AFFAIRE :N° RG 21/01419 –
N° Portalis DBVC-V-B7F-GYDP
ARRÊT N°
JB.
ORIGINE : DECISION en date du 09 Avril 2021 du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO,
JCP de LISIEUX – RG n° 19/00421
COUR D’APPEL DE CAEN
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 02 MARS 2023
APPELANTE :
S.C.I. LA PALMERAIE
N° SIRET : 792 298 838
[Adresse 6]
[Localité 7]
prise en la personne de son représentant légal
représentée par Me Gaël BALAVOINE, avocat au barreau de CAEN,
assistée de Me Catherine HAAS GIL, avocat au barreau de PARIS
INTIMES :
Monsieur [T] [O]
né le 15 Décembre 1972 à [Localité 9]
[Adresse 2]
[Localité 8]
S.A.S.U. FC RESTAURATION
N° SIRET : 841 674 054
[Adresse 5]
[Localité 4]
prise en la personne de son représentant légal
S.E.L.A.R.L. [V] [Z] mandataire liquidateur de la SASU FC RESTAURATION
[Adresse 1]
[Localité 3]
prise en la personne de son représentant légal
Tous représentés par Me Cécile BREAVOINE, avocat au barreau de LISIEUX,
Tous assistés de Me Michael BELHASSEN, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme EMILY, Président de Chambre,
Mme COURTADE, Conseillère,
M. GOUARIN, Conseiller,
DÉBATS : A l’audience publique du 15 décembre 2022
GREFFIER : Mme LE GALL, greffier
ARRÊT prononcé publiquement le 02 mars 2023 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier
* * *
EXPOSE DES FAITS, DE LA PROCEDURE ET DES PRETENTIONS
Selon acte sous seing privé du 30 juin 2018, la SCI La palmeraie (la SCI), dont M. [U] [L] détient la moitié des parts, a consenti à la société FC restauration un bail commercial sur des locaux situés [Adresse 5] afin d’y exploiter une activité de restauration, à compter du 1er juillet 2018, moyennant un loyer mensuel de 4.500 euros HT.
Ce bail commercial précise que la société FC restauration est « en cours de formation au registre du commerce et des sociétés de Lisieux et est représentée par M. [T] [O], président, ayant tous pouvoirs à cet effet ».
La société FC restauration a été immatriculée le 10 août suivant au registre du commerce et des sociétés.
Par acte sous seing privé du 30 juillet 2018, la société L’aventura, dont le gérant est M. [L], a donné à la société FC restauration en location-gérance le fonds de commerce de restauration exploité dans lesdits locaux commerciaux, moyennant une redevance mensuelle de 1.500 euros HT et ce, à compter du 1er août 2018.
Ce contrat précise que le fonds donné en location-gérance comprend la clientèle et l’achalandage, l’enseigne et le nom commercial Café Mirabeau Le Coq en Pâte, le matériel et le mobilier commercial servant l’exploitation du fonds et le droit à l’occupation des locaux dans lesquels le fonds est exploité
Le 16 janvier 2019, la SCI a fait délivrer à la société FC restauration un commandement de payer visant la clause résolutoire prévue au bail commercial pour un montant de 6.416 euros au titre des loyers impayés à cette date.
Par ordonnance de référé du 21 mars 2019, confirmée par arrêt de cette cour du 14 novembre 2019, le président du tribunal de commerce de Lisieux a dit qu’il existait une difficulté sérieuse concernant le bail commercial litigieux l’empêchant de se prononcer sur les demandes de la SCI tendant à voir constater l’acquisition de la clause résolutoire, ordonner l’expulsion du preneur et condamner celui-ci au paiement des diverses sommes au titre des loyers impayés et des indemnités d’occupation et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir.
Selon jugement du 14 août 2019, le tribunal de commerce de Lisieux a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la société FC restauration, laquelle a été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 22 janvier 2020, Me [V] [Z] étant désigné comme liquidateur judiciaire.
Le 6 janvier 2020, la SCI avait déclaré sa créance à l’encontre de la société FC restauration pour un montant de 72.623,52 euros au titre des loyers et indemnités d’occupation impayés à cette date.
Le 5 février 2020, Me [Z], ès qualités, a informé la SCI qu’il n’entendait pas poursuivre l’exécution du bail commercial.
La reprise des lieux loués par la SCI est intervenue le 6 février 2020.
Par jugement du 9 avril 2021, le tribunal judiciaire de Lisieux, sur l’assignation délivrée le 18 avril 2019 par la SCI, a :
– dit que le bail commercial signé le 30 juin 2018 entre la SCI et la société FC restauration est nul,
– rejeté l’ensemble des demandes de la SCI,
– condamné celle-ci à verser à la société FC restauration, représentée par Me [Z], ès qualités, la somme de 27.000 euros avec intérêts au taux légal à compter de sa décision,
– condamné la SCI à payer à la société FC restauration, représentée par Me [Z], ès qualités, et à M. [T] [O] la somme de 1.500 euros chacun à titre d’indemnité de procédure ainsi qu’aux entiers.
