C8
N° RG 21/02991
N° Portalis DBVM-V-B7F-K6OC
N° Minute :
Notifié le :
Copie exécutoire délivrée le :
la SELARL [9]
la SELARL [7]
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE SOCIALE – PROTECTION SOCIALE
ARRÊT DU MARDI 21 MARS 2023
Appel d’une décision (N° RG 18/00230)
rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de Vienne
en date du 22 juin 2021
suivant déclaration d’appel du 06 juillet 2021
APPELANTE :
La SARL [14], prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Me Olivier CHENEDE de la SELARL CAPSTAN OUEST, avocat au barreau de NANTES substituée par Me Benoit CHARIOU, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉE :
L’URSSAF Rhône-Alpes, prise en la personne de son directeur en exercice, domicilié en cette qualité
[Adresse 5]
[Localité 6]
représentée par Me Pierre-Luc NISOL de la SELARL ACO, avocat au barreau de VIENNE substituée par Me Emmanuelle CLEMENT, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
M. Jean-Pierre DELAVENAY, président,
Mme Isabelle DEFARGE, conseillère,
M. Pascal VERGUCHT, conseiller,
Assistés lors des débats de Mme Chrystel ROHRER, greffier, et de Mme Fatma DEVECI, greffier stagiaire en pré-affectation
DÉBATS :
A l’audience publique du 10 janvier 2023,
Mme Isabelle DEFARGE, conseillère chargée du rapport, M. Jean-Pierre DELAVENAY, président, et M. Pascal VERGUCHT, conseiller, ont entendu les représentants des parties en leurs conclusions et plaidoiries.
Et l’affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l’arrêt a été rendu.
Faisant suite à un avis daté du 10 juin 2016, les inspecteurs de l’URSSAF Bretagne, agissant en vertu d’une ‘convention générale de réciprocité portant délégation de compétence en matière de contrôle à tous les autres organismes de recouvrement’ se sont présentés le 12 juillet 2016 dans les locaux du siège de la SARL [14], [Adresse 3] à [Localité 1].
Le 30 septembre 2016, la même URSSAF Bretagne a adressé à cette société pour ses 6 comptes – [Adresse 16], [Localité 12] (comptes 827000002180105- 252 et 302) – [Adresse 4], [Localité 8] (comptes 82700000212206 6880 et 6898 – Personnel intérimaire) – [Adresse 18], [Localité 2] (comptes 82700000218242-5484 et 5492) – une lettre d’observations des chefs suivants :
1. Annualisation de la réduction générale : monétisation du CET : 916 €
2. Réduction générale des cotisations : heures de pause 2015 : 4 142 €
3. Réduction générale des cotisations 2013 et 2014 : effectifs : 50 913 €
4. Réduction générale des cotisations 2013 et 2014 : rémunération brute : heures de pause, habillage, déshabillage, douche : 4 898 €
portant redressement pour un montant total de : 60 869 €
Le 18 juin 2018, la SARL [14] a demandé au tribunal des affaires de sécurité sociale de Vienne d’annuler le redressement notifié le 04 octobre 2016, suite à ce contrôle, au terme duquel, l’URSSAF Rhône-Alpes a émis à son encontre le 14 décembre 2016 une mise en demeure d’avoir à payer la somme de 70 349€ au titre des cotisations et majorations dues pour les années 2013, 2014 et 2105 confirmée par décision de la commission de recours amiable de cette caisse le 17 mai 2018.
Par jugement du 22 juin 2021 le pôle social du tribunal judiciaire de Vienne :
– a débouté la SARL [14] de toutes ses prétentions,
– a validé la mise en demeure du 14 décembre 2016,
– a condamné la SARL [14] à régler à l’URSSAF Rhône-Alpes la somme de 70 349€ au titre des cotisations et majorations de retard restant dues sans préjudice des majorations de retard complémentaires,
– a dit que les frais irrépétibles de l’URSSAF seront pris en charge par cette société dans la limite de 750€.
La SARL [14] a interjeté appel de ce jugement le 06 juillet 2021 et au terme de ses conclusions n°3, déposées le 30 décembre 2022, reprises oralement à l’audience, elle demande à la cour:
– de réformer le jugement en toutes ses dispositions,
– de juger que la lettre d’observations du 30 septembre 2016 est irrégulière,
– d’annuler en conséquence le redressement opéré,
– de condamner l’URSSAF de Bretagne à lui verser la somme de 3 000€ sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
Au terme de ses conclusions, déposées le 23 décembre 2022, reprises oralement à l’audience, l’URSSAF Rhône-Alpes demande à la cour :
– de débouter la SARL [14] de toutes ses demandes,
– de confirmer le jugement entrepris,
– de condamner la SARL [14] à lui verser la somme de 3 000€ sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément référé aux dernières écritures des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
SUR CE :
Sur la forme du contrôle
La SARL [14] soutient qu’elle ne constitue pas l’un des établissements d’une société holding [13] mais bien une entreprise à part entière composée de trois établissements situés à [Localité 2], [Localité 8] et [Localité 12] et d’un siège social à [Localité 1] (35) ; que l’avis de contrôle de l’URSSAF Bretagne du 10 juin 2016 annonçait la visite du seul [V] [N], inspecteur du recouvrement, afin de procéder au contrôle de l’application de la législation de sécurité sociale concernant uniquement la réduction patronale des cotisations visée à l’article L.241-13 du code de la sécurité sociale à compter du 1er janvier 2013 ; que le jour annoncé ce sont 4 inspecteurs qui se sont présentés et ont mené le contrôle conjointement ; que la lettre d’observations subséquente n’est cependant signée que du seul [V] [N].
1. La SARLU [14] soutient d’abord que le contrôle est irrégulier en ce que les renseignements ont été collectés auprès de personnes non rémunérées par elle en violation de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale dès lors que Mme [K] et MM. [L] et [M] ne sont pas ses salariés mais ceux d’une société [10].
L’URSSAF excipe du mandat apparent dont ses interlocuteurs auraient bénéficié en se présentant eux-même à l’inspecteur en cette qualité pour les besoins du contrôle ; elle note que la SARL [14] ne justifie pas de l’identité de l’employeur juridique de ces personnes autrement que par une attestation et soutient qu’elles étaient mises à sa disposition dans le cadre d’une convention de prestation de services pour ses fonctions administratives ; qu’enfin, le redressement n’est pas uniquement fondé sur des éléments remis par ces personnes.
En l’occurrence, la SARLU [13] produit elle-même (pièce 4-1) la copie de courriels adressés par l’inspecteur du recouvrement, M. [N], à l’attention de M. [L], à l’adresse électronique [Courriel 17], de [Courriel 11] pouvant être Mme [K], éléments suffisants à prouver que l’inspecteur pouvait présumer la qualité de salariés l’entreprise contrôlée de ces personnes.
Elle produit également (pièce 3) l’attestation de M. [H] [R] se présentant comme salarié d’une entreprise [10], se domiciliant [Adresse 3] [Localité 1], soit au siège de la SARLU [14] aux termes de laquelle ‘le 12 juillet 2016 quatre contrôleurs URSSAF se sont présentés à l’entreprise (…)’
D’où il résulte suffisamment que les interlocuteurs de l’URSSAF, s’agissant du contrôle sur place de la SARLU [13], étaient sinon ses salariés du moins ses préposés et qu’aucune irrégularité n’est encourue de ce chef.
2. L’appelante soutient ensuite que la lettre d’observations est irrégulière comme n’ayant pas été signée par l’ensemble des inspecteurs ayant procédé, en violation des dispositions de l’article R.243-59 al 5 du code de la sécurité sociale, au contrôle dont elle a fait l’objet qu’elle qualifie de conjoint et concerté et non pas seulement de simultané.
L’URSSAF réplique que seul M. [N], signataire de l’avis de contrôle, était en charge de celui-ci et ceci pour tous les établissements de la SARL [14], qui ne démontrerait pas que le contrôle a été mené conjointement du seul fait que ces inspecteurs ont été installés par celle-ci dans le même local à [Localité 1] alors que plusieurs sociétés du groupe [13] y avaient leur siège social. Elle soutient de son côté qu’il s’est agi de contrôles simultanés et non d’un contrôle conjoint.
Elle explique l’emploi du terme ‘contrôle partiel concerté’ par la notion de plan d’action national concerté mené par l’ACOSS ( L. 225-1-1 3° du code de la sécurité sociale ) et excipe d’un arrêt de la cour d’appel d’Amiens du 8 12 2020 (pièce 5).
En l’espèce, l’avis de contrôle du 10 juin 2016 dont la SARL [14] a été rendue destinataire de la part de l’URSSAF Bretagne (service Inspection) et plus précisément de la part de M. [V] [N], inspecteur du recouvrement, avait pour objet ‘l’application de la législation de sécurité sociale concernant uniquement la réduction patronale de cotisations visée à l’article L.243-13 du Code de la Sécurité sociale’ et est ainsi rédigé : ‘J’ai l’honneur de vous informer que je me présenterai à l’adresse mentionnée ci dessus le mardi 12 juillet 2016 vers 9h30 (….) dans les conditions prévues aux articles L. 243-7 à 13, L114-14 à 16, R 243-59, 59-1 et 2 du Code de la Sécurité sociale.’
En cours de contrôle, le 23 septembre 2016, la SARL [13] a ‘accepté pour chacune des sociétés contrôlées parmi lesquelles [14] que l’ensemble des redressements soit porté sur la lettre d’observations au compte principal de chaque URSSAF’, ‘pour permettre une meilleure lisibilité de la lettre d’observations’.
La lettre d’observations, adressée le 30 septembre 2016, par M. [V] [N] au nom de l’URSSAF Bretagne, ne concerne que les 6 comptes employeur de la SARLU [14] et les seules attestations de M. [H] [R], se présentant comme salarié de l’entreprise [10] et de Mme [P] [Y] se présentant comme salariée de la société [15] aux termes desquelles ‘le 12 juillet 2016 quatre contrôleurs URSSAF se sont présentés à l’entreprise. Ils ont pris place ensemble dans la salle au niveau de l’open space, tout en passant dans l’enceinte du bâtiment’ et ‘le 12 juillet 2016, 4 contrôleurs étaient présents dans notre salle du réunion du plateau comptabilité. Après avoir traversé notre étage ils se sont installée tous les 4 dans la même salle pour travailler’ ne démontrent pas le caractère ‘conjoint’ du contrôle allégué par la société.
Aucune irrégularité n’est donc encourue de ce chef.
3. La SARL [14] soutient que le procès-verbal de contrôle – dont elle a demandé, dans le corps de ses conclusions, la production sous injonction sans avoir repris cette demande à leur dispositif ni oralement à l’audience – n’a pas été produit en violation des dispositions de l’article R 243-59 al 8 du code de la sécurité sociale et de la circulaire DSS/SDFGSS/5 B n° 99-726 du 30 décembre 1999 de sorte que les constatations des enquêteurs ne peuvent pas faire foi jusqu’à preuve contraire.
Mais la lettre d’observations qui constitue un élément constitutif du procès-verbal des inspecteurs du recouvrement, qui n’a pas à être communiqué au cotisant dans le cadre de la procédure de contrôle , a la même valeur probante que celui-ci et les mentions qui y figurent font foi jusqu’à preuve contraire en ce qui concerne les constatations effectuées par ses auteurs.
Ce moyen sera donc écarté.
4. La SARL [14] soutient ensuite que la motivation de la lettre d’observations est insuffisante en violation de l’article R.243-59 du code de la sécurité sociale comme ne comportant pas le mode de calcul des redressements envisagés en l’absence de communication des annexes.
Selon ces dispositions dans leur version en vigueur du 11 juillet 2016 au 24 novembre 2016 ici applicable
I.-Tout contrôle effectué en application de l’article L. 243-7 est précédé, au moins quinze jours avant la date de la première visite de l’agent chargé du contrôle, de l’envoi par l’organisme effectuant le contrôle des cotisations et contributions de sécurité sociale d’un avis de contrôle.
Toutefois, l’organisme n’est pas tenu à cet envoi dans le cas où le contrôle est effectué pour rechercher des infractions aux interdictions mentionnées à l’article L. 8221-1 du code du travail. Dans ce dernier cas, si cette recherche n’a pas permis de constater de telles infractions et que l’organisme effectuant le contrôle entend poursuivre le contrôle sur d’autres points de la réglementation, un avis de contrôle est envoyé selon les modalités définies au premier alinéa.
Lorsque la personne contrôlée est une personne morale, l’avis de contrôle est adressé à l’attention de son représentant légal et envoyé à l’adresse du siège social de l’entreprise ou le cas échéant à celle de son établissement principal, telles que ces informations ont été préalablement déclarées. Lorsque la personne contrôlée est une personne physique, il est adressé à son domicile ou à défaut à son adresse professionnelle, telles que ces informations ont été préalablement déclarées.
Sauf précision contraire, cet avis vaut pour l’ensemble des établissements de la personne contrôlée.
(…)
III.-A l’issue du contrôle, les agents chargés du contrôle communiquent au représentant légal de la personne morale contrôlée ou au travailleur indépendant contrôlé une lettre d’observations datée et signée par eux mentionnant l’objet du contrôle, les documents consultés, la période vérifiée et la date de la fin du contrôle. Ce document mentionne, s’il y a lieu, les observations faites au cours du contrôle. Ces dernières sont motivées par chef de redressement. A ce titre, elles comprennent les considérations de droit et de fait qui constituent leur fondement et, le cas échéant, l’indication du montant des assiettes correspondant, ainsi que pour les cotisations et contributions sociales l’indication du mode de calcul et du montant des redressements et des éventuelles majorations et pénalités définies aux articles L. 243-7-2, L. 243-7-6 et L. 243-7-7 qui sont envisagés.
(…)
V.-Les documents mentionnés au présent article sont adressés à la personne contrôlée selon les modalités définies au troisième alinéa du I.
L’URSSAF soutient avoir remis ces fichiers dématérialisés à MM. [M] et [L] et les avoir ensuite adressés par courriel ; que les procès-verbaux de ses agents font foi jusqu’à preuve du contraire, que la lettre d’obsevations énonce que ‘le détail de la régularisation a été fourni à l’entreprise en fichier dématérialisé lors de l’entretien de clôture’ et que la SARL [13] n’a fait aucune observation à cet égard.
En l’espèce, en effet, la lettre d’observations – qui ne se confond pas avec le procès-verbal de contrôle – du 30 septembre 2016 précise en p3/11 :
‘Liste des documents consultés pour l’ensemble des comptes : Livre et fiches de paie, DADS et tableaux récapitulatifs annuels, Convention collective applicable, Tableau du calcul des effectifs déterminé par l’entreprise, Extrait Kbis, Note d’information relative au CET, Etats justificatifs des allégements de la réduction générale des cotisations’ et en p5/11 à la fin de chacun des paragraphes constituant des chefs de redressement avant notification des régularisations à ces titres la même phrase ‘le détail de la régularisation a été fourni à l’entreprise en fichier dématérialisé lors de l’entretien de clôture’.
Toutefois, l’URSSAF, ne justifie pas de cet envoi, alors que dans sa lettre d’observations sur papier à en-tête de [15] la SARL [14] alléguait n’avoir pas reçu d’annexe avec la lettre d’observations, précisant p.4/8 qu’ ‘aucune annexe ne (lui) a été remise officiellement et de manière opposable pour (lui) permettre de calculer son redressement’.
Si l’article R. 243-49, alinéa 5, du code de la sécurité sociale n’exige pas la communication intégrale à l’employeur du rapport complet de l’inspecteur du recouvrement et de toutes ses annexes, mais oblige seulement cet agent à communiquer ses observations à l’employeur pour provoquer éventuellement dans les trente jours ses explications sur les irrégularités relevées, afin qu’il puisse en être tenu compte lors de l’établissement, à l’issue de ce délai, du rapport transmis à l’organisme de recouvrement, il apparaît en l’espèce que les erreurs reprochées à la société, le montant des sommes réintégrées ainsi que les taux appliqués et les cotisations redressées ne sont pas précisés dans le corps de cette lettre, mais dans ces annexes qui ne figurent pas au rang des pièces communiquées, de sorte que l’URSSAF ne démontre pas que la société a pu connaitre les bases et le mode de calcul des redressements opérés ; en l’espèce, la lettre d’observations n’a pas permis, indépendamment des fichiers dématérialisés allégués qui ne figuraient pas en annexe, à la société de connaître et de discuter le mode de calcul et le montant des redressements opérés.
La preuve que le principe de contradiction a été respecté n’étant pas rapportée, la lettre d’observations est irrégulière et doit être annulée comme la mise en demeure dont elle constitue le fondement irrégulier.
Le jugement sera en conséquence infirmé.
L’URSSAF Rhône-Alpes devra supporter les dépens de l’entière instance en application des dispositions de l’article 696 du Code de procédure civile.
L’équité ne commande pas ici de faire application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement et publiquement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement
Statuant à nouveau,
Annule la lettre d’observations du 30 septembre 2016 adressée par l’URSSAF Bretagne à la SARL [14]
Annule la mise en demeure du 14 décembre 2016, émise sur le fondement de cette lettre d’observations irrégulière
Y ajoutant,
Condamne l’URSSAF Rhône-Alpes aux entiers dépens de l’instance.
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Jean-Pierre Delavenay, président et par Mme Kristina Yancheva, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier Le président