Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 8
ARRÊT DU 12 SEPTEMBRE 2023
(n° / 2023 , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/07083 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CB2RS
Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Mars 2020 -Tribunal de Commerce de Paris – RG n° 2016069117
APPELANTS
Monsieur [D] [F]
Né le [Date naissance 1] 1973 à[Localité 9]e
De nationalité française
Demeurant [Adresse 2]
[Localité 7]
S.A.S. AF & CO, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 444 427 298,
Dont le siège social est situé [Adresse 3]
[Localité 6]
Représentés et assistés de Me Loïc HENRIOT de la SELEURL LOIC HENRIOT AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : E0092,
INTIMÉES
S.A.S.U. HAVAS VOYAGES, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de NANTERRE sous le numéro 377 533 294,
Dont le siège social est situé [Adresse 4]
[Localité 8]
Représentée par Me Stéphane FERTIER de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0075,
Assistée de Me Sébastien REGNAULT de l’AARPI OPERA AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Pierre LEMAY, toque : K0055,
S.A.R.L. START, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 433 408 598,
Dont le siège social est situé [Adresse 5]
[Localité 7]
Représentée par Me Xavier LOUBEYRE de l’ASSOCIATION LOUBEYRE ENTREMONT PORNIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R196,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant la cour composée en double-rapporteur de
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre
Madame Anne-Sophie TEXIER, conseillère,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère.
Un rapport a été présenté à l’audience par Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT dans le respect des conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
*
* *
FAITS ET PROCÉDURE:
La société Havas Voyages exploite un réseau d’agences de voyages avec le concours d’agences mandataires. Le 11 septembre 2000, la société Havas Voyages a donné mandat à la société Start d’effectuer en son nom et pour son compte des opérations de vente de prestations touristiques.
Le 1er avril 2014, la société Tikehau Capital dirigée par M.[D] [F], a ouvert un compte au sein d’Havas Voyages destiné à l’organisation de ses déplacements. Le mode de règlement retenu était une carte corporate American Express.
Entre 2014 et 2015, M.[U], employé de la société Tikehau Capital et interlocuteur de celle-ci auprès d’Havas Voyages, a commandé des voyages auprès de la société Start au nom de son employeur, dans son intérêt personnel et réglé celles-ci à hauteur de 139.542 euros au moyen de la carte American Express de M. [F], président et principal actionnaire de la société Tikehau Capital. La société American Express a remboursé à M.[F] la somme de 112.576 euros.
Le 4 juillet 2016, la société Havas Voyages a mis en demeure la société Tikehau Capital d’avoir à lui payer la somme totale de 129.394 euros correspondant aux commandes non payées à la suite de la mise en oeuvre de l’obligation de couverture de la société American Express.
Le 8 juillet 2016, la société Tikehau Capital et M. [F] ont mis en demeure la société Havas Voyages d’avoir à régler la somme de 26.966 euros au titre des paiements irrégulièrement prélevés par cette dernière, non pris en charge par American Express.
Par acte du 17 novembre 2016, la société Tikehau Capital, nouvellement dénommée AF & Co, et M. [F], ont fait assigner la société Havas Voyages en paiement de dommages et intérêts et, subsidiairement, en restitution à M. [F] de la somme de 26.966 euros.
Reconventionnellement, la société Havas Voyages a demandé que la société AF & Co et M. [F] soient condamnés à lui payer la somme de 112.576 euros, correspondant aux commandes non payées à la suite de la mise en oeuvre de l’obligation de couverture de la société American Express. La société Havas Voyages a également demandé à ce que la société AF & Co soit condamnée à lui payer la somme de 20.157,38 euros au titre de prestations non réglées pour la période du 1er janvier au 27 juin 2016.
La société Start, intervenue volontairement à l’instance, a sollicité la condamnation de la société Havas Voyages à lui communiquer certains documents sous astreinte, ainsi qu’à lui payer la somme de 42.955,79 euros correspondant aux commissions’de l’année 2016, une provision de 30.000 euros au titre des commissions et des dommages et intérêts de 15.000 euros pour rétention abusive.
Par jugement du 18 mars 2020, assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de commerce de Paris a déclaré recevable l’intervention volontaire de la société Start, débouté la société AF & Co et M. [F] de leurs demandes de condamnation de la société Havas Voyages au paiement de dommages et intérêts de respectivement, 1 euro et 26.966 euros, débouté la société AF & Co et M. [F] de leurs demandes de condamnation de la société Havas Voyages à restituer à M.[F] la somme de 26.966 euros, condamné in solidum la société AF & Co et M.[F] à payer à la société Havas Voyages la somme de 112.576 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 2016, avec anatocisme, condamné la société AF & Co à payer à la société Havas Voyages la somme de 20.157,38 euros, majorée des intérêts de retard au taux légal à compter du 4 juillet 2016, avec anatocisme, ordonné la communication sous astreinte, par la société Havas Voyages à la société Start, de divers documents énumérés dans le dispositif, débouté la société Start de sa demande de condamnation de la société Havas Voyages au paiement de la somme de 42.955,79 euros au titre des supers commissions ainsi que de sa demande de provision de 30.000 euros au titre des commissions DVS et BHNR, et renvoyé la société Start à mieux se pourvoir de ces chefs, condamné la société Havas Voyages à payer à la société Start la somme de 10.000 euros de dommages et intérêts, condamné la société AF & Co et M. [F] à payer à la société Havas Voyages la somme de 5.000 euros et à la société Start celle de 2.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens, déboutant pour le surplus.
La société AF & Co et M. [F] ont relevé appel de cette décision le 8 juin 2020, en intimant les sociétés Havas Voyages et Start.
Par ordonnance du 2 novembre 2021, le conseiller de la mise en état a notamment rejeté les demandes de la société Start tendant à voir annuler l’acte de signification du 16 septembre 2020, ainsi qu’à voir constater la caducité de la déclaration d’appel et déclarer définitif le jugement de première instance, a déclaré irrecevables les conclusions de la société Start remises au greffe le 30 mars 2021 et refusé la jonction avec l’instance enrôlée sous le RG 20-06417 faisant suite à l’appel relevé par la société Start.
Par ordonnance du 18 janvier 2022, a constaté que la société Start s’était désistée de son appel formé le 6 décembre 2020, l’acceptation de ce désistement par l’intimée Havas Voyages, constaté l’extinction de l’instance et le dessaissement de la cour dans l’instance RG 20-06417.
Dans leurs dernières conclusions (n°2) déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 3 février 2021, la société AF & Co et M. [F] demandent à la cour de:
-réformer le jugement entrepris en ce qu’il les a déboutés de leurs demandes de condamnation d’Havas Voyages au paiement de dommages et intérêts pour, respectivement, 1 euro et 26.966 euros, de leur demande de condamnation d’Havas Voyages à restituer à M.[F] la somme de 26.966 euros, condamné in solidum AF & Co et M. [F] à payer à Havas Voyages la somme de 112.576 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 2016, avec anatocisme, les a condamnés à payer à Havas Voyages la somme de 20.157,38 euros, majorée des intérêts de retard au taux légal à compter du 4 juillet 2016, avec anatocisme, aux dépens et au paiement d’indemnités procédurales,
– statuant à nouveau:
– à titre principal, juger qu’Havas Voyages a accepté des commandes hors mandats qui peuvent lier AF & Co et a manqué à ses obligations dans l’exécution du contrat signé avec la société AF & Co, qu’Havas Voyages a commis des fautes à l’encontre de
M. [F], en conséquence condamner Havas Voyages à payer la somme de 1 euro à AF & Co en réparation du préjudice qu’elle a subi, et celle de 26.966 euros à M. [F], augmentée des intérêts au taux légal depuis le 8 juillet 2016, date de la mise en demeure, condamner Havas Voyages à restituer à AF & Co la somme de 137.296,97 euros correspondant à l’exécution par provision de la décision de première instance, dire que la somme de 20.850,42 euros viendra en déduction des sommes dues à M. [F],
