Lutte contre la fraude et conformité au sein des agences bancaires

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Lutte contre la fraude et conformité au sein des agences bancaires

Madame [Y] [S] a été engagée par la société Bred Banque Populaire en 1989 en tant que chargée d’accueil commercial, puis a signé un contrat à durée indéterminée en 1999 comme responsable de centre patrimonial. En février 2019, elle a été convoquée à un entretien préalable au licenciement, qui a été reporté à cause de son état de santé. Elle a été licenciée le 22 mars 2019 pour faute grave, en raison de plusieurs manquements graves, notamment des violations des procédures internes concernant l’ouverture et la gestion d’un compte d’un client avec qui elle avait une relation personnelle. Les investigations ont révélé des irrégularités dans la gestion de ce compte, des conflits d’intérêts, et un comportement inacceptable en matière de conformité. Madame [S] a contesté son licenciement devant le conseil de prud’hommes, qui a confirmé le licenciement pour faute grave. Elle a interjeté appel, demandant la requalification de son licenciement et des indemnités. La société Bred Banque Populaire a maintenu que le licenciement était justifié. L’audience d’appel est prévue pour juin 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

18 septembre 2024
Cour d’appel de Paris
RG
21/01640
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 3

ARRET DU 18 SEPTEMBRE 2024

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/01640 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDFQH

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Octobre 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 19/07408

APPELANTE

Madame [Y] [S]

Née le 24 juin 1965 à [Localité 6]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Jérémie ASSOUS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0021

INTIMEE

S.A. BRED BANQUE POPULAIRE Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

N° SIRET : 552 091 795

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334, avocat postulant et par Me Dominique CRIVELLI JURGENSEN, avocat au barreau de PARIS, toque : E1245

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Fabienne ROUGE, Présidente de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Fabienne ROUGE, présidente

Véronique MARMORAT, présidente

Anne MENARD, présidente

Greffier, lors des débats : Madame Laetitia PRADIGNAC

ARRET :

– Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Fabienne ROUGE, Présidente de chambre et par Laëtitia PRADIGNAC, Greffière, présent lors de la mise à disposition.

EXPOSE DU LITIGE :

Madame [Y] [S] a été engagée par la société Bred Banque Populaire dans le cadre d’un contrat d’apprentissage du 5 mai 1989 en qualité de chargée d’accueil commercial en agence.

La convention collective applicable à la relation de travail est celle de la banque.

Le 8 mars 1994, Mme [S] a notifié à la société Bred Banque Populaire sa démission.

Le 5 août 1999, les parties ont conclu un nouveau contrat de travail, à durée indéterminée, avec prise d’effet au 1er décembre 1999. Mme [S] y était alors engagée en qualité de responsable de centre patrimonial.

Le 8 février 2019, Madame [S] a été convoquée à un entretien préalable fixé le 27 février suivant. La convocation était assortie d’une mise à pied à titre conservatoire.

Le 27 février 2019, Mme [S] a été convoquée à un nouvel entretien préalable fixé au 6 mars suivant.

Le 22 mars 2019, la société Bred Banque Populaire a notifié à Mme [S] son licenciement pour faute grave, énonçant les motifs suivants :

‘ Par courrier remis en main propre le 8 février dernier, nous vous avons convoquée le 27 février 2019 à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement.

Par courriel en date du 26 février 2019, votre conseil a sollicité un report de cet entretien en raison de votre état de santé. A titre exceptionnel, nous avons accepté de le décaler au 6 mars 2019.

Pourtant, vous ne vous êtes pas présentée à cet entretien, sans nous avoir informés préalablement de votre absence, et ce, alors que votre arrêt de travail prévoit bien une autorisation de sortie sans restriction d’horaires.

Nous entendons dès lors poursuivre la procédure engagée et sommes au regret de vous notifier votre licenciement pour faute grave, pour les motifs suivants :

Vous êtes entrée à la BRED le 1er décembre 1999 et occupiez en dernier lieu les fonctions de Directrice de Cercle Patrimonial.

Le 31 janvier dernier, vous avez pris l’initiative de téléphoner au Directeur Général afin de l’informer de votre volonté de porter plainte contre deux « personnes » que vous avez identifiées comme étant [G] et [M] [R] en raison de ce que vous avez qualifié d’extorsion de fonds.

Vous avez alors précisé au Directeur Général que, depuis le mois de décembre 2018, vous aviez entretenu une relation intime avec l’un de vos clients, Monsieur [F], ayant un compte au cercle patrimonial. A cette période, ce client vous aurait présenté deux contacts au cours d’un rendez-vous personnel organisé à l’extérieur de la Banque, et au cours duquel deux enveloppes contenant des espèces auraient été remises à Monsieur [F] en votre présence.

Il aurait été alors convenu, selon vos explications, que ces sommes seraient restituées par Monsieur [F] par le biais d’un virement sur un compte à l’International pour l’un, et par l’émission d’un titre de créance sur un compte à ouvrir pour le second.

Pour finir, vous avez indiqué dans le cadre de cette dénonciation que Monsieur [F] n’ayant pas selon vous remboursé ces personnes, celles-ci vous auraient menacée de se retourner contre vous afin d’en obtenir la restitution, vous considérant, selon vous, comme ayant joué le rôle de caution de ces « opérations financières ».

Compte tenu de l’extrême gravité de la situation portée ainsi à la connaissance, à votre initiative, de la Direction Générale, la Direction de la conformité et des risques a été saisie dès le lendemain et des investigations ont été menées dans le cadre d’une mission d’inspection.

Un pré-rapport a été émis par la Direction de la conformité le 8 février 2019, à la suite duquel vous avez été reçue par Monsieur [L] – Directeur de la conformité – et Monsieur [C] – Inspecteur principal.

Un rapport définitif de la Direction de la conformité et des risques a été établi le 11 février 2019, confirmant un comportement professionnel inacceptable caractérisant, à divers titres, la violation des dispositions du règlement intérieur tout comme de la politique de crédit de la BRED.

1. A la suite de l’intervention du Chef de cabinet – Chauffeur du Président de la BRED, au mois de mars 2018, vous êtes entrée en relation avec Monsieur [F] afin d’envisager l’ouverture d’un compte particulier au sein de la BRED.

Vous avez reçu ce client dans le cadre de plusieurs rendez-vous au cours du mois d’avril 2018 ; il vous a confirmé son souhait d’ouvrir un compte au sein de notre banque afin d’y déposer des sommes conséquentes.

Le 30 avril 2018, votre responsable hiérarchique adressait un courriel au collaborateur de la BRED à l’origine de cette entrée en relation (courriel dont vous êtes en copie), afin de l’alerter sur la complexité de ce dossier et de la nécessité de veiller à tracer l’origine des fonds détenus par Monsieur [F] avant de procéder à un quelconque encaissement de fonds.

Compte tenu du profil atypique de ce client, vous avez sollicité à juste titre l’ouverture d’une enquête auprès des services de l’Intelligence Economique. Le rapport rendu le 4 mai 2018 ayant émis un avis favorable sur le profil de ce client, vous avez donné instruction d’ouvrir un compte le 1er juin 2018 (compte n° 515.06.3991).

2. Or, en ouvrant ce compte, vous n’avez pas respecté les règles relatives à l’ouverture d’un compte de particuliers qui vous incombaient. Strictement encadrées par la réglementation bancaire, ces règles font l’objet de nombreuses procédures ou communications à la disposition des collaborateurs de la BRED sur notre site intranet.

En effet, tous les professionnels visés par l’article L. 561-2 du Code Monétaire et Financier ont une obligation de vigilance sur leur client ou client occasionnel mais aussi sur les bénéficiaires effectifs des opérations dès l’entrée en relation d’affaires, en mettant en place les procédures et mesures adaptées de contrôle interne pour effectuer toutes les diligences nécessaires à des fins d’identification du client sur la base des informations en leur possession ou de tout document écrit probant.

C’est pourquoi la politique de crédit de la BRED sur le marché des particuliers en date du mois de juin 2017 impose à l’ensemble des collaborateurs « une parfaite connaissance des clients ou prospects traduite dans un dossier client complet et actualisé, ayant fait l’objet d’une étude suffisamment approfondie sur :

. la qualité / l’importance du client et des tiers qui font partie de son groupe familial,

. le respect des règles de lutte contre la fraude et le blanchiment,

. la nature / le volume des concours,

. l’objet des concours qui doit être clairement identifié et justifié,

. la capacité de remboursement de l’emprunteur qui doit être démontrée ».

Ces règles de vigilance sont également rappelées dans la TOPCOM de la BRED relative à l’ouverture de comptes des personnes physiques, qui précise très clairement que lors de l’ouverture de compte, le conseiller doit veiller à la complétude du Dossier Réglementaire Client (DRC).

Pour les prospects ne percevant aucun revenu, la procédure précise qu’il convient de faire signer et de numériser une attestation d’absence de revenu imprimée lors de l’ouverture du compte.

De la même manière, le devoir de vigilance imposé par notre règlement intérieur dispose que :

Les collaborateurs représentent et engagent la Banque, notamment par leur signature. Ils agissent conformément aux procédures internes, dans le cadre des pouvoirs qui leur sont attribués. Dans le fonctionnement des comptes des clients, ils interviennent sur instruction de ceux-ci, avec loyauté, neutralité et discrétion. Au titre de l’obligation de non-ingérence, les collaborateurs ne peuvent s’immiscer dans la conduite des affaires des clients.

La lutte contre le blanchiment des capitaux nécessite la participation des établissements de crédit et des organismes financiers, selon des modalités fixées par la législation et la réglementation qui imposent un devoir de vigilance et de déclaration.

Le devoir de vigilance passe par un contrôle approfondi, lors de l’ouverture du compte, de l’identité et du domicile du client et le respect des procédures de la Banque concernant les opérations de la clientèle ».

3. Malgré toutes ces règles pourtant impératives, les éléments recueillis pour procéder à l’ouverture de ce compte n’étaient pas en cohérence avec les procédures rappelées ci-dessus.

En effet, le dossier économique de ce client indique qu’il est sans profession et sans revenu. Pour toute pièce justificative, vous avez annexé une note manuscrite indiquant « justificatif absent – client vivait avant à l’étranger. Réception du justificatif de revenus dans un mois.

Or, ce justificatif n’a jamais été apporté ni mis à jour dans le dossier de Monsieur [F].

4. De la même manière, vous avez délivré à ce client une carte World Elite MasterCard, carte haut de gamme réservée en principe à des clients disposant d’un montant minimum de revenu, et lui avez accordé une autorisation de découvert d’un montant de 1 500 €.

Or, la procédure relative au champ libre accueil (CLAC) impose non seulement la domiciliation du salaire comme préalable à toute autorisation de découvert, mais également que le montant d’une telle autorisation doit être inférieur au salaire domicilié.

Force est de constater que l’ouverture de ce compte ne respectait pas l’ensemble des obligations imposées par la BRED et plus généralement par la réglementation en vigueur.

5. A la suite de la transmission d’information par Monsieur [F] concernant la vente de ses tableaux, vous avez reçu une seconde enquête de la part des services de l’Intelligence Economique qui s’est autosaisie le 4 septembre 2018.

Contrairement au précédent, ce rapport a émis un avis négatif concernant ce client, relevant des incohérences dans son profil et les informations qu’il a délivrées :

Autrement dit et jusqu’à plus ample information, nous avons constaté qu’il n’a délibérément pas répondu aux questions que nous lui avons posées quant à la compréhension de sa stratégie financière et du choix de sa résidence fiscale.

Par ailleurs, il ment sur la vente et le prix de ses tableaux. Nous avons compris qu’il attendait de la BRED l’autorisation de ramener de l’argent en France.

« Dans ces conditions et contrairement à ce que je vous avais écrit dans la note relative à Monsieur [O] [F], je ne crois pas opportun de poursuivre la relation avec lui sauf dernière explication claire de sa part ».

Pourtant, la procédure LAB-FT-V.4 impose aux opérationnels en charge de l’entrée en relation et du traitement des opérations (paragraphe 2.1.5 page 8) « de prévenir la Conformité SLAB-FT en cas de doute sur la nature des renseignements fournis ou sur l’origine des fonds au moyen de la demande d’enquête à adresser à 8005A ».

Depuis le début de cette entrée en relation, force est de constater que vous avez volontairement ignoré puis dissimulé des éléments qui auraient dû vous pousser à signaler la situation de ce client auprès de la Direction de la conformité et des risques.

6. A compter du mois d’août 2018, soit deux mois après son ouverture, ce compte a fonctionné en ligne débitrice.

En effet, le 31 juillet 2018, le compte de Monsieur [F] présentait un solde débiteur de 150,41 €. Le 30 août, ce débit s’élevait à 2 066,15 €, dépassant ainsi la limite de découvert autorisée.

Le 1er octobre, le solde débiteur de Monsieur [F] s’élevait à un montant de 6 560,12 €.

7. Le 15 octobre 2018, la Direction du crédit a rejeté le paiement d’une quittance de loyer sur le compte de ce client en raison de l’absence de flux créditeur, mais également en raison de la présence de deux avis à tiers détenteur sur ce compte.

Afin de faciliter la validation de cette opération, vous avez alors indiqué à la Direction de crédit que Monsieur [F] s’était engagé à déposer sur son compte 35 000 € de traites au plus tard le 12 décembre prochain.

Le 23 octobre 2018, la Direction du crédit a maintenu le rejet de cette quittance et vous a alertée dans les termes suivants :

‘Je maintiens ma position de rejet prise précédemment et anormal d’avoir des traites à l’encaissement sur un compte de particuliers, et pire, dont une tirée sur le compte BRED de société de construction ! avec un gérant iranien qui ne seront probablement pas payées »

‘Merci de ne pas anticiper les crédits, la traite BRED de 34 700,00 € sera quasi sûr rejetée. Obtenir la couverture et GRANDE VIGILANCE sur ce compte ».

Le 30 octobre 2018, le solde débiteur de Monsieur [F] s’élevait à 10 302,56€.

Loin de vous conformer aux instructions pourtant très claires qui vous ont été données, vous avez laissé la situation de ce compte s’aggraver.

En effet, deux autres positions ont été rejetées par la Direction de crédit entre les 16 et 26 novembre 2018. En date du 30 novembre, le compte de Monsieur [F] affichait un solde débiteur de 16 539,92 €.

8. Vous avez multiplié les interventions afin de masquer la réalité de la situation de ce compte et déjouer les différents contrôles mis en place par la BRED.

Ainsi, le 6 novembre 2018, Monsieur [F] a effectué une remise d’effet d’un montant de 14 500 €, devant être crédit à l’échéance du 19 décembre 2018. Le 14 novembre, deux autres remises d’effet ont été effectuées par ce client pour un montant de 49 200 €, avec une date d’échéance au 13 décembre 2018.

Compte tenu des alertes de la Direction du crédit les 15 et 23 octobre derniers vous appelant à la plus grande vigilance et par ailleurs du caractère anormal de ces opérations, il vous appartenait ici encore une fois d’alerter la Direction des crédits et/ou la Direction de la Conformité-LAB-FT des anomalies rencontrées sur ce compte, ce que vous vous êtes gardée de faire.

En effet, outre le fait qu’un compte particulier n’est habituellement pas destiné à recevoir des sommes d’origines professionnelles autre que la domiciliation d’un salaire, cette incohérence aurait d’autant plus dû vous alerter en raison du fait que ce client avait déclaré à l’ouverture de son compte être sans profession.

« Par ailleurs, ces lettres d’effet ont été émises par la SARL SMS Services (commerce) et la société Belle Rénovation (BTP). Or, la politique de crédit professionnels et entreprises identifie ces deux secteurs d’activité comme étant des secteurs sensibles, qui exigent une attention particulière.

Malgré le fait que deux de ces trois remises d’effet ont été rejetées les 17 et 21 décembre 2018 au motif d’une absence de provisions, cette manipulation a permis au compte de Monsieur [F] d’afficher un solde fictivement créditeur de 11 647,89 € le 31 décembre 2018.

9. Selon vos indications, vous avez noué une relation intime avec ce client à compter du mois de décembre 2018.

Pourtant, vous avez continué d’intervenir sur son compte en dépit des dispositions du règlement intérieur relatives à la gestion de compte de proches, qui disposent que :

‘ On entend par « proches » les personnes physiques ou morales avec lesquelles un collaborateur a des liens privilégiés, familiaux, étroits, ou un intérêt direct / indirect important à la réalisation de la transaction telles que, notamment, définies dans le règlement général AMF’.

Les collaborateurs doivent respecter les procédures et règles sur le fonctionnement des comptes clients. Ils ne peuvent pas procéder eux-mêmes à l’ouverture ni être gestionnaires du compte. Ils ne peuvent pas accorder un crédit ou un prêt, forcer des opérations, appliquer des conditions dérogatoires, restituer des agios, extourner des commissions, modifier les dates de valeurs standard ».

Compte tenu de vos liens étroits avec Monsieur [F], vous étiez tenue de ne plus intervenir sur la gestion de ce compte et de le transmettre à un autre collaborateur de la BRED, et ce, afin de ne pas vous placer en situation de conflit d’intérêts :

 » Le collaborateur ne doit pas intervenir dans toute opération bancaire ou financière qui pourrait le placer en situation de conflit d’intérêts.

Un conflit d’intérêt personnel se produit notamment lorsque le collaborateur, ou un membre de sa famille, a un intérêt personnel, ou est engagé dans une activité susceptible d’affecter sa capacité à s’acquitter de ses fonctions d’une manière objective, impartiale et efficace ».

« Votre contrat de travail précise également que vous êtes tenue de « respecter les exigences de notre profession et plus particulièrement de notre Banque, qu’il s’agisse de votre présentation, de votre rigueur financière, du respect du secret professionnel ou de votre attachement à défendre les valeurs de notre entreprise à l’intérieur comme à l’extérieur de celle-ci ».

En persistant à gérer le compte de Monsieur [F], vous avez manqué aux impératives obligations déontologiques et ainsi à l’éthique professionnelle.

10. Le 10 janvier 2019, une troisième lettre d’effet a également été rejetée, aggravant plus encore la situation du compte de Monsieur [F], qui s’élevait à cette date à un montant de – 33 553,11 €.

Afin de masquer la situation anormalement déficitaire du compte de ce client, vous lui avez alors accordé une autorisation de découvert d’un montant de 50 000 €, et, pour ce faire, vous avez bafoué la procédure applicable en la matière.

En effet, les données économiques renseignées dans ce dossier ne sont pas cohérentes avec l’autorisation mise en place, puisqu’il est indiqué que ce client est sans profession et sans revenu.

Ces données n’ayant jamais été actualisées, aucun revenu n’a jamais été domicilié sur ce compte. Vous ne deviez pas accorder à Monsieur [F] un tel découvert.

« Principalement destinée à masquer la situation de Monsieur [F], cette intervention vous a permis de contourner le refus des positions opposées par la Direction du crédit puisqu’elles se situaient de nouveau dans la limite de l’autorisation de découvert accordée à ce client.

Cette facilité de trésorerie anormale a été totalement utilisée par Monsieur [F]: le 25 janvier 2019, vous avez en effet contresigné sa demande de virement d’un montant de 27 710,10 €.

Une fois de plus, cette validation est totalement incohérente dans la mesure où elle intervient postérieurement au rejet des trois remises d’effets présentées par Monsieur [F] faute de provisions.

Au 30 janvier 2019, le compte de Monsieur [F] affichait un solde négatif de 50 411,21 €, dépassant donc de nouveau le plafond de découvert que vous aviez indûment autorisé.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments qui ont été recueillis à l’occasion des investigations que votre comportement professionnel, qui s’est confondu à un moment donné avec des faits de votre vie privée, est intolérable.

« Par votre conduite, vous avez enfreint de nombreuses dispositions des procédures et de la Politique de Crédit applicable à la BRED, mais également de nombreuses dispositions du règlement intérieur (et notamment celles relatives à la déontologie, à la gestion de compte de proches, aux conflits d’intérêts et encore au devoir de vigilance).

Votre qualité de Directrice de cercle patrimonial – statut cadre hors classification – mais également votre expérience réussie dans le secteur bancaire, auraient dû vous amener à adopter une conduite exemplaire, à respecter les obligations déontologiques et les procédures internes parfaitement connues, que vous avez bafouées à divers titres au profit de Monsieur [F].

Vous avez par ailleurs régulièrement suivi de nombreuses formations règlementaires dispensées par la BRED afin de vous permettre de pouvoir réagir comme il se devait face à ce type de situation. A titre d’illustration, vous avez réalisé en 2018 une formation e-learningrelative au groupe BPCE de lutte contre la fraude et les manquements internes, une sensibilisation à la lutte contre la corruption.

Précédemment, vous aviez effectué plusieurs formations relatives à la lutte anti-blanchiment / financement du terrorisme (2013 et 2014), tout comme la formation intitulée « les incontournables de l’éthique professionnelle et lutte contre la corruption » (2017).

Votre comportement fautif, à ces divers titres, rend impossible le maintien de nos relations contractuelles ; c’est la raison pour laquelle nous sommes contraints de prononcer votre licenciement pour faute grave.

Nous vous informons que, si vous souhaitez utiliser la procédure de recours prévue à l’article 27-1 de la convention collective de la Branche Banque Populaire, vous pouvez, dans un délai de cinq jours calendaires à compter de la notification de la présente, saisir par lettre recommandée avec accusé de réception la Commission Paritaire de Recours de Branche – [Adresse 3].

Vous avez également la possibilité de faire une demande de précision des motifs du licenciement énoncés dans la présente lettre, dans les 15 jours suivant sa notification, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. Nous avons la faculté d’y donner suite selon les mêmes formes, dans un délai de 15 jours après réception de votre demande. Nous pouvons également, le cas échéant et dans les mêmes formes, prendre l’initiative d’apporter des précisions à ces motifs dans un délai de 15 jours suivant la notification du licenciement.

Enfin, vous pourrez bénéficier du maintien de vos droits à prévoyance et de la garantie complémentaire des frais de santé souscrite par notre entreprise pendant la durée de votre prise en charge par le régime d’assurance chômage, dans les conditions fixées selon les conditions visées à l’article L. 911-8 du Code de la Sécurité Sociale. A cet effet, vous trouverez joints au présent courrier les deux formulaires d’adhésion ainsi que les notices d’information associées qu’il convient, le cas échéant, de nous retourner ainsi que les notices associées.

Nous vous prions d’agréer, Madame, nos salutations distinguées’

Le 18 avril 2019, la commission paritaire a confirmé le licenciement de Madame [S].

Contestant son licenciement, madame [S] par acte du 6 août 2019 saisissait le conseil de prud’hommes de Paris qui, par jugement du 8 janvier 2021 a :

– débouté madame [Y] [S] de l’ensemble de ses demandes,

– condamné madame [Y] [S] au paiement des entiers dépens.

Par déclaration du 5 février 2021, madame [S] a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 29 mars 2024, madame [S] demande à la cour :

– d’infirmer le jugement en ce qu’il a :

– débouté madame [Y] [S] de l’ensemble de ses demandes,

– condamné madame [Y] [S] au paiement des entiers dépens,

par suite, jugeant de nouveau :

– de déclarer les demandes de madame [Y] [S] recevables et bien fondées,

– de déclarer que madame [Y] [S] devait faire face à une importante surcharge de travail au cours de l’année 2018, affectant les missions qui lui étaient confiées,

– de déclarer que madame [Y] [S] ne commettait aucune faute grave dans l’exécution de son contrat de travail,

– de requalifier le licenciement pour faute grave de madame [Y] [S] en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en conséquence :

– de condamner la société Bred Banque Populaire à verser à madame [Y] [S], avec intérêt à taux légal, les sommes suivantes :

– 238 214,59 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 115 691,87 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

– 37 612,83 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 3 761,28 euros au titre des congés payés y afférents,

– de condamner la société Bred Banque Populaire à payer à madame [Y] [S], avec intérêt légal et anatocisme, la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral,

– de condamner la société Bred Banque Populaire à remettre à Madame [Y] [S] une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail et un bulletin de paie régularisés, ainsi que ces différents contrats de travail, sous astreinte de 50 euros par jour de retard,

– de condamner la société Bred Banque Populaire au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– de condamner la société Bred Banque Populaire aux entiers dépens de l’instance.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 20 mai 2024, la société Bred Banque Populaire demande à la cour :

Sur la rupture du contrat de travail :

– de dire que la cause du licenciement est exacte,

– de dire les faits non prescrits,

– de dire le licenciement de Madame [Y] [S] fondé sur une faute grave,

en conséquence

– de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a dit que le licenciement reposait sur une faute grave,

par voie de conséquence,

– de débouter Madame [S] de l’ensemble de ses demandes liées au licenciement,

– de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Madame [S] de sa demande de demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,

– de la débouter de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– de la condamner en tous les dépens.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 21 mai 2024 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 17 juin 2024.

Aucune note en délibéré n’a été autorisée , la pièce produite par RPVA dont il soutenu qu’elle est présente dans le dossier de plaidoirie sous un autre format peut donc être écartée des débats.

La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

MOTIFS

Madame [S] occupait le poste de Directrice du Cercle Premier (Direction Patrimoniale) et avait été nommée Directrice Adjointe de la BRED Banque Privée en 2014. Sa rémunération moyenne mensuelle était en son dernier état de 12 537,61 euros, montant témoignant de ses importantes responsabilités.

Sur la faute grave

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie son départ immédiat. L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve ; à défaut de faute grave, le licenciement pour motif disciplinaire doit reposer sur des faits précis et matériellement vérifiables présentant un caractère fautif réel et sérieux.

En vertu des dispositions de l’article L 1232-6 du Code du travail, la lettre de licenciement, notifiée par lettre recommandée avec avis de réception, comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur.

La motivation de cette lettre fixe les limites du litige.

Il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n’a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement

Sur la prescription

En vertu des dispositions de l’article L 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà de d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu, dans le même délai, à l’exercice de poursuites pénales ;

Madame [S] soulève la prescription en indiquant que la délivrance de la carte ‘World Elite Mastercard’ avait été attribuée dès l’ouverture du compte et rappelle que le directeur avait un accès direct à l’ensemble des comptes et que la direction des contrôles contrôlait de manière permanente les risques opérationnels

La société Bred Banque Populaire indique que les faits reprochés à madame [S] ne sont pas prescrits. Elle souligne n’avoir pris connaissance de ces faits qu’à l’issue de l’enquête diligentée à la suite des révélations faites à la Direction Générale, par madame [S].

Comme le soutient la BRED le point de départ de la prescription doit être fixé au 11 février 2019 date de la remise du rapport qui a permis à la direction de prendre connaissance des anomalies et absences de justificatifs dans le dossier de Monsieur [F], alors que l’octroi de cette carte haut de gamme est conditionnée à des critères économiques justifiant que le dossier soit complet, ce qui n’était toujours pas le cas lors du dépôt du rapport.

En outre il est reproché à la salariée des manquements et une absence de vigilance pendant toute la durée de la relation contractuelle et non un fait unique et instantané. La persistance du défaut de justificatif pendant la durée du contrat ne permet pas de considérer ce fait comme prescrit.

Sur les griefs

Madame [S] donne pour instruction d’ouvrir un compte à monsieur [F] qu’elle avait reçu ainsi que cela résulte de son mail en date du 23 mai dans lequel :’Je reçois mr [F] vendredi pour ouvrir son compte’.

Il sera cependant observé qu’elle avait l’accord de monsieur [P] du service de l’Intelligence économique et que monsieur [D] le directeur de Bred banque privée ne s’y était pas opposé, il avait cependant souligné la nécessité de bien veiller à l’origine des fonds.

L’avis de la délégation syndicale que madame [S] ne gérait pas le compte de monsieur [F] est erroné. S’il résulte des relevés bancaires versés aux débats qui démontrent qu’entre juillet 2016 et novembre, le conseiller de monsieur [F] est monsieur [J], il apparait qu’à compter de décembre 2018 c’est madame [S] son conseiller. Ce que confirmait monsieur [J] dans son attestation versée aux débats.

En outre celle-ci verse aux débats des messages ( sms )que monsieur [F] lui adressait par téléphone sans que leur teneur ne figure sur les pièces communiquées, ce qui montre l’existence d’échanges entre eux à tout le moins professionnel.

