Arrêt n°
du 11/05/2022
N° RG 21/02170 – N° Portalis DBVQ-V-B7F-FC3H
CRW /LS
Formule exécutoire le :
à :
SELARL THOMA-BRUNIERE
SELAS DEVARENNE ASSOCIES GRAND EST
COUR D’APPEL DE REIMS
CHAMBRE SOCIALE
Arrêt du 11 mai 2022
APPELANTES :
d’un jugement rendu le 12 mars 2021 par le Tribunal paritaire des baux ruraux de CHARLEVILLE MEZIERES (n° 51-18-0016)
1°) Société GFA DE CORNY
86 rue Désiré LINARD
08190 SAINT-GERMAINMONT
Représentée par la SELARL THOMA-BRUNIERE, prise en la personne de Maître Sabine BRUNIERE, avocat au barreau de Compiègne
2°) S.C.E.A. DE CORNY
86 rue Désiré LINARD
08190 SAINT-GERMAINMONT
Représentée par la SELARL THOMA-BRUNIERE, prise en la personne de Maître Sabine BRUNIERE, avocat au barreau de Compiègne
INTIMÉE :
E.A.R.L. DE LA LOUVIERE
3 rue de la Louvière
08300 NOVY CHEVRIERES
Représentée par la SELAS DEVARENNE ASSOCIES GRAND EST, prise en la personne de Maître Pierre DEVARENNE, avocat au barreau de Chalons-en-Champagne
DÉBATS :
A l’audience publique du 14 mars 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 11 mai 2022, Madame Christine ROBERT-WARNET, président de chambre, et Monsieur Olivier BECUWE, conseiller, chargés d’instruire l’affaire, ont entendu les plaidoiries en application de l’article 945-1 du code de procédure civile, les parties ne s’y étant pas opposées, et en ont rendu compte à la cour dans son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Madame Christine ROBERT-WARNET, président
Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller
Monsieur Olivier BECUWE, conseiller
GREFFIER lors des débats :
Madame Lozie SOKY, greffier placé
ARRÊT :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Christine ROBERT-WARNET, président, et Madame Lozie SOKY, greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Par requête enregistrée au greffe le 15 novembre 2018, l’EARL de la Louvière a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Charleville-Mézières pour se voir reconnaître l’existence d’un bail rural sur des parcelles sises sur le territoire de la commune de Novy Chevrières, cadastrées ZT n° 8 ,12 et ZV n°6 et annuler le congé que lui ont notifié le 4 mai 2018 la SCEA de Corny et le GFA de Corny .
Par jugement du 12 mars 2021, le tribunal paritaire des baux ruraux de Charleville-Mézières, statuant, par son président, dans le cadre des dispositions afférentes à l’état d’urgence sanitaire a
dit compétente la juridiction pour statuer sur l’existence d’un bail rural
dit que l’EARL de la Louvière était titulaire d’un bail rural sur les parcelles sises sur le territoire de la commune de Novy Chevrières, cadastrées ZT n° 8, lieu-dit « Les Armoises » et ZV n°6 , lieu-dit Les Tuileries », pour une contenance de 17 ha 90 a
débouté le GFA de Corny en sa demande de nullité du bail rural
constaté la nullité du congé délivré par le GFA de Corny le 4 mai 2018
condamné le GFA de Corny à payer à l’EARL de la Louvière une indemnité de 900 sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Le GFA de Corny et la SCEA de Corny ont interjeté appel de cette décision par lettre recommandée déposée le 6 avril 2021.
Ils ont transmis, par RPVA, leurs conclusions le 28 septembre 2021, s’agissant de conclusions destinées au tribunal paritaire des baux ruraux, en vue de l’audience du 26 septembre 2020, dénommées « conclusions récapitulatives n° 2 », sur la base desquelles ils ont sollicité le renvoi de l’affaire pour l’audience du 29 septembre 2021 à laquelle ils n’étaient ni présents, ni représentés.
Au contraire, l’EARL de la Louvière, par des conclusions transmises au greffe par RPVA le 17 septembre 2021, reprises à la barre, demandait à la cour de constater que les parties appelantes ne soutiennent pas leur appel mais, formant appel incident, demandait à la cour de réformer le jugement en ce qu’il l’a déboutée en sa demande tendant à se voir reconnaître la qualité de preneur d’un bail rural de la parcelle cadastrée ZT n°12, lieu-dit « La Basse Prée’ sise sur le territoire de la commune de Novy Chevrières , de confirmer le jugement pour le surplus et de condamner solidairement le GFA de Corny et la SCEA de Corny au paiement d’une indemnité de 4000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
En l’absence de conclusions de l’appelant au soutien de son appel, l’affaire a été radiée le 29 septembre 2021, réinscrite au vu des conclusions parvenues au greffe le 9 décembre 2021.
Aux termes de leurs conclusions, développées oralement à l’audience du 14 mars 2022 à laquelle l’affaire a été retenue, le GFA de Corny et la SCEA de Corny sollicitent l’infirmation du jugement qu’ils critiquent, faisant reproche aux premiers juges d’avoir opéré un amalgame en considérant que la SCEA et le GFA constituaient une seule et même entité morale, ce qui n’est pas le cas.
Ils prétendent également à l’infirmation du jugement en faisant valoir que l’EARL de la Louvière revendique, à tort, le bénéfice d’un bail rural, dans les termes retenus par le jugement de première instance, mais aussi sur une autre parcelle, revendiquée au titre de son appel incident en rappelant que la convention porte sur une vente annuelle d’herbe, conclue entre cette EARL et la SCEA, tandis que seul le GFA peut se prévaloir de la qualité de bailleur à l’égard des 2 autres entités.
Les parties appelantes concluent donc au débouté de l’EARL de la Louvière en l’ensemble de ses demandes, et sollicite,
– à titre principal,
l’expulsion de l’EARL de la Louvière des parcelles, sous astreinte de 500 € par jour de retard à défaut de délaissement de celle-ci dans un délai de 8 jours suivant le prononcé du jugement (sic)
– à titre infiniment subsidiaire,
à voir déclarer nul le bail dont se prévaut l’EARL de la Louvière, à défaut pour celle-ci d’être titulaire d’une autorisation d’exploiter
prétendant à la condamnation de l’EARL au paiement au GFA et à la SCEA, chacun la somme de 5 000 euros.
En tout état de cause, les parties appelantes demandent la condamnation de l’EARL de la Louvière au paiement d’une indemnité de 5000 € au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel.
À la barre, sur question de la cour, les parties appelantes précisent que c’est par erreur que cette indemnité de 5 000 € est sollicitée à 2 reprises dans les conclusions. En fait , une seule demande en paiement de la somme de 5000 € chacun au titre des frais irrépétibles est formée, au profit du GFA et de la SCEA.
Sur ce,
– Sur l’existence d’un bail rural
Les dispositions d’ordre public de l’article L411-1 du code rural et de la pêche maritime posent le principe de la soumission au statut du fermage de « toute mise à disposition à titre onéreux d’un immeuble à usage agricole en vue de l’exploiter pour y exercer une activité agricole définie à l’article L311-1 est régie par les dispositions du présent titre, sous les réserves énumérées à l’article L411-2.
Il en est de même, sous réserve que le cédant et le propriétaire ne démontre que le contrat n’a pas été conclu en vue d’une utilisation continue ou répétée des biens et dans l’intention de faire obstacle à l’application du présent titre :
– de toute cession exclusive des fruits de l’exploitation lorsqu’il appartient à l’acquéreur de les recueillir ou de les faire recueillir ;
– les contrats conclus en vue de la prise en pension d’animaux par le propriétaire d’un fonds à usage agricole lorsque les obligations qui incombent normalement au propriétaire du fonds en application des dispositions du présent titre sont mises à la charge du propriétaire des animaux.
La preuve de l’existence des contrats visés dans le présent article peut être rapportée par tous moyens. »
En l’espèce, il est justifié par la partie intimée, dont se prévalent les parties appelantes, que le GFA de Corny résulte de la transformation de la Société Agricole de Corny, créée en 1962, sans création d’une nouvelle personnalité morale.
La production aux débats des extraits des registres du commerce de chacune de ces sociétés confirme, comme prétendu par les parties appelantes, que le numéro d’immatriculation au registre du commerce demeure le même.
Sauf collusion frauduleuse, qui sera ultérieurement examinée, il est justifié de la coexistence de 2 entités juridiques : d’une part, le GFA de Corny, au lieu et place de la Société Agricole de Corny, dont il n’est pas contesté qu’il est propriétaire des parcelles sur lesquelles l’EARL de la Louvière revendique le bénéfice d’un bail rural, dont l’objet, défini par ses statuts est « la propriété et l’administration par dation à bail uniquement de tous les immeubles et droits immobiliers à destination agricole composant son patrimoine’ ce groupement foncier agricole ne peut procéder à l’exploitation en faire-valoir direct des biens constituant son patrimoine’ » ; d’autre part, la SCEA de Corny , s’agissant d’une société créée en 1998, dont l’objet est « l’exercice d’activités réputées agricoles au sens de l’article L311-1 du code rural, notamment l’exploitation et la gestion de biens agricoles soit directement, soit par voie de fermage, de métayage, de mise à disposition de la société par les associés fermiers et/ou propriétaires ou selon tout autre modalité en rapport avec l’objet civil de la société’ ».
Il ressort des statuts de la SCEA de Corny que les parcelles au titre desquelles l’EARL de la Louvière prétend au bénéfice d’un bail rural ont été mises à la disposition de la SCEA de Corny , par leurs propriétaires, à savoir le GFA ou Monsieur et Madame [F], étant souligné que désormais le GFA à la qualité de seul propriétaire des parcelles ainsi revendiquées.
Dans ce cadre, il est constant que des conventions de vente d’herbe ont été conclues de façon répétée entre la SCEA de Corny, [G] [Y] et l’EARL de la Louvière à compter de 1990, au vu des factures produites aux débats.
La contrepartie financière de ces conventions n’est pas discutée, pas plus que leur répétition. Comme soutenu par l’EARL de la Louvière, cette répétition pourrait faire présumer la soumission de la convention au statut du fermage (par application des dispositions de l’alinéa 2 de l’article L411-1 du code rural et de la pêche maritime ).
Toutefois, l’EARL de la Louvière prétend vainement au bénéfice des dispositions applicables au statut du fermage puisque la reconnaissance de ce statut suppose que les immeubles ou biens mis à disposition, pour leur exploitation agricole, à titre onéreux, le soient par leur propriétaire.
Or, il ressort des précédents développements que le GFA est le propriétaire des parcelles. Il n’est pas soutenu l’existence d’un mandat apparent au profit de la SCEA de Corny, en vertu duquel celle-ci aurait pu engager le GFA.
L’EARL de la Louvière ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de la collusion frauduleuse entre le GFA et la SCEA de Corny , dont elle se prévaut pour revendiquer le bénéfice d’un bail rural.
Il s’ensuit que la décision déférée mérite d’être infirmée en ce qu’elle a reconnu l’existence d’un bail rural verbal entre le GFA de Corny et l’EARL de la Louvière portant sur les parcelles sises sur le territoire de la commune de Novy Chevrières, cadastrées section ZT n° 8, lieu-dit « Les Armoises » et ZV n° 6 lieu-dit « Les Tuileries ».
En revanche, cette décision mérite d’être confirmée en ce qu’elle a dit que l’EARL de la Louvière ne bénéficiait pas d’un bail rural verbal, par motifs partiellement substitués, dès lors que la juridiction a pu relever qu’aucune facture n’était établie au profit de la parcelle cadastrée ZT n° 12, lieu-dit « la Basse Prée » sise sur le territoire de la commune de Novy Chevrières, sauf au titre des années 2007 et 2008, ce qui est insuffisant pour permettre la qualification de bail rural.
– Sur la nullité du congé
En l’absence de bail rural, le courrier recommandé adressé par la SCEA de Corny à l’EARL de la Louvière ne peut être considéré comme congé, au sens du statut du fermage, dont la nullité pourrait être encourue.
Tout au plus, ce courrier consacre-t-il la volonté du contractant d’un contrat synallagmatique de mettre fin à ce contrat.
La décision déférée mérite donc d’être infirmée en ce que, après avoir reconnu l’existence d’un bail rural, elle a prononcé la nullité du congé.
Au contraire, il n’y a pas lieu annulation d’un quelconque congé, au regard des précédents développements.
– Sur la demande d’expulsion
Il résulte des précédents développements qu’au regard du courrier recommandé adressé par la SCEA de Corny à l’EARL de la Louvière, caractérisant son intention de mettre fin à la convention liant les parties à effet du 15 avril 2019, l’EARL de la Louvière est devenue occupante sans droit ni titre à compter de cette date.
Cette occupation est confirmée au titre de l’année 2019, pour laquelle la SCEA a établi une facture pour « herbe été 2019 », réglée le 13 décembre 2019.
En revanche, rien ne permet d’établir que cette occupation persiste de sorte que les parties appelantes doivent être déboutées en leur demande tendant à voir prononcer l’expulsion de l’EARL de la Louvière des parcelles, objets de la convention.
– Sur les frais irrépétibles
Eu égard aux circonstances de la cause, il n’est pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties l’intégralité des frais non compris dans les dépens qu’elle a pu engager à hauteur d’appel, mais aussi en première instance, par infirmation du jugement.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi
Confirme le jugement rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux de Charleville-Mézières le 12 mars 2021 en ce qu’il a débouté l’EARL de la Louvière en sa demande tendant à se voir reconnaître la qualité de preneur d’un bail rural sur la parcelle cadastrée section ZT n° 12, lieu-dit « la Basse Prée » 6 sur le territoire de la commune de Novy Chevrières
Infirme le jugement pour le surplus
Statuant à nouveau et, y ajoutant
Déboute l’EARL de la Louvière en sa demande tendant à se voir reconnaître la qualité de preneur d’un bail rural sur les parcelles, sises sur le territoire de la commune de Novy Chevrières, cadastrées section ZT n° 8, lieu-dit « Les Armoises » et ZV n° 6 lieu-dit « Les Tuileries.
Déboute les parties en leurs autres demandes,
Laisse à la charge de chacune des parties ses frais irrépétibles de première instance et d’appel,
Condamne l’EARL de la Louvière aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT