Mandat apparent : 23 septembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/11027

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Mandat apparent : 23 septembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/11027

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 6

ARRET DU 23 SEPTEMBRE 2022

(n° /2022, 14 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/11027 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CAA6T

Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Avril 2019 -Tribunal de Grande Instance de PARIS RG n° 13/181146

APPELANTE

Madame [M] [H] [E]

[Adresse 5]

[Localité 7]

Assistée et représentée par Me Victor EDOU de la SELARL EDOU – DE BUHREN – HONORE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0021

INTIMEES

SARL GENIE CLIMATIQUE ENERGIES HYDROLIQUE AERAULIQUE Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité.

[Adresse 4]

[Localité 9]

Représentée par Me Nadia BOUZIDI-FABRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0515

Assisté de Me Emmanuel BENOIT, de la SCP DERIENNIC ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P426

SCI BLANCHE

[Adresse 1]

[Localité 8]

Représentée par Me Nicolas COHEN-STEINER de la SELARL ATTIQUE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C0301

Assisté de Me Emmanuel BENOIT, de la SCP DERIENNIC ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P426

PARTIES INTERVENANTES :

Monsieur [D] [O]

[Adresse 1]

[Localité 8]

Représenté par Me Nicolas COHEN-STEINER de la SELARL ATTIQUE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C0301

Monsieur [F] [O]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représenté par Me Nicolas COHEN-STEINER de la SELARL ATTIQUE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C0301

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 07 Avril 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Valérie GUILLAUDIER, Conseillère faisant fonction de Président

Mme Valérie GEORGET, Conseillère

Mme Alexandra PELIER-TETREAU, Vice-Présidente placée faisant fonction de Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame [P] [L] dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffière lors des débats : Mme Suzanne HAKOUN

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, délibéré initialement prévu le 17 Juin 2022, puis prorogé au 01er juillet 2022, au 02 septembre 2022 et au 23 septembre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Valérie GUILLAUDIER, Conseillère faisant fonction de Président et par Suzanne HAKOUN, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La société civile immobilière Blanche (la SCI) était propriétaire jusqu’au 16 décembre 2015 d’un hôtel particulier à usage de bureaux sis, [Adresse 3].

Courant 2008, la SCI a entrepris des travaux de rénovation, notamment de chauffage, de ventilation et de climatisation (CVC).

Elle a confié une mission de maîtrise d »uvre générale de conception et d’exécution des travaux à Mme [H] [E] et une mission d’assistance à la maîtrise d’ouvrage en matière de performance énergétique à la société Sinteo.

A l’issue de la consultation des entreprises, le lot chauffage, ventilation, climatisation (CVC ) a été confié à la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique (GECEHA), selon un devis accepté du 12 mars 2009 d’un montant de 268 000 euros HT soit 320 528 euros TTC qui a donné lieu le 16 mars 2009 à un acte d’engagement et un cahier des clauses particulières.

La supervision du système de chauffage et de climatisation a été confiée par la SCI à la société Climatech service (la société Climatech).

Des difficultés dans le fonctionnement du chauffage sont apparues à compter du mois de février 2010. Les interventions des sociétés Variance clim et Climatech n’ayant pas permis d’y remédier, la SCI a refusé de réceptionner les travaux.

La société AB system est intervenue en qualité d’expert indépendant et a déposé plusieurs rapports relatifs à l’installation en 2012 et 2013.

Courant octobre 2013, la société Gescoclim, en qualité de bureau d’étude ( filiale de la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique), a préconisé des travaux que la société Variance clim a exécutés. Ceux-ci n’ayant pas réglé les difficultés rencontrées par le système de CVC, le maître de l’ouvrage a maintenu son refus de réceptionner les travaux.

Sur requête en injonction de payer du 1er août 2013 initiée par la société Climatech service, la SCI a été condamnée par ordonnance du 2 septembre 2013 à lui payer la somme de 16 238, 68 euros.

Par lettre recommandée avec accusé de réception notifiée le 24 octobre 2013, la SCI a fait opposition à cette injonction.

Par actes d’huissier de justice des 5, 6 et 14 mars 2014, la SCI a assigné en intervention forcée la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique, la société Gescoclim, la société Variance clim , la société Sinteo et Mme [H] [E] devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de les voir condamner in solidum à lui verser une somme de 150 000 euros.

