Logiciels : 14 septembre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/02360

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Logiciels : 14 septembre 2023 Cour d’appel de Versailles RG n° 21/02360

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 14 SEPTEMBRE 2023

N° RG 21/02360 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UU3P

AFFAIRE :

[Y] [D]

C/

CAT FRANCE

anciennement dénommée Société CAT LC FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu

le 27 Mai 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : 18/00866

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Elise BENISTI de

la SELEURL SELARL BENISTI

Me Cédric GUYADER de

la SELARL INTERVISTA

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATORZE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [Y] [D]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentant : Me Elise BENISTI de la SELEURL SELARL BENISTI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2553

APPELANT

****************

CAT FRANCE anciennement dénommée CAT LC FRANCE

N° SIRET : 440 253 714

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentant : Me Cédric GUYADER de la SELARL INTERVISTA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1227 substitué par Me Martha KOUNOVA avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 03 Juillet 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Odile CRIQ, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,

FAITS ET PROCÉDURE

M. [D] a été engagé par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 11 avril 2011, en qualité de responsable d’exploitation, par la société Compagnie d’affrètement et de Transports (CAT LC France), aux droits de laquelle vient désormais la société Cat France, qui a pour activité l’affrètement et l’organisation des transports de marchandises, notamment de véhicules, motocycles et équipements automobiles, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires de transports.

En dernier lieu, à compter du 1er avril 2014, il a été nommé responsable du Centre de [Localité 5] de la CAT LC France.

Convoqué le 26 septembre 2017, à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 9 octobre suivant, M. [D] a été licencié par lettre datée du 16 octobre 2017 énonçant une faute grave.

Contestant la rupture de son contrat de travail, M. [D] a saisi, le 6 juillet 2018, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt aux fins d’entendre juger dénué de cause réelle et sérieuse son licenciement, et solliciter la condamnation de la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

La société s’est opposée aux demandes du requérant et a sollicité sa condamnation au paiement d’une somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement rendu le 27 mai 2021, notifié le 2 juillet 2021, le conseil a statué comme suit :

Juge que le licenciement intervenu pour faute grave de M. [D] est justifié ;

Déboute M. [D] de l’ensemble de ses demandes ;

Condamne M. [D] aux dépens éventuels de l’instance ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Le 20 juillet 2021, M. [D] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Par ordonnance rendue le 24 mai 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 3 juillet 2023.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe le 12 mai 2023, M. [D] demande à la cour de :

Le recevoir en ses demandes, l’en dire bien fondé et par conséquent :

Infirmer le jugement rendu en ce qu’il :

A jugé que le licenciement intervenu pour faute grave est justifié ;

L’a débouté de l’ensemble de ses demandes ;

L’a condamné aux dépens éventuels.

Statuant de nouveau :

Juger que les faits visés par la lettre de licenciement sont prescrits

A titre principal, juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse

Et en conséquence, condamner la société à verser :

‘ Au titre de l’indemnité de licenciement : 7.573,05 euros

‘ Au titre du préavis : 13.981,02 euros

‘ Au titre des congés payés sur préavis : 1.398,10 euros

‘ Au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse : 70.000 euros.

A titre subsidiaire, juger le licenciement dépourvu de faute grave

Et en conséquence, condamner la société à verser :

‘ Au titre de l’indemnité de licenciement :7.573,05 euros

‘ Au titre du préavis : 13.981,02 euros

‘ Au titre des congés payés sur préavis :1.398,10 euros

Condamner la société défenderesse à verser au titre de l’article 700 du code de procédure civile: 3.600 euros.

