La société Giroflée a signé un contrat le 22 mars 2010 avec la société SNN (devenue Suez RV Normandie) pour la mise à disposition de terrains destinés à l’enfouissement de déchets, avec une redevance de 5 euros par tonne de déchets enfouis. Un accord tripartite a également été conclu, stipulant que SNN verserait 2 millions d’euros à Giroflée, remboursable à partir de l’ouverture du site en 2013, avec des intérêts. En juin 2014, un protocole a été établi pour permettre à Giroflée de rembourser cette somme, ce qu’elle a fait en juillet 2014 en versant 2 481 673,01 euros. En 2017, Giroflée a assigné SNN en justice, demandant la nullité de la stipulation d’intérêts pour absence de mention du taux effectif global (TEG) et le remboursement de sommes. SNN a contesté la demande pour cause de prescription. Le tribunal a débouté Giroflée de ses demandes et a condamné Giroflée à payer des frais à SNN. Giroflée a fait appel, et SNN a également relevé appel incident. Les conclusions d’appel de Giroflée ont demandé l’infirmation du jugement initial et la reconnaissance de la nullité de la stipulation d’intérêts. En réponse, Suez RV Normandie a demandé la confirmation du jugement. La cour d’appel a confirmé le jugement en toutes ses dispositions, déclarant irrecevables les demandes de Giroflée et condamnant cette dernière à payer des frais à Suez RV Normandie.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 10
ARRÊT DU 9 SEPTEMBRE 2024
(n° , 18 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 21/06751 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDOXS
Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Février 2021 -Tribunal de Commerce de PARIS 04 RG n° 2017049587
APPELANTE
GIROFLEE S.A.R.L.
en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
Ayant son siège social
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistée par Me Vanessa RUFFA de la SELAS SIMON ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
S.A.S.U. SUEZ RV NORMANDIE
Agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
[Adresse 3]
[Localité 2]
N° SIRET : 788 261 626
Représentée par Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34
Assistée par Me Antoine HONTEBEYRIE de la SELARL RACINE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0301
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 22 Avril 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Xavier BLANC, Président
Madame Sylvie CASTERMANS, Magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Monsieur Edouard LOOS, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur Xavier BLANC dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MOLLÉ
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Xavier BLANC, et par Sylvie MOLLÉ, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
1. Par un contrat du 22 mars 2010, la société Giroflée s’est engagée à mettre à disposition de la société SNN, devenue Suez RV Normandie, des terrains dont elle était propriétaire sur le territoire de la commune des Ventes-de-Bourses, dans le département de l’Orne, afin que celle-ci y exploite une activité d’enfouissement de déchets.
2. Cette convention prévoit notamment le paiement par la société SNN, en contrepartie de la mise à disposition du site, d’une redevance trimestrielle d’un montant de 5 euros par tonne de déchets enfouis, révisable annuellement à compter du 1er janvier 2013. Cette convention prévoit également la possibilité pour le propriétaire, sous réserve de l’accord de l’exploitant, de percevoir ses redevances par avance, sous la forme d’un versement anticipé calculé en fonction des redevances qui auraient pu être perçues dans le temps, avec application d’un taux d’actualisation de 7,8 %. Cette convention prévoit enfin, d’une part, aux termes d’une clause d’inaliénabilité, que la société Giroflée s’engage à ne pas céder ses droits sur le site sans l’accord de la société SNN et, d’autre part, qu’à l’issue de l’exploitation, la société s’engage à vendre les terrains exploités pour un prix symbolique à la société SNN, qui s’engage à les acheter.
3. Le même jour, aux termes d’un accord tripartite conclu entre la société SNN, la société Giroflée et une société tierce en litige avec elles, la société SNN a notamment consenti à verser à la société Giroflée une somme d’un montant de 2 000 000 euros, à charge pour la société Giroflée de rembourser cette somme à compter de l’ouverture du site, prévue le 1er janvier 2013, sous la forme d’une délégation de créance portant sur 50 % de la redevance d’exploitation, avec application d’intérêts sur la créance de remboursement détenue par la société SNN au taux de 5 % par an de la date de décaissement jusqu’au 31 décembre 2012 et au taux de 7,8 % par an à compter du 1er janvier 2013, ces intérêts n’étant pas capitalisables et ne devant exigibles qu’au remboursement de la créance.
4. En juin 2014, les sociétés SNN et Giroflée ont conclu un second protocole, en présence d’une société du groupe auquel appartient la société Giroflée, la société Trimax, aux termes duquel, afin de permettre à la société Giroflée d’obtenir un financement bancaire nécessaire à son activité, celle-ci procède au remboursement anticipé de la somme versée par la société SNN par le paiement, en principal, de cette somme de 2 000 000 euros, augmentée d’intérêts estimés à 991 000 euros, cette somme ayant déjà été partiellement remboursée, à hauteur de 286 000 euros s’agissant du principal et de 224 000 euros s’agissant des intérêts, par imputation sur le montant des redevances d’exploitation, et le solde devant être payé au jour du versement du financement bancaire recherché par la société Giroflée.
5. Le 1er juillet 2014, en exécution de ce protocole, la société Giroflée a payé à la société SNN la somme de 2 481 673,01 euros.
6. Le 13 juillet 2017, la société Giroflée a assigné la société SNN devant le tribunal de commerce de Paris et demandé à ce tribunal, à titre principal, de constater l’omission du taux effectif global dans les actes formalisant ce qui constituait, selon elle, un prêt consenti par la société SNN, d’ordonner la substitution du taux légal aux taux conventionnels et, en conséquence, de condamner la société SNN à lui restituer la somme de 987 600 euros et, à titre subsidiaire, de constater que le prêt litigieux ne mentionnait pas l’existence d’intérêts en cas de remboursement anticipé et, en conséquence, de condamner la société SNN à lui rembourser la somme de 529 000 euros.
7. En réponse, devant le tribunal, la société SNN a soutenu que la demande principale de la société Giroflée était irrecevable, pour cause de prescription, et qu’en tout état de cause, cette demande, comme la demande subsidiaire de cette société, étaient infondées.
8. Par un jugement du 25 février 2021, le tribunal a statué comme suit :
« Déboute la société SUEZ RV NORMANDIE anciennement dénommée SNN de sa demande de voir jugée prescrite l’action de la SARL GIROFLEE en nullité de l’intérêt conventionnel,
Déboute la SARL GIROFLEE de l’ensemble de ses demandes,
Condamne la SARL GIROFLEE à payer à la société SUEZ RV NORMANDIE anciennement dénommée SNN la somme de 5 000 €en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SARL GIROFLEE aux dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 115,41 € dont 19,02 € de TVA. »
9. Par une déclaration du 8 avril 2021, la société Giroflée a fait appel de ce jugement.
10. Par des conclusions remises au greffe le 8 décembre 2021, la société Suez RV Normandie a relevé appel incident.
11. Aux termes de ses dernières conclusions d’appelant remises au greffe le 19 avril 2024, intitulées « Conclusions récapitulatives n° 2 », la société Giroflée demande à la cour de :
« Vu l’article 6§1 de la CEDH et l’article 16 du code de procédure civile,
Vu les articles 442 et suivants du code de procédure civile,
Vu l’article 12 du code de procédure civile,
Vu les articles 1905, 1907, 2048 et 2224 du Code civil,
Vu les articles 1140 et suivants, 1181, 1182, 1329 et 1343-2 du Code civil,
Vu les articles 1152, 1170 et s., 1235 et 1376 du Code civil, dans leur rédaction antérieure au 1er octobre 2016,
Vu les articles L313-1, L. 313-4 (dans sa version applicable en l’espèce) et L511-7 du Code monétaire et financier (dans sa version applicable en l’espèce),
Vu les articles L.313-1 et L.313-2 du Code de la consommation (dans leur version applicable en l’espèce),
Vu les articles 565, 566 et 567 du Code de procédure civile,
[…]
– INFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a :
o rejeté la note en délibéré versée par le Conseil de Giroflée en réponse à la note en délibéré produite par SNN après la clôture des débats ;
o débouté Giroflée, à titre principal, de sa demande de nullité de la stipulation d’intérêts conventionnels en l’absence de mention du taux effectif global (TEG) dans le contrat de prêt ;
o jugé que la mention du TEG n’est pas requise en cas de paiement anticipé ;
o jugé que le consentement de Giroflée a été donné de manière libre et éclairé ;
o débouté Giroflée, à titre subsidiaire, de sa demande de répétition de l’indu au titre des intérêts de « remboursement anticipé » s’agissant d’un prêt à durée indéterminée ;
o condamné Giroflée à payer à SNN la somme de 5.000€ au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
o condamné Giroflée aux dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de de 115,41€ dont 19,02€ de TVA.
Et, statuant à nouveau :
DECLARER Giroflée recevable en ses demandes, fins et prétentions, et les disant bien fondées,
A titre principal :
– JUGER que la mention du taux effectif global est obligatoire dans tout acte formalisant un contrat de prêt ;
– JUGER que l’omission de la mention du taux effectif global dans le contrat de prêt consenti par SNN à Giroflée viole les dispositions d’ordre public applicables au TEG ;
– JUGER que l’article 2 du Protocole de 2014 (Pièce n°6) intitulé « DETERMINATION DU MONTANT DES INTERETS » comporte la stipulation d’un intérêt fixé de manière potestative car dépendant de la volonté de la société SNN, devenue la société SUEZ RV Normandie ;
En conséquence,
– PRONONCER la nullité de la stipulation d’intérêts à l’Article 2 du Protocole de 2014 à défaut de stipulation du TEG et en raison du caractère potestatif de la clause ;
– ORDONNER la substitution des taux conventionnels de 5% et 7,80%, puis 11,20%, par le taux d’intérêt légal en vigueur en 2014, soit 0,04% ou la modération du montant des intérêts dans ces proportions ;
– CONDAMNER la société SNN, devenue la société SUEZ RV Normandie, à rembourser à la société Giroflée la somme de 987.600 € correspondant à la différence entre les taux conventionnels précités et le taux d’intérêt légal, à majorer des intérêts de retard au taux légal jusqu’à complet règlement ;
A titre subsidiaire :
– JUGER que la clause stipulant des « intérêts futurs » à l’Article 2 du Protocole de 2014 (Pièce n°6) présente un caractère potestatif car dépendant de la volonté de la société SNN, devenue la société SUEZ RV Normandie ;
– JUGER que le consentement de la société Giroflée à la conclusion du Protocole de 2014 a été donné sous la contrainte ;
– JUGER que le prêt consenti à la société Giroflée était à durée indéterminée et qu’en tout état de cause aucune stipulation ne prévoyait le paiement d’intérêts en cas de remboursement anticipé ;
– JUGER que les intérêts prétendument présentés comme afférents à un « remboursement anticipé » n’étaient pas dus ;
En conséquence,
– CONDAMNER la société SNN, devenue la société SUEZ RV Normandie, à rembourser à la société Giroflée la somme de 529.000 €, montant à majorer des intérêts de retard au taux légal jusqu’à complet règlement.
A titre plus subsidiaire :
– CONSTATER le caractère manifestement excessif des « intérêts futurs » imposés à la société Giroflée, lesquels peuvent revêtir la qualification de pénalité ;
En conséquence,
– ORDONNER la réduction/modération du montant de la pénalité à 1 euro symbolique ou à de plus justes proportions ;
– CONDAMNER la société SNN, devenue la société SUEZ RV Normandie, à rembourser à la société Giroflée la somme de 528.999 € ou toute somme résultant de la réduction du montant de la pénalité dont le caractère manifestement excessif aura été apprécié par la Cour, montant à majorer des intérêts de retard au taux légal jusqu’à complet règlement.
En tout état de cause :
– CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a :
o jugé que l’opération litigieuse est un contrat de prêt ;
o débouté la société SNN, devenue la société SUEZ RV Normandie, de sa demande tendant à voir jugée prescrite l’action de Giroflée en nullité de l’intérêt conventionnel ;
o débouté la société SNN, devenue la société SUEZ RV Normandie, de ses autres moyens et demandes ;
– DEBOUTER la société SNN, devenue la société SUEZ RV Normandie, de son appel incident et de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
– CONDAMNER la société SNN, devenue la société SUEZ RV Normandie, à payer à la société Giroflée la somme de 50.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile en première instance et en appel ;
– CONDAMNER la société SNN, devenue la société SUEZ RV Normandie, aux entiers dépens de première instance et d’appel ;
– ORDONNER la capitalisation des intérêts. »
12. Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 22 avril 2024, intitulées « Conclusions d’intimée et d’appel incident n° 4 », la société Suez RV Normandie demande à la cour de :
« Vu les articles 1892, 1907 et 2224 du Code civil, et les articles 1115, 1170, 1271, 1304, 1152 et 1226 du même Code dans leur version antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations,
Vu les articles L 313-1 et suivants, L 511-5 et L 511-7 du Code monétaire et financier,
Vu les articles 12, 16, 442, 444, 445 et 910-4 du Code de procédure civile,
Vu les articles L.313-1 et L.313-2 du Code de la consommation,
[…]
CONFIRMER le jugement du 25 février 2021 du Tribunal de Commerce de Paris dans son intégralité sauf en ce qu’il a débouté la société SUEZ RV NORMANDIE ‘ anciennement dénommée SNN ‘ de sa demande de voir jugée prescrite l’action de la société SARL GIROFLEE en nullité de l’intérêt conventionnel ;
Ce faisant, DECLARER IRRECEVABLES les demandes de la société SARL GIROFLEE en nullité de l’intérêt conventionnel, en substitution de l’intérêt légal et en restitution ;
Subsidiairement de ce dernier chef, DEBOUTER la société SARL GIROFLEE desdites demandes ;
DEBOUTER la société SARL GIROFLEE de sa demande en répétition de la somme de 529.000 euros convenue au sein du protocole d’accord de juin 2014 ;
DECLARER IRRECEVABLE la demande de la société SARL GIROFLEE en révision judiciaire de la somme de 529.000 euros convenue au sein du protocole d’accord de juin 2014 ;
Subsidiairement de ce dernier chef, DEBOUTER la société SARL GIROFLEE de ladite demande ;
DEBOUTER la société SARL GIROFLEE de l’intégralité de ses autres demandes, fins et prétentions ;
CONDAMNER la SARL GIROFLEE à payer la somme de 50.000 euros à la société SUEZ RV NORMANDIE ‘ anciennement dénommée SNN ‘ au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER la SARL GIROFLEE aux entiers dépens ».
13. Par une lettre reçue au greffe le 22 avril 2024 à 9 heures 30, l’avocat de la société Giroflée a demandé au conseiller de la mise en état de reporter la clôture prévue à 10 heures, compte tenu de la notification de nouvelles conclusions par la société Suez RV Normandie, ce même jour à 9 heures 23.
14. La clôture ayant été reportée à 14 heures, heure fixée pour l’audience de plaidoirie, l’avocat de la société Giroflée, par une lettre reçue au greffe à 10 heures 06, a indiqué, d’une part, que son dominus litis étant dans l’incapacité de prendre des conclusions en réponse aux conclusions notifiées le matin même par la société RV Suez Normandie, il serait demandé à la cour d’en prononcer le rejet des débats.
15. Lors de l’audience de plaidoiries, les parties ont été avisées que la cour statuerait sur cette dernière demande dans le cadre de son délibéré.
16. En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties visées ci-dessus quant à l’exposé du surplus de leurs prétentions et moyens.
Sur la demande tendant à ce que soit écartées des débats les conclusions remises au greffe par la société Suez RV Normandie le 22 avril 2024
17. L’article 15 du code de procédure civile dispose que les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense. L’article 16 de ce code dispose ensuite que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction et qu’il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.
18. En l’espèce, alors qu’un calendrier de procédure avait été communiqué aux parties le 18 juillet 2023, fixant la date de la clôture au 18 mars 2024, que la société Giroflée avait déjà conclu à deux reprises et que la société Suez RV Normandie avait conclu, pour la dernière fois, le 7 septembre 2022, la société Giroflée a remis au greffe de nouvelles conclusions le 12 mars 2024.
19. La clôture ayant été reportée au 25 mars 2024 puis au 22 avril 2024, date prévue pour l’audience de plaidoirie, la société Suez RV Normandie a conclu le 18 avril 2024, puis rectifié ses conclusions le 19 avril 2024. La société Giroflée a conclu en réponse, le jour même, et c’est en réponse à ces dernières conclusions du vendredi 19 avril 2024 que la société Suez RV Normandie a conclu le 22 avril 2024, date prévue pour la clôture et l’audience de plaidoirie.
20. Ces dernières conclusions de la société Suez RV Normandie, qui identifient de manière apparente les modifications apportées aux précédentes conclusions de cette société, se bornent pour l’essentiel à répondre, de manière succincte, aux arguments nouvellement invoqués par la société Giroflée dans ses conclusions du 19 avril 2024 (point 108, p. 42 ; point 149, p. 55), ainsi qu’à apporter une modification de détail au point 31 (p. 15).
21. En cet état, étant observé que la société Giroflée s’abstient de préciser en quoi ces conclusions appelaient une réponse de sa part, alors même qu’elle était en mesure d’identifier les compléments apportés aux précédentes conclusions de cette société en réponse à ses propres conclusions du 19 avril 2024, la remise au greffe et la communication de ces dernières conclusions de la société Suez RV Normandie le 22 avril 2024 ne méconnaît pas le principe de la contradiction et il n’y a pas lieu de les écarter des débats.
22. En conséquence, la cour statuera au vu de ces conclusions et des conclusions de la société Giroflée remises au greffe le 19 avril 2024, visées ci-dessus.
Sur le périmètre de la saisine de la cour
23. L’article 954 du code de procédure civile, alinéa 3, dispose que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
24. En l’état des dernières conclusions de la société Giroflée, la cour est saisie :
– à titre principal, d’une demande d’annulation de la stipulation d’intérêts de l’opération qu’elle qualifie de prêt, de substitution aux taux d’intérêt conventionnels du taux d’intérêt légal en vigueur en 2014 ou de modération du montant des intérêts dans ces proportions et, en conséquence, de condamnation de la société Suez RV Normandie à lui rembourser la somme de de 987 000 euros ;
– à titre subsidiaire, d’une demande de condamnation de la société Suez RV Normandie à lui rembourser la somme de 529 000 euros correspondant aux intérêts calculés sur la période du 1er avril 2014 au 31 décembre 2021 selon l’article 2 du protocole de 2014 ;
– à titre plus subsidiaire, d’une demande de réduction ou de modération de cette dernière somme, constitutive d’une pénalité, à la somme d’un euro et de condamnation de la société Suez RV Normandie à lui rembourser la somme de 528 999 euros.
25. En revanche, si la société Giroflée fait valoir, dans le corps de ses conclusions, que c’est en méconnaissance du principe de la contradiction que le tribunal a rejeté la note en délibéré qu’elle a déposée le 28 janvier 2021, elle se borne ensuite, dans le dispositif de ces conclusions, à demander l’infirmation du jugement en ce qu’il rejette cette note, il sera observé cependant, d’une part, que le jugement ne comporte aucune disposition en ce sens et, d’autre part et surtout, que la société Giroflée n’en demande pas l’annulation, seule conséquence susceptible de résulter de la méconnaissance, à la supposer avérée, du principe de la contradiction qu’elle allègue. Il n’y a donc pas lieu pour la cour de se prononcer sur ce moyen.
Sur les demandes de la société Giroflée tendant au remboursement, à titre principal, de la somme de 987 600 euros
Sur les demandes tendant au remboursement de la somme de 987 600 euros, en ce qu’elles sont fondées sur la méconnaissance de la réglementation relative au taux effectif global
Moyens des parties
26. La société Giroflée soutient que :
– comme l’a retenu le tribunal, l’opération litigieuse constitue un prêt, et non un simple « paiement anticipé » de redevances, ce qui résulte des termes employés par les parties, lesquelles ont expressément prévues les modalités de remboursement de la somme prêtée, peu important que ce remboursement intervienne par compensation ;
– en application des articles 1907 du code civil et L. 313-4 du code monétaire et financier, le taux effectif global aurait dû être mentionné dans le contrat de prêt consenti par SNN dans le cadre du protocole de 2010, tel que complété par le protocole de 2014, ce qui n’a pas été le cas ;
– le taux réel du prêt accordé par SNN a été fixé rétroactivement, arbitrairement et unilatéralement par cette société dans cadre des documents préparatoires à la signature du protocole de 2014, sur la base d’une estimation de tonnage à confier à l’enfouissement par ses soins ;
– cette facturation arbitraire par la société SNN de 991 000 euros d’intérêts revient à fixer un taux d’intérêt de l’ordre de 11,20 %, avec effet rétroactif ;
– si le taux effectif global avait été initialement précisé, elle aurait eu recours à d’autres moyens de financement que la souscription d’un prêt inter-entreprises auprès de la société SNN, laquelle l’a privée de la possibilité de s’engager en pleine connaissance de cause ;
– en application d’une jurisprudence constante, elle sollicite la nullité des taux conventionnels de 5 % et 7,80 % et leur substitution par le taux légal applicable à la date de conclusion du protocole de 2014 ;
– le fait que l’ordonnance du 17 juillet 2019, applicable aux contrats conclus après cette date, ait changé la sanction de l’absence de taux effectif global en une déchéance du droit aux intérêts ne modifie pas, en substance, ses demandes, puisqu’elle sollicite à la fois l’annulation ou la modération du montant qu’elle a réglé à titre d’intérêts ; contrairement à ce que prétend la société SNN, la recevabilité de cette demande de modération de l’intérêt n’est pas discutable, en application des dispositions des articles 564 et suivants du code de procédure civile ;
– par ailleurs, cette demande n’est pas prescrite, dans la mesure où le protocole de 2014 emporte novation du prêt consenti initialement par l’effet de la convention de mise à disposition de 2010, puisque ce protocole opère substitution, en intégralité, de l’obligation de rembourser le prêt par l’obligation de verser une somme forfaitaire intégrant des intérêts futurs au titre du remboursement anticipé du prêt, mettant fin à celui-ci, et qu’un nouveau débiteur, la société Trimax, s’est engagée envers la société SNN ; ce protocole emporte donc novation de l’obligation initiale, faisant courir un nouveau délai de prescription de l’action ;
– ce délai de prescription n’a pu commencer à courir qu’à la date de la stipulation d’intérêts litigieuse, en 2014 ;
– au surplus, concernant une dette payée par termes successifs, la prescription court à l’égard de chacune des fractions de la dette à compter de son échéance, de sorte que le dernier paiement des intérêts et du capital, intervenu le 1er juillet 2014, constitue le point de départ du délai de prescription ;
– contrairement à ce que soutient la société SNN, la conformation du vice tiré de l’absence de mention du taux effectif global ne peut résulter de la seule exécution du protocole de 2014.
