Lutte contre les fausses informations / fake news

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Lutte contre les fausses informations / fake news
Ce point juridique est utile ?

Avis positif du Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat a rendu un avis globalement positif sur les deux propositions de loi visant à lutter contre les fausses nouvelles. Le législateur devra néanmoins procéder à quelques recadrages et ajustements juridiques, concernant essentiellement les acteurs de l’internet communautaire.

Nouvelles obligations à la charge des plateformes internet

La première proposition de loi soumet les intermédiaires techniques (hébergeurs et fournisseurs d’accès à internet) à de nouvelles obligations  aux fins de lutter contre les fausses informations (obligation de transparence renforcée). A peine de sanctions pénales, les fournisseurs d’accès à Internet et les hébergeurs seraient soumis à une obligation de coopération, qui impliquerait d’une part de mettre en place un dispositif permettant à toute personne de signaler de tels contenus, d’autre part, d’informer promptement les autorités publiques compétentes de toute activité de diffusion de ces fausses informations qui leur serait signalée et enfin, de rendre publics les moyens qu’ils consacrent à la lutte contre la diffusion de fausses informations. Le Conseil d’Etat suggère de ne conserver de ce dispositif que l’obligation faite aux fournisseurs d’accès à Internet et aux hébergeurs de rendre publics les moyens qu’ils consacrent à la lutte contre la diffusion de fausses informations.

La seconde proposition de loi modifie le code électoral pour y introduire de nouvelles mesures sur la  diffusion des fausses informations en période électorale majeure (élections européennes, présidentielles …). Une nouvelle voie de référé serait également ouverte devant le juge judiciaire aux fins de faire cesser la diffusion de fausses informations. Enfin, les prérogatives du CSA seraient renforcées en lui permettant, dans de nouvelles hypothèses afférentes à la sauvegarde de l’ordre public, de refuser de conclure les conventions nécessaires à la distribution d’un service et de les résilier unilatéralement.

Un dispositif légal existant mais à compléter

Le droit français contient déjà plusieurs dispositions visant à lutter contre la diffusion de fausses informations, suivant trois logiques distinctes. En premier lieu, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse comporte des dispositions permettant de réprimer des propos sciemment erronés, diffamatoires, injurieux ou provocants. Ces chapitres ont été rendus applicables aux services de communication au public en ligne par l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. En deuxième lieu, le code électoral contient également des dispositions qui visent à garantir le bon déroulement des campagnes électorales en luttant tant contre la diffusion de fausses nouvelles (article L. 97) que contre la publicité commerciale à des fins de propagande électorale (article L. 52-1). Enfin la procédure de référé prévue à l’article 6 de la loi du 21 juin 2004, en tant qu’elle permet de mettre un terme aux dommages résultant du contenu d’un service de communication au public en ligne, peut être mobilisée aux fins de faire cesser la diffusion de fausses informations, sans préjudice des autres procédures d’urgence existantes lorsque ces fausses informations portent atteinte à l’intimité de la vie privée (article 9 du code civil).

Le Conseil d’Etat a toutefois observé que l’actualité récente a révélé que la diffusion des fausses informations s’effectuait désormais selon des logiques et des vecteurs nouveaux. D’une part, les dernières élections intervenues dans plusieurs pays occidentaux ont été perturbées par la diffusion massive de fausses informations. D’autre part, cette diffusion résulte, pour une part significative, de stratégies délibérées d’acteurs -y compris étrangers- qui ont cherché à influer sur le cours normal des processus électoraux, en mobilisant à cette fin d’importants moyens financiers et technologiques. Enfin l’écho donné à ces fausses informations a été amplifié par les plateformes numériques, en particulier les réseaux sociaux, dont la logique économique conduit à valoriser, notamment, les contenus pour la promotion desquels elles ont été rémunérées et ceux suscitant le plus de controverses. Dans ces conditions, le Conseil d’Etat admet que l’état actuel du droit, notamment en matière électorale, ne permet pas nécessairement de répondre à l’intégralité des risques induits par ces nouveaux phénomènes.

Ajustements nécessaires

Les textes proposés présentent toutefois certaines faiblesses juridiques. La 1ère proposition de loi mentionne à la fois la notion de « fausses nouvelles », déjà présente dans la loi du 29 juillet 1881 et dans le code électoral, et la notion de « fausses informations ». Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que la notion de « fausses nouvelles » est interprétée comme désignant les nouvelles se rattachant à un fait précis et circonstancié, non encore divulgué et dont le caractère mensonger est établi de façon objective. Le champ d’application de la notion de « fausses informations » est plus large en ce qu’il supprime la condition tenant à l’absence de divulgation préalable de l’information litigieuse. Dans la mesure où cette notion ne vise toutefois que les informations dépourvues de tout élément de fait contrôlable de nature à les rendre vraisemblables, et qu’elle n’a ni pour objet, ni pour effet, d’attraire dans la catégorie juridique des fausses informations l’expression d’opinions, la prise en compte des fausses informations déjà divulguées a été validée par le Conseil d’Etat.

Ces « fausses informations » sont aussi cohérentes au regard de la distinction qu’opère la Cour européenne des droits de l’homme entre les jugements de valeur, à propos desquels la Cour estime, sauf exceptions, que l’obligation de preuve est impossible à remplir et porte atteinte à la liberté d’opinion elle-même, et les déclarations de fait, dont la matérialité doit pouvoir se prouver (CEDH, 27 mai 2001, Jerusalem c/ Autriche, n° 26958/95).

Toutefois, par souci de cohérence et d’intelligibilité du texte, le Conseil d’Etat suggère d’harmoniser les différentes dispositions des propositions de loi pour ne retenir que la notion de « fausses informations », plus opératoire.

Obligation de transparence des plateformes internet

L’obligation de transparence renforcée appliquée aux plateformes techniques, leur imposerait de révéler, à leurs utilisateurs, l’identité et la qualité des personnes leur versant des rémunérations en contrepartie de la promotion de contenus d’information, ainsi que les montants correspondants.  Le Conseil d’Etat doute de la compatibilité de cette disposition avec le droit de l’Union européenne. Pour justifier une telle dérogation à cette liberté, le fondement juridique qu’identifie le Conseil d’Etat consisterait à rattacher cette disposition à une raison impérieuse d’intérêt général inédite, tirée de l’intérêt qui s’attache à l’information éclairée des citoyens en périodes électorales. Cette argumentation pourrait se réclamer des précédents à l’occasion desquels la Cour de justice des Communautés européennes, après avoir dégagé cette catégorie de façon prétorienne dans son arrêt dit Cassis de Dijon (20 février 1979, n° 120/78) à propos de la libre circulation des biens, a admis qu’elle s’appliquait également à la libre prestation de services et qu’en relevaient la protection des consommateurs (22 octobre 1998, Commission c/ France, C-184/96) ainsi, de façon plus topique, que le maintien d’une certaine qualité de programmes par la lutte contre les excès de la publicité télévisuelle (28 octobre 1999, ARD c. Pro Sieben Media AG, C-6/98).

Cette nouvelle obligation amplifie les exigences déjà imposées aux plateformes par l’article L. 111-7 du code de la consommation, puisqu’elle les contraint à révéler non plus seulement l’existence d’une relation influençant son activité d’intermédiation, mais également l’identité du tiers cherchant à promouvoir certains contenus d’information ainsi que le montant de la contrepartie versée à cette fin.

Cette nouvelle obligation s’inscrit en outre avec cohérence dans un cadre plus global qui, d’une part, interdit la publicité à des fins de propagande électorale, y compris l’achat de liens commerciaux en vue d’obtenir un meilleur référencement (CE, 13 février 2009, Elections municipales de Fuveau, n° 317637, T.), dans les six mois précédant le scrutin (article L. 52-1 du code électoral) et, d’autre part, impose que les communications commerciales qui font partie d’un service de la société de l’information, et la personne pour le compte de laquelle elles sont faites, soient identifiables comme telles (article 6 de la directive 2000/31/CE).

Dans ces conditions, le Conseil d’Etat estime que la limitation apportée aux principes constitutionnels de la liberté du commerce et de l’industrie et de la liberté d’entreprendre n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif d’intérêt général ainsi poursuivi.

La question du référé

Une nouvelle procédure de référé, serait ouverte uniquement pendant les périodes électorales précédant les scrutins d’ampleur nationale, qui serait portée devant un seul tribunal de grande instance. Se prononçant dans un délai de 48 heures, ce juge des référés pourrait, à la demande du ministère public ou de toute personne ayant intérêt à agir, prescrire aux hébergeurs ou, à défaut, aux fournisseurs d’accès à internet toutes mesures aux fins de faire cesser la diffusion artificielle et massive, par le biais d’un service de communication au public en ligne, de faits constituant des fausses informations. Le Conseil d’Etat a émis des doutes sérieux sur  l’efficacité de ce référé, entre autres, en raison de la vitesse de propagation des fausses informations.

Nouveaux pouvoirs du CSA

Sur les nouvelles compétences du CSA, le Conseil d’Etat a estimé qu’ils ne méconnaissaient  aucune exigence de valeur constitutionnelle ou conventionnelle. En effet, d’une part, le Conseil constitutionnel admet qu’il est loisible au législateur de soumettre le secteur privé de la communication audiovisuelle à un régime d’autorisation administrative, et que la prévention des atteintes à l’ordre public est au nombre des objectifs de valeur constitutionnelle à concilier avec la liberté d’expression et de communication (décision n° 2016-738 DC du 10.11.2016). D’autre part, la disposition envisagée ne paraît pas incompatible avec celles de la directive 2010/13/UE du 10 mars 2010, laquelle ne procède pas à une harmonisation complète des règles relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels. La  CJUE reconnaît en cette matière aux Etats membres la possibilité de prévoir des règles supplémentaires en lien avec l’ordre public (voir en ce sens CJUE, 22.09.2011, Mesopotamia Broadcast A/S METV, C-244/10 et C-245/10).

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