soit, somme due de 3 % des résultats : 176 812 euros bruts, au paiement de laquelle sera condamnée l’Agipi, de telle sorte que le jugement entrepris, sur ce point, sera infirmé.
III. Sur la prime d’intéressement (ou de direction) 2013 et 2014
A. Sur la recevabilité
Selon l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.
Selon l’article 565 du même code, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
Selon l’article 566 du code de procédure civile, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire. Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
L’Agipi soulève l’irrecevabilité des demandes, à ce titre, comme étant des demandes nouvelles non soumises aux premiers juges.
Toutefois, dès lors que Madame [W] [E] avait sollicité la part variable de la prime d’intéressement, ou de direction 2012, les demandes au titre des mêmes primes 2013 et 2014 ne sont que le complément de la demande initiale.
En conséquence, les demandes, à ces titres, sont recevables.
B. Sur le bien fondé de la prime d’intéressement ou de direction 2013 et 2014
Vu les motifs précités relatif à la même prime pour l’année 2012, et l’existence d’un usage,
au regard des comptes de résultats de l’Agipi faisant état d’un résultat net après impôts de 7 137 723 euros, sur lequel Madame [W] [E] déduit les pertes de Agipi Développement de 179 700 euros, non discutées, l’Agipi doit une somme de 50 000 + 208 740, 69 euros bruts = 258 740, 69 euros bruts, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 23 novembre 2022, date de notification des écritures.
Quant à la prime d’intéressement ou de direction 2014, Madame [W] [E] ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un usage au paiement prorata temporis, la prime n’étant pas versée en fonction de l’activité mais des résultats cumulés des 2 associations précitées après impôts.
En conséquence, la Cour déboutera Madame [W] [E] de sa demande, à ce titre.
IV. Sur les soldes de congés payés 2013 et 2014
En application des articles L 3141-3, L 3141-26 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et l’article 1315, devenu 1353, du code civil, interprétés à la lumière de l’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail :
Le salarié a droit à congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur. La durée totale du congé exigible ne peut excéder trente jours ouvrables.
Lorsque le contrat de travail est rompu avant que le salarié ait pu bénéficier de la totalité du congé auquel il avait droit, il reçoit, pour la fraction de congé dont il n’a pas bénéficié, une indemnité compensatrice de congé déterminée d’après les dispositions des articles L 3141-22 à L 3141-25.
Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.
Il résulte de ces dispositions interprétées à la lumière de l’article 7 de la directive 2003/88/CE qu’il appartient à l’employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu’il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement (Cass. Soc. 29 septembre 2021 n°19-19.223).
En l’espèce, l’Agipi ne produit aucun élément quant aux congés payés 2013 et ceux acquis en 2014, et se contente de soutenir que Madame [W] [E] n’apporte pas la preuve de ses droits acquis.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives à une indemnité compensatrice d’un solde de congés payés 2013 et à une indemnité compensatrice de congés payés 2014.
V. Sur la réserve des droits relatifs à l’accord d’intéressement et la demande de production de documents relatifs à l’intéressement global aux fruits de l’expansion de l’entreprise pour les exercices 2013 et 2014
La Cour relève que la demande de réserve des droits, formulée en première instance, a été rejetée par le Conseil de prud’hommes et que l’appel incident, formé dans le délai de l’article 909 du code de procédure civile, ne sollicite pas l’infirmation du jugement sur ce point, de telle sorte que le jugement est définitif sur ce point.
VI. Sur les demandes reconventionnelles
A. Sur la prescription
Selon l’article L 3245-1 du code du travail, en sa version applicable à compter du 17 juin 2013, l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.
Antérieurement, ledit article renvoyait à l’article 2224 du code civil.
En application de l’article 2224 précité, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Selon l’article 21 V de la loi du 14 juin 2013, les dispositions du code du travail prévues aux III et IV du présent article s’appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de la présente loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
Madame [W] [E] soulève que les demandes reconventionnelles ont été formées, pour la première fois, par écritures du 18 décembre 2015.
La demande de remboursement constitue une action en répétition d’un indû.
Ces demandes de remboursement de primes de départ à la retraite et d’indemnités d’intéressement, appelées également prime de direction, ont été formées, pour la première fois, par écritures notifiées le 8 décembre 2015.
1. S’agissant des primes de départ à la retraite Agipi et Adis, ces dernières ont été versées à Madame [W] [E] le 30 novembre 2010, selon le rapport d’audit et des rémunérations au conseil d’administration de l’Agipi du 3 février 2014, et la lettre de l’Agipi du 27 février 2014.
L’Agipi, seule demanderesse reconventionnelle, ne démontre pas de participation de Madame [W] [E] à une fraude, ou de man’uvres de cette dernière pour dissimuler la perception qui serait indue des primes de départ à la retraite.
Dès lors, le délai pour agir en répétition d’un indu était de 5 ans et a commencé à courir le 1er décembre 2010.
Compte tenu de la loi du 14 juin 2013, qui ne peut proroger l’ancien délai, le délai pour agir a expiré le 30 novembre 2015, de telle sorte que l’action en répétition d’un indû, au titre des primes de départ à la retraite est prescrite et donc irrecevable.
En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé, et l’action en répétition d’un indu, à ces titres, déclarée irrecevable.
2. S’agissant des primes d’intéressement, ou de direction, du 2ème semestre 2010 et de 2011, Madame [W] [E] fait état de paiement en 2010 et 2011.
Pour la prime de 2011, il résulte des motifs précités que l’action en répétition d’un indu n’est pas prescrite, et est donc recevable.
Pour la prime du 2ème semestre 2010, Madame [W] [E] ne précise pas la date exacte du paiement, ni même ne justifie que ce paiement aurait eu lieu avant le 8 décembre 2010, de telle sorte que l’action en répétition d’un indu, à ce titre, n’est pas prescrite, et est donc recevable.
B. Sur le remboursement des primes d’intéressement, appelées également primes de direction du 2ème semestre 2010 et de 2011
Il résulte des motifs supra que ces primes constituent un usage, créé en 2008, de telle sorte que leur versement ne constitue pas un indu.
Dès lors, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande reconventionnelle.
VII. Sur les demandes annexes
En application de l’article 696 du code de procédure civile, l’Agipi et l’Adis seront condamnées, in solidum, aux dépens d’appel.
En application de l’article 700 du même code, elles seront condamnées à payer à Madame [W] [E] la somme de 2 000 euros.
La demande, à ce titre, de l’Agipi et de l’Adis sera rejetée.
Les dispositions du jugement entrepris sur les frais irrépétibles et les dépens seront confirmées.
PAR CES MOTIFS
La Cour, Chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
ECARTE des débats la pièce n°49 de l’Association Générale Interprofessionnelle de Prévoyance et d’Investissement (AGIPI) et la Sa Adis (Association Diffusion Services) ;
DIT que le jugement du 26 mars 2021 du Conseil de prud’hommes de Schiltigheim est définitif en ses dispositions rejetant la demande de réserve des droits relatifs à l’accord d’intéressement ;
CONFIRME le jugement du 26 mars 2021 du Conseil de prud’hommes de Schiltigheim SAUF en ses dispositions relatives :
– à la condamnation de l’Association Générale Interprofessionnelle de Prévoyance et d’Investissement (AGIPI) au paiement au titre de l’intéressement,
– au rejet des demandes reconventionnelles de l’Association Générale Interprofessionnelle de Prévoyance et d’Investissement (AGIPI) de remboursement des primes de départ à la retraite et des primes d’intéressement, ou de direction, des 2ème semestre 2010 et de 2011 ;
Statuant, à nouveau, sur les chefs infirmés et y ajoutant,
CONDAMNE l’Association Générale Interprofessionnelle de Prévoyance et d’Investissement (AGIPI) à payer à Madame [W] [E] la somme de 176 812 euros bruts (cent soixante seize mille huit cent douze euros), au titre de la prime d’intéressement, ou de direction, 2012 ;
DECLARE recevables les demandes de paiement au titre des primes d’intéressement, ou de direction, de 2013 et 2014 ;
CONDAMNE l’Association Générale Interprofessionnelle de Prévoyance et d’Investissement (AGIPI) à payer à Madame [W] [E] la somme de 258 740, 69 euros bruts (deux cent cinquante huit mille sept cent quarante euros soixante neuf centimes), au titre de la prime d’intéressement, ou de direction, 2013, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 23 novembre 2022 ;
DEBOUTE Madame [W] [E] de sa demande de paiement d’une prime d’intéressement, ou de direction, 2014 ;
DECLARE irrecevable la demande reconventionnelle de l’Association Générale Interprofessionnelle de Prévoyance et d’Investissement (AGIPI) en remboursement des primes de départ à la retraite ;
DECLARE recevables les demandes reconventionnelles de l’Association Générale Interprofessionnelle de Prévoyance et d’Investissement (AGIPI) en remboursement des primes d’intéressement, ou de direction, du 2ème semestre 2010 et de 2011 ;
DEBOUTE l’Association Générale Interprofessionnelle de Prévoyance et d’Investissement (AGIPI) de sa demande reconventionnelle en remboursement des primes d’intéressement, ou de direction, du 2ème semestre 2010 et de 2011 ;
CONDAMNE l’Association Générale Interprofessionnelle de Prévoyance et d’Investissement (AGIPI) et la Sa Adis (Association Diffusion Services), in solidum, à payer à Madame [W] [E] la somme de 2 000 euros (deux mille euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE l’Association Générale Interprofessionnelle de Prévoyance et d’Investissement (AGIPI) et la Sa Adis (Association Diffusion Services) de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE l’Association Générale Interprofessionnelle de Prévoyance et d’Investissement (AGIPI) et la Sa Adis (Association Diffusion Services), in solidum, aux dépens d’appel.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 24 février 2023, signé par Madame Christine Dorsch, Président de Chambre et Madame Martine Thomas, Greffier.
Le Greffier, Le Président,