27. La société Suez RV Normandie soutient que :
– sur la recevabilité
– la mention du taux effectif global n’est pas requise dans l’avenant à un contrat de prêt, à moins qu’il ne s’agisse d’un crédit immobilier ou que l’avenant emporte novation du contrat de prêt initial et c’est seulement dans l’une ou l’autre de ces hypothèses que l’emprunteur sera recevable à agir en nullité de la clause d’intérêt stipulée dans l’avenant, et non dans la convention initiale, dans un délai de cinq ans à compter de la signature de l’avenant ;
– à supposer que la mention d’un taux effectif global ait été requise, elle aurait dû figurer dans le protocole transactionnel de 2010, instrumentum du « prêt » litigieux ;
– le délai quinquennal de l’article 2224 du code civil a donc commencé à courir le 22 mars 2010 et était expiré à la date de l’assignation ;
– contrairement à ce que soutien la société Giroflée, le protocole d’accord de 2014 n’a pas emporté novation des contrats de 2010, étant observé qu’en tout état de cause, une telle novation ne pourrait avoir eu pour effet de faire courir un nouveau délai de prescription de l’action en nullité des stipulations de ces contrats ;
– au demeurant, la société Giroflée ne peut à la fois soutenir que le protocole de 2014 a emporté novation et qu’il serait nul pour avoir été conclu sous la contrainte, dès lors que la novation impose qu’une obligation nouvelle valable se substitue à la précédente ;
– en outre, malgré la connaissance qu’elle avait du vice, apparent, tenant à l’absence de mention relative au taux effectif global, la société Giroflée s’est régulièrement acquittée des sommes dues, tant en principal qu’au titre des intérêts, et cette exécution volontaire, en connaissance du vice affectant le contrat, de même que l’exécution du protocole de 2014, valent confirmation ;
– sur le fond
– le protocole de 2014, seul visé par les demandes de la société Giroflée, ne peut être un prêt, puisqu’il s’agit d’un acte qui liquide les sommes dues par la société Giroflée, sans aucune remise de fonds ;
– en tout état de cause, l’opération dans son ensemble ne constitue pas un prêt, mais une simple avance à valoir sur le paiement des redevances dont la société SNN doit s’acquitter au profit de la société Giroflée en exécution de la convention de mise à disposition ;
– en outre, cette opération ne relève pas de l’activité habituelle de la société SNN, de sorte qu’à supposer qu’elle puisse être qualifiée de prêt, il ne s’agirait pas d’un prêt consenti à titre habituel par un établissement financier et que l’article L. 313-4 du code monétaire et financier ne serait donc pas applicable ;
– au demeurant, la mention d’un taux effectif global dans le protocole transactionnel de 2010 n’aurait eu aucun sens, puisqu’aucune commission ni aucun autre frais ne venait s’ajouter aux taux d’actualisation convenus ;
– d’une manière générale, le taux effectif global n’a pas vocation à s’appliquer dans le cadre de prêts consentis entre deux entreprises à l’occasion de leurs relations commerciales, en tout cas lorsqu’aucun frais particulier ne s’ajoute aux intérêts convenus ;
– dans l’hypothèse où il serait jugé que l’opération relèverait de l’obligation de mentionner le taux effectif global, l’irrégularité alléguée n’en laisserait pas moins subsister les contrats de 2010, étant souligné que la demande d’annulation ne vise que le protocole de 2014 ; or les intérêts dont la société Giroflée demande la restitution sont précisément dus en application de ces contrats de 2010 ;
– enfin et en tout état de cause, il est désormais de principe que la sanction du défaut de mention du taux effectif global n’est plus l’annulation de la stipulation d’intérêt mais la déchéance du prêteur de son droit aux intérêts, dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice subi par l’emprunteur ; or le préjudice de la société Giroflée résultant de l’absence de mention du taux effectif global fait défaut, dès lors qu’il n’était prévu aucuns frais que les intérêts ;
– sur les restitutions
– dans l’hypothèse où la cour d’appel estimerait qu’il y a lieu de faire droit à la demande d’annulation des stipulations du protocole de 2014, les demandes en restitution qui en sont la suite ne sauraient être accueillis, dès lors que cette annulation laisserait subsister les contrats de 2010, dans lesquels les intérêts litigieux ont été convenus entre les parties et qu’en conséquence, ces intérêts demeureraient dus ;
– il en irait également ainsi s’il était jugé que le protocole de 2014 a emporté novation du protocole de 2010, puisqu’en cas de nullité de l’obligation résultant d’une novation, l’obligation ancienne retrouve toute son efficacité.
Appréciation de la cour
28. L’article 313-4, alinéa 1, du code monétaire et financier, dans sa rédaction en vigueur jusqu’au 1er octobre 2016, dispose que les règles relatives au taux effectif global des crédits sont fixées par les articles L. 313-1 et L. 313-2 du code de la consommation, dans leur rédaction alors applicable, dont il résulte que le taux effectif global, déterminé comme il est dit au premier de ces articles, doit être mentionné dans tout écrit constatant un contrat de prêt.
29. La Cour de cassation jugeait régulièrement qu’en application de ce texte, l’omission ou l’inexactitude de la mention du taux effectif global dans l’écrit constatant un contrat de crédit emportaient l’annulation de la clause stipulant l’intérêt conventionnel et la substitution à celui-ci de l’intérêt légal (1re Civ., 24 juin 1981, n° 80-12.903 ; Com., 29 nov. 2017, n° 16-17.802 ; 1re Civ., 5 juin 2019, n° 18-16.360).
30. La Cour de cassation juge désormais qu’en cas d’omission du taux effectif global dans l’écrit constatant un contrat de crédit, quelle que soit la date de sa conclusion, comme en cas d’erreur affectant la mention de ce taux dans un tel écrit, le prêteur peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice subi par l’emprunteur (1re Civ., 10 juin 2020, n° 18-24.87, Com., 24 mars 2021, n° 19-14.307).
31. Il résulte par ailleurs des articles 1304 du code civil, dans sa version abrogée par l’ordonnance du 10 février 2016, 2224 de ce code, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 et L. 110-4 du code de commerce, que l’action en annulation de la stipulation d’intérêts d’un crédit, comme l’action en déchéance du dispensateur du crédit de son droit aux intérêts, engagées en raison de l’omission du taux effectif global dans l’écrit constatant le crédit, court à compter du jour du contrat, qui est celui où cet emprunteur a connu ou aurait dû connaître cette erreur.
32. En l’espèce, les parties ont conclu, le 22 mars 2010, deux conventions :
– une convention de mise à disposition par la société Giroflée à la société SNN du terrain situé sur le territoire de la commune de Ventes de Bourse, moyennant le paiement d’une redevance d’exploitation, convention qui prévoyait la possibilité pour la société SNN d’effectuer un paiement anticipé de cette redevance ;
– un protocole d’accord transactionnel, mettant en ‘uvre cette possibilité, qui stipulait notamment que la société SNN paye à la société Giroflée la somme de 2 000 000 euros, à charge pour celle-ci de la lui rembourser à partir de l’ouverture du site d’enfouissement sous la forme d’une délégation de créance portant sur la moitié de la redevance d’exploitation et avec application d’un taux d’intérêt au montant de la créance détenue par la société SNN de 5 % par an à compter de la date de décaissement et jusqu’au 31 décembre 2012, puis de 7,8 % par an à compter du 1er janvier 2013, étant précisé que les intérêts ne seraient exigibles qu’au remboursement de la créance.