Par ordonnance du 2 décembre 2014, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris a joint ces deux procédures, ordonné une expertise judiciaire qu’il a confiée à M. [I] et débouté la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique de sa demande de provision.

Par actes des 28 décembre 2015 et 8 janvier 2016, la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique et la société Variance clim ont assigné la SCI devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de la voir condamner à leur régler le solde de leurs factures outre le paiement de dommages et intérêts.

M. [I] a déposé son rapport le 28 mars 2017.

La jonction des procédures a été ordonnée.

Par jugement du 2 avril 2019, le tribunal de grande instance de Paris a statué en ces termes :

Condamne la SCI Blanche à payer à la société Climatech service la somme de quinze mille neuf-cent-soixante-quinze euros et soixante-deux centimes (15 975, 62 euros HT) au titre du solde de ses travaux ;

Dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 2013 ;

Rejette la demande tendant à voir constater la réception tacite des travaux du lot chauffage- ventilation-climatisation ;

Déboute l’ensemble des parties de leurs demandes formées à l’encontre de la société Sinteo ;

Fait droit – dans les rapports entre la SCI et Mme [H] [E] – à la fin de non-recevoir tirée du défaut de saisine préalable du conseil de l’ordre des architectes par la SCI avant l’assignation en justice du maître d »uvre ;

Dit que les sociétés Génie climatique énergies hydraulique aéraulique et Variance clim ont engagé leur responsabilité contractuelle à l’égard de la SCI au titre des désordres liés au dysfonctionnement du système de chauffage, ventilation, climatisation ;

Condamne la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique à payer à la SCI Blanche les sommes de :

– mille cinquante-huit euros et quarante centimes (1 058,40 euros TTC) au titre de la reconnexion de la passerelle,

– sept mille trente-trois euros et quatre-vingts centimes (7 033,80 euros TTC) en réparation de la fuite d’eau et la mise en place d’un vase d’expansion complémentaire ;

Déboute la SCI de sa demande de préjudice immatériel ;

Dit que la responsabilité délictuelle de Mme [H] [E] est engagée’;

Fixe le partage de responsabilité comme suit :

– la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique’: 80 %,

– Mme [H] [E] : 20 %.

Condamne Mme [H] [E] à garantir la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique de cette condamnation dans cette proportion ;

Condamne la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique à garantir Mme [H] [E] de cette condamnation dans cette proportion ;

Condamne Mme [H] [E] à payer à la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique la somme de cinquante-quatre mille sept-cent-quatre-vingt-seize euros et trente centimes (54 796, 30 euros) au titre des travaux supplémentaires réalisés;

Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision ;

Condamne la SCI à payer à la société Variance clim la somme de douze mille deux-cent-quatre-vingt-dix-huit euros et soixante-deux centimes (12 298, 62 euros TTC) au titre du solde de ses travaux ;

Dit que cette somme sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du 10 janvier 2014 ;

Condamne la SCI à payer à la société Sinteo la somme de treize mille cinq-cent-soixante-quatorze euros (13 574 euros TTC) au titre du solde de ses travaux ;

Dit que cette somme sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du 19 février 2018 ;

Rappelle que la compensation des créances réciproques des parties s’opère de plein droit jusqu’à concurrence de leurs quotités respectives ;

Condamne la SCI à payer :

-à la société Climatech service la somme de cinq mille euros (5 000 euros), compte-tenu des frais engendrés par son ingénieur technicien, au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-à la société Sinteo la somme de trois mille cinq-cents euros (3.500 euros), au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique et Mme [H] [E] aux dépens, comprenant les frais d’expertise ;

Dit que les recours concernant les condamnations prononcées au titre des dépens et de l’article 700 du code de procédure civile s’exerceront dans les conditions précitées ;

Prononce l’exécution provisoire,

Déboute les parties de leurs autres demandes, comprenant les demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration déposée le 24 mai 2019, Mme [H] [E] a interjeté appel dudit jugement intimant devant la cour la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique et la SCI.

