N° RG 21/04387 – N° Portalis DBVM-V-B7F-LCQT
C3
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Johanna ABAD
la SCP CABINET FORSTER
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 23 MAI 2023
Appel d’une décision (N° RG 1120000245)
rendue par le Tribunal de proximité de Montelimar
en date du 28 juin 2021
suivant déclaration d’appel du 14 octobre 2021
APPELANTE :
S.A.S. ORIGINAL TECH FRANCE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Johanna ABAD, avocat au barreau de GRENOBLE et par Me Sébastien VILLEMAGNE, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIME :
M. [B] [G]
né le 24 août 1995 à [Localité 4]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 5]
représenté par Me Pierre-Yves FORSTER de la SCP CABINET FORSTER, avocat au barreau de VALENCE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Catherine Clerc, président de chambre,
Mme Joëlle Blatry, conseiller,
Mme Véronique Lamoine, conseiller
DÉBATS :
A l’audience publique du 21 mars 2023, Mme Clerc président de chambre chargé du rapport, assistée de Mme Anne Burel, greffier, a entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.
Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré et l’arrêt a été rendu ce jour.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Au début de l’année 2018, M. [R] [P] a confié à M. [B] [G], le fils d’une amie, le soin de proposer à la vente un véhicule de marque BMV série 1 appartenant à la société ORIGINAL TECH FRANCE spécialisée dans l’installation et la gestion de panneaux d’information lumineux extérieurs.
Le 16 mai 2018, par l’intermédiaire de M. [G], un certificat de vente était établi entre la société ORIGINAL TECH FRANCE et M. [C], tandis que le 27 juin 2018 une facture de cession a été émise mentionnant que le prix convenu de 13.700 euros a été payé au moyen d’un chèque d’un montant de 8.500 euros à l’ordre de la société venderesse et d’un chèque de 5.200 euros à l’ordre du négociateur.
M. [P] a été nommé aux fonctions de président de la SAS ORIGINAL TECH FRANCE à compter du 1er juillet 2018 en remplacement de M. [Y] [D].
La société ORIGINAL TECH FRANCE a contesté la rétention par M. [G] d’une partie du prix de vente et a mis celui-ci en demeure les 26 septembre 2018 et 6 avril 2020 de lui restituer la somme de 5.200 euros.
Par acte d’huissier du 18 juin 2020, la société ORIGINAL TECH FRANCE a fait assigner M. [B] [G] devant le tribunal de proximité de Montélimar en paiement de la somme de 5.200 euros sur le fondement de l’enrichissement sans cause.
Le défendeur s’est opposé à cette demande en faisant valoir que M. [R] [P] avait souhaité le gratifier en lui attribuant la part du prix de vente excédant la somme de 8.500 euros correspondant au prix de reprise offert par le concessionnaire BMV.
Par jugement en date du 28 juin 2021, le tribunal de proximité de Montélimar a déclaré la société ORIGINAL TECH FRANCE irrecevable en sa demande sur le fondement des articles 1303 et suivants du code civil, a débouté M. [G] de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour abus de procédure et a condamné la société ORIGINAL TECH FRANCE à payer à ce dernier une indemnité de 1.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal a considéré en substance que la preuve de la convention de rémunération résultait suffisamment de cinq attestations concordantes émanant de témoins présents lors des échanges verbaux entre M. [P] et M. [G], ainsi que de la facture de vente du 27 juin 2018 établie par la société ORIGINAL TECH FRANCE elle-même faisant état de la ventilation du paiement entre la venderesse et l’intermédiaire, de sorte que l’appauvrissement et l’enrichissement corrélatif trouvaient leur cause dans l’exécution d’une convention conclue entre les parties.
La SAS ORIGINAL TECH FRANCE a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 14 octobre 2021 aux termes de laquelle elle critique le jugement en ce qu’il a déclaré son action irrecevable et en ce qu’il l’a condamnée au paiement d’une indemnité de procédure de 1.000 euros, outre les dépens.