– à titre subsidiaire, juger qu’Havas Voyages a indûment encaissé les versements effectués à partir de la carte American Express de M.[F] pour les voyages organisés par M.[U] pour son bénéfice personnel ou celui de ses proches, en conséquence condamner Havas Voyages à restituer à M.[F] la somme de 26.966 euros augmentée des intérêts au taux légal depuis le 8 juillet 2016, date de la mise en demeure, et à restituer à AF&Co la somme de 137.296,97 euros correspondant à l’exécution du jugement de première instance, dont à déduire la somme de 20.850,42 euros,
– en tout état de cause, condamner Havas Voyages à payer à AF&Co et à M.[F], chacun une indemnité procédurale de 15.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, condamner Havas Voyages à restituer la somme de 5.000 euros payée par AF&Co en exécution du jugement font appel, condamner Havas Voyages aux entiers dépens avec distraction au profit de Maître Loïc Henriot en application de l’article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions (n°2) déposée au greffe et notifiées par voie électronique le 27 juin 2022, la société Havas Voyages demande à la cour de débouter AF & Co et M. [F] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions, condamner in solidum AF & Co et M.[F] à lui payer la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel, avec distraction au profit de la SELARL JRF& Associés, représentée par Maître Fertier.
SUR CE
– Sur la responsabilité de la société Havas Voyages
Pour l’organisation de ses voyages, la société Tikehau-Capital, devenue AF&Co, était en relations commerciales avec la société Havas Voyages et sa mandataire la société Start.
Les relations entre Havas Voyages et Tikehau-Capital, qui ont débuté en 2013, ont été formalisées par une convention d’ouverture de compte auprès de la société Havas Voyages, signée le 1er avril 2014 par Tikehau-Capital, en la personne de son dirigeant, M.[F].
La convention prévoit un règlement des commandes à chaque facture par ‘Amex Carte Corpo’, M.[G] [U], salarié de Tikehau-Capital, étant désigné comme l’interlocuteur de l’entreprise et le responsable des achats, le chiffre d’affaires annuel de voyages prévisionnel étant de 100.000 euros.
En février 2016, Tikehau-Capital a découvert que M.[U], son salarié, avait frauduleusement commandé des voyages à des fins privées pour lui-même et ses proches à Havas Voyages, payés par débit de la carte American Express personnelle de M.[F].
Le 8 avril 2016, M.[U] a signé une reconnaissance de dette dans laquelle il reconnait avoir, entre le 1er janvier 2013 et le 2 mars 2016, détourné de manière frauduleuse et dissimulée les moyens de paiement de ‘AF’ ([D] [F]) afin de réaliser des dépenses personnelles, et être débiteur à l’égard de ce dernier d’un montant de 532.500 euros correspondant à l’estimation des sommes détournées, soit 517.337 euros, diminué de la somme de 25.000 euros qu’il a payée le 28 mars 2016, et majorée d’une indemnité forfaitaire pour compenser le préjudice moral de M.[F].
Il sera précisé que le montant ainsi reconnu intègre également l’utilisation frauduleuse d’autres moyens de paiement que la carte American Express de M.[F]
Par jugement du 26 novembre 2018, le tribunal correctionnel de Créteil a condamné M.[G] [U] à une peine de 18 mois d’emprisonnement avec sursis avec mise à l’épreuve d’une durée de 3 ans pour des faits d’abus de confiance résultant de détournement de chéques et de l’usage frauduleux de plusieurs cartes de paiement, dont la carte American Express appartenant à la société Tikehaut Capital dans laquelle il était assistant de gestion. M.[U] a par ailleurs été condamné à payer à M.[F], partie civile, un euro en réparation de son préjudice moral et 440.430,07 euros en réparation de son préjudice matériel, ce montant ayant été retenu après déduction de 184.326,83 euros correspondant aux différents remboursement déjà obtenus. Le tribunal a jugé irrecevable la constitution de partie civile de la société AF&Co en ce que l’abus de confiance commis par M.[U] l’avait été au préjudice de M.[F] et non de la société Tikehau-Capital.
Suite à l’utilisation frauduleuse de la carte American Express par M.[U], la société AF&Co et M.[F] réclament l’indemnisation de leurs préjudices à Havas Voyages résultant selon eux des fautes commises par Havas Voyages dans l’exécution de son mandat, tandis que cette dernière sollicite le paiement des prestations commandées par M.[U] et qu’elle a exécutées.
Pour s’opposer à la demande en paiement d’Havas Voyages et solliciter au contraire le remboursement des prestations indument débitées et restées à charge, M.[F] et AF&Co font valoir qu’ Havas Voyages, mandataire professionnel rémunéré, était tenue d’un devoir de diligence dans l’exécution de sa mission, que le seul mandat est celui donné par Tikehau-Capital pour des commandes de voyages professionnels devant être payés au moyen de la carte ‘corpo’ Amex et non au moyen de la carte personnelle de M.[F], que M.[F] n’a jamais donné mandat pour l’utilisation de sa carte American Express nominative,l’utilisation de celle-ci pour régler des prestations commandées à Havas Voyages donnant au contraire lieu à une autorisation spécifique pour chaque commande, signée de M.[F]. Ils en concluent que les manquements réitérés d’Havas Voyages dans l’exécution de son mandat engagent sa responsabilité à l’égard d’AF&Co et de M.[F].
Ils soutiennent en outre qu’ils ne sauraient être tenus du dépassement par M.[U] de son mandat, dès lors qu’Havas Voyages ne peut pas se prévaloir d’un mandat apparent s’agissant des prestations litigieuses, qu’en effet Havas Voyages aurait dû se rendre compte que les commandes passées par M.[U] sortaient manifestement du cadre professionnel, au regard de la destination des voyages, du niveau élevé et inhabituel des prestations commandées, du fait que les bénéficiaires étaient étrangers à la société Tikehau-Capital et ne figuraient pas sur les listes de personnes dont disposait la société de voyages et que d’autre part M.[U] ne bénéficiait pas d’une autorisation de paiement de M. [F].
Havas Voyages conteste tout manquement dans l’exécution des prestations commandées par M.[U]. Elle fait valoir que M. [U] était’le seul interlocuteur désigné pour effectuer des réservations au nom du groupe AF & Co, dont AF &Co Capital, qu’il disposait du pouvoir d’engager la société Tikehau-Capital en vertu d’une délégation de son employeur et était donc le référent habilité pour ouvrir un nouveau compte et passer les commandes auprès de la société Start, qu’il a toujours donné les ordres à propos des voyages à programmer, dont certains voyages ne sont pas contestés.Elle ajoute qu’en tout état de cause, la théorie du mandat apparent s’oppose à ce que sa responsabilité soit mise en jeu, dès lors qu’il était vraisemblable que M.[U] puisse engager son mandant, étant habilité par son employeur à faire des réservations, ce qu’il faisait régulièrement, que les détournements étaient impossibles à suspecter puisque les demandes frauduleuses étaient de même nature que les demandes régulières, à savoir des billets de train ou d’avion, des nuits d’hôtel, que les destinations invoquées étaient compatibles avec une activité professionnelle, surtout pour une société comme AF & Co qui présente un large rayonnement international, qu’il n’existait aucune obligation contractuelle imposant de limiter les prestations aux salariés de la société, et qu’il n’appartenait pas à la société Start d’interroger la société AF & Co sur les motifs des voyages, choix des destinations, niveau des prestations et encore moins de surveiller les salariés de la société AF & Co à sa place. Elle en conclut que n’ayant commis aucune faute, les sommes qui n’ont pas été versées par les appelants dans le cadre des fraudes de M.[U] doivent l’être, le mandat apparent liant le mandant comme s’il s’agissait d’un mandat écrit.
