VC/PR
ARRET N° 422
N° RG 20/02573
N° Portalis DBV5-V-B7E-GDVO
[Z]
[N]
C/
[R]
[P]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 16 JUIN 2022
Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 octobre 2020 rendu par le Tribunal paritaire des baux ruraux de NIORT
APPELANTS :
Monsieur [L] [Z]
né le 28 novembre 1988 à [Localité 31] (79)
[Adresse 29]
[Localité 25]
Madame [A] [N]
née le 22 décembre 1960 à [Localité 28] (85)
[Adresse 13]
[Localité 22]
Représentés par Me Armand BA de la SCP BA – DELISLE, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON
INTIMÉES :
Madame [O] [N] épouse [R]
née le 4 octobre 1966 à [Localité 28] (85)
[Adresse 23]
[Localité 26]
Madame [U] [N] épouse [P]
née le 7 août 1962 à [Localité 28] (85)
[Adresse 30]
[Localité 21]
Représentées par Me Lucien VEY de la SELARL VEY GABORIAUD- CAILLEAU, avocat au barreau des DEUX-SEVRES substitué par Me Jérôme CLERC DE LA SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 23 mars 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Madame Valérie COLLET, Conseiller
Madame Anne-Sophie DE BRIER, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIERE
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– Signé par Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente, et par Madame Patricia RIVIERE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [D] [N] née [S] et son époux, M. [F] [N], ont eu quatre enfants : Mme [A] [N] divorcée [M], Mme [O] [N] épouse [R], Mme [U] [N] épouse [P] et M. [H] [N].
M. [F] [N] est décédé le 17 juillet 2001, laissant pour lui succéder son épouse [D] pour 1/4 en pleine propriété et 3/4 en usufruit et ses quatre enfants.
M. [H] [N] est décédé le 1er janvier 2010 alors qu’il n’avait pas d’enfant et n’était pas marié, laissant pour lui succéder sa mère [D] et ses trois soeurs chacune héritière pour 1/4.
Suivant acte sous seing privé du 2 juillet 2014, Mme [D] [N] et Mme [A] [N] ont donné à bail rural à M. [L] [Z], une maison d’habitation, des bâtiments d’exploitation et des terres pour une contenance totale de 19ha 29a 94ca situées à :
– [Localité 32] (79) section ZT n°[Cadastre 5], et section ZS n°[Cadastre 15],
– [Localité 33] (79) section YA n°[Cadastre 9] et section YC n°[Cadastre 14],
– [Localité 27] (85) section ZL n°[Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 9], [Cadastre 10] et [Cadastre 12], et section ZD n°[Cadastre 24].
Mmes [R] et [P] ont fait assigner Mmes [D] [N] et [A] [N] devant le tribunal de grande instance de La Roche sur Yon, les 3 et 9 juin 2015, afin de voir ordonner l’ouverture des opérations de liquidation et partage des successions de [F] et [H] [N].
Le juge de la mise en état a ordonné un sursis à statuer le 1er décembre 2016 dans l’attente d’un partage amiable des biens composant la succession de [F] [N].
Mmes [R] et [P] ont saisi, le 7 octobre 2016, le tribunal paritaire des baux ruraux de Niort en sollicitant la convocation de leur mère, Mme [D] [N], et de M. [Z] afin de voir prononcer l’annulation du bail à ferme consenti à M. [Z] sans leur autorisation.
Mme [D] [N] est décédée le 4 juin 2018.
Le 19 avril 2019, Mmes [R] et [P] ont sollicité la convocation devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Niort de Mme [A] [N] et de M. [Z] afin d’attraire Mme [N] à la cause, personnellement et en sa qualité d’héritière de [D] [N].
Par jugement du 13 octobre 2020, le tribunal a :
– débouté Mmes [R] et [P] de leur demande aux fins d’annulation du bail rural du 2 juillet 2014 à savoir :
* commune de [Localité 32] (79) : les parcelles cadastrées ZT [Cadastre 5] et ZS [Cadastre 15],
* commune de [Localité 33] (79) : les parcelles cadastrées YA [Cadastre 9] et YC [Cadastre 14],
* commune de [Localité 27] (85) : les parcelles ZL [Cadastre 20], ZL [Cadastre 10], ZL [Cadastre 6], ZD [Cadastre 24], ZL [Cadastre 7] et ZL [Cadastre 9],
– déclaré ledit bail inopposable à Mmes [R] et [P] et prononcé sa résiliation,
– ordonné l’expulsion de M. [Z] et tous occupants de son fait des biens objets du bail du 2 juillet 2014 avec le concours de la force publique si besoin est,
– déclaré inopposable à Mmes [R] et [P] le bail rural verbal, consenti à M. [Z], sur les terres issues de la succession de M. [H] [N] à savoir :
* commune de [Localité 27] (85) : les parcelles cadastrées YP [Cadastre 4], ZD [Cadastre 2], ZD [Cadastre 3], ZL [Cadastre 8], ZL [Cadastre 11], ZO [Cadastre 16], ZO [Cadastre 17], ZO [Cadastre 18],
* commune de [Localité 33] (79) : les parcelles cadastrées YA [Cadastre 19] et YA [Cadastre 20],
– prononcé la résiliation de ce bail,
– ordonné l’expulsion de M. [Z] et de tous occupants de son fait des biens objet de ce bail verbal avec le concours de la force publique si besoin est,
– débouté Mmes [R] et [P] de leur demande aux fins d’expertise,
– condamné M. [Z] à payer à Mmes [R] et [P] la somme de 900 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [Z] et Mme [A] [N] aux dépens.
Le 13 novembre 2020, M. [Z] et Mme [A] [N] ont interjeté appel du jugement en ce qu’il a :
– déclaré inopposable le bail écrit et le bail verbal consentis à M. [Z] aux consorts [R]-[P],
– ordonné la résiliation du bail écrit et du bail verbal consentis à M. [Z],
– ordonné l’expulsion de M. [Z] des terres objets des baux,
– condamné M. [Z] au paiement de la somme de 900 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [Z] et Mme [N] aux dépens.
Les parties ont été convoquées à l’audience du 23 mars 2022 lors de laquelle elles ont repris leurs conclusions transmises le 12 février 2021 pour Mme [N] et M. [Z] et le 7 mars 2022 pour Mmes [R] et [P], auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits et des moyens.
Mme [N] et M. [Z] demandent à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mmes [R] et [P] de leurs demandes aux fins d’annulation du bail rural du 2 juillet 2014 et d’expertise concernant un immeuble, d’infirmer le jugement pour le surplus et de :
– dire que le bail écrit du 2 juillet 2014 est opposable aux consorts [R] et [P],
– rejeter toute demande d’annulation ou de résiliation du bail écrit du 2 juillet 2014,
– rejeter toute demande d’expulsion de M. [Z],
– rejeter toute demande en paiement en relation avec le bail visé et la procédure engagée par les consorts [R] et [P] à ce titre,
– rejeter toutes les demandes,
– condamner Mmes [R] et [P] aux dépens et solidairement à payer à M. [Z] la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Ils contestent tout d’abord le fait que les premiers juges ont retenu l’inopposabilité du bail rural du 2 juillet 2014 aux motifs que Mmes [R] et [P] n’avaient pas accepté la succession de [D] [N] alors que dans sa note en délibéré, le conseil des consorts [R]-[P] a indiqué qu’elles avaient ‘accepté purement et simplement sa succession.’
Ils expliquent que M. [Z] a loué, à compter du 24 janvier 2012, des terres situées sur les communes de [Localité 32] (79), [Localité 33] (79) et [Localité 27] (85) pour une superficie totale de 19ha 29a 94ca et qu’il a ensuite proposé à Mme [D] [N] et ses trois filles de signer un bail le 2 juillet 2014. Ils précisent que seules Mmes [D] [N] et [A] [N] ont signé le bail écrit sans que Mmes [P] et [R] ne répondent à M. [Z]. Ils soutiennent, en se fondant sur l’article 595 du code civil et un arrêt du 6 avril 2011 de la Cour de cassation n°09-17.158, qu’à défaut de partage de la communauté de M. [F] [N], le bail a été signé par des parties ayant la qualité d’usufruitier et de nu-propriétaire, ce qui suffit pour écarter la demande de nullité.
Subsidiairement, ils font valoir que M. [Z] loue les terres depuis 2012 et que Mmes [R] et [P] n’ont jamais contesté cette location avant le 5 octobre 2016 alors qu’elles étaient parfaitement informées de l’existence d’un bail verbal et du paiement d’un fermage auprès de leur notaire. Ils ajoutent qu’ayant eu connaissance des désaccords successoraux, M. [Z] a souhaité établir un bail à ferme écrit et l’a transmis à Mme [D] [N] et ses trois filles. Ils indiquent qu’au cours des opérations de partage, M. [B] [Z] (cousin de M. [L] [Z]) a proposé d’acquérir l’ensemble des terres et immeubles sans que Mmes [R] et [P] ne répondent à cette offre. Ils prétendent qu’il existait un mandat apparent et que M. [Z] pouvait légitimement estimer qu’il existait un accord de l’ensemble des héritiers et co-indivisaires pour lui louer les terres, précisant que le notaire en charge des successions lui avait confirmé qu’il n’y avait aucune difficulté pour qu’il les loue.
Ils s’opposent à la demande d’expertise, insistant sur le fait que M. [Z] n’a jamais eu les clés de la maison et qu’il avait constaté dès 2011 que les bâtiments étaient inutilisables. Ils soulignent que les immeubles ont été mentionnés dans le bail afin de ne pas empêcher l’exploitation des terres en organisant un passage sur celles-ci.
Mmes [R] et [P] demandent à la cour de réformer le jugement entrepris et de :
– annuler le bail du 2 juillet 2014 et ordonner l’expulsion de M. [Z] et de tous occupants de son fait des biens objet du bail du 2 juillet 2014,
– subsidiairement, prononcer la résiliation du bail du 2 juillet 2014 et ordonner l’expulsion de M. [Z] et de tous occupants de son fait des biens objet du bail du 2 juillet 2014,
– leur déclarer inopposable le bail verbal dépendant de la succession de [H] [N] et prononcer sa résiliation,
– ordonner l’expulsion de M. [Z] et de tous occupants de son fait des parcelles exploitées par bail verbal situées à [Localité 27] (85) cadastrées section YP[Cadastre 4], ZD[Cadastre 2], ZD,[Cadastre 3], ZL[Cadastre 8], ZL[Cadastre 11], ZO[Cadastre 16], ZO[Cadastre 17], ZO[Cadastre 18], à [Localité 33] (79) cadastrées section YA[Cadastre 19] et YA[Cadastre 20], et à [Localité 32] (79) cadastrées section ZT[Cadastre 1],
– ordonner une expertise aux fins de constat des dégradations aux bâtiments, chiffrage des réparations à effectuer incombant à M. [Z] et chiffrage du préjudice subi par leur perte de jouissance,
– en tout état de cause, prononcer la résiliation du bail verbal pour faute du preneur,
– débouter M. [Z] et Mme [N] de toutes leurs demandes,
– condamner M. [Z] à leur payer la somme de 3.000 euros.
Elles rappellent qu’en application de l’article 595 du code civil, l’usufruitier ne peut pas conclure sans le concours des nus-propriétaires un bail rural et qu’en l’espèce, Mme [D] [N] bénéficiait d’une donation entre époux de sorte qu’elle était usufruitière de toute la succession. Elles en concluent que le contrat de bail doit être déclaré nul et considèrent que la jurisprudence invoquée par les appelants ne peut être appliquée.
Elles estiment par ailleurs, en se fondant sur l’article 815-3 du code civil, que le bail consenti par Mme [D] [N] et Mme [A] [N], sans respect de la règle de l’unanimité dans le cadre de l’indivision successorale, leur est inopposable.
Elles contestent avoir eu connaissance d’un bail verbal en 2012. Elles ajoutent que M. [Z] savait parfaitement que Mme [D] [N] n’avait pas la qualité de propriétaire ce qui exclut tout mandat apparent.
Elles soutiennent que l’occupation de M. [Z] a généré des dégradations aux bâtiments dont il est responsable et dont il doit répondre, rappelant qu’à défaut d’état des lieux établi lors de l’entrée en jouissance, le preneur est présumé avoir reçu les biens en bon état. Elles considèrent qu’il est donc justifié d’ordonner une expertise afin de déterminer l’ampleur des travaux à effectuer et qu’en tout état de cause, elles sont fondées à solliciter la résiliation du bail en raison d’une perte compromettant la bonne exploitation du fonds.
Elles rappellent que M. [Z] exploite également les terres ayant appartenu à [H] [N] sur lesquelles il existe une indivision en propriété. Elles expliquent que le contrat de bail qui n’a pas été conclu à l’unanimité des indivisaires doit leur être déclaré inopposable.
Elles prétendent enfin qu’elles ne peuvent pas être considérées comme ayant accepté sans condition la succession de leur mère alors qu’elles n’ont pas pris le titre ou la qualité d’héritières dans un acte authentique ou sous seing privé.
A l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe à la date du 16 juin 2022.
Mmes [R] et [P], autorisées à présenter une note en délibéré pour répondre à la communication de pièce (un arrêt de la Cour de cassation du 29 novembre 2020 n°98-22.737) faite le 22 mars 2022 par Mme [N] et M. [Z], indiquent que l’acceptation d’une succession postérieurement à la demande de nullité/inopposabilité formulée devant le tribunal n’engendre pas le renoncement au droit de se prévaloir de la nullité ou de l’inopposabilité du bail demandée judiciairement du vivant de l’indivisaire à son encontre et à l’encontre du tiers qui se prévaut du bail.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, la cour observe que si M. [Z] et Mme [N] ont fait appel du jugement en ce qu’il a déclaré inopposable à Mmes [R] et [P] le bail écrit du 2 juillet 2014 et le bail verbal, ordonné la résiliation des deux baux et ordonné l’expulsion de M. [Z] des terres objets des baux, ils n’ont soutenu aucun moyen de contestation à l’audience du 23 mars 2022 s’agissant du bail verbal ni même aucune prétention afférente, Mmes [R] et [P] sollicitant quant à elles la confirmation des chefs du jugement concernant le bail verbal. En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
– déclaré inopposable à Mmes [R] et [P] le bail rural verbal, consenti à M. [Z], sur les terres issues de la succession de M. [H] [N] à savoir :
* commune de [Localité 27] (85) : les parcelles cadastrées YP [Cadastre 4], ZD [Cadastre 2], ZD [Cadastre 3], ZL [Cadastre 8], ZL [Cadastre 11], ZO [Cadastre 16], ZO [Cadastre 17], ZO [Cadastre 18],
* commune de [Localité 33] (79) : les parcelles cadastrées YA [Cadastre 19] et YA [Cadastre 20],
– prononcé la résiliation de ce bail,
– ordonné l’expulsion de M. [Z] et de tous occupants de son fait des biens objet de ce bail verbal avec le concours de la force publique si besoin est.
Sur la demande de nullité du bail rural du 2 juillet 2014
Aux termes de l’article 595 dernier alinéa du code civil : ‘L’usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal. A défaut d’accord du nu-propriétaire, l’usufruitier peut être autorisé par justice à passer seul l’acte.’
Il est admis que le non-respect de ces dispositions est de nature à entraîner la nullité du bail à l’égard du nu-propriétaire qui peut invoquer celle-ci sans attendre la fin de l’usufruit.
En l’espèce, il est constant que dépendaient de la communauté ayant existé entre [D] [N] et [F] [N] les parcelles cadastrées section ZT n°[Cadastre 5] et ZT n°[Cadastre 15] à [Localité 32], section ZL n°[Cadastre 12], [Cadastre 10], [Cadastre 6]à [Localité 27], sections YA n°[Cadastre 9] et YC n°[Cadastre 14] à [Localité 33] alors que dépendaient uniquement de la succession de [F] [N] les parcelles cadastrées sections ZD n°[Cadastre 24], ZL n°[Cadastre 7] et [Cadastre 9].
Il n’est en outre pas contesté que [D] [N] était bénéficiaire d’une donation au dernier vivant et avait opté pour un quart en propriété et trois quarts en usufruit des biens composant la succession de [F] [N]. Au décès de son époux, [D] [N] était donc propriétaire de la moitié des parcelles appartenant à la communauté, propriétaire d’un quart des biens composant la succession et usufruitière des trois quarts des biens composant la succession, les 4 enfants du couple se voyant attribuer les trois quarts des biens successoraux en nue-propriété. Ainsi, lorsque [D] [N] et Mme [A] [N] ont consenti le bail rural du 2 juillet 2014 à M. [Z], [D] [N] était à la fois nue-propriétaire et usufruitière des parcelles objets du bail puisqu’aucun partage de la communauté et de la succession de [F] [N] (ni de [H] [N]) n’avait été réalisé. En conséquence, la nullité prévue par l’article 595 alinéa 4 du code civil n’est pas encourue.
C’est donc à juste titre que les premiers juges ont débouté Mmes [R] et [P] de leur demande tendant à voir prononcer la nullité du contrat de bail rural écrit du 2 juillet 2014. Le jugement est confirmé de ce chef.
Sur la demande d’inopposabilité du contrat de bail rural du 2 juillet 2014
Il résulte des dispositions de l’article 815-3 du code civil qu’un bail rural ne peut être consenti qu’à l’unanimité des co-indivisaires. Faute de preuve de cet accord, le bail consenti sans mandat spécial, est inopposable aux autres indivisaires.
Cependant, l’article 1122 du code civil dans sa version applicable au litige prévoit que ‘On est censé avoir stipulé pour soi et pour ses héritiers et ayants cause, à moins que le contraire ne soit exprimé ou ne résulte de la nature de la convention ‘.
Il s’ensuit que si un indivisaire, après avoir consenti seul des baux sur des biens indivis, décède en laissant pour héritiers ses coindivisaires, ceux-ci sont tenus, s’ils acceptent purement et simplement la succession, de garantir les conventions passées par leur auteur, en application de l’article 1122 du code civil (Civ. 3ème 2 juin 1987 n°84-13.513, civ.3ème 29 novembre 2000 n° 98-22.737, civ.3ème 15 mai 2008 n° 07-14.655).
En l’espèce, le tribunal paritaire des baux ruraux a sollicité de Mmes [R] et [P] une note en délibéré en les invitant à répondre à la question suivante : ‘indiquer si elles ont opté dans le cadre de la succession de Madame [D] Veuve [N] née [S], décédée le 4 juin 2018, et en particulier, si elles ont accepté purement et simplement cette succession – produire une attestation du notaire chargé du règlement de la succession établissant la réalité de l’option, ou son absence.’
Si Me [G], notaire chargée de la succession de [D] [N], a indiqué le 25 septembre 2020 ‘n’avoir eu connaissance, à la date de ce jour, d’aucune acceptation expresse de la succession par les héritiers légaux’, Me Lucien Vey, avocat de Mmes [R] et [P] a quant à lui clairement indiqué dans sa note en délibéré du 25 septembre 2020 que ‘Pour y faire réponse je vous précise que mes clientes Mesdames [R] et [P] n’ont pas renoncé ni accepté sous bénéfice d’inventaire à la succession de Madame [D] [N] née [S] et ont par conséquent accepté purement et simplement sa succession comme en atteste d’ailleurs cette procédure puisqu’il s’agit de défendre des biens en dépendant’. Cette réponse qui n’est pas une analyse d’une situation comme tente de le prétendre Mmes [R] et [P] en cause d’appel, est bien au contraire une affirmation selon laquelle elles ont accepté purement et simplement la succession de leur mère. Il y a dès lors lieu de considérer que cette réponse à la valeur d’un aveu judiciaire qui ne peut être remis en cause en appel à défaut de démontrer que cet aveu aurait été fait à la suite d’une erreur.
Par ailleurs, il est constant que Mmes [R] et [P] ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux le 7 octobre 2016 aux fins d’obtenir l’annulation du contrat de bail rural. A ce stade, elles ne sollicitaient pas l’inopposabilité de ce contrat, cette prétention n’ayant été formulée que postérieurement au décès de [D] [X], après réinscription au rôle du tribunal, dans des conclusions datées du 7 novembre 2019.
En tout état de cause, dès lors que Mmes [R] et [P] ont accepté purement et simplement la succession de [D] [N], elles ne sont plus fondées à solliciter l’inopposabilité du bail rural consenti le 2 juillet 2014 par leur défunte mère, sans que la date de l’acception pure et simple de la succession n’ait une quelconque incidence.
C’est donc à tort que le tribunal a déclaré inopposable à Mmes [R] et [P] le contrat de bail rural du 2 juillet 2014. Le jugement doit en conséquence est infirmé de ce chef.
Sur la demande de résiliation du contrat de bail rural du 2 juillet 2014 sur le fondement de l’article L.411-32 du code rural
Selon l’article L.411-32 du code rural et de la pêche maritime, le bailleur ne peut demander la résiliation du bail que s’il justifie notamment d’agissements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds.
Le bailleur, qui supporte la charge de la preuve des faits constitutifs du motif de résiliation, doit caractériser des agissements (ou une inertie ayant le même effet) et une atteinte à l’exploitation du fonds, les deux conditions étant cumulatives.
En l’espèce, les biens loués par M. [Z] selon le contrat de bail sont des terres, une maison d’habitation, des bâtiments d’exploitation dont hangar à fourrage et à matériel, écuries et chèvreries. Aucun état des lieux n’a toutefois été réalisé lorsque le contrat de bail rural a été signé le 2 juillet 2014 de sorte qu’en application de l’article 1731 du code civil ‘s’il n’a pas été fait d’état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparations locatives, et doit les rendre tels, sauf la preuve contraire. De plus, selon l’article 1732 du même code ‘il répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu’il ne prouve qu’elles ont eu lieu sans sa faute’.
Mmes [R] et [P] ont fait établir le 19 octobre 2018 un procès-verbal de constat par huissier de justice limité aux immeubles bâtis intégrés dans le bail rural du 2 juillet 2014. Il en résulte que :
– l’accès principal à la maison d’habitation depuis la voie publique est obstrué de déchets divers,
– à l’extérieur de la maison d’habitation, le terrain est en friche et abandonné, des tags sont présents sur les murs, les ouvertures ont été détruites ou ouvertes et dégradées,
– à l’intérieur de la maison, tout est détruit et saccagé, les cloisons ont été cassées ou explosées, des éléments de l’immeuble ont été arrachés, le câblage électrique n’existe plus ni le compteur électrique,
– une épave de voiture est présente dans le garage,
– la chèvrerie et les bâtiments agricoles attenants à la maison d’habitation sont à l’abandon, très endommagés ou détruits.
M. [Z] conteste cependant être à l’origine des dégradations, affirmant n’avoir jamais eu les clefs des bâtiments et que ceux-ci étaient totalement inutilisables dès 2011. Il produit une évaluation comprise entre 10.000 et 20.000 euros des bâtiments réalisée en janvier 2017 révélant que les immeubles étaient déjà à l’état de ruine.
Par ailleurs, les premiers juges ont très justement relevé que dans le contrat du 2 juillet 2014, le montant du fermage pour les terres agricoles a été fixé à 2.293,96 euros par an, qu’aucun fermage spécifique n’a été fixé pour les bâtiments d’exploitation et pour la maison d’habitation alors que le contrat préimprimé prévoyait la possibilité d’un fermage distinct pour chaque bien loué (un trait ayant été mis à l’emplacement du montant du fermage par les parties). Le tribunal a indiqué que le montant du fermage fixé à 120 euros l’hectare correspondait à un fermage normal pour des terres, ce qui n’est pas contesté en cause d’appel par Mmes [R] et [P]. Or, il résulte de l’acte de dévolution successorale de [F] [N] que ces bâtiments étaient évalués en 2001 à 210.200 euros. Il s’en déduit que si la maison d’habitation et les bâtiments attenants avaient eu la même valeur en 2014 lors de l’entrée de M. [Z] dans les lieux, le montant du fermage aurait été fixé à un montant bien plus élevé que celui qui a été convenu entre les parties. La détermination du montant du fermage sur la base unique des terres louées vient corroborer le fait que les bâtiments n’avaient déjà plus qu’une valeur résiduelle en 2014 en raison de son état dégradé.
Ces éléments suffisent à rapporter la preuve que la dégradation des bâtiments n’a pas été causée par la jouissance de M. [Z] et préexistait à son entrée dans les lieux en 2014. En sa qualité de preneur, il n’avait nullement l’obligation de remettre en état des immeubles totalement dégradés, leur entretien s’avérant en outre impossible.
En conséquence, la cour considère que Mmes [R] et [P] ne rapportent pas la preuve d’agissements de la part de M. [Z] portant atteinte à l’exploitation du fonds loué. Elles doivent donc être déboutées de leur demande de résiliation du contrat de bail écrit du 2 juillet 2014.
Le jugement est infirmé en ce qu’il a prononcé la résiliation du bail rural du 2 juillet 2014.
Sur les demandes d’expulsion des terres louées le 2 juillet 2014 et d’expertise des bâtiments
Il est jugé que le contrat de bail du 2 juillet 2014 n’est pas nul, qu’il est opposable à Mmes [R] et [P] et qu’il n’est pas résilié en sorte que la demande d’expulsion du preneur des terres objets de ce contrat ne peut qu’être rejetée. Le jugement entrepris est donc infirmé de ce chef.
En revanche, dans la mesure où la dégradation des bâtiments loués n’est pas imputable à M. [Z], il n’y a pas lieu d’ordonner une expertise judiciaire pour chiffrer les réparations à effectuer et la perte de jouissance alléguée par Mmes [R] et [P]. Le jugement entrepris est confirmé en ce qu’il a débouté ces dernières de leur demande d’expertise.
Sur les autres demandes
Compte tenu de la solution du litige et du fait que Mme [A] [N] ne succombe pas en ses prétentions, n’étant pas concernée par le bail verbal portant sur les terres de [H] [N], le jugement attaqué doit être infirmé en ce qu’il a condamné Mme [A] [N] et M. [Z] aux dépens, ce dernier devant les supporter seul. Le jugement entrepris est également infirmé en ce qu’il a condamné M. [Z] payer la somme de 900 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à Mmes [R] et [P]. Il n’est en effet pas inéquitable au regard de la solution du litige, de laisser chacune des parties supporter la charge de ses frais irrépétibles.
Mmes [R] et [P], qui succombent partiellement en cause d’appel, sont condamnées en à supporter les dépens. Il n’est enfin pas inéquitable de laisser supporter à chacune des parties les frais irrépétibles engagés de sorte que tant M. [Z] que Mmes [R] et [P] sont déboutés de leurs demandes respectives au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement rendu le 13 octobre 2020 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Niort en ce qu’il a :
– débouté Mmes [O] [R] et [U] [P] de leur demande aux fins d’annulation du bail rural du 2 juillet 2014 à savoir :
* commune de [Localité 32] (79) : les parcelles cadastrées ZT [Cadastre 5] et ZS [Cadastre 15],
* commune de [Localité 33] (79) : les parcelles cadastrées YA [Cadastre 9] et YC [Cadastre 14],
* commune de [Localité 27] (85) : les parcelles ZL [Cadastre 20], ZL [Cadastre 10], ZL [Cadastre 6], ZD [Cadastre 24], ZL [Cadastre 7] et ZL [Cadastre 9],
– déclaré inopposable à Mmes [O] [R] et [U] [P] le bail rural verbal, consenti à M. [L] [Z], sur les terres issues de la succession de M. [H] [N] à savoir :
* commune de [Localité 27] (85) : les parcelles cadastrées YP [Cadastre 4], ZD [Cadastre 2], ZD [Cadastre 3], ZL [Cadastre 8], ZL [Cadastre 11], ZO [Cadastre 16], ZO [Cadastre 17], ZO [Cadastre 18],
* commune de [Localité 33] (79) : les parcelles cadastrées YA [Cadastre 19] et YA [Cadastre 20],
– prononcé la résiliation de ce bail,
– ordonné l’expulsion de M. [Z] et de tous occupants de son fait des biens objets de ce bail verbal avec le concours de la force publique si besoin est,
– débouté Mmes [O] [R] et [U] [P] de leur demande aux fins d’expertise,
Infirme le jugement rendu le 13 octobre 2020 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Niort en ce qu’il a :
– déclaré le bail rural du 2 juillet 2014 inopposable à Mmes [O] [R] et [U] [P] et prononcé sa résiliation,
– ordonné l’expulsion de M. [L] [Z] et tous occupants de son fait des biens objets du bail du 2 juillet 2014 avec le concours de la force publique si besoin est,
– condamné M. [Z] à payer à Mmes [R] et [P] la somme de 900 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [Z] et Mme [A] [N] aux dépens.
Statuant à nouveau sur les chefs du jugement infirmés,
– déclare le contrat de bail rural du 2 juillet 2014 opposable à Mmes [O] [R] et [U] [P],
– déboute Mmes [O] [R] et [U] [P] de leur demande de résiliation du contrat de bail rural du 2 juillet 2014,
– déboute Mmes [O] [R] et [U] [P] de leur demande d’expulsion de M. [L] [Z] des biens objet du bail du 2 juillet 2014,
– déboute Mmes [O] [R] et [U] [P] de leur demande d’expertise des bâtiments loués,
– déboute Mmes [O] [R] et [U] [P] et M. [L] [Z] de leurs demandes respectives au titre de l’article 700 du code de procédure civile en première instance,
– condamne M. [L] [Z] aux dépens de première instance,
Y ajoutant,
– déboute Mmes [O] [R] et [U] [P] et M. [L] [Z] de leurs demandes respectives au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
– condamne Mmes [O] [R] et [U] [P] aux dépens d’appel.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,