Mandat apparent : 15 décembre 2022 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/01901

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Mandat apparent : 15 décembre 2022 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/01901

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

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ARRÊT DU : 15 DECEMBRE 2022

N° RG 19/01901 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-K6R6

Madame [G] [U] épouse [H]

c/

Monsieur [E] [T]

Madame [Z] [T]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 20 février 2019 (R.G. 17/02817) par la 7ème chambre civile du Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX suivant déclaration d’appel du 05 avril 2019

APPELANTE :

[G] [U] épouse [H]

née le 29 Décembre 1964 à [Localité 3]

de nationalité Française

Profession : Architecte,

demeurant [Adresse 1]

Représentée par Me Julien MAZILLE de la SCP LATOURNERIE – MILON – CZAMANSKI – MAZILLE, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉS :

[E] [T]

né le 07 Septembre 1951 à [Localité 5]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 2]

[Z] [T]

née le 26 Février 1956 à RONCHIS (ITALIE)

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 2]

Représentés par Me BONIS substituant Me Thomas FERRANT de la SELARL CABINET FERRANT, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 novembre 2022 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Paule POIREL, Président,

Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller,

Monsieur Rémi FIGEROU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Mme Audrey COLLIN

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Selon un contrat en date du 8 février 2005, M. [E] [T] et Mme [Z] [T] ont eu recours à Monsieur [B] [R] qui se présentait comme architecte exerçant sous l’enseigne ArchiteXture, en vue de procéder à la construction d’une maison d’habitation sur un terrain leur appartenant situé au numéro [Adresse 2].

Ce contrat comportait également le nom de Mme [G] [U] épouse [H] en qualité d’architecte.

Une réception des travaux a été prononcée le 20 mars 2007.

Il convient de préciser que, M. [R] exerçait son activité dans des conditions délictueuses de sorte qu’il a été condamné par le tribunal correctionnel de Bordeaux pour usurpation de titre, faux, usage de faux et escroquerie par jugement du 02 avril 2012.

M. et Mme [T] ont déposé plainte avec constitution de partie civile à l’encontre de M. [R]. Le tribunal correctionnel de Bordeaux a déclaré l’action publique prescrite par jugement rendu le 19 mai 2014. Par arrêt du 14 avril 2017, la présente cour a réformé cette décision et condamné M. [R] à verser à M. et Mme [T] la somme de 38 970 euros à titres de dommages et intérêts.

Par acte du 17 mars 2017, M. et Mme [T] ont saisi le tribunal de grande instance de Bordeaux d’une action indemnitaire dirigée contre Mme [U] épouse [H] en raison de nombreux désordres et de retards de construction.

Suivant un acte d’huissier du 2 août 2017, Mme [U] épouse [H] a appelé en intervention forcée aux fins de garantie M. [R].

Les deux instances ont été jointes le 17 août 2017.

Par jugement réputé contradictoire du 20 février 2019, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :

– rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action ;

– dit que Mme [U] épouse [H] doit répondre, vis à vis de M. et Mme [T], de l’exécution de l’ensemble constitué par les missions APS/APD/DPC/APC/APD/AMT/CGT/RDM et qu’elle sera garantie intégralement par M. [R] des condamnations qui pourront être prononcées contre elle au titre des missions APC/APD/AMT/CGT/RDM ;

– ordonné pour le surplus une expertise ;

– commis pour y procéder M. [Y] [O]

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire ;

– sursis à statuer sur l’ensemble des prétentions autres que celles tranchées par le présent dispositif et ordonné le renvoi de l’affaire à l’audience de mise en état du vendredi 31 janvier 2020 ;

Mme [U] épouse [H] a relevé appel de cette décision le 05 avril 2019 uniquement dirigé à l’encontre de M. et Mme [T] et en ce qu’elle a :

– ‘Dit que Mme [U] épouse [H] doit répondre, vis à vis de M. et Mme [T], de l’exécution de l’ensemble constitué par les missions APS/APD/DPC/APC/APD/AMT/CGT/RDM ;

– Ordonné pour le surplus une expertise ;

– Sursis à statuer sur l’ensemble des prétentions autres que celles tranchées par le dispositif’.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 18 janvier 2021, Mme [U] épouse [H] demande à la cour de :

– dire et juger recevable et bien fondé son appel formé à l’encontre du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Bordeaux le 20 février 2019 ;

Le réformant :

– débouter M. et Mme [T] de l’ensemble de leurs demandes ;

A défaut :

– dire et juger qu’elle doit répondre, vis à vis de M. et Mme [T], de l’exécution de l’ensemble constitué par les seules missions APS/APD/DPC ;

– condamner M. et Mme [T] à lui verser une indemnité de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et au paiement des entiers dépens de première instance et d’appel ;

– écarter les demandes formées par M. et Mme [T] à son encontre en cause d’appel.

Suivant leurs dernières conclusions notifiées le 15 janvier 2021, M. et Mme [T] demandent à la cour de :

– confirmer dans ses entières dispositions le jugement attaqué ;

– condamner Mme [U] épouse [H] au paiement :

– de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– des entiers dépens, en ce compris les frais d’expertise d’un montant de 5 503 euros TTC, dont distraction sera prononcée au bénéfice de la SELARL Cabinet Ferrant conformément à l’article 669 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 25 octobre 2022.

MOTIVATION

Sur la mise en jeu de la responsabilité de Mme [U] épouse [H]

M. et Mme [T] sont profanes dans le domaine de la construction.

Ils recherchent la responsabilité de Mme [U] épouse [H] en se fondant sur la théorie du mandat apparent, estimant qu’ils ont eu la croyance légitime de considérer que celle-ci et M. [R] faisaient partie d’une même société d’architecture et étaient ainsi solidairement chargés de l’intégralité de la réalisation de leur projet immobilier.

Le premier juge a fait droit à leur demande.

L’appelante conteste l’application de toute solidarité entre-elle et M. [R] fondée sur l’existence d’un mandat apparent.

Il convient de relever les éléments suivants :

L’application de la théorie d’un mandat apparent peut concerner les relations d’un architecte, des entrepreneurs intervenant à l’acte de construire et des tiers (Civ;, 3ème, 12 Septembre 2006, n° 05-18.927) .

Le contrat de maîtrise d’oeuvre que M. et Mme [T] ont signé le 08 février 2005 fait apparaître en qualité de maître d’oeuvre M. [R] d’une part et Mme [U] épouse [H] d’autre part. Un tampon de la société ‘AchiteXture’ a été apposé à côté de la mention ‘M. [R] [B] et Mme [U] épouse [H]’.

Il est établi que Mme [U] épouse [H] et M. [R] n’ont en réalité jamais travaillé au sein d’un même cabinet d’architecture, ce dernier ayant de surcroît usurpé la qualité d’architecte ce qui entrainera sa condamnation ultérieure par une juridiction pénale pour ce motif.

Néanmoins, comme l’appelante l’a elle-même reconnu lors de son audition par les services de police de [Localité 4] du 04 juillet 2011, elle a conçu avec celui-ci plusieurs projets immobiliers, dont notamment celui de M. et Mme [T], et établi elle-même les plans ‘car ils engagent ma responsabilité’.

S’il est parfois apparu très clairement que Mme [U] épouse [H] et M. [R] exerçaient leur activité au sein de deux sociétés différentes, notamment pour ce qui concerne une construction réalisée au profit de la commune de Pompignac, il n’en est pas réellement de même pour ce qui concerne le contrat de maîtrise d’oeuvre établi avec M. et Mme [T]. En effet, si les adresses professionnelles des sociétés AchiteXture et de Mme [U] épouse [H] mentionnées sur le contrat du 08 février 2005 étaient effectivement différentes, il doit être observé que ce document fixait à un taux de 10% du montant global HT des travaux les honoraires devant être perçus par la maîtrise d’oeuvre sans pour autant prévoir de ventilation entre M. [R] et Mme [U] épouse [H].

Cette apparence de cabinet professionnel unique sinon commun était corroborée par la carte de visite remise à M. et Mme [T] pouvant leur laisser penser que le cabinet ArchiteXture, sous l’aspect d’une personne morale, réunissait en une seule entité trois spécialités complémentaires en la personne de MM. Mme [U] épouse [H], architecte DPLG, [R], architecte d’intérieur et [U], ingénieur expert

Le papier à lettre de l’agence ArchiteXture regroupait en en-tête et de manière très visible les logos personnels de ces trois professionnels.

L’absence de toute rencontre physique entre M. et Mme [T] et l’appelante est sans incidence sur ces éléments.

De même, si le CCTP ne fait uniquement apparaître que M. [R] en qualité de maître d’oeuvre, il doit être observé que ce document n’a cependant jamais été porté à la connaissance de M. et Mme [T].

Enfin, l’absence de comparaison par ces derniers des numéros Siret figurant sur les cartes de visite, vérification qui aurait pu leur permettre de constater que les ‘architectes’ officiaient pour le compte de sociétés différentes, ne peut être reprochée à des acquéreurs profanes ‘trompés’ par l’impression d’ensemble laissée par la présentation du contrat de maîtrise d’oeuvre.

Il résulte ainsi de l’ensemble de ces éléments que les maîtres d’ouvrage ont pu légitimement croire à l’unicité de la structure professionnelle à laquelle la maîtrise d’oeuvre a été confiée et que M. [R] et Mme [U] épouse [H] étaient dès lors pleinement associés dans la réalisation de leur projet.

Cependant, cette croyance légitime ne peut aller au delà des stipulations contractuelles de l’acte du 08 février 2005.

Or, ce document ne confie spécifiquement à Mme [U] épouse [H] que les missions APS (avant projet sommaire, APD (avant projet définitif) et DPC (dossier de demande de permis de construire). L’appelante reconnaît d’ailleurs avoir constitué le dossier pour le compte de l’autorité administrative et déposé le 26 juillet 2005 une demande de permis de construire.

Son intervention est donc conforme aux stipulations contractuelles de sorte qu’elle ne peut se retrancher derrière l’absence de signature du contrat pour en contester toute opposabilité à son égard.

De plus, le permis de construire, conforme à son projet, sera accepté en l’état le 21 septembre 2005.

Contrairement à ce qu’affirme le premier juge, les maîtres d’ouvrage, bien que profanes, pouvaient appréhender le rôle de chaque ‘architecte’ en se reportant à la page 8 du contrat de maîtrise d’oeuvre qui précise le sens des acronymes APS, APD et DPC. Ils pouvaient ainsi aisément se rendre compte du caractère limité de l’intervention de Mme [U] épouse [H] et constater que M. [R] se voyait exclusivement attribuer les autres missions, notamment celles de CGT et de RDT (règlement des travaux).

L’imprudence, reprochée à Mme [U] épouse [H], dans ses relations avec l’usurpateur de la qualité d’architecte, à supposer établie, ne constitue pas un élément venant infirmer les observations susvisées, étant observé que celle-ci a été également abusée par M. [R].

Dès lors, le caractère limité de la solidarité résultant de l’existence d’un mandat apparent dont pourraient se prévaloir M. et Mme [T] exclut toute indemnisation à leur profit :

– au titre ‘qu’ils n’ont pas été accompagnés correctement dans leur démarche de construction de leur maison’ ;

– fondée sur le fait que ‘la mission de direction et de coordination du chantier n’a pas été respectée’ ;

– en raison de l’absence de plans d’exécution fournis aux différents entrepreneurs ;

(cf leurs dernières conclusions page 8) ;

ces missions n’ayant pas été confiées à Mme [U] épouse [H] par le contrat de maître d’oeuvre.

En conséquence, il convient de partiellement infirmer le jugement entrepris ayant dit que Mme [U] [H] doit répondre, vis à vis de M. et Mme [T], de l’exécution des missions APC/APD/AMT/CGT/RDM. Celle-ci ne devait répondre que des missions APS, APD et DPC.

Sur la mesure d’expertise judiciaire

L’appelante sollicite l’infirmation du jugement de première instance ayant ordonné l’instauration d’une mesure d’expertise confiée à M. [O].

Ce dernier a toutefois déposé son rapport contradictoire définitif le 12 décembre 2020 et l’appelante, qui verse ce document aux débats, se fonde parfois sur ses conclusions pour solliciter sa mise hors de cause.

En conséquence, le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Le jugement déféré ayant ordonné un sursis à statuer doit être confirmé. En cause d’appel, il n’y a pas lieu de mettre à la charge de l’une ou l’autre des parties le versement d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Succombant partiellement en ses prétentions, Mme [U] épouse [H] sera condamnée au paiement des dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

Infirme, dans les limites de l’appel, le jugement rendu le 20 février 2019 par le tribunal de grande instance de Bordeaux en ce qu’il a dit que Mme [G] [U] épouse [H] doit répondre, vis à vis de M. [E] [T] et Mme [Z] [T], de l’exécution de l’ensemble constitué par les missions APC/APD/AMT/CGT/RDM ;

et, statuant à nouveau dans cette limite :

– Dit que Mme [G] [U] épouse [H] doit seulement répondre vis à vis de M. [E] [T] et Mme [Z] [T] de l’exécution de l’ensemble constitué par les missions APS (avant projet sommaire, APD (avant projet définitif) et DPC (dossier de demande de permis de construire) ;

Confirme le jugement déféré pour le surplus ;

Y ajoutant ;

– Rejette les autres demandes présentées par les parties sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamne Mme [G] [U] épouse [H] au paiement des dépens d’appel.

La présente décision a été signée par madame Paule POIREL, présidente, et madame Audrey COLLIN, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE

 


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