Vu les conclusions n°2 déposées et notifiées le 22 février 2022 par la SAS ORIGINAL TECH FRANCE qui demande à la cour, par voie d’infirmation du jugement, de condamner M. [G] à lui restituer la somme de 5.200 euros avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation, sur les fondements principal de l’enrichissement sans cause et subsidiaire du défaut de pouvoir de M. [P] de l’engager, et à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir :
que le tribunal a déclaré à tort sa demande irrecevable après s’être livré à une appréciation du fond du droit relativement à l’enrichissement sans cause,
que faute de convention conclue entre elle-même et M. [G] la rétention de la somme de 5.200 euros procède d’un enrichissement sans cause, en l’absence de toute intention libérale dont la preuve n’est pas rapportée par les attestations de complaisance délivrées par la mère de M. [G] et ses amis,
que la facture établie et adressée à l’acheteur après la vente, loin d’apporter la preuve de l’accord litigieux, était au contraire destinée à la conservation de la preuve de la remise d’une partie du prix à M. [G], ce qui résulte du fait que l’acquéreur a contresigné ce document,
qu’en toute hypothèse M. [G] n’ignorait pas qu’à l’époque de la transaction M. [P] était sans pouvoir pour la représenter, puisque la nomination de celui-ci en qualité de président a pris effet le 1er juillet 2018, ce qui implique que tout accord de rémunération éventuel ne pourrait l’engager,
que ni son action ni son appel ne sont abusifs en l’absence de toute intention de nuire, légèreté blâmable ou erreur équivalente au dol.
Vu les conclusions déposées et notifiées le 24 décembre 2021 par M. [B] [G] qui sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a débouté la société ORIGINAL TECH FRANCE de l’ensemble de ses prétentions, qui par voie d’appel incident demande la condamnation de la société ORIGINAL TECH FRANCE à lui payer la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et qui en tout état de cause prétend obtenir une nouvelle indemnité de procédure de 2.000 euros.
Il fait valoir :
que la société ORIGINAL TECH FRANCE ne fait pas la preuve de l’enrichissement injustifié qu’elle invoque alors que l’intention libérale de M. [R] [P], pris en sa qualité de PDG de la société, est parfaitement caractérisée,
qu’il n’a jamais réceptionné la lettre recommandée du 26 septembre 2018, laquelle a manifestement été établie a posteriori pour les besoins de la cause, de sorte que M. [P] a attendu plus de deux années avant de solliciter la restitution de la somme de 5.200 euros, ce qui s’explique par les relations très conflictuelles que ce dernier entretient désormais avec sa mère,
que la preuve de la décision de M. [P] de le gratifier d’une partie du prix de vente du véhicule résulte d’une part des cinq témoignages émanant de personnes présentes aux différents dîners au cours desquels cet accord a été conclu, étant observé qu’il n’aurait pas accepté de vendre le véhicule de la société ORIGINAL TECH FRANCE sans une quelconque contrepartie, et d’autre part de la facture acquittée établie par cette dernière le 27 juin 2018 rappelant expressément que le prix de vente lui a été payé directement par chèque à son ordre à concurrence de la somme de 5.200 euros et démontrant ainsi indubitablement que l’appauvrissement allégué trouve sa cause dans l’exécution d’une convention conclue entre les parties,
que ne pouvant invoquer sa propre turpitude M. [P] ne peut se prévaloir du fait qu’il n’avait pas le pouvoir d’engager la société ORIGINAL TECH FRANCE,
que compte tenu du caractère totalement infondé de la demande et de la mauvaise foi de la société ORIGINAL TECH FRANCE, qui par son dirigeant est animée par un sentiment de vengeance à l’égard de sa mère, l’action est abusive.
L’instruction a été clôturée par une ordonnance rendue le 21 février 2023.
MOTIFS
M. [G] ne peut soutenir à la fois, sans contradiction flagrante, que son enrichissement est justifié comme procédant d’une convention orale de rémunération pour sa prestation de négociation, dont il prétend apporter la preuve par témoignages, mais aussi d’une intention libérale.
La société ORIGINAL TECH FRANCE ne se prévaut pas des dispositions de l’article 1359 du code civil soumettant à l’exigence d’un écrit la preuve d’un acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant 1.500 euros, mais conteste la valeur probante des attestations censées, selon M. [G], apporter la preuve du mandat qui lui aurait été consenti à titre onéreux.