Condamner la société défenderesse aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 5 mai 2023, la société Cat France demande à la cour de :

A titre principal,

Confirmer le jugement rendu en ce qu’il a :

Juger que le licenciement de M. [D] par la société est justifié par une faute grave ;

Débouter M. [D] de toutes ses demandes d’indemnisation en raison de la rupture de son contrat de travail ;

Condamner M. [D] aux entiers dépens de la première instance ;

Et y ajoutant,

Condamner M. [D] à verser à la société la somme de 3.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner M. [D] aux entiers dépens de l’appel ;

A titre subsidiaire,

Dire et juger que M. [D] ne justifie d’aucun préjudice matériel du fait de de son licenciement ;

Dire et juger qu’il n’y a pas lieu d’écarter l’application du barème prévu par l’article L.1235-3 du code du travail ;

En conséquence,

Réduire les éventuelles indemnisations à allouer à M. [D] à la somme de 13.981,02 euros, en faisant application de l’article L.1235-3 du code du travail.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIFS

Sur le licenciement

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée :

« Monsieur,

Vous avez été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement fixé le lundi 9 octobre 2017 avec moi-même, assisté de Monsieur [B] [F], Directeur pays Logistique Cargo France. Vous étiez assisté de Madame [K] [S], représentante du personnel.

Les motifs qui nous amènent à procéder à votre licenciement pour faute grave sont les suivants :

Nous déplorons de votre part un grave manquement à votre obligation de loyauté et de bonne foi vis-à-vis de la CAT.

En effet, dans le cadre de l’exécution de votre travail et des missions qui vous ont été confiées, vous avez développé une solution informatique « APPROBYCAT » qui est utilisée depuis plusieurs années par notre Division Logistique Cargo pour l’approvisionnement des usines en pièces, notamment pour Renault, l’un de nos clients principaux.

Il n’est pas discutable que cette solution informatique a constitué durant plusieurs années le c’ur même de vos objectifs, ce qui a été formalisé chaque année lors de vos différents entretiens.

Or, il s’avère que sans aucune information ni discussion au préalable avec votre hiérarchie ou votre direction, avec la Direction juridique du Groupe en charge de la Propriété Intellectuelle, ni avec la Direction des systèmes d’information du Groupe en charge de l’administration des logiciels d’exploitation, vous avez, de votre propre chef et avec la complicité de votre collaborateur, Monsieur [A] [V], déposé soudainement une déclaration d’invention salarié auprès de l’INPI, en tant que co-auteurs et co-inventeurs, couvrant cette solution informatique.

Pis, lors de ce dépôt, vous avez classé ce que vous considérez être une invention comme étant « l’invention propriété du salarié ouvrant droit d’attribution à l’employeur » réalisée « en dehors de mes fonctions mais dans le domaine des activités de l’entreprise », ce qui ne correspond pas à la réalité.

De surcroît, vous avez choisi de procéder à cette déclaration en pleine période de congés d’été, afin de passer totalement inaperçu, dès lors que vous saviez que les effectifs présents au mois d’août étaient très réduits et que le traitement affecté.

Au final, nous n’avons eu vent de ce dépôt d’invention auprès de l’INPI qu’à la réception d’un courrier de votre avocat daté du 5 janvier, réclamant une régularisation » de la situation et une « solution négociée à ce différend »’

Très certainement dans le but de nous priver de nos possibilités de contestation sur le classement de l’invention, vous avez délibérément choisi, dans un premier temps, de procéder à cette déclaration auprès de l’INPI et non à votre employeur directement, comme cela est pourtant d’usage, puis de vous manifester par le biais d’un avocat, plus de quatre mois après le dépôt de la déclaration d’invention à l’INPI, ce qui a eu pour effet de nous empêcher toute contestation dans les délais imposés par la toi.

Ce faisant, vous avez manifestement cherché à nous manipuler.

Par la suite, le 14 mars 2017, vous avez été reçu par Mme [P] [M], Responsable RH et moi-même.

Au cours de cet entretien, nous vous avons fait part de notre étonnement quant à l’appropriation d’un outil informatique développé dans le cadre de vos objectifs individuels récompensés par le versement d’une part variable comme le prévoit votre contrat de travail, qui plus est, avec les moyens mis à disposition par l’entreprise et cela pendant votre temps de travail.

Il ressort en effet de vos fonctions et de vos entretiens annuels, que CAT LC France vous a explicitement confié des missions d’amélioration des traitements informatiques de la société, notamment du service appro/usine. A titre d’illustration, vous aviez comme objectif managérial pour l’année 2012 de « mener à bien la mise en place de Approbycat et le mettre en place avant octobre 2012 ».

Lors de notre entretien, nous vous avons affirmé clairement que l’outil informatique était la propriété de l’entreprise et qu’en aucun cas nous ne céderions à votre demande de le monnayer.

En revanche, nous vous avons indiqué que nous pouvions envisager le versement d’une prime exceptionnelle en reconnaissance de votre participation au développement de cet outil, à l’instar des années précédentes au cours desquelles votre implication dans ce projet avait déjà été récompensée.

D’emblée, vous avez catégoriquement refusé une quelconque prime, et demandé à ce que la question soit réglée avec votre avocat.

Nous avons, en conséquence, confié le dossier à notre avocat spécialisé en propriété intellectuelle, lequel nous a conforté dans notre position, nous indiquant que la société CAT LC France était investie des droits patrimoniaux attachés au logiciel ApproByCat en application de la loi, et était seule habilitée à les exploiter, au regard des circonstances de l’espèce.

Notre position était la suivante : le paiement d’une prime exceptionnelle de quelques milliers d’euros, sous réserve que vous reconnaissiez à CAT LC France la propriété du logiciel.

Votre position était purement irrationnelle et fantaisiste : une licence d’exploitation du logiciel sur trois ans pour un montant de 452 000 euros, maintenance incluse, ou de nous céder la propriété du logiciel pour 290 000 euros.

Ces deux sommes étaient à la fois ahurissantes et totalement infondées.

Devant le constat du gouffre séparant nos positions, nous avons été contraints de vous adresser une mise en demeure le 7 juillet 2017 pour clarifier notre position quant à la situation juridique concernant ce logiciel, notamment du point de vue du droit des brevets, inapplicable en l’espèce, et vous demander de reconnaître à CAT LC France la titularité des droits de propriété intellectuelle sur ce logiciel, la remise des codes afférents ainsi que le transfert des noms de domaine et et de ta marque APPROBYCAT déposés, avec la complicité de Monsieur [V], en violation des droits de la CAT.

Vous nous avez alors adressé une première réponse d’attente, reçue le 18 juillet 2017, compte tenu des congés de Monsieur [V]. Dans la foulée, vous nous avez adressé un second courrier commun, avec Monsieur [V], dans lequel vous affirmez ne pas faire de « blocage quant à l’utilisation de l’outil » tout en nous demandant de régulariser la situation, révélant ainsi que vous pourriez nuire à la CAT en cas d’échec des discussions.

En précisant expressément que vous ne bloquiez pas l’utilisation du logiciel, vous aviez pour but de nous presser d’accepter vos revendications, à défaut de quoi vous n’hésiteriez pas à le rendre inaccessible !

Suite à ce courrier inquiétant, je vous ai reçu avec M. [F] le 13 septembre 2017 en présence de Monsieur [V] ainsi que les représentants du personnel Monsieur [O] [T] et Madame [K] [S], qui vous assistaient, sur votre demande.

Encore une fois, vous avez revendiqué, illégitimement, la propriété du logiciel et maintenu des revendications financières inacceptables, excessives, en proposant, cette fois-ci, de concéder à CAT LC France une licence d’utilisation illimitée pour 4 sites, pour un montant de 100 000 Euros, assortie d’un contrat de maintenance d’un montant de 84 000 Euros par an !

Nous vous avons alors rappelé, lors de cette réunion, que CAT LC France était titulaire des droits sur ce logiciel, qu’il était hors de question de payer quoi que ce soit pour l’utilisation de ce logiciel, que nous exploitions paisiblement depuis plusieurs années sans aucune réclamation de votre part à cet égard, et avons réitéré notre proposition d’une prime pour le travail effectué, d’un montant de 2500 euros pour chacun d’entre vous.

Nous vous avons de plus signifié que le fait d’avoir procédé au dépôt d’une déclaration d’invention à l’INPI à notre insu, dans le plus grand des secrets, et sans jamais nous en avertir, puis de réclamer après plusieurs années d’utilisation des sommes très importantes pour l’exploitation de ce logiciel, caractérisait une attitude déloyale et un comportement de mauvaise foi à l’égard de la CAT LC France.

Là encore, vous avez tenté de gagner du temps en nous demandant un délai de réflexion et nous avez informé par courrier électronique du 25 septembre 2017 que pour permettre la continuité des activités de la CAT, vous proposiez de nous vendre le logiciel, dont nous sommes pourtant titulaires, pour un montant de 80 000 euros et de négocier un départ de l’entreprise.

Il nous est clairement apparu au vu de cette dernière réponse que vous ne cherchiez pas à sécuriser la situation juridique de ce logiciel, mais au contraire que toutes vos démarches avaient pour unique but d’obtenir le paiement de sommes considérables et indues, au détriment de l’entreprise qui vous emploie.

Durant de longs mois, nous n’avons eu de cesse de vous demander de revenir à la raison et de reconnaître nos droits sur la solution logicielle que vous vous êtes indûment appropriée et de nous remettre les codes sources en vain. Vous vous êtes obstiné délibérément à maintenir un cap empreint de mauvaise foi.

Vos multiples tentatives et stratagèmes pour attenter déloyalement à la propriété de la CAT LC sont inacceptables.

En définitive, vous avez parfaitement conscience du fait que les réalisations menées dans le cadre de vos missions de travail au sein de la CAT LC étaient de notre propriété, ce qui ne vous a pas empêché de chercher à tirer profit, à titre personnel et en toute mauvaise foi, de l’utilité économique de l’outil informatique APPROBYCAT.

En cherchant à retirer, durant de longs mois, une valorisation économique de votre activité professionnelle, au-delà de votre rémunération, au préjudice de la CAT LC et en soumettant la poursuite des activités de la CAT à vos conditions financières fantaisistes et infondées, vous avez été bien au-delà de l’absence de loyauté, au sens classique du terme.

Votre comportement caractérise une déloyauté économique à l’égard de la CAT LC que nous ne pouvons admettre.

Fort de ce constat, nous sommes contraints de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour faute grave, privatif d’indemnité de préavis et de rupture.

Le présent licenciement intervient à la date d’envoi de la présente, soit le 16 octobre 2017. Vous cessez de faire partie du personnel de l’entreprise à cette date.

[…] »

Sur la prescription des faits :

M. [D] soulève la prescription des faits visés par la lettre de licenciement en ce qu’ils portent sur la déclaration de propriété du logiciel à l’Institut national de la propriété industrielle en date du 4 août 2016 et critique la solution adoptée par les premiers juges en ce qu’ils ont retenu qu’il résultait des pièces soumises à l’approbation du conseil que les faits critiqués par la société s’étaient manifestement poursuivis jusqu’à l’envoi d’un courriel par le salarié à son employeur le 25 septembre 2017 aux termes duquel il fixait les conditions du maintien en service d’ApprobyCat.

La société objecte qu’il n’est pas seulement reproché au salarié la déclaration d’invention effectuée auprès de l’Institut national de la propriété industrielle, le 4 août 2016, mais aussi son comportement déloyal poursuivi jusqu’au 25 septembre 2017 aux termes du courriel par lequel il proposait la vente du logiciel pour la somme de 80 000 euros. Faisant valoir avoir engagé une procédure disciplinaire à l’encontre de M. [D] dès le 26 septembre 2017, la société soutient qu’aucune prescription ne peut lui être opposée.

S’agissant de la prescription des griefs, l’article L. 1332-4 du code du travail dispose qu’aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.

Lorsque les faits sanctionnés par le licenciement ont été commis plus de deux mois avant l’engagement des poursuites disciplinaires, il appartient à l’employeur d’apporter la preuve qu’il n’en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l’engagement des poursuites. Le délai court du jour où l’employeur a eu connaissance exacte et complète des faits reprochés.

Si un fait fautif ne peut plus donner lieu à lui seul à une sanction au-delà du délai de deux mois, l’employeur peut invoquer une faute prescrite lorsqu’un nouveau fait fautif est constaté, à condition toutefois que les deux fautes procèdent d’un comportement identique.

S’il résulte de la lettre de licenciement qu’il est reproché à M. [D] d’avoir avec la complicité de son collaborateur M. [V] déposé soudainement une déclaration d’invention salarié auprès de l’Institut national de la propriété industrielle, en qualité de co-auteur et co-inventeur de la solution informatique, l’enregistrement du logiciel ayant eu lieu le 4 août 2016, il lui est principalement reproché un grave manquement à son obligation de loyauté et de bonne foi vis-à-vis de la société Cat caractérisé par le refus de donner suite à la mise en demeure qui lui était adressée le 7 juillet 2017 visant à reconnaître à la société la titularité des droits de propriété intellectuelle sur le logiciel, mais aussi du fait de la proposition de cession du logiciel faite par M. [D] à la société par courriel du 25 septembre 2017, agissements dans le cadre duquel s’inscrit le grief initial constitué par la déclaration d’invention d’août 2016.

La convocation à l’entretien préalable au licenciement étant datée du 26 septembre 2017, le grief du manquement à l’obligation de loyauté et de bonne foi vis-à-vis de la Cat n’est donc pas prescrit.

Sur le droit de propriété du logiciel :

La société affirme que le logiciel est protégé par le droit d’auteur conformément à l’article L 112-2 du code de la propriété intellectuelle et que selon l’article L 113-9 du même code, les droits patrimoniaux sur un logiciel créé par un salarié dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions de son employeur appartiennent à ce dernier.

Tout en rappelant que selon l’article L 113-9 deuxième alinéa, toute contestation sur la titularité des droits patrimoniaux du logiciel est soumise au tribunal judiciaire du siège social de l’employeur, la société soutient qu’elle était propriétaire du logiciel du fait de sa création par M [D] et M. [V] dans l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions de leur employeur.

M. [D] qui soutient que l’invention est née en dehors de ses fonctions mais dans le domaine des activités de l’entreprise, explique justifiée de ce fait, sa déclaration en tant qu’invention propriété du salarié ouvrant droit d’attribution à l’employeur.

Il objecte que si la déclaration a été faite au mois d’août, la direction disposait en tout état de cause de quatre mois pour faire valoir son droit de propriété, ce dont elle n’a été nullement empêchée d’exercer du fait du congé estival.

Alors que la société n’a pas fait valoir son droit d’attribution dans le délai requis et n’allègue pas non plus avoir saisi le tribunal judiciaire pour contester la propriété du logiciel, il résulte des pièces produites aux débats et notamment du contrat de travail et ses avenants de M. [D] ( pièces n° 1et 2 de l’appelant) que ne relevait pas de ses fonctions, la création de logiciels, mais tel que le reconnaît l’employeur, M. [D] a proposé de son propre chef dans le cadre de la mission de mise en place d’un outil de métrage des volumes, la création d’un outil Web plutôt qu’un outil Excel, dans lequel les fournisseurs saisissaient directement leurs demandes de transport pour le calcul des métrages et qu’il est établi ( pièces n° 5 et 7 de l’appelant) que la création du logiciel ApprobyCat et les tests ont eu lieu aux domiciles de M. [D] et de M. [V], sur un site personnel Exopronos, dont les factures étaient payées par M. [V] ( pièce 6 de l’appelant) ainsi que sur le site de la société Online, c’est vainement que la société intimée conteste au salarié son droit de propriété sur le logiciel.

C’est également à tort que les premiers juges ont retenu que la titularité des droits patrimoniaux du logiciel ApprobyCat appartenait à la société Cat LC France.

Sur le bien-fondé du licenciement :

Au rang des agissements déloyaux qu’elle reproche à M. [D], la société cite les faits suivants :

– avoir effectué une déclaration d’invention auprès de l’Institut national de la propriété industrielle en pleine période de congés d’été en procédant à une classification erronée d’ApprobyCat, estimant qu’elle n’était pas brevetable et ne pouvait faire l’objet d’une déclaration d’invention.

– avoir refusé de déférer à la mise en demeure adressée par la société Cat en contestant la titularité des droits de propriété intellectuelle de la société sur le logiciel, en refusant de remettre les codes afférents à celui-ci, de lui transférer les transferts des noms de domaine, ainsi que de la marque d’ApprobyCat, déposée avec la complicité de M. [V] en violation des droits de la société,

– avoir tenté de façon déloyale de contraindre la société à lui acheter une licence d’exploitation du logiciel puis à lui acheter les droits du logiciel et à négocier son départ de la société à des conditions exorbitantes et injustifiées en n’hésitant pas à menacer la société, d’entraver la continuité de ses activités devenues dépendantes de l’utilisation du logiciel depuis 2011.

M. [D] qui revendique l’invention du logiciel ApprobyCat pour avoir créé cet outil à son domicile grâce à des logiciels n’appartenant pas à la société, soutient que les griefs invoqués à l’appui de son licenciement sont infondés et conteste chacun des reproches invoqués dont il estime la matérialité non établie.

En cas de litige, en vertu des dispositions de l’article 1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste il profite au salarié.

La faute grave se définit comme étant un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et la poursuite du contrat et la charge de la preuve repose sur l’employeur qui l’invoque.

S’agissant de la déclaration d’invention du logiciel d’ApprobyCat, par M. [D] auprès de l ‘ Institut national de la propriété industrielle le 04 août 2016 qui lui est reproché selon l’employeur d’avoir opérée pendant la période des congés d’été, alors que ce dernier savait que la société travaillait en effectifs réduits, force est de relever qu’il est justifié de la réception par la société du courrier que lui a adressé l’Institut national de la propriété industrielle le 12 août 2018, lui permettant de contester la déclaration d’invention et de s’approprier celle-ci dans le délai imparti de quatre mois, sans que puisse être reprochée au salarié à cette occasion, une quelconque déloyauté pour ne pas avoir prévenu préalablement sa hiérarchie, démarche à laquelle il n’était nullement astreint, compte tenu de la procédure légale d’information et d’appropriation à l’égard de l’employeur qui a été respectée en l’espèce.

Quant au reproche adressé au salarié d’une classification a priori erronée d’ApprobyCat au motif que l’outil n’était pas brevetable et ne pouvait faire l’objet d’une déclaration d’invention auprès de l’Institut national de la propriété industrielle, il est inopérant dès lors qu’il n’est pas allégué que la société ait saisi le tribunal judiciaire pour contester la propriété du logiciel.

S’agissant du refus par le salarié de déférer à la mise en demeure adressée par la société le 07 juillet 2017 à M. [D] et l’ouverture de négociations par ce dernier ayant pour objet la cession du logiciel, il résulte des pièces produites aux débats que s’est ouverte à compter du 05 janvier 2017 par un courrier du conseil de M. [D] adressé à la société, une longue période d’échanges entre les parties portant sur la titularité des droits d’auteur sur le logiciel, la remise des codes sources de celui-ci par M. [D] à la société et l’éventuelle cession du logiciel à la société Cat.

En réponse, la société adressait à M. [D] et à M. [V] une mise en demeure le 07 juillet 2017, leur demandant de bien vouloir reconnaître la titularité des droits patrimoniaux de la société en tant qu’employeur sur le logiciel ApprobyCat, de remettre le code source du logiciel développé dans le cadre de leurs fonctions et la documentation afférente à la Direction des Services Informatiques du Groupe Cat, de s’engager par écrit à ne pas s’opposer ou nuire de quelque manière que ce soit à l’enregistrement, à l’exercice et à la jouissance des droits de propriété intellectuelle et industrielle de la société sur le logiciel, et de prendre toutes les mesures avec le prestataire informatique afin de permettre le transfert des noms de Approbycat.com et Approbycat.fr au profit de la société Cat et enfin de céder à titre gratuit à la société la marque à ApprobyCat.

Par un premier courrier en réponse du 18 juillet 2017 adressé à M. [F], directeur de la société Cat, M. [D] expliquait être surpris par la tournure des évènements, rappelait que l’outil hébergé sur un service extérieur n’avait fait l’objet d’aucune intervention du service informatique de la société, mais précisait être ouvert à une solution amiable et contestait toute volonté de blocage sur l’utilisation de l’outil ou encore sur les nouveaux dossiers.

Par courrier du 7 août 2017, adressé à M. [F], M. [D] réitérait les termes de sa précédente lettre en sollicitant l’organisation d’une réunion.

Le 13 septembre 2017 était organisée une réunion entre M. [D], M. [V] d’une part et M. [F], directeur pays logistique Cargo France, M. [C], M. [T] et Mme [S], représentants du personnel, d’autre part, ayant pour objectif tel que mentionné aux termes du compte rendu de réunion (pièce n° 15 de l’appelant), de trouver une solution au différend opposant M. [D], M. [V] à la société Cat et au cours de laquelle l’employeur proposait à M. [D] un bonus d’environ 2 500 euros après reconnaissance de la propriété du logiciel par les salariés à la société Cat et le transfert à son profit des codes du serveur.

Par courriel du 25 septembre 2017 adressé à M. [F] par M. [D], ce dernier proposait à l’employeur la cession de la propriété de l’invention pour les trois sites Cat pour un montant de 80 000 euros.

Une nouvelle réunion a eu lieu le 16 octobre 2017, entre M. [D], M. [F], M. [C] et Mme [S], ayant pour objet de rediscuter la proposition de M. [D].

Force est de relever que selon le compte rendu de cette réunion ( pièce n° 17 de l’appelant) la hiérarchie du salarié n’a pas contesté au cours de cette réunion les déclarations de ce dernier selon lesquelles la direction des services de l’information avait bien été saisie de la question de la propriété du logiciel avant la déclaration de l’invention auprès de l’Institut national de la propriété industrielle et que par ailleurs la société ne produit aux débats aucune pièce, tel que témoignage émanant de ce service remettant en cause les déclarations du salarié.

De telle sorte qu’il ne peut être reproché au salarié un défaut de loyauté pour manquement à l’information préalable de la société avant la déclaration de l’invention, information à laquelle il n’était en tout état de cause pas tenu.

Contrairement à ce que soutient la société, le refus de M. [D] de déférer à la mise en demeure de la société, par la revendication de ses droits patrimoniaux sur un logiciel qu’il a inventé et la recherche d’une solution amiable, tel qu’énoncé par le salarié dans les deux courriers adressés à la société les 18 juillet et 07 août 2017, n’est constitutif d’aucune déloyauté de sa part dans la mesure où le courriel critiqué du 25 septembre 2017, comporte une proposition financière, exclusive de tout manquement, alors que la société n’a pas saisi le tribunal judiciaire en contestation de la propriété du logiciel.

Cette proposition de cession du logiciel, légitime de la part de l’inventeur de celui-ci à la société utilisatrice contre son financement, s’inscrit donc dans le cadre d’une négociation entre les parties initiée le 5 janvier 2017 par l’envoi d’un courrier du conseil de M. [D] à la société en ce sens, sans que le courriel du 25 septembre 2017 de ce dernier proposant finalement la cession du logiciel à hauteur de 80 000 euros à la société, intervenu aux termes d’une négociation de plusieurs mois, ne présente aucun caractère brutal et ne constitue aucun manquement au devoir de loyauté du salarié contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges.