S’il résulte de la convention d’ouverture de compte que M.[U] était habilité par son employeur à réserver des voyages pour le compte de Tikehau-Capital, rien ne démontre en revanche qu’il était habilité à signer les conventions et à modifier celles passées entre Havas Voyages et Tikehau-Capital.
En vertu de cette convention, le paiement des commandes devait se faire au moyen de la carte ‘ Amex carte corpo’, c’est à dire d’une carte American Express coporate, laquelle ne se confond pas avec la carte American Express établie au nom de M.[F].
Il n’est justifié d’aucune convention ou mandat autorisant Havas Voyages à débiter les prestations commandées par M.[U] sur la carte American Express dont était personnellement titulaire M.[D] [F].
M.[F] affirme en effet que les débits sur sa carte American Express personnelle devaient donner lieu à une autorisation par lui-même, spécifique à chaque opération. Il justifie ainsi que le 17 avril 2013, il a autorisé Havas Voyages Grande Armée à débiter la carte bancaire Americain Express n° 3749 105 594 4500, à son nom pour régler des prestations hôtelières en Islande précisément détaillées.
Alors que le compte ouvert chez Havas Voyages stipulait un paiement par débit de la carte Amex Corpo, il ressort des pièces au débat, non contestées, que la carte American Express personnelle de M.[F] a été débitée d’un montant total de 139.542 euros en règlement de prestations commandées par M.[U] à Havas Voyages à des fins personnelles.
En acceptant de débiter une carte American Express autre que celle prévue dans la convention d’ouverture de compte, Havas Voyages n’a manifestement pas exécuté correctement le mandat qui lui avait été confié par Tikehau-Capital.
La circonstance que M.[U] était habilité par Tikehau-Capital à passer des commandes auprès d’Havas Voyages pour le compte de son employeur n’est pas de nature à dégager Havas Voyages de la responsabilité qui découle de son propre manquement. En effet, celle-ci ne peut pertinemment se prévaloir à la fois de la qualité de responsable des achats et d’interlocuteur de M.[U], mentionnée dans la convention d’ouverture de compte, et faire abstraction des modalités de paiement prévues par Tikehau-Capital dans cette même convention.
L’utilisation frauduleuse par M.[U] de la carte nominative de M.[F] et la responsabilité qui s’y attache, n’excluent pas la responsabilité personnelle d’Havas Voyages, dès lors que cette dernière n’a pas exécuté correctement le mandat dont elle avait été investie et que ses manquements réitérés sont en lien direct avec les débits irréguliers importants de la carte American Express de M.[F], peu important à cet égard la nature des prestations ainsi débitées.
Ayant commis une faute personnelle dans l’exécution de son propre mandat, Havas Voyages invoque vainement l’existence d’un mandat apparent qui lui aurait permis de penser que M.[U] agissait dans le cadre de l’habilitation de son employeur.
Ainsi, sans même qu’il soit nécessaire de rechercher s’il incombait à Havas Voyages de s’interroger sur les commandes de voyages pour une famille entière, manifestement peu professionnels, compte tenu des destinations choisies (Les Maldives, Pucket en Thaïlande ( Pucket), Dubai, la cour retiendra la responsabilité d’Havas Voyages dans les dommages subis par M.[F].
– Sur les demande en paiement respectives des parties
Havas Voyages demande la confirmation du jugement en ce qu’il a condamné :
-in solidum la société Tikehau-Capital devenue AF&Co et M.[F] à lui payer la somme de 112.576 euros majorée des intérêts de retard au taux légal à compter du
4 juillet 2016 au titre des impayés American Express, M.[F] ayant suite aux agissements frauduleux de M.[U] mis en oeuvre l’obligation de couverture d’American Express et obtenu la restitution de la somme de 112.576 euros aux dépens d’Havas Voyages,
– la société Tikehau-Capital à lui payer la somme de 20.157,38 euros avec intérêts de retard au taux légal à compter du 4 juillet 2016 avec anatocisme, correspondant à
34 factures datées du 11 janvier 2016 au 5 juillet 2016 pour des prestations livrées à Tikehau-Capital, dont la réalité n’est pas contestée.