EXPOSE DES PRETENTIONS DES PARTIES

Par conclusions signifiées par voie électronique le 11 février 2022, l’appelante demande à la cour de :

Déclarer les consorts [O] irrecevables en leur intervention volontaire’;

Débouter les consorts [O] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions’;

Confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la SCI de sa demande formulée au titre de préjudice de jouissance’;

Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

Condamné Mme [H] [E] à payer à la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique la somme de cinquante-quatre mille sept-cent-quatre-vingt-seize euros et trente centimes (54 796, 30 euros) au titre des travaux supplémentaires réalisés ;

Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision;

Débouté Mme [H] [E] de ses demandes formulées à l’encontre de la SCI,

Et statuant à nouveau sur ces seuls chefs du jugement :

A titre principal :

Débouter la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique de ses demandes formulées contre Mme [H] [E],

A titre subsidiaire :

Condamner la SCI à garantir Mme [H] [E] de toutes les condamnations mises à sa charge sur le fondement des demandes de la sociétéGénie climatique énergies hydraulique aéraulique

A titre infiniment subsidiaire :

Dire et juger que la part de responsabilité de Mme [H] [E] ne saurait excéder 20 % du préjudice subi,

Limiter les condamnations prononcées à son encontre à 20 % des sommes alléguées.

En tout état de cause :

Condamner la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique et/ou tout succombant, au paiement d’une somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Les condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Edou de Buhren, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 10 février 2020, la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique demande à la cour de’:

A titre liminaire,

Déclarer l’intervention de [D] et [F] [O] irrecevable en cause d’appel ;

Au fond,

Confirmer le jugement du tribunal de grande instance de paris du 2 avril 2019 en ce qu’il a condamné Mme [H] [E] au paiement de la somme de 54 796, 30 euros à la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique augmentée des intérêts au taux légal à compter du 7 février 2014, date de la mise en demeure du conseil de la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique, avec anatocisme conformément aux dispositions des articles 1153 et 1154 du code civil antérieurement au 1er octobre 2016,

Infirmer partiellement le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 2 avril 2019 et jugeant à nouveau sur les points ci-après:

Condamner la SCI Blanche à payer à la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique in solidum avec Mme [H] [E] ladite somme de 54.796,30 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 7 février 2014, date de la mise en demeure du conseil de la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique, avec anatocisme conformément aux dispositions des articles 1153 et 1154 du code civil antérieurement au 1er octobre 2016,

Juger que la SCI Blanche, [D] [O] et [F] [O] ne démontrent aucun préjudice réel, direct et personnel ;

Juger que les demandes d’indemnisation de [D] [O] et [F] [O] sont en tout état de cause prescrites ;

Débouter la SCI Blanche, [D] [O] et [F] [O] et Mme [H] [E] de toutes leurs demandes,

Confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande au titre des préjudices de jouissance,

Condamner in solidum la SCI Blanche et Mme [H] [E] à payer une somme de 5 138,33 euros à la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique au titre des frais de direction et de mobilisation engagés,

En tout état de cause,

Condamner in solidum la SCI Blanche et Mme [H] [E] à payer une somme de 15 000 euros à la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamner in solidum la SCI Blanche et Mme [H] [E] aux entiers frais et dépens conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

Par conclusions notifiées par voie électronique le 12 novembre 2019, la SCI Blanche, M. [D] [O] et M. [F] [O], demandent à la cour de’:

Dire et juger recevable et bien fondée l’intervention volontaire en cause d’appel de M. [D] [O] et de M. [F] [O],

Confirmer le jugement en ce qu’il a condamné Mme [H] [E] à payer à la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique la somme de cinquante-quatre mille sept-cent-quatre-vingt-seize euros et trente centimes (54 796, 30 euros) au titre des travaux supplémentaires réalisés,

Débouter Mme [H] [E] de sa demande de condamnation de la SCI Blanche à la garantir de toutes condamnations mises à sa charge sur le fondement des demandes de la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique.

Infirmer le jugement en ce qu’il a débouté la SCI Blanche de sa demande d’indemnité au titre de son préjudice immatériel,

En conséquence :

Condamner in solidum Mme [H] [E], la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique, la société Variance clim , la société Climatech service et la société Sinteo à verser à la SCI Blanche, M. [D] [O] et M. [F] [O] la somme de 660 330,00 euros au titre du préjudice de jouissance,

En tout état de cause :

Condamner in solidum Mme [H] [E], la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique, la société Variance clim , la société Climatech service et la société Sinteo à verser à la SCI Blanche la somme de 50 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Par ordonnance du 3 septembre 2020, le conseiller chargé de la mise en état s’est déclaré incompétent pour statuer sur la recevabilité de l’intervention volontaire des MM. [O].

L’ordonnance de clôture a été rendue le 10 mars 2022.

MOTIVATION

A titre liminaire, la cour observe que les demandes formées contre les sociétés Variance Clim, Climatech service et Sinteo sont irrecevables, ces parties n’ayant pas été intimées en cause d’appel.

I – Sur la demande en paiement de la société GECEHA

* Sur la demande formée contre Mme [H] [E]

Moyens des parties

Mme [H] [E] poursuit l’infirmation du jugement en ce qu’il la condamne à indemniser la société GECEHA au titre des travaux supplémentaires qui n’ont pas été autorisés par le maître de l’ouvrage.

Elle soutient que la société GECEHA a pris l’initiative de réaliser les travaux sans aucun ordre de service de la maîtrise d’oeuvre ou de la maîtrise d’ouvrage et sans devis préalable, en méconnaissance des stipulations du contrat la liant à la SCI. Elle ajoute qu’il appartenait au maître de l’ouvrage d’accepter ou pas le décompte général définitif (DGD).

Elle oppose l’absence de lien de causalité entre les faits qui lui sont reprochés et le préjudice allégué et affirme que si elle avait tenté d’empêcher la réalisation de ces travaux, rien ne démontre que la société GECEHA ne les aurait pas réalisés.

A titre subsidiaire, elle fait valoir que la société GECEHA ne peut arguer que d’une perte de chance.

La société GECEHA réplique que Mme [H] [E] a commandé des travaux, qu’elle a validé le DGD puis rectifié la facture. Elle considère qu’en agissant ainsi, sans avoir obtenu l’accord préalable du maître de l’ouvrage, l’architecte a engagé sa responsabilité délictuelle. Elle ajoute que si la théorie du mandat apparent est rejetée, l’architecte a nécessairement commis une faute en ne respectant pas son contrat avec le maître de l’ouvrage par la négociation des travaux supplémentaires et la validation du décompte général définitif en l’absence d’acceptation de ces travaux par le maître de l’ouvrage.

Réponse de la cour

Selon l’article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.

En l’espèce, la SCI a confié à la société GECEHA la conception et la réalisation d’un ensemble de chauffage-ventilation – climatisation pour un prix de 320 528 euros TTC (pièce n°10 de la société GECEHA).

La société GECEHA expose, sans être utilement contredite, que les travaux supplémentaires litigieux correspondaient à :

– l’installation de convecteurs électriques dans les communs en inox

– l’ajout d’un système de VMC dans un local non-désigné

– des modifications liées à l’acoustique des machines de production

Le caractère indispensable de ces travaux n’est pas allégué. La société GECEHA indique d’ailleurs qu’il s’agit de choix architecturaux sans lien direct avec le chauffage et la climatisation.

L’article 10-3. intitulé ‘travaux modifiés ou en plus’ du cahier des clauses particulières du marché attribué à la société GECEHA (pièce n°3 de Mme [H] [E]) stipule :

Les travaux modifiés ou supplémentaires ne seront exécutables qu’après ordre de service du maître de l’ouvrage. Ces travaux devront faire l’objet de constats et d’attachements produits et reconnus en temps utile. En outre, avant tout début d’exécution, ces travaux devront faire l’objet de propositions débattues en avenant du marché suivant un prix global forfaitaire ou à partir des prix figurant sur le détail quantitatif- estimatif fourni par l’entreprise, le bordereau de prix fourni par l’entreprise et la série des prix.

Mme [H] [E] fait valoir, à juste titre, que la société GECEHA a exécuté les travaux supplémentaires, sans solliciter, et a fortiori obtenir, un ordre de service du maître de l’ouvrage conformément aux stipulations susvisées.

Par ailleurs, la société GECEHA ne démontre pas que l’architecte intervenait en qualité de mandataire de la SCI et ne justifie d’aucune circonstance particulière l’autorisant à croire légitimement que Mme [H] [E] disposait d’un mandat pour commander, au nom du maître de l’ouvrage, ces travaux supplémentaires.

Toutefois, au regard des conditions dans lesquelles s’est déroulé le chantier et de l’attitude de l’architecte, la société GECEHA a pu considérer que les travaux supplémentaires seraient payés par le maître de l’ouvrage.

Si Mme [H] [E] soutient qu’elle n’a ni commandé ces travaux supplémentaires ni validé les devis, qui ne sont certes pas produits, force est de constater que, chargée d’une mission complète de maîtrise d’oeuvre, elle ne pouvait ignorer la réalisation des travaux supplémentaires litigieux dont elle a négocié le prix – non négligeable -avec la société GECEHA, favorisant ainsi la réalisation des prestations en cause nonobstant l’absence d’accord préalable de la SCI.

De plus, l’examen de la proposition de DGD mise à jour le 22 octobre 2011 après une réunion du 12 octobre 2011- qui a eu lieu en présence des représentants des sociétés GECEHA, Sinteo et [H]- (pièce n°29 de la société GECEHA) met en exergue que Mme [H] [E] a validé :

– à hauteur de 50 % le prix des installations acoustiques ;

– le prix de l’étude acoustique ;

– le prix des convecteurs électriques design après déduction du montant de neuf convecteurs à 500 euros soit 4 500 euros, le ‘surcoût du choix architectural restant à la charge du client’ ;

Mme [H] [E] a, en revanche, refusé le poste ‘dépose de la PAC R/O installé dans la cour, et réimplantation dans le local technique sous-sol’.

Aucune réserve n’est formulée concernant l’absence d’accord du maître de l’ouvrage concernant les travaux supplémentaires.

En outre, la facture de la société GECEHA du 30 novembre 2011 (pièce n° 28 de la société GECEHA), qui intègre le prix des travaux supplémentaires, est rectifiée par Mme [H] [E] conformément au projet de décompte général définitif et porte sa signature.

Enfin, Mme [H] [E] ne soutient pas avoir échangé avec le maître de l’ouvrage au sujet de ces travaux supplémentaires au moment de l’exécution des travaux ou avant la réunion susvisée du 12 octobre 2011.

Ainsi, a-t-elle commis une faute en omettant de signaler l’absence d’accord préalable de la SCI concernant la réalisation et le coût des travaux supplémentaires avant d’en négocier le prix avec l’entrepreneur et en organisant une réunion avec celui-ci concernant la validation du projet de décompte général définitif intégrant le coût des travaux supplémentaires.

Si Mme [H] [E] avait été plus diligente et avait appelé l’attention de ses interlocuteurs sur l’absence d’accord préalable du maître de l’ouvrage concernant les prestations litigieuses, la société GECEHA aurait été alertée sur la nécessité de recueillir l’avis du maître de l’ouvrage et aurait eu une chance d’éviter le préjudice qu’elle invoque, soit en obtenant l’accord de la SCI soit en refusant d’exécuter les travaux et d’installer le matériel en cause.

Il convient, néanmoins, de prendre également en considération l’attitude de la société GECEHA qui ne s’est pas inquiétée de l’absence d’ordre de service du maître de l’ouvrage prévu par le contrat. Le jugement qui, sans tirer les conséquences du comportement de l’entrepreneur, a mis à la charge de l’architecte le paiement de l’intégralité du prix des travaux supplémentaires sera infirmé de ce chef.

En conclusion, la cour considère que la faute de Mme [H] [E] a participé à la réalisation du dommage de la société GECEHA à hauteur de 50 % .

Mme [H] [E] sera, en conséquence, condamnée à payer la somme de 27 398, 15 euros à la société GECEHA avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

* Sur les demandes formées à l’encontre de la SCI

Moyens des parties

La société GECEHA poursuit l’infirmation du jugement qui a rejeté sa demande en paiement à l’égard de la SCI. Elle considère que celle-ci doit être condamnée in solidum avec Mme [H] [E] sur le fondement d’un mandat, au moins apparent ; l’architecte ayant commandé et négocié le prix des travaux supplémentaires au nom du maître de l’ouvrage.

Mme [H] [E], se fondant sur la responsabilité quasi délictuelle de la SCI, réclame la garantie du maître de l’ouvrage et soutient que la SCI s’est enrichie à hauteur de son propre appauvrissement en bénéficiant des prestations de la société GECEHA.

La SCI s’ oppose à ces demandes en affirmant qu’il s’agit d’un marché à forfait, que les travaux supplémentaires ont été réalisés sans son autorisation, que la jurisprudence exclut le recours à la théorie de l’appauvrissement sans cause pour obtenir paiement d’un supplément de prix prohibé dans le cadre d’une marché à forfait. Elle ajoute que les travaux se sont révélés inutiles ainsi que constaté par l’expert.

Réponse de la cour

Par des motifs pertinents, adoptés par la cour, le tribunal a exclu l’existence, d’une part, d’un mandat entre le maître de l’ouvrage et le maître d’oeuvre, d’autre part, d’un mandat apparent.

La cour ajoute que la société GECEHA n’est pas fondée à obtenir la condamnation in solidum de Mme [H] [E] et de la SCI, la responsabilité de la première étant retenue notamment en raison de l’absence d’accord de la seconde concernant la réalisation des travaux supplémentaires.

S’agissant de la demande de Mme [H] [E], qui a des relations de nature contractuelle avec le maître de l’ouvrage, l’enrichissement qu’elle invoque a pour cause la réalisation des travaux litigieux à l’insu de la SCI, étant en outre rappelé que le caractère indispensable de ces travaux n’est pas allégué.

Le jugement qui a rejeté les demandes formées contre la SCI sera confirmé.

II – Sur les demandes de MM. [D] et [F] [O] et de la SCI

2.1. Sur les demandes de MM. [D] et [F] [O]

2.1.1.Sur la recevabilité de l’intervention volontaire de MM. [D] et [F] [O]

Moyens des parties

Mme [H] [E] soutient que l’intervention volontaire de MM. [O] est irrecevable dès lors qu’ils ne peuvent se prévaloir d’aucun préjudice personnel en lien avec la défectuosité du système de chauffage.

Se fondant sur les dispositions de l’article 554 du code de procédure civile, la société GECEHA soulève également l’irrecevabilité de l’intervention de MM. [O]

Elle ajoute que ceux-ci ne justifient d’aucun intérêt à agir.

MM. [O] opposent qu’ils remplissent toutes les conditions exigées pour intervenir volontairement en cause d’appel. Ils expliquent qu’ils dirigent plusieurs sociétés qui occupent les locaux et qu’ils sollicitent la réparation du dommage dont ils ont personnellement souffert.

Réponse de la cour

Selon l’article 554 du code de procédure civile, peuvent intervenir en cause d’appel dès lors qu’elles y ont intérêt les personnes qui n’ont été ni parties, ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité.

Aux termes de l’article 329 du même code, l’intervention est principale lorsqu’elle élève une prétention au profit de celui qui la forme. Elle n’est recevable que si son auteur a le droit d’agir relativement à cette prétention.

L’intérêt à agir n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action.

En l’espèce, MM. [O] ont la qualité de tiers. Ils n’ont été ni parties ni représentés en première instance, seule la SCI dont ils sont les associés avait la qualité de partie devant les premiers juges.

Ils arguent d’un droit propre et d’un intérêt à agir en lien avec les demandes initiales du procès.

En effet, ils soutiennent avoir occupé les locaux lorsque la SCI en était propriétaire et avoir subi un préjudice de jouissance en lien avec la défectuosité du système de chauffage – climatisation.

En conséquence, leur intervention volontaire en cause d’appel est recevable.

2.1.2. Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes de MM. [O]

Moyens des parties

La société GECEHA soulève la prescription des demandes formées par les consorts [O] et soutient que ceux-ci ont conclu pour la première fois le 12 novembre 2019 alors que le préjudice invoqué se rapporte aux années 2010 à 2015.

Mme [H] [E] ajoute que le dommage prétendument subi par les consorts [O] date du mois de février 2010.

MM. [O] ne concluent pas sur cette fin de non-recevoir.

Réponse de la cour

Aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

MM. [O] se plaignant d’un préjudice de jouissance en lien avec la défectuosité du chauffage, le point de départ du délai de prescription est le moment où ils ont souffert de cette situation.

Etant intervenu en cause d’appel par conclusions notifiées le 12 septembre 2019, ils sont recevables à formuler des demandes entre le 12 novembre 2014 et le mois de décembre 2015 (date de cession de l’immeuble).

Les demandes portant sur la période antérieure au 12 novembre 2014 sont irrecevables car prescrites.

2.1.3. Sur le bien-fondé des demandes

MM. [O] soutiennent qu’en leurs qualités de gérants et d’associés de la SCI et des sociétés qui ont occupé les locaux, ils ont souffert de l’absence de chauffage pendant l’hiver ou de climatisation pendant la période estivale.

Cependant ils ne justifient nullement avoir occupé personnellement les lieux entre le 12 novembre 2014 et le 12 novembre 2015, les courriels adressés par une employée (pièces13 à 18) n’établissant pas une telle preuve.

Leur demande sera rejetée.

2. 2. Sur les demandes de la SCI

Moyens des parties

La SCI Blanche affirme avoir occupé les lieux avec d’autres sociétés (Charbon et Fuels, [D] [O] Consultant, compagnie financière de charbon et fuels). Elle fait valoir que le tribunal a considéré à tort que la SCI, en qualité de personne morale, ne pouvait solliciter un préjudice de jouissance. Elle sollicite la somme de 660 330 euros en réparation du trouble subi entre le mois de février 2010 et le 16 décembre 2015, précisant que la perte de jouissance correspond à 50 % de la valeur locative estimée à 28 710 euros.

Mme [H] [E] et la société GECEHA opposent que la SCI n’occupe pas les lieux, que celle-ci n’a pas allégué, au cours des opérations d’expertise, avoir subi un tel préjudice et que l’immeuble a pu être cédé en l’état.

Réponse de la cour

La cour rappelle que, par un chef devenu irrevocable, le jugement a fait droit dans les rapports entre la SCI et Mme [H] [E] à la fin de non-recevoir tirée du défaut de saisine préalable du conseil de l’ordre des architectes par la SCI avant l’assignation en justice du maître d’oeuvre.

La SCI revendique l’indemnisation de son préjudice à hauteur de la moitié de la valeur locative des locaux pendant une durée de quarante mois.

Toutefois, cette société n’occupait pas l’intégralité des lieux qui étaient loués à d’autres sociétés.

En outre, elle ne justifie pas d’un préjudice direct en lien avec l’interruption occasionnelle du chauffage ou de la climatisation qui l’aurait contrainte à exposer des frais pour pallier l’inconfort des occupants de l’immeuble, renoncer à une partie du loyer ou réorganiser les conditions de travail des occupants.

Le préjudice invoqué n’est pas établi.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

III- Sur dépens et les frais

Le sens de l’arrêt conduit à confirmer les chefs du jugement relatifs aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile.

La société GECEHA, qui succombe pour partie dans ses prétentions, sera déboutée de sa demande au titre des frais de direction et de mobilisation.

En cause d’appel, chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.

Les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare irrecevables les demandes formées à l’encontre des sociétés Variance clim, Climatech service et Sinteo qui ne sont pas intimées en cause d’appel ;

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu’il :

Condamne Mme [H] [E] à payer à la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique la somme de 54 796, 30 euros ;

Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du jugement ;

Statuant à nouveau de ces chefs :

Condamne Mme [H] [E] à payer à la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique la somme de 27 398, 15 euros au titre des travaux supplémentaires réalisés ;

Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du prononcé de l’arrêt ;

Y ajoutant :

Déclare recevable l’intervention volontaire de MM. [D] et [F] [O] ;

Dit que les demandes de MM. [D] et [F] [O] portant sur la période antérieure au 12 novembre 2014 sont irrecevables car prescrites ;

Rejette la demande de MM. [D] et [F] [O] relative au préjudice de jouissance concernant la période postérieure au 12 novembre 2014 ;

Rejette la demande de la société Génie climatique énergies hydraulique aéraulique au titre des frais de direction et de mobilisation ;

Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens ;

Rejette les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.

La greffière, La Conseillère faisant fonction de Président,

 


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