Étant observé par la cour, contrairement à ce qui est soutenu par la société, qu’aux termes du courriel du 25 septembre 2017, M. [D] ne profère aucune menace d’entraver la continuité des activités de la société, mais conscient de l’utilité certaine du logiciel pour la société qu’elle utilise depuis six ans, lui propose précisément la cession du logiciel litigieux.

Par ailleurs, il ne peut être déduit comme le fait l’employeur de la demande de rupture conventionnelle du contrat de travail que M. [D] sollicite pour « éviter de futurs conflits » la volonté de négocier son départ de la société à des conditions exorbitantes.

En effet, il n’est pas justifié par la société intimée que l’offre de 80 000 euros proposée par le salarié à la société pour la cession du logiciel, à la création duquel elle n’a pas participé, qu’elle a utilisé gratuitement pendant six ans, et qui a permis à la société Cat, tel qu’il ressort de l’évaluation de M. [V], de gagner en crédibilité, force de proposition et d’innovation vis-à-vis des clients et qui a contribué en grande partie aux gains de productivité du site, soit excessive au regard des avantages apportés à la société.

En l’état des pièces produites, aucune faute grave n’étant établie à l’encontre de M. [D], le licenciement de ce dernier est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse et le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Sur les conséquences financières du licenciement :

En l’absence de faute grave, le salarié est fondé à obtenir en premier lieu une indemnité compensatrice de préavis qui, conformément à l’article L. 1234-5 du code du travail doit correspondre à la rémunération brute qu’il aurait perçue s’il avait travaillé pendant la période du délai congé de trois mois.

En l’espèce, au vu des bulletins de paye, M. [D] est bien fondé en ses demandes d’indemnité compensatrice de préavis à hauteur de 13 025,97 euros bruts, outre la somme de 1302,59 euros au titre des congés payés afférents.

Le salarié qui comptait plus de huit mois d’ancienneté ininterrompus au service du même employeur, peut prétendre au paiement d’une indemnité de licenciement calculée selon les modalités de l’article R .1234-2 du code du travail. Compte tenu de sa rémunération et de son ancienneté, et du délai congé auquel il avait droit, il sera à alloué à M. [D] la somme de 7 489,93 euros.

En application de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, le salarié peut prétendre au paiement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant maximal de sept mois de salaire brut.

Les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

Les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail. Elles ne sont pas non plus contraires aux dispositions de l’article 4 de cette même Convention, qui prévoit qu’un travailleur ne devra pas être licencié sans qu’il existe un motif valable de licenciement lié à l’aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service, puisque précisément l’article L.1253-3 sanctionne l’absence de motif valable de licenciement.

En conséquence, il n’y a pas lieu d’écarter l’application de l’article L. 1235-3 du code du travail.

En considération de l’âge du salarié au moment de son licenciement (54 ans), de son ancienneté (6 ans et 9 mois), du montant de son salaire (4 341,99 euros) et de son aptitude à retrouver un emploi, il lui sera alloué la somme de 30 000 euros.

Compte tenu de l’ancienneté et de l’effectif de la société, il sera fait application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt du 27 mai 2021 en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit le licenciement de M. [D] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Cat France à payer à M. [D] les sommes suivantes :

– 13 025,97 euros bruts, à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 1302,59 euros bruts au titre des congés payés afférents,

– 7 489,93 euros à titre d’indemnité de licenciement,

– 30 000 euros bruts à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 3 600 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Ordonne conformément aux dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail, le remboursement par l’employeur aux organismes concernés des éventuelles indemnités de chômage payées à la salarié licenciée du jour de son licenciement au jour du prononcé de la présente décision, dans la limite de six mois d’indemnités chômage et dit qu’une copie certifiée conforme de la présente sera adressée à ces organismes.

Condamne la société Cat France aux entiers dépens.

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Odile CRIQ magistrate en remplacement du président légitimement empêché, et par Madame Isabelle FIORE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, P/Le président,

 


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