Elle s’oppose par ailleurs aux demandes en paiement des appelants, invoquant l’absence de faute de sa part, la responsabilité de ses contradicteurs et en tout état de cause l’inexistence des préjudices allégués.
M.[F] et Tikehau-Capital s’opposent à ces demandes et sollicitent pour le premier la condamnation d’ Havas Voyages au paiement d’un reliquat de 26.966 euros non pris en charge par la garantie American Express, pour la seconde 1 euro de dommages et intérêts.
– Sur la demande en paiement de la somme de 20.157,38 euros formée par Havas Voyages
Si les appelants sollicitent l’infirmation des deux dispositions ci-dessus, il résulte de leurs écritures que la société AF&Co ne conteste toutefois pas devoir à Havas Voyages une somme de 20.157,38 euros correspondant à des prestations régulièrement facturées à la société et demeurées impayées, demandant simplement que ce montant se compense avec les sommes qu’ils réclament .
La cour confirmera donc la condamnation de la société Tikehau-Capital à payer à Havas Voyages la somme de 20.157,38 euros, avant d’examiner in fine la demande de compensation.
– Sur la demande en paiement de la somme de 112.576 euros formée par Havas Voyages
Havas Voyages fait valoir qu’elle subit un impayé de 112.576 euros pour des prestations qu’elle a pourtant exécutées, cet impayé faisant suite à la mise en oeuvre par M.[F] de l’obligation de couverture d’American Express et à la restitution consécutive à ce dernier de la somme de 112.576 euros. Elle soutient que dès lors que AF&Co et M.[F] sont responsables de leurs propres préjudices, la première en sa qualité d’employeur responsable des agissements de son salarié et le second pour défaut prolongé de surveillance de son compte American Express, ils doivent être condamnés in solidum à lui payer la somme de 112.576 euros, consécutive à l’indemnisation de M.[F].
Il est acquis aux débats qu’American Express a restitué à M.[F] une somme de 112.576 euros à la suite de la mise en oeuvre par ce dernier de la garantie fondée sur l’article L133-19 du code monétaire et financier.
Cette restitution a réduit d’autant le préjudice subi par M.[F] à la suite des débits irréguliers de sa carte American Express.Condamner M.[F] au paiement de cette somme reviendrait à le faire subir à nouveau un préjudice identique, alors qu’il vient d’être jugé qu’Havas Voyages doit répondre des conséquences de sa mauvaise exécution de la convention la liant à Tikehau-Capital (AF&Co).
Cette demande en paiement doit également être rejetée en ce qu’elle est dirigée contre AF&Co, cette dernière étant fondée à opposer à Havas Voyages la mauvaise exécution du mandat qui lui avait été confié.
Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu’il a condamné in solidum M.[F] et la société Tikehau-Capital au paiement de la somme de 112.576 euros.
– Sur la demande en paiement par M.[F] de la somme de 26.966 euros
Il est constant que la garantie American Express mise en oeuvre par M.[F] n’a pas totalement couvert le préjudice financier subi, un montant résiduel de 26.966 euros étant resté à charge de l’intéressé (139.542 euros- 112.576 euros).
Havas Voyages soutient que la responsabilité du préjudice allégué incombe à la société AF&Co en sa qualité d’employeur de M.[U] en application de l’article 1384 alinéa 1 du code civil devenu l’article 1242 en ce qu’elle n’a pas surveillé son salarié, ainsi qu’à M.[F] à raison de son défaut de surveillance durant plus de deux ans du fonctionnement de sa carte American Express. Elle ajoute, qu’en tout état de cause, le préjudice allégué est inexistant, dès lors d’une part, que M.[U], son épouse, M.[V] [W] (son beau-père) et la société American Express l’ont déjà indemnisé et que M.[U], condamné pénalement, a signé une reconnaissance de dette portant notamment sur l’utilisation frauduleuse de la carte bancaire, cette reconnaissance étant garantie par plusieurs sûretés.
Toutefois, M.[F] ne sollicite pas en l’espèce le préjudice résultant des agissements frauduleux de M.[U], mais du préjudice découlant des fautes commises par Havas Voyages dans l’exécution de son mandat à l’égard de Tikehau-Capital, dont il a été directement victime par suite des prélèvements opérés sur sa carte American Express.
Dès lors que M.[F] demande l’indemnisation du préjudice résultant des manquements d’Havas Voyages, la responsabilité du commettant à l’égard de son préposé ne trouve pas à s’appliquer.
M.[F] est également fondé à soutenir pour ce même motif que ni la reconnaissance de dette qui est un acte unilatéral de M.[U], dont il soutient au demeurant qu’elle n’a pas été exécutée, ni le jugement correctionnel qui l’a reçu en sa constitution de partie civile et lui a alloué des dommages et intérêts, lesquels n’indemnisent pas que l’usage frauduleux de la carte American Express, ne font obstacle à sa demande en paiement dirigée contre Havas Voyages.
Le défaut de surveillance de la carte American Express qu’ Havas Voyages oppose à M.[F] n’est pas davantage susceptible de priver celui-ci de son droit à indemnisation, dès lors qu’il n’avait pas donné d’autorisation à Havas Voyages de débiter sa carte personnelle.
Havas Voyages, tenue de répondre de ses fautes personnelles, sera en conséquence condamnée à payer à M.[F] à titre de dommages et intérêts la somme de 26.966 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt. Le jugement sera infirmé en ce sens.
– Sur la demande en paiement de la société AF&Co
La société AF&Co demande la condamnation d’ Havas Voyages à lui payer 1 euro de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.
Cette demande sera rejetée, la société AF&Co ne justifiant pas de l’existence d’un préjudice personnel, lié à la mauvaise exécution de la convention.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la société AF&Co de sa demande de dommages et intérêts.
– Sur la compensation
Il n’y a pas lieu à compensation entre la somme qu’AF&Co doit à Havas Voyages et celle qu’Havas Voyages doit à M.[F], dès lors qu’Havas Voyages n’est pas créancière et débitrice de la même personne.
– Sur la demande de restitution des sommes versées au titre de l’exécution provisoire
L’arrêt infirmant les dispositions du jugement constitue en lui-même un titre permettant d’obtenir la restitution des sommes versées au titre de l’exécution provisoire, sans qu’il soit nécessaire d’ordonner la restitution.
– Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Havas Voyages sera condamnée aux dépens d’appel et de première instance et ne peut prétendre au paiement d’une indemnité procédurale. Elle sera condamnée à payer une indemnité de 5.000 euros à la société AF&Co et M.[F] pris ensemble sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile seront infirmées.
PAR CES MOTIFS,
Dans les limites de l’appel,
Infirme le jugement sauf en ce qu’il a condamné la société Tikehau-Capital, devenue AF&Co, à payer à Havas Voyages la somme de 20.157,38 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 4 juillet 2016 et en ce qu’il a débouté la société AF&Co de sa demande de dommages et intérêts,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Déboute la société Havas Voyages de sa demande en paiement de la somme de 112.576 euros en ce qu’elle est dirigée tant contre M.[F] qu’à l’encontre de la société Tikehau-Capital devenue AF&Co,
Condamne la société Havas Voyages à payer à M.[F] la somme de 26.966 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Déboute M.[F] et la société AF&Co de leur demande de compensation,
Déboute la société Havas Voyages de sa demande d’indemnité procédurale,
Condamne la société Havas Voyages à payer à M.[F] et à la société AF&Co, pris ensemble, une indemnité 5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Havas Voyages aux dépens de première instance et d’appel et dit qu’ils pourront être recouvrés directement par Maître Loïc Henriot avocat, en application de l’article 699 du code de procédure civile.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT