L’utilisation des titres restaurant pour des achats de produits alimentaires

·

·

,
L’utilisation des titres restaurant pour des achats de produits alimentaires
Ce point juridique est utile ?

La loi n° 2023-1252 du 26 décembre 2023 a prolongé en 2024 l’utilisation des titres restaurant pour des achats de produits alimentaires non directement consommables.

I.   UN ÉPISODE INFLATIONNISTE DONT LA PERSISTANCE NÉCESSITE LA POURSUITE DE LA MOBILISATION EN FAVEUR DU POUVOIR D’ACHAT

● La reprise de l’inflation que la France subit depuis plus de deux ans se caractérise notamment par une hausse importante du prix des produits alimentaires, qui a tendance à diminuer.

Suivant les dernières statistiques publiées, ces derniers progressaient encore de 7,8 % sur un an en octobre 2023 (contre une augmentation de 9,7 % sur un an en septembre 2023). Entre les mois d’août 2021 et d’août 2023, leur augmentation atteignait 20 %. De fait, l’inflation sur les produits alimentaires constitue l’un des ressorts essentiels de l’inflation globale enregistrée depuis l’été 2021.

Ainsi que le montre le graphique ci-après, le phénomène a connu une brutale accélération entre l’été 2022 et l’été 2023 et connaît à présent une relative diminution progressive, même si le niveau des prix demeure élevé.

ÉVOLUTION DE L’INDICE MENSUEL DES PRIX À LA CONSOMMATION DES PRODUITS ALIMENTAIRES ENTRE JUIN 2022 ET SEPTEMBRE 2023

Source : Insee, Indice des prix à la consommation – résultats définitifs (IPC)– octobre 2023.

Comme ont pu l’établir de nombreux travaux dont ceux de la commission des affaires économiques ([1]), l’impact de la hausse du prix des produits alimentaires en France doit être appréhendé à l’aune de trois facteurs déterminants :

– premièrement, l’augmentation du prix des intrants (matières premières agricoles et énergie essentiellement) et des coûts de production subie par chaque maillon de la chaîne du secteur agroalimentaire ;

– deuxièmement, l’évolution des taux de marge de l’industrie agroalimentaire et des opérateurs de la grande distribution ;

– troisièmement, la pression de l’inflation générale sur le niveau et la progression du pouvoir d’achat.

● Afin de contrecarrer les effets hautement néfastes de cette conjoncture difficile, les pouvoirs publics ont pris un certain nombre de mesures afin de préserver autant que possible le pouvoir d’achat des ménages. Cette action comporte notamment, depuis juin 2022 :

– une revalorisation des prestations et minima sociaux sur le fondement de la loi précitée du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, avec effet rétroactif au 1er juillet 2022 selon le cas : il en va ainsi pour les pensions de retraite et d’invalidité de base, le revenu de solidarité active (RSA), l’allocation aux adultes handicapés (AAH) et l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) et la prime d’activité, ainsi que l’aide personnalisée au logement (APL) ;

– l’établissement à titre pérenne de la prime de partage de la valeur (PPV) ([2]), en remplacement de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat dite « prime Macron », instaurée en 2019 ;

– une hausse raisonnée du niveau du SMIC et des traitements au sein des trois fonctions publiques (par le biais de deux augmentations du point d’indice en juillet 2022 et juillet 2023, assorties de décisions destinées à améliorer les rémunérations au bas de l’échelle des rémunérations et de mesures catégorielles) ;

– un dispositif incitant les partenaires sociaux à rehausser régulièrement les minima de branche au niveau du SMIC ;

– la facilitation de la résiliation des abonnements et des assurances sur le fondement du dispositif mis en place par la loi précitée sur le pouvoir d’achat ;

– une réforme du cadre et de la périodicité des négociations commerciales (dans le cadre établi par la loi n° 2023-1041 du 17 novembre 2023 portant mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation concernant les produits de grande consommation).

II.   LES TITRES-RESTAURANT : UN INSTRUMENT POUVANT CONTRIBUER À LA PROTECTION DU POUVOIR D’ACHAT SANS DÉNATURER SON OBJET SOCIAL

● D’abord développée à l’initiative d’entrepreneurs privés, la distribution de titres-restaurant ([3]) constitue une pratique aujourd’hui formalisée dans le cadre hérité de l’ordonnance n° 67-830 du 27 septembre 1967 ([4]). Régis par les articles L. 3262-1 et suivants du code du travail, le titre-restaurant se définit comme « un titre spécial de paiement remis par l’employeur aux salariés pour leur permettre d’acquitter en tout ou en partie le prix du repas consommé au restaurant ou acheté auprès d’une personne ou d’un organisme […] » ([5]). En application de l’article R. 3262-1 du code du travail, il peut être émis sur un support papier ou sous forme dématérialisée, suivant les dispositions prises par les entreprises.

Les émetteurs de titres-restaurant en France

Aux termes de l’article L. 3262-1 du code du travail, les titres-restaurant peuvent être émis soit par l’employeur, soit par une entreprise spécialisée qui les cède à l’employeur moyennant le paiement de leur valeur libératoire et, le cas échéant, d’une commission. On recense aujourd’hui cinq principaux prestataires de service opérant sur le marché des titres-restaurant :

– Edenred (anciennement Accor), qui émet les Tickets Restaurant ;

– Groupe Up (anciennement Chèque Déjeuner), qui émet les Chèques Déjeuner ;

– Natixis Intertitres, qui émet les titres « Bimpli », anciennement « Apetiz » et « Chèque de Table » ;

– Sodexo, qui émet les Chèques restaurant anciennement appelés « Pass Restaurant » ;

– Swile (anciennement Lunchr), qui émet la Swile Card soit des titres restaurants dématérialisés, mais pas de titre papier.

Source : https://www.cse-guide.fr/fiches-pratiques/ticket-restaurant-fonctionnement-comparatif-prix-et-offres/

La distribution des titres-restaurant constitue un avantage social procuré à titre facultatif par l’employeur directement ou par l’intermédiaire du comité social et économique (CSE), à défaut d’une offre de restauration collective interne à l’entreprise.

Il repose sur la relation de travail existant avec les salariés. En conséquence, le bénéfice des titres-restaurant doit être ouvert, pour un même montant et sous des conditions identiques, à l’ensemble des catégories du personnel employé, indépendamment de la nature du contrat de travail, y compris aux stagiaires et aux intérimaires. Toute différence de traitement doit répondre à des motifs objectifs. En outre, le droit reconnu aux employeurs de réserver la fourniture de titres-restaurant à certains salariés demeure conditionné à l’existence d’une indemnité d’une valeur équivalente pour les autres membres du personnel. Sous ces réserves, la valeur des titres-restaurant peut être librement fixée par l’employeur. Par ailleurs, les salariés exerçant leur activité en télétravail peuvent prétendre à la distribution de titres-restaurant. 

Le financement des titres-restaurant comporte une contribution des employeurs et/ou du comité social et économique et une participation des salariés bénéficiaires. La prise en charge de l’employeur représente d’ordinaire de 50 % à 60 % de la valeur des titres distribués. Le financement de cette contribution en tout ou partie par le CSE repose nécessairement sur le budget des activités sociales et culturelles. Selon les chiffres recueillis par votre rapporteure, la somme des contributions versées par les employeurs pour les titres-restaurant représentait 4,33 milliards d’euros en 2022.

Sur le fondement de l’article L. 3262-6 du code du travail et dans le cadre défini par l’article 81 du code général des impôts, les titres-restaurant donnent lieu à une exonération d’impôt sur le revenu, ainsi qu’à des exonérations de cotisations sociales. D’après les données communiquées à votre rapporteure pour l’exercice 2021, le montant des exonérations s’élevait à 0,42 milliard d’euros au plan fiscal et à 1,39 milliard d’euros sur le plan des cotisations sociales, soit une dépense pour les finances publiques de l’ordre de 1,5 milliard d’euros.

● Dans le cadre de la loi précitée du 16 août 2022 sur le pouvoir d’achat, le législateur a résolu de faire des titres-restaurant un instrument de soutien au pouvoir d’achat qui pèse sur la consommation des produits alimentaires en étendant de manière provisoire le champ des produits dont ils pouvaient permettre l’achat.

À l’évidence, un tel dispositif dérogatoire se conçoit nécessairement comme une mesure ponctuelle et ciblée. Suivant la remarque formulée au cours de leur audition par des représentants des secteurs de l’hôtellerie-restauration, ainsi que des associations de consommateurs, l’usage des titres-restaurants ne concerne en effet que 5,5 millions de salariés, à raison des critères légaux de leur attribution.

Néanmoins, on ne saurait négliger l’importance de ce complément de rémunération non fiscalisé, tant pour le dynamisme de l’économie nationale que pour le soutien des revenus individuels.

À une échelle macro-économique, il convient en effet de rappeler que les dépenses réalisées au moyens des titres-restaurant atteignaient près de 8,5 milliards d’euros en 2022 (contre 7,87 milliards d’euros en 2021). Il s’agit là d’une ressource en progression régulière, ainsi que le montre le graphique ci-après, et irrigue toute une économie. D’après les éléments dont ont fait état les représentants de la direction générale des entreprises (DGE), les titres-restaurants comptent pour 1 % du chiffre d’affaire des grandes et moyennes surfaces (GMS) et 15 % de celui des restaurants.

ÉVOLUTION DU MARCHÉ DES TITRES-RESTAURANT

(valeur faciale, en milliards d’euros)

Source : commission nationale des titres-restaurants (https://www.cntr.fr/chiffres/)

À une échelle micro-économique, selon les données de la commission nationale des titres restaurants, avec une valeur moyenne de 7,70 euros, le dispositif des titres-restaurant permet un cofinancement des dépenses de restauration exposées par les salariés de l’ordre de 154 euros par mois ([6]). Dès lors, la diversification de l’usage des titres-restaurant conforte la protection du pouvoir d’achat dans une période d’inflation élevée.

C’est la raison pour laquelle la prorogation de la dérogation introduite par la loi précitée du 16 août 2022 peut être jugée opportune à titre temporaire. En revanche, la pérennisation d’un tel dispositif ne va pas de soi sans une réflexion quant à la finalité des titres restaurants et à leur place dans la vie économique et sociale au sens large.

Ainsi que l’ont rappelé les organisations représentatives du secteur de l’hôtellerie restauration, et – à un moindre degré – les associations de consommateurs, les titres-restaurants possèdent depuis l’origine un objet social : ils visent à soutenir les dépenses exposées par les salariés au cours de leur pause déjeuner (historiquement dans des restaurants et commerces de bouche) et participent d’un avantage social. Cette nature justifie la contribution des employeurs à leur financement, de même que la participation des finances publiques sous la forme d’une exonération aux plans fiscal et social. Dans cette optique, transformer les titres-restaurant en moyens de paiement ordinaires pour tout produit de consommation comporte le risque d’en dénaturer l’usage et de mettre en cause sa raison d’être. Votre rapporteure peut partager ce point de vue même si elle estime qu’il convient de prendre toute la mesure de l’évolution des conditions de vie salariale et des habitudes de consommation, en particulier dans le contexte créé par le recours accru au télétravail.

En outre, l’évolution de l’usage des titres-restaurant peut comporter des incidences économiques qu’il reste à mesurer, en particulier sur le plan de la concurrence entre les opérateurs économiques du secteur de la restauration et de l’alimentation.

Ainsi, les dernières statistiques tendent à mettre en lumière un glissement dans la répartition des dépenses réalisées au moyen des titres restaurants des commerces de bouche et de l’hôtellerie-restauration vers les grandes et moyennes surfaces (GMS). D’après les données consolidées par la commission nationale des titres-restaurant pour le troisième trimestre 2023 évoqués par l’ensemble des acteurs auditionnés, les restaurants et commerces de bouche ne représenteraient plus que respectivement 44 % et 27 % du chiffre d’affaires générées par les titres, contre 28 % pour les GMS. La part de ce secteur augmenterait de six points, ce qui représenterait 500 millions d’euros de recettes supplémentaires. Par contraste, les commerces de bouche et les restaurateurs accuseraient des pertes économiques de l’ordre de 280 millions et 200 millions d’euros.

Objectivement, l’évaluation de l’impact de la dérogation autorisée par la loi du 16 août 2022 sur les équilibres de la concurrence ne va pas de soi. Ainsi que l’ont indiqué les représentants de la DGE, les données disponibles ne permettent pas nécessairement d’analyser avec suffisamment de précision les produits alimentaires dont la consommation résulte de l’usage des titres-restaurant depuis août 2022. En outre, rien ne permet de déterminer dans quelle mesure le recul de la part des restaurants et commerces de bouche procède du changement du droit applicable ou si l’assouplissement temporaire de la législation a accentué une évolution des modes de consommation déjà en germe parmi les salariés.

Le constat n’en conduit pas moins à demeurer attentif à la situation des restaurants et des commerces de bouche et à préserver l’équilibre du dispositif temporaire établi dans le cadre d’une loi portant des mesures d’urgence en faveur du pouvoir d’achat.


Chat Icon