Selon déclaration du 19 mai 2021, la SCI a interjeté appel de cette décision.
Par dernières conclusions du 9 août 2021, l’appelante demande à la cour d’infirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, à titre principal de dire et juger que le bail du 30 juin 2018 est valide, de fixer sa créance de loyers et indemnités d’occupation au passif de la société FC restauration à la somme de 76.623,52 euros arrêtée au 4 février 2020.
Subsidiairement, elle demande à la cour de juger que la société FC restauration est redevable des loyers et redevances dus en exécution du contrat de location-gérance passé avec la société L’aventura et dus à la SCI La palmeraie en exécution de l’accord tacite de délégation de créances passé entre les sociétés L’aventura et FC restauration au profit de la SCI La palmeraie tel que défini par l’article 1336 alinéa 1er du code civil, de fixer la créance d’indemnités d’occupation de la SCI La palmeraie au passif de la société FC restauration à la somme de 76.623,52 euros arrêtée au 4 février 2020.
En toute hypothèse, la SCI demande à la cour de débouter les intimés de toutes leurs prétentions et de condamner in solidum les intimés à lui verser chacun la somme de 3.000 euros à titre d’indemnité de procédure ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Par dernières conclusions du 8 novembre 2021, la société FC restauration prise en la personne de la SELARL [Z], ès qualités, et M. [O] demandent à la cour de confirmer le jugement attaqué et, y ajoutant, de condamner la SCI au paiement de la somme de 2.500 euros chacun à titre d’indemnité de procédure ainsi qu’aux entiers dépens.
Suivant ordonnance du 23 février 2022, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de radiation de l’affaire formée par la SCI.
La mise en état a été clôturée le 16 novembre 2022.
Pour plus ample exposé des prétentions et moyens, il est référé aux dernières écritures des parties.
MOTIFS DE LA DECISION
1. Sur la validité du bail commercial
Selon l’article 1156 du code civil, l’acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté, sauf si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant, notamment en raison du comportement ou des déclarations du représenté.
L’inopposabilité comme la nullité de l’acte ne peuvent plus être invoquées dès lors que le représenté l’a ratifié.
Il résulte de ces dispositions et de celles de l’article 1998 du code civil que le mandant peut être engagé sur le fondement d’un mandat apparent, même en l’absence d’une faute susceptible de lui être reprochée, si la croyance du tiers à l’étendue des pouvoirs du mandataire est légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les limites de ces pouvoirs.
Pour déclarer nul le bail commercial conclu le 30 juin 2018 entre la SCI et la société FC restauration, le tribunal a, au visa de l’article 1128 du code civil, retenu à juste titre que ce bail mentionnait que la société FC restauration était « en cours de formation au registre du commerce et des sociétés de Lisieux et représentée par M. [O], président, ayant tous pouvoirs à cet effet », que, cependant, au 30 juin 2018 M. [O] n’était plus l’associé président de la société FC restauration, dont les derniers statuts du 28 juin 2018, soit deux jours avant la signature dudit bail, indiquaient qu’elle avait pour associés à parts égales Mme [B], épouse [O], et Mme [F] et qu’il était donné « mandat exprès à M. [O], cofondateur, ou à tout mandataire de son choix qu’il se substituerait, de prendre au nom et pour le compte de la société, ce qu’il accepte, les engagements nécessaires à la constitution, l’immatriculation, l’enregistrement et l’accomplissement de toutes les formalités », au nombre desquels ne figurait pas la signature d’un bail commercial, de sorte que M. [O] n’avait pas qualité pour représenter la société FC restauration lors de la signature du contrat de bail commercial litigieux.
À hauteur d’appel, la SCI soutient d’abord que M. [O] était l’animateur de fait de la société FC restauration, ses statuts n’ayant été modifiés qu’en raison de son interdiction bancaire, qu’il était le seul interlocuteur de la SCI et qu’à l’égard de ce tiers il disposait d’un mandat apparent au sens de l’article 1156 du code civil, de sorte que le bail commercial litigieux est opposable à la société FC restauration.
Elle fait encore valoir que les engagements résultant du bail commercial du 30 juin 2018 ont été repris par la société FC restauration au titre des engagements pris lors de la formation de la société au cours d’une assemblée générale ordinaire des associés de celle-ci tenue le 23 août 2018.
Cependant, les circonstances n’autorisaient pas la SCI à ne pas vérifier les limites des pouvoirs de M. [O].