Celle-ci a réceptionné un mail de monsieur [P] de l’Intelligence Economique lui indiquant qu’il n’était pas opportun eu égard aux mensonges de ce client de poursuivre la relation avec celui-ci sauf dernière explication claire de sa part. Elle prétend que suite à un rendez vous avec monsieur [F] il serait revenu sur cette appréciation. Le seul élément produit pour démontrer cette assertion est le début d’un Sms de monsieur [P] ‘en effet il figure sur Artprice ,on ne l’a pas trouvé l’autr….’, ce qui est insuffisant.

Il résulte des relevés de compte que le compte de ce client était en permanence à découvert sans qu’aucun crédit n’y apparaisse jusqu’à ce que des effets repectivement de 34700 et deux de 14500€ y figurent avant qu’ils ne soient impayés.

Il sera souligné que ces effets ont figurés sur le compte personnel de monsieur [F] malgré les avis explicites de monsieur [W] en date des 16 et 23 octobre 2018 adressés à monsieur [J] et madame [S], refusant que ce compte d’un particulier reçoive des sommes d’origine professionnelle.

Malgré le fonctionnement de ce compte qui était régulièrement à découvert monsieur [F] obtenait une autorisation de découvert de 50 000€ accordé par madame [S] , alors qu’il résultait de la fiche de renseignement, accompagnant la signature du contrat qu’il était sans profession.

Celle-ci a en outre validé le virement dans ce cadre de 27710€, le compte devenant débiteur d’un montant de 50411,21€.

Ainsi ces griefs sont démontrés.

Sur l’existence d’une relation avec monsieur [F]

La BRED verse aux débats deux attestations de messieurs [C] et [A] relatant une conversation téléphonique mise sur haut parleur entre madame [S] et monsieur [I] début 2019 au cours de laquelle elle indiquait avoir eu aventure avec son client monsieur [F] Ces attestations ne peuvent permettre d’établir l’existence d’une relation intime entre celle-ci et son client mais elles expliquent le fait que cette dernière, en raison de la proximité qu’elle a eu avec ce client qui est démontrée par leurs échanges ( SMS et mails) se soit trouvée dans une situation de conflit d’intérêt.

Le mail de monsieur [U] qui écrit à madame [S] au sujet d’un projet de cession de son capital à monsieur [F] qui lui a été présenté par monsieur [P] et madame [S] présenté que :’ votre introduction a été pour moi une recommandation très précieuse et le fait que vous disposiez d’une adresse E-mail dans l’organisation de monsieur [F] a représenté pour moi une garantie supplémentaire me permettant d’aller de l’avant ‘, corrobore les liens existants entre celle-ci et son client .

Ce qui démontre une situation de conflit d’intérêt

Pour se justifier madame [S] soutient s’être trouvée dans une situation de surcharge de travail la mettant dans l’impossibilité matérielle de suivre les mouvements de compte.

La BRED conteste la surcharge de travail invoquée par celle-ci.

Il sera en tout état de cause observé que madame [S] était alertée à de multiples reprises sur le fonctionnement de ce compte que ce soit par des collègues de la banque que par monsieur [F] lui même qui promettait des paiements, qui lui exposait ses projets de création de société , lui vantait des ventes qu’il avait réalisées.

Elle était nécessairement informée de la situation de compte de celui-ci puisqu’elle lui faisait le 9 janvier 2019 une offre de découvert et acceptait le 25 janvier l’attribution d’un virement de 27710€.

Compte tenu du poste qu’elle occupait, de son ancienneté dans la banque, de l’ensemble des fautes commises , et du conflit d’intérêt les faits qui lui sont reprochés constituent une faute grave. Le jugement sera confirmé et madame [S] déboutée de ses demandes.

Sur le préjudice moral

Madame [S] sollicite le paiement de la somme de 10 000€ à ce titre, la faute grave ayant été retenue par la cour , celle-ci ne peut invoquer de fait fautif justifiant cette demande

Elle en sera déboutée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l’article 450 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Vu l’article 700 du code de procédure civile

CONDAMNE madame [S] à payer à la BRED Banque Populaire en cause d’appel la somme de 1000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE les parties du surplus des demandes ;

LAISSE les dépens à la charge de madame [S].

Le greffier La présidente


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