33. Les parties ont ensuite conclu, aux termes d’un acte dont la copie versée aux débats n’est pas datée et n’est pas signée par le représentant de la société SNN, mais dont il n’est pas contesté qu’il a été souscrit en juin 2014, un protocole aux termes duquel elles ont défini les modalités du remboursement anticipé de la somme mise à disposition de la société Giroflée par la société SNN. Cette convention prévoyait le paiement par la société Giroflée de ladite somme augmentée, d’une part, d’intérêts, échus, calculés aux taux stipulés en mars 2010 sur la période comprise entre la date de décaissement et le 31 mars 2014, après imputation de la moitié des redevances dues par la société SNN au regard des tonnages de déchets réellement enfouis sur cette période, et, d’autre part, d’intérêts, à échoir, calculés au taux de 7,8 % par an sur la période, du 1er avril 2014 au 31 décembre 2021, après imputation de la moitié des redevances correspondant à un tonnage de déchets enfouis de 22 500 tonnes par trimestre.
34. Cette convention prévoyait que le montant dû au titre des intérêts à échoir serait réajusté, à la fin de chaque trimestre, en fonction des tonnages de déchets réellement enfouis par la société SNN sur le trimestre donné, cette société remboursant à la société Giroflée le surplus d’intérêts, majoré, si le tonnage était supérieur à 22 500 tonnes et la société Giroflée payant à la société SNN le reliquat d’intérêts dans le cas contraire.
35. Dans ses dernières conclusions d’appel, s’agissant de la méconnaissance par la société SNN de la réglementation relative au taux effectif global, la société Giroflée soutient que la mise à sa disposition par la société SNN de la somme de 2 000 000 euros constituait un prêt, que le taux effectif global « aurait dû être mentionné dans le prêt consenti par SNN à Giroflée dans le cadre du protocole de 2010, tel que complété par le protocole de 2014 », que le taux réel du prêt a été fixé rétroactivement par la société SNN dans le cadre des documents préparatoires à la signature du protocole de 2014, sur la base d’une estimation des tonnages qui seraient confiés à l’enfouissement par ses soins, et que cette « facturation arbitraire » d’intérêts revient à fixer un taux d’intérêt de l’ordre de 11,20 %, avec effet rétroactif. La société Giroflée invoque en conséquence « la nullité des taux conventionnels de 5 % et 7,80 % et leur substitution par le taux légal à la date de conclusion du protocole de 2014 », ce qui justifierait « le remboursement des intérêts conventionnels au 31 mars 2014 au taux contractuel prévu de 5% jusqu’au 31 décembre 2012 puis de 7,8 % à compter du 1er janvier 2013 et jusqu’au 31 mars 2014, et des intérêts de ‘remboursement anticipé’ », soit 991 000 euros, sous déduction de l’intérêt au taux légal applicable entre le 22 mars 2010 et le 30 juin 2014, soit la somme de 987 600 euros.
36. Dans ses premières conclusions d’appel, la société Giroflée demandait à la cour d’appel, en conséquence de ces développements, de « juger que l’omission de la mention du taux effectif global dans le contrat de prêt consenti par SNN à Giroflée viole les dispositions d’ordre public applicables au TEG », d’ « ordonner la substitution des taux conventionnels de 5 % et 7,80%, puis 11,20 % par le taux d’intérêt légal en vigueur en 2014, soit 0,04 % » et de « condamner la société SNN à rembourser à la société Giroflée la somme de 987.600 € correspondant à la différence entre les taux conventionnels précités et le taux d’intérêt légal ».
37. Dans ses conclusions remises au greffe le 12 mars 2024, ainsi que dans ses dernières conclusions, la société Giroflée précise, s’agissant de la prescription invoquée par la société SNN, qu’ « il n’est pas contestable ni contesté que le Protocole de 2014, tout comme le Protocole de 2010, ne mentionnent aucun TEG » et que « le délai de prescription ne peut commencer à courir (au plus tôt) qu’à la date de la stipulation ‘d’intérêts’ litigieuse en 2014 ». Dans le dispositif de ces mêmes conclusions, la société SNN a complété ses demandes en demandant à la cour d’appel, préalablement à sa demande d’application du taux légal, de « prononcer la nullité de la stipulation d’intérêts à l’Article 2 du Protocole de 2014 à défaut de stipulation du TEG ».
38. Dans le dernier état de ce dispositif des conclusions de la société Giroflée, il convient de considérer que celle-ci poursuit la seule annulation de la stipulation d’intérêts résultant, selon elle, de l’article 2 du protocole de 2014, faute de mention dans ce dernier d’un taux effectif global.
39. Ce protocole ayant été conclu moins de cinq ans avant l’assignation par laquelle la société Giroflée a demandé au tribunal de condamner la société SNN à lui rembourser la somme de 987 600 euros en conséquence de « l’omission du taux effectif global dans les actes formalisant le contrat de prêt », selon les termes du jugement, cette demande n’est pas prescrite.
40. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
41. Cela étant, il résulte des stipulations précitées du protocole de juin 2014 que celui-ci prévoyait, en contrepartie de la faculté offerte à la société Giroflée de rembourser par anticipation la somme mise à sa disposition par la société SNN en exécution du protocole d’accord transactionnel du 22 mars 2010, le paiement par la société Giroflée d’une part, des intérêts dus pour la période antérieure au 31 mars 2014 en application de ce protocole et, d’autre part, d’intérêts calculés, au taux prévu par ce protocole, sur la base d’un nominal correspondant à la créance qu’aurait détenue la société SNN à compter du 1er avril 2014, en l’absence de ce remboursement anticipé, après imputation, chaque trimestre, de la moitié de la redevance due par la société SNN au titre des déchets enfouis sur le site.
42. Si ce protocole de juin 2014 comportait ainsi une stipulation d’intérêts, pour l’avenir, ayant vocation à faire l’objet d’un paiement immédiat d’un montant correspondant à une valeur estimée de ces intérêts sur l’ensemble de la période dans l’hypothèse de l’enfouissement de 22 500 tonnes chaque trimestre, puis d’un réajustement trimestriel au regard de la quantité de déchets réellement enfouis par la société SNN, le paiement de ces intérêts n’était pas stipulé en contrepartie de la mise à la disposition de la société Giroflée de fonds par la société SNN, l’objet même de ce protocole étant le remboursement de la somme avancée par la société SNN en exécution du protocole d’accord transactionnel du 22 mars 2010.
43. Il s’en déduit, d’abord, qu’en dépit de la stipulation de ces intérêts futurs, le protocole de juin 2014 ne constatait pas un contrat de crédit, au sens de l’article 313-2, ancien, du code de la consommation, peu important, à cet égard, que les parties se soient par ailleurs accordées, aux termes de ce même protocole, sur le montant des intérêts dus par la société Giroflée pour la période antérieure à sa conclusion, en exécution du protocole d’accord transactionnel du 22 mars 2010, et, ensuite et en conséquence, que les parties n’étaient pas tenues d’y mentionner un taux effectif global.
44. Les demandes de la société Giroflée tendant au remboursement de la somme de 987 600 euros, en ce qu’elles sont fondées sur la méconnaissance de la réglementation relative au taux effectif global, doivent donc être rejetées et le jugement sera également confirmé en ce qu’il en déboute la société Giroflée.
45. Il sera observé, au surplus, qu’au regard de l’évolution de la jurisprudence relative à la sanction de l’omission d’un taux effectif global dans l’écrit constatant un contrat de prêt, ces demandes de la société Giroflée, qu’elles soient fondées sur l’omission d’un tel taux dans le protocole d’accord transactionnel du 22 mars 2010 ou dans le protocole de juin 2014, sont vouées à l’échec en tout état de cause, dans la mesure où, en premier lieu, une telle omission, à la supposer fautive, n’est pas de nature à emporter, en elle-même, la substitution du taux légal au taux conventionnel et où, en second lieu, la société Giroflée ne justifie d’aucun préjudice que lui aurait causé cette omission.
Sur les demandes tendant au remboursement de la somme de 987 600 euros, en ce qu’elles sont fondées sur le caractère potestatif de l’article 2 du protocole de 2014
Moyens des parties
46. La société Giroflée soutient que :
– la fixation d’intérêts et la cadence de remboursement de l’emprunt étaient subordonnés à la seule volonté de la société SNN, qui décidait à sa discrétion du tonnage de déchets à enfouir, en l’absence d’exclusivité entre les parties ;
– en application de l’article 2 du protocole de 2014, le montant des intérêts dus, nonobstant le remboursement anticipé du prêt, a été stipulé pour être déterminé suivant le tonnage que la société SNN déciderait ou non d’enfouir sur son terrain, étant observé que plus le tonnage enfoui était important, plus les intérêts devaient être réajustés à la baisse ;
– en conséquence, cette clause stipulant un taux d’intérêts fixé en fonction du tonnage à enfouir, dans le cadre du protocole de 2014, est nulle et doit donner lieu à la condamnation de la société SNN à lui restituer les sommes payées au titre de l’article 2 annulé, soit 987 600 euros ou, à tout le moins, 529 000 euros, correspondant aux redevances déterminées en fonction d’une estimation du tonnage de déchets à enfouir de 90 000 tonnes par an et sur une durée commençant à courir le 1er avril 2014 et se terminant au plus tard le 31 décembre 2021 ;
– contrairement à ce que soutient la société Suez RV Normandie, cette demande est recevable, dès lors que les développements relatifs au caractère potestatif de la clause tendent aux mêmes fins que ceux déjà soumis aux premiers juges et dans ses premières écritures d’appel, à savoir l’annulation de la stipulation d’intérêts de l’article 2 du protocole de 2014 à défaut de stipulation d’un taux effectif global.
47. La société Suez RV Normandie soutient que :
– sur la recevabilité
– en application de l’article 910-4 du code de procédure civile, la demande d’annulation du protocole d’accord fondée sur son caractère potestatif, qui constitue une demande nouvelle qui ne figurait pas dans les premières conclusions d’appelante de la société Giroflée, est irrecevable ;
– en outre, cette demande a été formée pour la première fois dans les écritures régularisées par la société Giroflée le 12 mars 2024, soit plus de cinq ans après la conclusion du protocole d’accord de juin 2014, sans que la demande de substitution de l’intérêt légal à l’intérêt conventionnel ait interrompu la nullité tirée de la prétendue potestativité ;
– en toute hypothèse, le prétendu vice de potestativité affecterait en réalité, s’il était démontré, le protocole de 2010, puisque le prétendu pouvoir de la société SNN de différer l’exigibilité des échéances de remboursement en différant les enfouissements, aurait existé dès la conclusion de ce protocole, de sorte que c’est à la date de la signature de ce protocole que la prescription aurait commencé à courir ;
– par ailleurs, la demande de la société Giroflée, qui invoque une nullité relative, se heurte encore à la confirmation, dès lors que la société Giroflée a exécuté en pleine connaissance de cause les stipulations dont elle demande l’annulation ;
– sur le fond
– en vertu de la clause litigieuse, la société SNN ne bénéficiait en aucune façon de la possibilité de faire obstacle à la naissance de sa dette, la société Giroflée lui reprochant seulement de pouvoir faire croître les intérêts à son gré, de sorte que cette clause ne peut être qualifiée de potestative ;
– ensuite, retarder l’enfouissement aurait causé tort à la société SNN, de sorte que le risque d’arbitraire était exclu, ce qui justifie, encore, d’écarter le caractère potestatif de la clause ;
– par ailleurs, la nullité pour potestativité ne saurait jouer lorsque le bénéficiaire de celle-ci n’en a pas fait usage ; or la société SNN n’a, à aucun moment, différé les enfouissements ;
– sur les restitutions
– comme précédemment indiqué, s’il était fait droit à la demande d’annulation, les intérêts dont le remboursement est demandé demeureraient dus en application du protocole de 2010.
Appréciation de la cour
48. L’article 910-4, alinéa 1, du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret du 6 mai 2017, dispose qu’à peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond.
49. En l’espèce, ce n’est qu’aux termes de ses conclusions d’appel remises au greffe le 12 mars 2024 que la société Giroflée a demandé à la cour d’appel, pour la première fois, de juger que l’article 2 du protocole de 2014 comporte la stipulation d’un intérêt fixé de manière potestative car dépendant de la volonté de la société SNN et, en conséquence, de prononcer la nullité de cette stipulation en raison de son caractère potestatif.
50. Il importe peu, à cet égard, que, comme le soutient la société Giroflée, cette demande tende aux mêmes fins, au sens de l’article 565 du code de procédure civile, que les demandes soumises aux premiers juges et figurant dans ses premières conclusions d’appel, fondées sur la méconnaissance de la réglementation relative au taux effectif global, une telle identité de fins n’étant pas de nature à faire obstacle à l’irrecevabilité prévue à l’article 910-4 du code de procédure civile.
51. Au surplus, à supposer que cette demande ne méconnaisse pas les prescriptions de ce texte, elle devrait être déclarée irrecevable comme prescrite, dès lors qu’elle a été formée, pour la première fois, plus de cinq ans après la conclusion du protocole comportant la clause litigieuse, sans que la société Giroflée ne soutienne, ni a fortiori n’établisse, qu’elle n’aurait pas été en mesure, dès cette date, d’exercer cette action.
Sur la demande de la société Giroflée tendant, à titre subsidiaire, au remboursement de la somme de 529 000 euros
Moyens des parties
La société Giroflée soutient que :
– la société SNN a imposé les conditions de sortie du prêt qu’elle a été contrainte d’accepter afin d’obtenir un refinancement bancaire nécessaire à son activité, lequel imposait de procéder à une inscription hypothécaire sur le site en cause, comme en attestent les échanges entre les parties ayant précédé la signature du protocole de 2014 ;
– elle a ainsi été contrainte de payer la somme de 529 170,09 euros correspondant aux frais financiers qui auraient été versés à la société SNN si le prêt n’avait pas été remboursé ;
– or aucun intérêt de remboursement anticipé n’était stipulé au contrat, dès lors que le prêt était à durée indéterminée, de sorte que ces « intérêts futurs » n’étaient pas dus ;
– en outre, les intérêts de remboursement anticipé n’ont pas été calculés en tenant compte du tonnage maximum de déchets, puisque celui-ci n’était pas de 90 000 tonnes par an mais de 120 000 tonnes par an, de sorte que le calcul des intérêts s’est fait à l’avantage de la société SNN, dans la mesure où, en définitive, le remboursement du prêt se serait opéré plus rapidement et à moindre coût :
– contrairement à ce que soutient la société SNN, le montant des redevances n’était pas exorbitant et la prétendue « économie des contrats » que cette société invoque ne permet pas de justifier les intérêts exorbitants extorqués sous la contrainte ;
– si la clause d’inaliénabilité est un classique des conventions de mise à disposition, elle ne peut permettre de justifier un montant de redevance considéré, à tort, comme exorbitant ;
– il n’y a pas de consentement libre lorsqu’il est donné sous la contrainte et c’est donc à tort que le tribunal a jugé que la contrepartie extorquée par la société SNN correspondrait à l’économie des accords, alors que le comportement de la société SNN était constitutif d’une violence, au sens de l’article 1143 du code civil ; ;
– subsidiairement, dès lors que le prêt était stipulé à durée indéterminée, il ne pouvait y avoir de remboursement anticipé par rapport à un terme qui n’existait pas, ce dont il résulte que le prêt était remboursable à tout moment sans qu’il soit besoin de verser des intérêts complémentaires à ceux dus au jour du complet remboursement du capital ;
– aucun intérêt de remboursement anticipé n’ayant ainsi été stipulé dans le protocole de 2010, aucun intérêt de remboursement anticipé n’était dû, de sorte que la somme qu’elle a versée à ce titre doit lui être restituée sur le fondement de la répétition de l’indu.
52. La société Suez RV Normandie soutient que :
– sur la recevabilité
– la prétendue violence, à la supposer caractérisée, a cessé dès la conclusion du protocole de juin 2014, de sorte que la société Giroflée était en mesure d’agir en annulation dès la conclusion de ce protocole ;
– or elle n’a invoqué la violence que dans ses conclusions de première instance n° 3, régularisées à l’audience du 25 septembre 2019, soit plus de cinq ans après la cession de la prétendue violence, de sorte que cette demande se heurte à la prescription édictée par l’article 1304, ancien, du code civil ;
– en outre, le protocole d’accord de juin 2014 a été exécuté de façon parfaitement volontaire, à une époque où celle-ci avait obtenu son refinancement, de sorte que cette demande d’annulation se heurte à cette confirmation, en application des articles 1115 et 1338, anciens, du code civil ;
– sur le fond
– c’est de manière libre et éclairée que la société Giroflée s’est engagée dans le cadre du protocole de juin 2014, ce qui résulte des échanges entre les parties et des termes du protocole ;
– en contrepartie du remboursement anticipé de son avance et de sa renonciation à l’inaliénabilité prévue par la convention de mise à disposition, elle a proposé de renégocier le montant des redevances, afin que l’équilibre de leurs accords soit préservé ;
– cette proposition était légitime au regard du montant anormalement élevé de la redevance, lequel avait été fixé pour tenir compte de l’inaliénabilité stipulée à la convention et devait être compensé par l’application des taux d’actualisation dont était assortie son avance, et de l’incidence de la prise d’une hypothèque sur le site quant à la promesse de vente des terrains stipulée dans la convention de mise à disposition ;
– la société Giroflée s’est opposée à la réduction du montant de la redevance, préférant laisser à la société SNN le bénéfice des intérêts sur son avance et obtenir sa renonciation, sans autre contrepartie, à l’inaliénabilité ;
– l’option ainsi offerte à la société Giroflée était exclusive de l’état de violence dont elle a fait état tardivement en première instance ;
– à supposer cette demande recevable, elle ne pourrait donc qu’être rejetée, comme l’a fait le tribunal ;
– dans l’hypothèse où la nullité serait prononcée, elle n’affecterait que le protocole d’accord de juin 2014, les sommes dues en application des contrats de 2010 demeurant dues, ce qui suffirait à faire obstacle à la demande de restitution ;
– s’agissant de la demande subsidiaire fondée sur la répétition de l’indu, la somme de 529 000 euros a été payée par la société Giroflée en exécution du protocole de 2014, de sorte qu’il n’y a aucun indu ; au surplus, l’avance consentie en 2010 par la société SNN ne pouvait en aucun cas être remboursée à tout moment par la société Giroflée, un tel remboursement n’étant prévu que dans l’hypothèse d’une résiliation de la convention entraînant la cessation de l’exploitation du site ; à supposer que l’opération puisse être qualifiée de prêt, celui-ci était affecté d’un terme déterminable, correspondant à l’apurement complet de la dette de la société Giroflée par l’effet de la déclaration de créances portant sur la moitié des redevances d’exploitation ; en tout état de cause, elle n’avait pris aucun engagement quant à la quantité minimum de déchets qu’elle enfouirait sur le site, de sorte que la société Giroflée avait accepté de supporter le risque résultant d’une diminution de ces volumes, le cas échéant, étant observé qu’en définitive, la société Giroflée ne prétend pas que la société SNN aurait effectivement freiné l’exploitation du site, mais seulement qu’elle aurait eu la possibilité de le faire.
Appréciation de la cour
53. En premier lieu, l’article 954 du code de procédure civile, précédemment cité, dispose que les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.
54. En l’espèce, si la société Giroflée invoque dans le corps de ses conclusions, au soutien de sa demande subsidiaire de remboursement de la somme de 529 000 euros, la violence ou la contrainte qu’elle aurait subie de la part de la société SNN à l’occasion de la conclusion du protocole de juin 2014 et conteste que son consentement ait été libre et éclairé, elle se borne ensuite, dans le dispositif de ces conclusions, à demander à la cour d’appel de juger, préalablement à cette demande subsidiaire de remboursement, que l’article 2 de ce protocole présente un caractère potestatif, que son consentement à la conclusion de ce protocole a été donné sous la contrainte, que le prêt consenti par la société SNN était à durée indéterminée, qu’aucune stipulation ne prévoyait le paiement d’intérêts en cas de remboursement anticipé et que les intérêts prétendument présentés comme afférents à un tel remboursement n’étaient pas dus.
55. En cet état, la cour n’est donc est saisie, à titre subsidiaire, d’aucune demande d’annulation du protocole de juin 2014 ou d’une clause de ce protocole.
56. Il en résulte, en premier lieu, qu’il n’y a pas lieu de statuer sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription d’une telle demande, présentée par la société SNN.
57. Il en résulte, en second lieu, que, dès lors que la somme de 529 000 euros a été payée par la société Giroflée à la société SNN en exécution des stipulations des articles 2 et 3 de ce protocole de juin 2014, dont l’annulation n’est pas demandée, la demande de remboursement de cette somme formée par la société Giroflée, que ce soit à titre de restitution ou de répétition d’un indu, ne peut qu’être rejetée.
58. Il sera observé, au surplus, qu’il résulte des courriels échangés par les parties préalablement à la conclusion de ce protocole de juin 2014 que, dans la perspective d’un refinancement de ses actifs, la société Giroflée a non seulement informé la société SNN qu’elle envisageait de rembourser par anticipation la somme que cette dernière lui avait avancée, mais qu’elle a également demandé à cette société de renoncer à la clause d’inaliénabilité stipulée dans la convention de mise à disposition du 22 mars 2010 et de donner son accord pour la prise d’une hypothèque par un établissement bancaire sur le terrain exploité. Le 20 mars 2014, la société SNN a fait valoir que ces demandes modifiaient l’économie générale des contrats conclus entre les parties et a offert de négocier, en contrepartie, une baisse de la redevance d’exploitation, dont le montant avait été fixé, selon elle, en considération du taux d’intérêt stipulé dans le protocole d’accord transactionnel du 22 mars 2010.
59. La société SNN ayant ensuite demandé à la société Giroflée, en contrepartie de son accord, de payer les intérêts qu’elle aurait perçus en l’absence de remboursement anticipé, la société Giroflée, dans un premier temps, notamment par un courriel du 8 avril 2014, refusé cette proposition en ces termes : « Votre proposition est simplement inacceptable et ce d’autant plus qu’en théorie, rien ne m’empêche de procéder au remboursement anticipé de votre créance sans devoir combler un quelconque manque à gagner vous concernant. Seule la nécessité de votre accord à la mise en place de mon financement bancaire vous donne la possibilité de me réclamer une telle somme. Je vous serais donc reconnaissant de bien vouloir revoir le coût de notre droit à hypothéquer nos terrains ».
60. Il résulte de ces échanges que le paiement par la société Giroflée des intérêts à échoir, en dépit du remboursement anticipé de la somme avancée, était la contrepartie, dans l’esprit de cette société, de l’accord donné par la société SNN pour renoncer à la clause d’inaliénabilité dont elle était créancière, dont rien ne permet d’affirmer qu’elle aurait été indifférente pour cette société, dans la mesure où, comme l’a relevé le tribunal, cette clause était notamment destinée à sécuriser les investissements réalisés par cette société pour aménager les installations nécessaires à l’exploitation des terrains mis à sa disposition.
61. Quand bien même les conventions initiales, conclues en 2010, n’envisageaient pas l’hypothèse d’un remboursement par anticipation de l’avance consentie par la société SNN, et ne prévoyaient donc pas le paiement par la société Giroflée des intérêts à échoir dans une telle hypothèse, cette société n’établit pas, en l’état de ces échanges, que son consentement au paiement de tels intérêts, en contrepartie de la renonciation de la société SNN à la clause d’inaliénabilité qu’elle-même avait librement souscrite pour la durée de l’exploitation du site, aurait été vicié par une violence ou une contrainte exercée par cette société.
62. Enfin et au surplus, s’agissant plus particulièrement de la stipulation prévoyant le réajustement des intérêts à échoir au regard des tonnages de déchets réellement enfouis par la société SNN postérieurement au remboursement de l’avance, la société Giroflée n’allègue pas que cette stipulation ait été mise en ‘uvre par la société SNN et qu’elle ait procédé à un quelconque paiement complémentaire à ce titre, de sorte que cette stipulation n’apparaît pas de nature à justifier la demande de remboursement formée à titre subsidiaire par la société Giroflée.
63. Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il rejette cette demande de remboursement des intérêts « futurs » payés pour un montant de 529 000 euros par la société Giroflée.
Sur la demande de la société Giroflée tendant, à titre plus subsidiaire, au remboursement de la somme de 528 999 euros
64. La société Giroflée soutient que :
– si l’article 2 du protocole de 2014, en ce qu’il prévoit l’estimation « d’intérêts futurs » à produire par une somme déjà remboursée en principal et intérêts, devait être jugé valable, il pourrait être requalifié en pénalité, dont le montant, manifestement excessif, devrait être réduit en application de l’article 1152, ancien, du code civil ;
– la stipulation litigieuse est appliquée comme une sanction forfaitaire attachée au remboursement anticipé de la somme empruntée et cette pénalité, dont le montant est supérieur aux intérêts échus et porte le taux d’intérêt à un taux usuraire de l’ordre de 11,20 %, est manifestement excessive compte tenu, a fortiori, des circonstances qui ont entouré la signature du protocole de 2014 ;
– contrairement à ce que soutient la société SNN, cette demande est recevable en application des articles 565 et 566 du code de procédure civile, dès lors qu’elle ne constitue qu’une demande complémentaire à celle déjà soumise aux premiers juges.
65. La société Suez RV Normandie soutient que :
– sur la recevabilité
– cette demande a été formulée pour la première fois par la société Giroflée dans ses conclusions signifiées le 12 mars 2024 ;
– dès lors que la société Giroflée avait connaissance des faits qu’elle invoque au soutien de cette demande dès la conclusion du protocole de 2014 et au plus tard lors du paiement de ladite somme le 1er juillet 2014, cette demande est prescrite en application de l’article 2224 du code civil ;
– sur le fond
– la somme litigieuse ayant été convenue entre les parties aux termes du protocole de 2014, non pour le cas où la société Giroflée n’exécuterait pas ses obligations, mais au vu de la remise en cause, par la société Giroflée, de ce qui avait été convenu au sein des contrats de 2010, elle n’a pas la nature d’une clause pénale, dès lors qu’une telle clause sanctionne par avance l’inexécution d’une obligation par un forfait de réparation ;
– au surplus, à supposer que l’opération soit qualifiée de prêt, l’indemnité prévue en cas de remboursement anticipé d’un prêt n’est pas une clause pénale ;
– en tout état de cause, la somme en question ne présente aucun caractère excessif mais est le juste reflet des conséquences de la remise en cause de ce qui avait été convenu au sein des contrats de 2010.
Appréciation de la cour
66. L’article 1152 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, dispose que lorsque la convention porte que celui qui manquera de l’exécuter payera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte, ni moindre mais que, néanmoins, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire.
67. Comme le relève la société SNN, la société Giroflée a présenté sa demande de modération de la clause pénale qu’elle estime stipulée aux termes de l’article 2 du protocole de juin 2014, pour la première fois, par ses conclusions du 12 mars 2024.
68. Cette demande, présentée après l’expiration du délai de cinq ans prévu à l’article L. 110-4 du code de commerce qui avait commencé à courir à la date de conclusion en protocole en application des dispositions de l’article 2224 du code civil, est donc prescrite, peu important à cet égard que, comme le soutient la société Giroflée, elles aient pu être présentées en cause d’appel en application des dispositions des articles 565 ou 566 du code de procédure civile.
69. Cette demande sera donc déclarée irrecevable.
70. Il sera observé, au surplus, que dans la mesure où la stipulation du protocole de juin 2014, par laquelle la société Giroflée s’est engagée à payer les intérêts à échoir en dépit du remboursement anticipé de la somme avancée par la société SNN, ne tendait ni à contraindre la société Giroflée à exécuter quelque obligation que ce soit ni, encore moins, à évaluer d’avance l’indemnité à laquelle donnerait lieu l’inexécution d’une telle obligation, dès lors qu’en exécution de ce protocole, la société Giroflée n’était plus tenue qu’au seul paiement de ces seuls intérêts, auquel elle avait consenti en contrepartie de la renonciation de la société SNN à la clause d’inaliénabilité dont elle bénéficiait.
Sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile
71. Compte tenu du sens de la présente décision, le jugement sera également confirmé en ce qu’il condamne la société Giroflée aux dépens et à payer une indemnité de procédure à la société Suez RV Normandie.
72. La société Giroflée sera en outre condamnée aux dépens de la procédure d’appel en application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.
73. En application des dispositions de l’article 700 du même code, la société Giroflée sera déboutée de sa demande de remboursement des frais exposés dans le cadre de la procédure d’appel et non compris dans les dépens et sera condamnée, à ce titre, à payer à la société Suez RV Normandie la somme de 8 000 euros.
Dit n’y avoir lieu à écarter des débats les conclusions remises au greffe par la société Suez RV Normandie le 22 avril 2024 ;
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Déclare irrecevables les demandes d’annulation de l’article 2 du protocole de juin 2014 en raison de son caractère potestatif et de réduction de la pénalité stipulée aux termes de ce protocole ;
Condamne la société Giroflée aux dépens de la procédure d’appel ;
Déboute la société Giroflée de sa demande formée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et la condamne, sur ce fondement, à payer à la société Suez RV Normandie la somme de 8 000 euros au titre des frais exposés dans le cadre de la procédure d’appel et non compris dans les dépens ;
Rejette le surplus des demandes.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
S.MOLLÉ X. BLANC,