Fixation du loyer du Bail commercial renouvelé : 18 janvier 2024 Tribunal judiciaire de Paris RG n° 20/12434

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Fixation du loyer du Bail commercial renouvelé : 18 janvier 2024 Tribunal judiciaire de Paris RG n° 20/12434

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

Loyers commerciaux

N° RG 20/12434
N° Portalis 352J-W-B7E-CTLLV

N° MINUTE : 5

Assignation du :
07 Décembre 2020

Jugement de fixation

[1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

JUGEMENT
rendu le 18 Janvier 2024

DEMANDERESSE

S.C.I. AGE
[Adresse 11]
[Localité 15]

représentée par Maître Valérie FIEHL, avocate au barreau de PARIS, avocate plaidante, vestiaire #E1294

DEFENDERESSE

S.A.R.L. LE PEUPLE ET ASSOCIES
[Adresse 10]
[Localité 15]

représentée par Maître Isabelle LAFON, avocate au barreau de PARIS, avocate plaidante, vestiaire #A0550

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Lucie FONTANELLA, Vice-présidente, Juge des loyers commerciaux
Siégeant en remplacement de Monsieur le Président du Tribunal judiciaire de Paris, conformément aux dispositions de l’article R.145-23 du code de commerce ;

assistée de Camille BERGER, Greffière

DEBATS

A l’audience du 07 Septembre 2023 tenue publiquement

JUGEMENT

Rendu publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

FAITS ET PROCEDURE

Suivant acte sous seing privé du 08 septembre 2006, la SCI AGE a consenti un bail commercial à la SARL DOV ET RITON, aux droits de laquelle se trouve la SARL LE PEUPLE ET ASSOCIÉS, portant sur des locaux sis [Adresse 1] à [Localité 15] pour une durée de neuf ans à compter du 18 septembre 2006 et pour un loyer annuel de 60.000 € HT et HC, et à destination de « Café, bar, brasserie, débit de boissons, restaurant, café-concert, discothèque, production et diffusion de spectacles, organisation de soirées, vente à emporter ou livrer ou à consommer sur place, spectacles vivants, location salles, café-théâtre ».

Par avenant du 11 avril 2012, le loyer a été fixé à 73.446 € par an en principal pour la période du 18 septembre 2009 au 17 septembre 2012, en contrepartie d’une autorisation de travaux consentie par la bailleresse, notamment la suppression d’une cloison séparant les lieux loués à la SCI AGE de locaux mitoyens, le remplacement des conduits de désenfumage et l’installation d’un ascenseur.

Par acte extrajudiciaire du 23 décembre 2016, la locataire a fait signifier à sa bailleresse une demande de renouvellement du bail arrivé à expiration le 17 septembre 2015, à compter du 1er janvier 2017.

Par mémoire signifié le 10 décembre 2018, la bailleresse a sollicité la fixation du loyer du bail renouvelé à 125.000 € par an HT et HC.

La bailleresse a saisi le juge des loyers du tribunal judiciaire de PARIS par assignation du 07 décembre 2020.

Par jugement avant dire droit du 08 avril 2021, celui-ci a ordonné une expertise afin de déterminer la valeur locative des locaux.

L’expert, monsieur [B] [Z], a déposé son rapport le 02 septembre 2022.

Dans son dernier mémoire notifié par lettre recommandée avec accusé de réception du 08 septembre 2023, la SCI AGE sollicite :

– la fixation du prix du bail renouvelé à un montant plafonné de 68.564,21 € par an en principal à compter du 1er janvier 2017 et, à compter du 10 décembre 2018, à un montant de 84.500 € en principal par an pour un nouveau bail de neuf années à compter du 1er janvier 2017, toutes clauses et conditions dudit bail restant inchangées,
– la condamnation de la locataire à payer les intérêts au taux légal à compter de la date de délivrance de l’assignation, puis sur les loyers arriérés à compter de chaque date d’exigibilité, outre la capitalisation desdits intérêts,
– que le juge des loyers se déclare incompétent pour trancher la demande de ladite locataire tendant ce que la SCI AGE soit condamnée à lui rembourser les trop-perçus de loyers,
– que la locataire soit déboutée de ses autres demandes,
– que celle-ci soit en outre condamnée en tous les dépens de l’instance, comprenant les frais d’expertise.

Aux termes de son dernier mémoire notifié par lettre recommandée avec accusé de réception du 04 septembre 2023, la SARL LE PEUPLE ET ASSOCIÉS sollicite du juge des loyers :
– de constater que le bail s’est renouvelé pour une durée de neuf années à compter du 1er janvier 2017 moyennant un loyer plafonné,
– de fixer le loyer du bail renouvelé à la somme de 40.000 €/an en principal à compter du 1er janvier 2017, les autres clauses et conditions dudit bail restant inchangées,
– subsidiairement, s’il était estimé que la valeur locative est supérieure au loyer plafonné, qu’il soit jugé qu’il n’existe aucun motif de déplafonnement,
– de débouter la bailleresse de l’intégralité de ses demandes,
– de juger qu’elle sera tenue de lui rembourser les sommes trop-perçues au titre du loyer à compter du 1er janvier 2017, ainsi qu’au paiement des intérêts au taux légal sur ces trop-perçus, depuis cette date et à compter de chaque échéance, avec capitalisation desdits intérêts,
– très subsidiairement, s’il était jugé que le loyer doit être déplafonné et fixé à un montant supérieur au loyer en vigueur, de dire que celui-ci ne sera applicable qu’à compter du 10 décembre 2018, et que le lissage du loyer s’appliquerait,
– en tout état de cause, d’ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir,
– de débouter la bailleresse de toutes ses demandes,
– de condamner celle-ci en tous les dépens de l’instance, comprenant les éventuels frais d’expertise dont elle a été contrainte de faire l’avance.

L’affaire a été retenue à l’audience du 07 septembre 2023 et a été mise en délibéré au 23 novembre 2023, prorogé au 11 janvier 2024, puis au 18 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le montant du loyer renouvelé

L’article L.145-33 du code de commerce dispose que le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.

À défaut d’accord, cette valeur est déterminée d’après :
1o Les caractéristiques du local considéré ;
2o La destination des lieux ;
3o Les obligations respectives des parties ;
4o Les facteurs locaux de commercialité ;
5o Les prix couramment pratiqués dans le voisinage.

Un décret en Conseil d’État précise la consistance de ces éléments. V. art. R. 145-2 à R. 145-8.

Aux termes de l’article L.145-34 du code de commerce, à moins d’une modification notable des éléments mentionnés aux 1o à 4o de l’article L.145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d’effet du bail à renouveler, si sa durée n’est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l’indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l’article L.112-2 du code monétaire et financier, publiés par l’Institut national de la statistique et des études économiques. À défaut de clause contractuelle fixant le trimestre de référence de cet indice, il y a lieu de prendre en compte la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires, calculée sur la période de neuf ans antérieure au dernier indice publié.

En cas de renouvellement postérieur à la date initialement prévue d’expiration du bail, cette variation est calculée à partir du dernier indice publié, pour une période d’une durée égale à celle qui s’est écoulée entre la date initiale du bail et la date de son renouvellement effectif.

En l’espèce, l’expert judiciaire ayant retenu une valeur locative de 56.250 € inférieure au plafond prévu par ce texte, qu’il a chiffré à 68.564,21 €, il convient, dans un premier temps, d’apprécier la valeur locative des lieux loués, et, seulement si celle-ci s’avère supérieure audit plafond, de rechercher, dans un second temps, s’il est justifié d’un motif de déplafonnement.

*Les caractéristiques des locaux loués

Selon l’article R.145-3 du code de commerce, les caractéristiques propres au local s’apprécient en considération : 

1o De sa situation dans l’immeuble où il se trouve, de sa surface et de son volume, de la commodité de son accès pour le public ; 
2o De l’importance des surfaces respectivement affectées à la réception du public, à l’exploitation ou à chacune des activités diverses qui sont exercées dans les lieux ; 
3o De ses dimensions, de la conformation de chaque partie et de son adaptation à la forme d’activité qui y est exercée ; 
4o De l’état d’entretien, de vétusté ou de salubrité et de la conformité aux normes exigées par la législation du travail ; 
5o De la nature et de l’état des équipements et des moyens d’exploitation mis à la disposition du locataire.

L’expert judiciaire a notamment décrit :

– des locaux commerciaux dépendant d’un immeuble ancien de type industriel, élevé sur sous-sol d’un rez-de-chaussée et de six étages, en béton avec façade en briquette apparente localement et couverture en tuile mécanique ;
– ils se distribuent sur deux niveaux, rez-de-chaussée et sous-sol, reliés par deux escaliers ;
– ils sont composés :
*en rez-de-chaussée, d’une salle de bar avec un linéaire de façade d’environ huit mètres sur la [Adresse 20], accessible par deux portes double battant dont une fait office de sortie de secours, de locaux techniques devant la vitrine masqués par un rideau métallique extérieur ; il y a un rideau d’air chaud au dessus des portes d’accès, un poteau en partie centrale, une estrade en contre-haut d’une marche, un comptoir-bar ; les lieux loués communiquent par trois baies libres avec les locaux mitoyens, objets d’un bail distinct ; ainsi, la salle de bar est composée d’une partie hors assiette du bail ; face à la sortie de secours, un large escalier dessert la salle de bar située en sous-sol ; au fond un escalier de huit marches mène à une mezzanine à usage de local technique (pour le désenfumage du sous-sol) et de bureau ; à l’arrière de l’escalier, un palier en contrebas de cinq marches mène à un escalier hélicoïdal desservant le sous-sol et à des sanitaires comprenant deux lave-mains, trois cabines de WC et trois urinoirs ;
*en sous-sol, relié au rez-de-chaussée par les deux escaliers accessibles à la clientèle, le grand escalier mène à une salle de bar, également à usage de salle de concerts, avec un comptoir-bar, une régie, une petite scène de concerts en surélévation d’environ trente centimètres, puis une première réserve dans le prolongement du bar (stockage des boissons), une loge des artistes reliée à la scène, une seconde réserve (stockage du matériel des concerts), puis un sas donnant accès à l’escalier hélicoïdal précité, ainsi qu’à un local à usage de vestiaire.

*La surface des locaux à prendre en considération

Il convient, pour l’application de l’article R.145-3 du code de commerce, de déterminer la surface des locaux à prendre en considération.

L’article R.145-7 du même code impose de raisonner par unité de surface.

La surface totale de 247 m² a été pondérée par l’expert à 125 m²B de la façon suivante :
*en sous-sol :
– salle de bar/de concert avec scène : 108m² x coefficient de 0,40 = 43,20 m²B
– réserves, loge, sas, vestiaire : 36 m² x coefficient de 0,20 = 7,20 m²B
*au rez-de-chaussée :
– salle de bar, zone 1 (profondeur d’environ 5m) : 33 m² x coefficient de 1 = 33 m²B
– salle de bar, zone 2 (profondeur d’environ 5m): 36 m² x coefficient de 0,80 = 28,80 m²B
– salle de bar, zone 3 (surplus): 9 m² x coefficient de 0,60 = 5,40 m²B
– palier et sanitaires : 12 m² x coefficient de 0,40 = 4,80 m²B
– mezzanine : 13 m² x coefficient de 0,20 = 2,60 m²B

Les parties contestent le coefficient de pondération retenu pour la salle de bar/concert située en sous-sol.

La locataire demande de retenir un coefficient de 0,35 conformément à la proposition initale de l’expert judiciaire, compte tenu des caractéristiques de cette salle totalement aveugle et sans aménagement particulier.

La bailleresse sollicite l’application d’un coefficient de 0,70, aux motifs que la locataire exploite principalement une activité de salle de concerts avec scène en sous-sol, et non une activité principale de bar, qu’en outre cette salle est transformée en club avec DJ sets jusqu’à l’heure tardive de la fermeture, de sorte que la partie des locaux située en sous-sol est fondamentale pour l’activité exercée, tant pour attirer la clientèle que pour réaliser le chiffre d’affaires, et que sans cette salle de concert, voire de discothèque, la locataire n’exploiterait qu’un bar ordinaire du [Adresse 21].

Elle en déduit que la Charte de l’expertise ne doit pas être appliquée de façon systématique, sans tenir compte des caratéristiques propres aux locaux considérés et à l’activité exercée, et que le coefficient de pondération de cette salle en sous-sol doit être fixé en fonction de la commercialité de celle-ci et du service qu’elle rend à l’exploitation poursuivie.

Toutefois, le juge des loyers rappelle qu’il est constant qu’il est tenu de prendre en compte les recommandations de la Charte de l’expertise en évaluation immobilière, qui comporte une grille de pondération des surfaces commerciales.

Il ne doit faire exception aux fourchettes de pondération proposées par la charte, qui ménagent une part d’appréciation aux experts pour être adaptées à une grande diversité de situations, que dans certains cas particuliers, par une décision motivée.

La méthode de pondération des différentes zones d’un local commercial tend à prendre en compte la configuration et les possibilités d’utilisation de chacune de ces zones afin de permettre d’effectuer des comparaisons avec des locaux différents par une évaluation objective, ce indépendamment de leur destination ou de l’exploitation effective par le preneur, et selon le principe unaniment admis que la meilleure zone est celle à l’entrée, proche de la vitrine, la valeur des autres décroissant au fur et à mesure que l’on s’en éloigne.

Ainsi, comme le fait valoir en l’espèce la locataire, la pondération est une méthode purement immobilière qui ne doit pas tenir compte de l’affectation de la salle de concert/bar, et l’expert a justement appliqué un coefficient de pondération conforme à la grille de la charte précitée pour les surfaces en sous-sol sans tenir compte de l’activité de salle de concert.

Dès lors, la demande de la bailleresse tendant à appliquer à la zone de la salle de concert une pondération de 0,70 sera rejetée.

Il y a lieu également de rejeter la demande de la locataire qui sollicite qu’un coefficient de 0,35 y soit appliqué, le sous-sol, certes aveugle (ce qui est fréquent pour un sous-sol) et sommairement aménagé, bénéficiant de bonnes conditions d’accès puisqu’il est desservi par deux escaliers, dont un escalier d’une largeur de 1,80 mètre.

Par ailleurs, la prétention de la bailleresse qui entend voir fixé à 0,30 au lieu de 0,20 le coefficient de pondération appliqué aux locaux accessoires (réserves, loge des artistes et vestiaire pour la clientèle) sera rejetée, dès lors que, comme lui a déjà répondu l’expert judiciaire, les aménagements présentent un caractère sommaire.

En conséquence, la surface pondérée telle que fixée par l’expert judiciaire à 125 m²B, qui est justifiée, sera retenue.

*Les facteurs locaux de commercialité

L’article R.145-6 du code de commerce dispose que les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l’intérêt que présente, pour le commerce considéré, l’importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l’attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l’emplacement pour l’activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d’une manière durable ou provisoire.

L’expert a relevé que les locaux sont situés dans le [Localité 15], dans un quartier d’habitation animé en soirée dans lequel les bars et les restaurants sont bien représentés, et sur une voie secondaire à circulation automobile en sens unique sur une voie disposant d’un faible achalandage, au voisinage de la [Adresse 21], à environ 300 mètres de la station de métro [Adresse 18] et à environ 400 mètres de la station [Localité 22].

Il considère que ces éléments mettent en évidence une bonne adéquation entre la commercialité de l’emplacement et l’activité de bar et de salle de concert exercée.

*Les prix pratiqués dans le voisinage

Selon l’article R.145-7 du code de commerce, les prix couramment pratiqués dans le voisinage, par unité de surfaces, concernent des locaux équivalents eu égard à l’ensemble des éléments mentionnés aux articles R.145-3 à R.145-6. 

À défaut d’équivalence, ils peuvent, à titre indicatif, être utilisés pour la détermination des prix de base, sauf à être corrigés en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de référence. 

En l’espèce, l’expert judiciaire mentionne les éléments de comparaison suivants :

*loyers fixés judiciairement :

bar musical, [Adresse 13], [Localité 15] (avril 2014) : 275 €/m² B/ancafé-restaurant, [Adresse 2], [Localité 15] (janvier 2008) : 280 €/m² B/anrestaurant, [Adresse 6], [Localité 15] (janvier 2014) : 290 €/m² B/anOHM production audiovisuelle, [Adresse 9], [Localité 15] (juillet 2016) : 380 €/m² B/anépicerie polonaise, [Adresse 5], [Localité 15] (juillet 2015) : 525 €/m² B/an
*loyers de renouvellement fixés amiablement :
bar l’International (local mitoyen joint à celui objet de l’expertise), [Adresse 1], [Localité 15] (mai 2010) : 342 €/m² B/anprimeur, [Adresse 4], [Localité 15] (juillet 2015) : 358 €/m² B/an
*loyers en premières locations :
bar, [Adresse 12], [Localité 15] (septembre 2019) : 483 €/m² B/ananimalerie-jardinerie, [Adresse 14], [Localité 15] (septembre 2018) : 538 €/m² B/anrestauration rapide, [Adresse 7], [Localité 15] (décembre 2018) : 605 €/m² B/anhamburgers, [Adresse 16], [Localité 15] (décembre 2019) : 1.183 €/m² B/an
L’expert a retenu, pour les locaux objets de l’expertise, une valeur unitaire de 450 €/m²B/an, en considération :

d’une situation géographique dans un quartier d’habitation animé en soirée dans lequel les bars et les restaurants sont bien représentés, sur une voie bénéficiant d’un faible achalandage, au voisinage immédiat de la [Adresse 21]de la qualité ordinaire de construction de l’immeublede la bonne visibilité des locaux en raison de l’important linéaire de façade, d’environ 12,50 mètres (en tenant compte des locaux mitoyens faisant l’objet d’une exploitation conjointe), de la présence de poteaux dans les salles et de l’existence d’un système de climatisation et de désenfumage du sous-soldes clauses et conditions locatives, de l’activité exercée, de bar de nuit avec salle de concertsde l’état du marché résultant de fixations amiables et judiciaires, la valeur locative statutaire devant être appréciée en janvier 2017.
La bailleresse demande de retenir une valeur locative de 500 €/m²B/an, faisant valoir notamment que :

– l’expert n’a pas sufisamment pris en compte l’environnement, invisible en journée, des locaux dans le [Adresse 21], devenu, la nuit, l’un des plus animés de la capitale, festif, jeune, mélangé et dynamique, synonyme de « nuits parisiennes », la transformation, d’abord limitée à la [Adresse 21], ayant gagné les rues avoisinantes au cours des dix dernières années ;
– au cours du bail, dans la [Adresse 20], un immeuble d’habitation a été remplacé par un hôtel, une cordonnerie par un disquaire, deux cafés-restaurants par des bars, de même que dans la [Adresse 21], des commerces de jour ont été remplacés par des restaurants ;
– en parallèle, la population du onzième arrondissement, initialement familiale avec un pouvoir d’achat modeste, a évolué au cours du bail en faveur d’une population au pouvoir d’achat plus élevé, notamment des jeunes actifs célibataires aux revenus élevés, qui constituent une clientèle potentielle pour la locataire ;
-la référence au loyer de renouvellement du local mitoyen doit être écartée car l’on ignore s’il n’a pas été fixé en fonction du loyer plafonné ;
– l’expert aurait dû tenir compte de l’avantage lié à la taille importante des lieux loués par rapport à la plupart des locaux du quartier et de la faculté d’ouvrir de nuit, liée à la présence d’un fumoir et des doubles portes d’entrée et de sortie.

La locataire demande de retenir une valeur unitaire de 350 €/m²B/an, faisant valoir notamment que :

– le prix retenu par l’expert apparaît trop élevé au regard de la situation des locaux sur une voie particulièrement calme et disposant d’un faible achalandage
– les termes de comparaison judiciaires du secteur sont bien inférieurs à 450 €/m² et les éléments de référence de prix supérieur bénéficient d’emplacements beaucoup plus favorables
– l’expert [S] [F] a estimé dans une expertise judiciaire une indemnité d’occupation en octobre 2016 à 400 €/m²B pour un restaurant situé [Adresse 3]/[Adresse 8].

En réponse aux arguments de la bailleresse, le juge des loyers relève que le constat, par l’expert judiciaire, de l’absence d’enseignes nationale ne démontre pas que son appréciation de la situation des locaux loués n’est pas pertinente ; en effet, celui-ci a aussi relevé que le quartier, d’habitation, était animé en soirée, que les bars et restaurants y sont bien représentés et que les locaux loués sont au voisinage immédiat de la [Adresse 21].

Il a en outre, dans le cadre de la recherche d’une éventuelle modification des facteurs locaux de commercialité, examiné la commercialité de la [Adresse 20] et de la [Adresse 21] en notant une amélioration considérable en faveur des activités de bar, de café-concert ou de discothèque dans les années 1990, indiquant que cette évolution au cours du bail expiré n’est pas constatée.

Il a également observé que si le quartier a connu une mutation au profit de catégories socioprofessionnelles plus élevées, le nombre de ses résidents a sensiblement baissé.

La bailleresse produit un extrait issu du site Drimki.fr sur la population du onzième arrondissement démontrant que son âge moyen est de 39 ans, mais il n’est pas établi que, comme elle le prétend, ce sont essentiellement des jeunes actifs célibataires aux revenus plus élevés qui ont remplacé des familles plus modestes.

Concernant l’avantage lié à la taille importante des locaux loués par rapport à la plupart des locaux du quartier et à la faculté d’ouvrir de nuit grâce aux travaux autorisés par la bailleresse, il est observé que l’importance de la surface des locaux loués n’est pas un facteur d’augmentation de la valeur locative unitaire, tandis que l’amélioration des locaux au cours du bail fera l’objet d’une analyse ci-après, au titre des minorations et majorations applicables au prix du bail.

La fixation du prix du bail renouvelé en 2010 pour les locaux mitoyens peut être utilisée comme élément de comparaison en raison de sa proximité, dès lors qu’il est tenu compte, comme l’a relevé l’expert, de ce qu’il a été chiffré en fonction de l’évolution de l’indice ICC et de ce qu’il est d’un montant très légèrement inférieur à la valeur locative statutaire de l’époque.

La prise en considération de baux renouvelés pour des locaux situés [Adresse 19], plus éloignés de la partie de la [Adresse 21] la plus animée la nuit, pour des prix de 290 €/m²B/an et de 380 €/m²B/an, n’apparaît pas inopportune, étant relevé que l’expert a adapté son analyse en fonction des différences avec le bail objet du litige puisqu’il a retenu une valeur unitaire supérieure pour ce dernier ; il est d’ailleurs noté que l’élément de comparaison suivant cité par ledit expert est un bail sur la [Adresse 21] pour un prix de 525 €/m²B/an, fixé à la même époque, alors que la commercialité de cette dernière rue est supérieure à celle de la [Adresse 20].

Au vu de ces éléments, l’estimation à hauteur de 450 €/m²B/an pour les locaux objets de l’expertise, très proches de la [Adresse 21] mais sur une rue moins bien achalandée, est tout à fait justifiée.

À l’inverse, la fixation du prix unitaire à 350 €/m²B/an demandée par la locataire n’apparaît pas pertinente, étant donné l’ancienneté de la fixation du prix de 280 €/m²B/an pour le local situé au n°6 de la [Adresse 20], en janvier 2008, tandis que le prix du bail renouvelé en 2010 du local mitoyen, de 342 €/m²B/an, a été fixé par la seule application de l’indice ICC en dessous sa valeur locative et huit ans avant la date à laquelle il convient de se placer pour statuer sur le loyer applicable aux locaux loués par la défenderesse.

L’expertise de monsieur [F] pour des locaux situés à l’intersection des rues [I] [M] et de [Localité 17] ne remet pas en cause cette appréciation.

En conséquence, la valeur unitaire de 450 €/m²B/an estimée par l’expert judiciaire sera retenue.

*Les majorations et abattement applicables

Selon l’article R.145-8 du code de commerce, du point de vue des obligations respectives des parties, les restrictions à la jouissance des lieux et les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative. Il en est de même des obligations imposées au locataire au-delà de celles qui découlent de la loi ou des usages. Les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail à renouveler ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, notamment par l’acceptation d’un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge.

En l’espèce, l’expert a proposé les minorations et majorations suivantes :

– majoration de 5% au titre de la communication au rez-de-chaussée avec les locaux mitoyens,
– majoration de 5% au titre de la large destination contractuelle,
– abattement de 10% au titre de la prise en charge par le preneur des travaux de mise en conformité des locaux.

La bailleresse demande de porter à 10% la majoration au titre de l’ouverture des locaux sur les locaux mitoyens, qui en grandissant la surface du bar, en a facilité l’exploitation et a permis la réalisation de travaux d’adaptation de l’accès des personnes à mobilité réduite, ainsi que de deux accès avec filtrage des entrées et fumoir intérieur, qui ont permis l’obtention d’une autorisation d’ouverture de nuit, ce qui a un effet important sur son chiffre d’affaire et son attractivité.
Néanmoins, l’expert a expliqué que l’ouverture des locaux voisins ne concernait que le rez-de-chaussée, que l’établissement disposait déjà de deux ouvertures sur la [Adresse 20] et que l’agrandissement du comptoir-bar, ainsi que la création du fumoir et de sanitaires accessibles aux personnes à mobilité réduite, ont été réalisés hors de l’assiette du bail consenti par la SCI AGE.

Il était donc pertinent de limiter à 5% la majoration liée à l’autorisation d’ouverture sur les locaux mitoyens donnée par la bailleresse.

La locataire fait valoir qu’un abattement de 15% serait davantage justifié pour la prise en charge des travaux de mise en conformité.

Cependant, elle avait elle-même soutenu que cet abattement devait être de 10% dans ses dires à expert, et, en tout état de cause, ne justifie pas de la pertinence d’un taux de 15% au seul motif, au demeurant aussi évoqué devant l’expert judiciaire et non retenu par celui-ci, qu’un tel taux a été retenu dans deux autres affaires concernant un café-restaurant.

En conséquence, il convient de retenir les taux de majoration et de minoration proposés par l’expert et de constater que, ceux-ci s’annulant réciproquement, il n’y a pas lieu à abattement ou majoration du prix unitaire retenu par l’expert.

Ainsi, le prix du bail renouvelé sera fixé à 450 €/m² B/an x 25 m²B = 56.250 €/an, HT et HC, au 1er janvier 2017.

Cette valeur locative étant inférieure au loyer plafonné du bail, de 68.564,21 € par an, il n’y a pas lieu de statuer sur un éventuel déplafonnement du loyer, ou un lissage de celui-ci.

Il est rappelé que la compétence du juge des loyers est limitée à la fixation du prix du bail renouvelé, de sorte qu’il ne lui appartient pas de statuer sur le paiement ou le remboursement de la différence entre les loyers provisionnels et les loyers effectivement dus depuis le renouvellement du bail.

En revanche, il y a lieu de préciser que conformément à l’article 1231-6 du code civil, ce différentiel portera, à compter du premier mémoire en défense notifié le 26 juillet 2019, intérêts au taux légal à compter de chaque date d’exigibilité.

En vertu de l’article 1343-2 du même code, les intérêts produits depuis la présente décision seront capitalisés dès lors qu’ils seront dus depuis plus d’un an.

Sur les demandes accessoires

La bailleresse, qui succombe, sera condamnée aux dépens de l’instance, lesquels comprendront les frais d’expertise.

L’exécution provisoire de la présente décision est de droit.

PAR CES MOTIFS

Le juge des loyers commerciaux, statuant publiquement, par décision contradictoire et en premier ressort,

FIXE le montant du loyer du bail renouvelé entre la SCI AGE et la SARL LE PEUPLE ET ASSOCIÉS, portant sur des locaux sis [Adresse 1] à [Localité 15], à la somme de cinquante-six mille deux cent cinquante euros (56.250 €) par an, hors taxes et hors charges, à comptert du 1er janvier 2017 ;

DIT que le différentiel entre les loyers provisionnels payés et les loyers effectivement dus depuis le 1er janvier 2017 portera intérêts au taux légal à compter du 26 juillet 2019 et à compter de la date d’exigibilité de chaque échéance pour celles qui sont postérieures à cette date ;

DIT que les intérêts produits depuis la présente décision seront capitalisés dès lors qu’ils seront dus depuis plus d’un an ;

CONDAMNE la SCI AGE aux entiers dépens de l’instance, lesquels comprendront les frais d’expertise judiciaire de monsieur [B] [Z] ;

REJETTE le surplus des demandes ;

RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.

Fait et jugé à PARIS, le 18 janvier 2024.

LA GREFFIERELA PRESIDENTE
C. BERGERL. FONTANELLA

 


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