En effet, aucune des pièces produites par l’appelante n’est de nature à rapporter la preuve de ce que M. [O] était son seul interlocuteur lors de la négociation et de la conclusion du bail litigieux, ni de ce que la rédaction des statuts de la société FC restauration du 28 juin 2018 était motivée par une interdiction bancaire de M. [O].
Par ailleurs, l’importance des conséquences juridiques et financières de la conclusion d’un bail commercial conclu pour neuf ans et le fait que le preneur était une société en formation n’autorisaient pas la SCI à ne pas vérifier les limites des pouvoirs de M. [O].
Enfin, il ne saurait être déduit une ratification par la société FC restauration des engagements pris en son nom par M. [O] du procès-verbal d’assemblée générale du 23 août 2018 des associés de la société FC restauration.
En effet, il résulte des dispositions de l’article L. 210-6 du code de commerce que la reprise par une société des engagements souscrits par les personnes qui ont agi en son nom lorsqu’elle était en formation résulte, en application de l’article 6 du décret du 3 juillet 1978, soit de la signature des statuts lorsque l’état prévu au même article a été annexé à ces statuts, soit d’un mandat donné avant l’immatriculation de la société et déterminant dans leur nature et leurs modalités les engagements à prendre, soit enfin après l’immatriculation d’une décision prise à la majorité des associés.
Or, en l’espèce, le procès-verbal d’assemblée générale de la société FC restauration du 23 août 2018 décidant « à l’unanimité » la reprise des engagements résultant du bail commercial signé le 30 juin 2018 produit par l’appelante ne revêt pas une valeur probante suffisante.
D’une part, ce procès-verbal d’assemblée générale ordinaire n’est signé que de Mme [F], associée ne détenant que la moitié des parts sociales, et non de Mme [B], épouse [O], présidente de la société et détenant l’autre moitié des parts sociales.
D’autre part, ce procès-verbal mentionne qu’il a été signé par les membres du bureau, dont la désignation et la composition ne sont pas relatées dans ledit procès-verbal.
Enfin, il n’est pas produit les lettres de convocation des associés.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a déclaré nul le bail commercial du 30 juin 2018.
2. Sur la restitution de la somme de 27.000 euros versée au titre des loyers
Selon l’article 1336 du code civil, la délégation est une opération par laquelle une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte.
Pour condamner la SCI à restituer à la société FC restauration la somme de 27.000 euros versée par celle-ci au titre des loyers dus en exécution du bail commercial du 30 juin 2018, le tribunal a, au visa de l’article 1178 du code civil, considéré à juste titre que l’annulation de ce contrat emportait son anéantissement rétroactif et que les prestations exécutées donnaient lieu à restitution dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9.
A hauteur d’appel, la SCI soutient que la société FC restauration a tacitement accepté, en vertu du contrat de location-gérance conclu le 30 juillet 2018 avec la société L’aventura, de se substituer financièrement à cette dernière et de régler directement les loyers et redevances de location-gérance directement entre les mains du bailleur et ce, de juin à décembre 2018 sur une base de 4.500 euros HT.
L’appelante fait valoir que la société FC restauration s’était ainsi engagée à régler au nom et pour le compte de la société L’aventura les créances dues par celle-ci à son bailleur, la SCI, en vertu d’une délégation de créance au sens de l’article 1336 du code civil.
Cependant, le contrat de location-gérance conclu le 30 juillet 2018 entre la société L’aventura et la société FC restauration ne mentionne aucunement que celle-ci a accepté de régler les loyers qui seraient dus par la société L’aventura au titre d’un bail commercial portant sur les locaux situés [Adresse 5], alors même que la société FC restauration avait elle-même conclu le 30 juin 2018 un bail commercial portant sur ces mêmes locaux.
Pour ces mêmes motifs, il doit être considéré que la société FC restauration a réglé à la SCI la somme de 27.000 euros entre juin et décembre 2018 en exécution du bail commercial signé par ses soins le 30 juin 2018 et non en vertu d’un bail commercial qu’aurait précédemment conclu la société L’aventura avec la SCI, au demeurant non produit, de sorte que l’annulation du bail commercial du 30 juin 2018 emporte obligation pour la SCI de restituer les sommes perçues en exécution de ce contrat.
Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.
3. Sur les demandes accessoires
Les dispositions du jugement entrepris relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance, fondées sur une exacte appréciation, seront confirmées.
La SCI, qui succombe, sera condamnée aux dépens d’appel, déboutée de ses demandes d’indemnité de procédure et condamnée à payer à la société FC restauration et M. [O] la somme de 1.500 euros chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la SCI La palmeraie aux dépens d’appel et à payer à la société FC restauration prise en la personne de la SELARL [Z], ès qualités, et à M. [T] [O] la somme de 1.500 euros chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la SCI La palmeraie de ses demandes d’indemnité de procédure.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
N. LE GALL F. EMILY