Outre que le témoignage écrit de la mère de l’intimé, Mme [W] [G], ne saurait sérieusement être retenu en l’état du contentieux judiciaire l’opposant au dirigeant de la société ORIGINAL TECH FRANCE, ainsi que cela ressort d’un procès-verbal de constat du 10 septembre 2018 et d’une assignation en référé du 19 septembre 2018, les quatre attestations imprécises versées au dossier n’apportent pas une preuve suffisante de la convention alléguée alors :
que trois d’entre elles ne répondent pas aux exigences formelles de l’article 202 du code de procédure civile comme étant dactylographiées,
que M. et Mme [H] indiquent sans mentionner de circonstances précises de dates et de lieux que M. [P] aurait déclaré «’à plusieurs reprises’» qu’il était prêt à abandonner à M. [G] la part du prix de vente du véhicule supérieure à l’offre du garagiste,
que si Mme [I] [U] fait état d’un dîner à son domicile en avril 2018 au cours duquel M. [P] a accepté de confier la vente du véhicule à M. [G], elle ne mentionne pas la date ni le lieu de la rencontre ultérieure, à laquelle elle aurait assisté, au cours de laquelle il aurait été convenu que ce dernier conserve la différence entre le prix de vente et la valeur de reprise du garagiste,
qu’aux termes de son attestation manuscrite M. [T] [F] déclare que c’est au cours d’un repas entre amis au restaurant à [Localité 5], mais sans indication de date,que M. [P] aurait offert à M. [G] de conserver toute somme supérieure au prix proposé par le garage.
En toute hypothèse il est constant que le prétendu engagement d’abandon à M. [G] de la partie du prix de vente du véhicule excédant le montant de l’offre de reprise du concessionnaire, à le supposer établi, émane de M. [P] personnellement qui était dépourvu à l’époque de tout pouvoir pour représenter et engager la société ORIGINAL TECH FRANCE, dont il n’était, en effet, qu’un associé minoritaire et dont il n’est devenu le représentant légal que postérieurement à la réalisation de la vente et à l’émission de la facture de cession.
L’existence d’un mandat apparent n’étant pas invoquée par M. [G], qui ne prétend pas avoir pu légitimement croire compte tenu des circonstances que M. [P] était habilité à représenter et à engager la société ORIGINAL TECH FRANCE, cette dernière est fondée à soutenir que tout accord éventuel de rémunération ne lui serait pas opposable.
La société ORIGINAL TECH FRANCE explique enfin de façon convaincante que si elle a mentionné dans sa facture du 27 juin 2018 le double paiement par chèques effectué par l’acquéreur, c’est pour conserver une preuve du prix global de cession et du versement de la somme de 5.200 euros au profit direct de M. [G], et non pas pour exprimer son accord sur la rétention pratiquée par ce dernier. Elle a obtenu, en effet, de l’acquéreur qu’il contresigne cette facture, contrairement à l’usage, ce qui atteste de sa démarche probatoire.
L’appauvrissement de la société ORIGINAL TECH FRANCE, qui n’a pas encaissé une partie importante du prix de vente, excédant manifestement une simple commission de négociation, ne résulte donc ni d’une obligation qu’elle aurait elle-même contractée au profit de l’enrichi, ni de son intention libérale, laquelle serait celle d’une personne physique n’ayant pas le pouvoir de l’engager, étant observé qu’une société par actions ne peut gratifier un tiers sans contrepartie, sauf à abuser des biens sociaux.
Par voie d’infirmation du jugement, M. [G], qui s’est enrichi sans cause au détriment de la société ORIGINAL TECH FRANCE, sera par conséquence condamné au paiement de la somme réclamée de 5.200 avec intérêts au taux légal à compter de l’engagement de l’action par assignation signifiée le 18 juin 2020.
L’équité ne commande pas de faire application en cause d’appel de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’appelante.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu’il a débouté M. [B] [G] de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive, et statuant à nouveau :
condamne M. [B] [G] à payer à la SAS ORIGINAL TECH FRANCE la somme de 5.200 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 juin 2020,
dit n’y avoir lieu en cause d’appel à application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’une ou l’autre des parties,
Condamne [B] [G] aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT