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8 septembre 2022
Cour d’appel de Nîmes
RG n°
21/01137
ARRÊT N°
N° RG 21/01137 –
N° Portalis DBVH-V-B7F-H7QH
MPF – NR
TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE NIMES
11 mars 2021
RG:17/05804
S.A.R.L. A.F.I.
C/
[K]
Grosse délivrée
le 08/09/2022
à Me Sonia HARNIST
à Me Jean-Michel DIVISIA
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
1ère chambre
ARRÊT DU 08 SEPTEMBRE 2022
APPELANTE :
S.A.R.L. A.F.I.
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège social
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Sonia HARNIST de la SCP RD AVOCATS & ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉ :
Monsieur [X] [K]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Jean-Michel DIVISIA de la SCP COULOMB DIVISIA CHIARINI, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représenté par Me Gilles LASRY de la SCP SCP D’AVOCATS BRUGUES – LASRY, Plaidant, avocat au barreau de MONTPELLIER
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre,
Mme Elisabeth TOULOUSE, Conseillère,
Mme Séverine LEGER, Conseillère,
GREFFIER :
Mme Nadège RODRIGUES, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
À l’audience publique du 07 Juin 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 08 Septembre 2022,
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel ;
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre, le 08 Septembre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour
EXPOSE DU LITIGE :
De juillet 2008 à juillet 2014, Maître [K] a été le conseil de la société Fougasse TP, filiale à 100 % de la sarl AFI.
Reprochant à son conseil plusieurs manquements à ses obligations professionnelles, la société AFI l’a assigné par acte du 21 novembre 2017 devant le tribunal de grande instance de Nîmes en paiement de la somme de 837 241,29 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice.
Par jugement contradictoire du 11 mars 2021, le tribunal judiciaire de Nîmes a débouté la société AFI de toutes ses demandes et rejeté la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par [X] [K].
Par déclaration du 19 mars 2021, la Sarl AFI a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 25 mars 2022, la société AFI demande à la cour d’infirmer la décision et, statuant à nouveau, de :
– condamner [X] [K] à lui verser une somme totale 1 189 915 euros à titre de dommages-intérêts, outre intérêts légaux à compter de l’assignation introductive d’instance ;
– le condamner à lui verser une indemnité de 20 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
L’appelante soutient que Maître [K] a commis plusieurs manquements à ses obligations professionnelles de conseil et de diligence en s’abstenant notamment de saisir le juge de l’exécution à la suite de la saisie conservatoire pratiquée par la société TMS à l’encontre de la société Fougasse TP le 11 septembre 2008.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées par voie électronique le 18 mai 2022, Maître [K] demande à la cour de confirmer le jugement sauf en ce qu’il l’a débouté de sa demande reconventionnelle et de condamner la société AFI à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages intérêts pour abus de procédure outre celle de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’intimé considère qu’il n’a commis aucune faute et que la société AFI échoue à démontrer qu’il aurait commis une faute en lien de causalité avec les préjudices allégués.
Concernant le dossier TMS, il souligne que la saisie conservatoire ne pouvait être contestée, et que la saisine du juge de l’exécution n’était pas justifiée, sauf à exposer AFI à une décision vouée à l’échec et à une condamnation judiciaire pour abus de procédure. Il expose ne pas avoir davantage commis de faute dans le dossier Esperanto, dès lors que la saisie conservatoire pratiquée contre TMS était un moyen de garantir la créance d’AFI et qu’il ne pouvait anticiper la liquidation judiciaire de TMS. Il ajoute qu’il n’a pas commis de faute en conseillant le dépôt de bilan de cette société qui manquait de trésorerie.
Par avis de déplacement d’audience du 17 mars 2022, l’affaire, initialement fixée à l’audience du 3 mai 2022, a été déplacée à l’audience du 7 juin 2022.
MOTIFS :
Sur la responsabilité professionnelle de [X] [K] :
Le 30 décembre 2005, la société Fougasse TP a conclu un contrat de location de matériel avec la société [H] Matériel et Services (société TMS) moyennant un loyer annuel de 316 000 euros HT. Déplorant de nombreuses défectuosités des matériels loués, la société Fougasse TP cessait de régler les loyers.
Le 16 juin et le 4 juillet 2008, la locataire adressait quatre chèques d’un montant total de 134 424 euros par lettres recommandées avec accusé de réception lesquelles n’étaient pas réclamées par leur destinataire et lui étaient retournées par la Poste.
Sur autorisation donnée par ordonnance du 3 septembre 2008, la société TMS a fait pratiquer le 11 septembre 2018 une saisie conservatoire à hauteur de 326 000 euros sur le compte bancaire de la société Fougasse TP.
Par jugement du 29 avril 2009 rendu sur assignation de la société TMS, le tribunal de commerce de Montpellier a prononcé la résolution du contrat de bail et ordonné une expertise aux fins notamment d’établir le compte des créances et dettes des parties.
Le 26 octobre 2009, la société AFI a cédé sa filiale Fougasse TP à la société Vinci France Construction.
Selon l’appelante, [X] [K], saisi en juillet 2008, a commis deux séries de fautes, les premières antérieures au 29 avril 2009, date du jugement du tribunal de commerce de Montpellier prononçant la résolution du contrat de bail, et les secondes postérieures.
Sur les fautes commises avant le jugement du 29 avril 2009 :
La société AFI fait grief à l’avocat de sa filiale de s’être abstenu de saisir le juge de l’exécution pour contester la saisie conservatoire pratiquée le 11 septembre 2008 par la société TMS, d’avoir engagé une action aux fins de suspension du contrat de bail le 3 septembre 2008 devant le juge des référés lequel s’est déclaré incompétent, d’avoir violé le secret de la correspondance entre un avocat et son client dans le cadre de l’instance en résolution du contrat de bail devant le tribunal de commerce de Montpellier et enfin d’avoir, à la suite de la saisie conservatoire de la somme de 326 000 euros sur le compte bancaire de la société Fougasse TP, préconisé à sa cliente de déposer le bilan.
Sur l’omission de saisir le juge de l’exécution d’une demande de mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée par la société TMS le 11 septembre 2008 :
Après avoir relevé que la locataire justifiait avoir adressé à la bailleresse quatre chèques d’un montant total de 130 000 euros par lettres recommandées qui lui avaient été retournées par la poste avec la mention « non réclamé », le tribunal a néanmoins constaté que la saisie autorisée s’élevait à la somme de 326 000 euros et que la débitrice ne justifiait pas de la différence entre ces deux sommes : il en a déduit qu’elle ne rapportait pas la preuve d’avoir perdu une chance d’obtenir la mainlevée de la saisie.
L’appelante soutient qu’elle a perdu une chance très sérieuse d’obtenir la mainlevée de la saisie conservatoire en raison du manquement de son conseil, lequel disposait de tous les éléments pour démontrer au juge de l’exécution que sa cliente s’était acquittée du montant intégral des sommes réellement dues à la bailleresse laquelle était seule responsable du défaut de paiement pour s’être abstenue de réclamer les lettres recommandées contenant les chèques dans le dessein d’obtenir la résolution du bail aux torts de la locataire.
L’intimé considère à l’inverse que la demande de mainlevée de la saisie conservatoire n’avait aucune chance de prospérer car le montant des chèques non encaissés (131 424 euros) n’était pas de nature à apurer la dette et que le montant de la créance de la société TMS, contesté par la société Fougasse TP, a été arrêté par l’expert [S] à la somme de 449.563, 35 euros.
Dans sa requête, la créance alléguée par la société TMS s’élevait à la somme de 326 000 euros représentant les loyers impayés de décembre 2007 à août 2008.
M.[S], expert, a été désigné par jugement du 29 avril 2009 rendu par le tribunal de commerce de Montpellier pour faire le compte entre les parties.
Dans son rapport, l’expert a réalisé un tableau dans lequel les sommes dues pour la période comprise entre le 31 décembre 2007 et le 29 août 2008 s’élèvent à la somme totale de 321.350 euros TTC. La locataire ayant versé la somme de 52 997 euros le 7 août et le 3 septembre 2008, la créance de la société Fougasse TP le 11 septembre 2008, date de la saisie conservatoire, s’élevait donc à la somme de 268.353 euros.
Le compte entre les parties tel qu’établi par l’expert démontre qu’une action engagée par la locataire devant le juge de l’exécution aux fins d’obtenir mainlevée de la saisie conservatoire n’avait aucune chance de succès.
Le fait qu’à la suite de la mise en demeure adressée à sa locataire le 4 juillet 2008, la bailleresse n’a pas réclamé quatre lettres recommandées contenant des chèques d’un montant total de 131.424 euros n’était pas un argument suffisant à justifier la mainlevée de la saisie. Dès lors que le montant total des chèques non encaissés ne permettait d’éteindre qu’une partie seulement des factures impayées, la société Fougasse TP contrairement à ce qu’elle soutient n’était pas en mesure de persuader le juge de l’exécution qu’elle avait parfaitement exécuté ses obligations et que la société TMS se prévalait à tort du défaut de paiement des loyers dans le but d’obtenir la résolution du contrat de location aux torts de la locataire.
Les arguments avancés par la société Fougasse TP tendant à convaincre la cour qu’à la date de la saisie conservatoire, elle n’était redevable que d’une somme de 131 424 euros correspondant au montant total des chèques non encaissés manquent de pertinence.
Il n’y a pas lieu en effet de déduire du montant de la créance sur le fondement de laquelle la saisie conservatoire a été pratiquée le montant des créances dont la locataire se prévaut à l’égard de la bailleresse. Ne sera donc pas retenue l’indemnité fixée à la somme de 48 744 euros par l’expert [S] propre à rembourser le coût de la location de matériels à d’autres prestataires à la suite des défaillances du matériel loué à la société TMS. Les loyers et charges dus par la société TMS à la société Fougasse TP en contrepartie de la sous-location d’une partie de ses locaux professionnels seront pareillement écartés.
Il n’y a pas lieu de déduire non plus la somme de 43 521, 29 euros correspondant à une facture jugée indue par l’appelante en raison de la défaillance de la société TMS dans la fourniture des matériels contractuellement prévus et obligeant la locataire à louer auprès d’autres prestataires le matériel nécessaire à ses chantiers. Cette facture a été en effet retenue dans le décompte établi par l’expert [S] (facture n°3 du tableau) pour évaluer le montant de la créance de la société TMS à l’encontre de la société Fougasse TP.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a retenu que l’omission de saisir le juge de l’exécution d’une demande de mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée le 11 septembre 2008 n’était pas de nature à engager la responsabilité de l’intimé.
Sur la faute commise dans le cadre de la procédure en référé engagée le 3 septembre 2008 devant le tribunal de commerce de Montpellier :
Le 3 septembre 2008, la société AFI a saisi le juge des référés aux fins de voir suspendre le contrat de location de matériel en raison d’une exécution imparfaite du contrat.
Par ordonnance du 13 novembre 2008, le juge des référés après avoir relevé qu’il ne pouvait pas interpréter le contrat de bail liant la société TMS et la société Fougasse TP a débouté la société AFI de sa demande
La société AFI reproche à Maître [K] de s’être volontairement abstenu de produire dans le cadre de cette procédure les lettres recommandées avec accusé de réception contenant les chèques émis par la locataire en règlement des loyers, pièces qu’elle juge indispensables à la solution du litige soumis au juge des référés : en les produisant, le conseil aurait pu démontrer que la bailleresse invoquait mensongèrement le défaut de paiement des loyers pour obtenir la résolution du bail.
Les premiers juges ont écarté la faute alléguée par la société Afi au motif que le versement des lettres recommandées non réclamées n’aurait pas rendu le juge des référés compétent pour statuer sur sa demande qui ne relevait pas de sa compétence.
[X] [K] rappelle que l’action en référé avait pour objectif d’obtenir la suspension du contrat de location de matériel en raison de son mauvais état d’entretien, que la bailleresse a répliqué en demandant le règlement de sa créance et la restitution du matériel : en l’état de la contestation sérieuse découlant des moyens opposés par la bailleresse, le juge des référés, juge de l’évidence, s’est estimé incompétent pour statuer sur le litige opposant les parties.
L’appelante ne démontre pas que le défaut de production des lettres recommandées non réclamées lui a fait perdre une chance d’obtenir la suspension du contrat de location du matériel loué, demande dont elle avait saisi le juge des référés.
En effet, la demande elle-même se heurtait à une contestation sérieuse de sorte que le juge des référés, juge de l’évidence, ne pouvait pas statuer sauf à dépasser ses pouvoirs juridictionnels. Comme l’ont relevé les premiers juges, la production des lettres recommandées non réclamées n’aurait eu aucune incidence sur la décision rendue laquelle aurait été la même, que lesdites pièces aient été ou non communiquées.
Le jugement sera sur ce point confirmé.
Sur la violation du secret de la correspondance entre un avocat et son client :
A la suite de la saisie conservatoire, la société TMS a assigné la société Fougasse TP devant le tribunal de commerce de Montpellier en paiement de la somme de 324 837,37 euros correspondant aux loyers dont elle s’estimait créancière.
Par jugement du 29 avril 2009, le tribunal a ordonné la restitution de l’ensemble du matériel et ordonné une expertise afin de vérifier l’existence des désordres allégués par la locataire et de faire le compte entre les parties.
Devant le tribunal, la société Afi a soutenu que son conseil avait commis une faute en versant sans son autorisation aux débats dans le cadre de l’instance devant le tribunal de commerce de Montpellier une lettre du 18 septembre 2008 qu’elle lui avait transmis pour lui expliquer le contexte du litige l’opposant à la bailleresse en ces termes: « 2007: c’est l’année à partir de laquelle il y a eu des problèmes. La famille [H] me bloquait anormalement des sommes d’argent importantes…je bloquais donc de la même façon les paiements du matériel…Est-ce utile d’en parler au tribunal’ ».
Les premiers juges ont considéré qu’en communiquant au tribunal ce courrier sans y avoir été préablement autorisé par sa cliente, [X] [K] avait violé son serment ainsi que l’article 2 du règlement intérieur national de la profession d’avocat relatif au secret professionnel couvrant toutes les correspondances échangées entre le client et son avocat. Ils ont cependant retenu l’absence de lien de causalité entre cette faute et le préjudice allégué, le tribunal ne s’étant pas fondé sur le contenu de ce courrier mais sur le règlement tardif des loyers pour prononcer la résolution du contrat.
L’appelante estime tout au contraire que la communication de cette pièce lui a été très préjudiciable car elle a étayé la thèse mensongère soutenue par la société TMS selon laquelle la locataire refusait de régler les loyers en 2008 : le tribunal aurait donc été induit en erreur en déduisant de ce courrier que la société Fougasse TP n’aurait pas payé ses loyers en 2008 en dépit du constat d’huissier du 27 janvier 2009 établissant que la bailleresse n’avait pas réclamé quatre lettres recommandées contenant des chèques émis par la locataire en règlement des loyers. La société Afi souligne que le tribunal de commerce a expressément fait état de ce courrier dans son jugement pour débouter la société Fougasse TP de son argumentation.
L’intimé conteste avoir communiqué au tribunal le courrier que sa cliente lui avait adressé et estime que cette communication n’a eu aucune incidence préjudiciable, la société Fougasse Tp n’ayant pas en tout état de cause réglé la totalité de ses loyers.
Le défaut de règlement des loyers est le seul fait objectif sur lequel le tribunal de commerce s’est fondé dans son jugement rendu le 29 avril 2009. En effet, le courrier adressé par sa cliente qui rappelle le contexte des relations entre les parties ne contient que des éléments subjectifs lesquels, même s’ils ont été mentionnés expressément par le tribunal dans sa motivation, ne pouvaient rapporter la preuve de la créance de la société TMS.
La société AFI ne démontre pas que la production de cette pièce couverte par le secret professionnel a fait perdre à sa filiale une chance de gagner le procès et de ne pas être reconnue redevable de loyers impayés à la société TMS.
Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
Sur le conseil relatif au dépôt de bilan de la société Fougasse TP :
La société AFI reproche à [X] [K] de n’avoir eu de cesse de conseiller à sa filiale de déposer son bilan à la suite de la saisie conservatoire pratiquée sur ses comptes bancaires par la société TMS alors pourtant qu’il ne s’agissait que d’une difficulté ponctuelle de trésorerie résolue par un prêt consenti par la société AFI, sa société-mère.
Le tribunal a jugé que son dirigeant n’ayant pas déclaré la cessation des paiements, la société Fougasse TP n’a subi aucun préjudice.
L’appelante soutient que [X] [K] a agi sciemment au détriment des intérêts de sa cliente dans le dessein de permettre à la société Vinci Construction de la racheter à vil prix dans le cadre de la procédure collective. Elle explique que le directeur local de la société Vinci Construction et [X] [K] sont unis par des liens maçonniques et que si la société Fougasse TP n’a finalement pas déposé son bilan, les agissements déloyaux de son conseil qui n’a pas accompli les diligences nécessaires pour faire échec aux manoeuvres frauduleuses de la société TMS ont diminué considérablement la valeur de la société.
L’intimé soutient qu’en conseillant à sa cliente de déposer le bilan en l’état de la situation de sa propre trésorerie, [X] [K] a donné un conseil avisé et conforme à ses obligations d’avocat. Il ajoute que le dépôt de bilan n’ayant pas eu lieu, l’appelante ne justifie d’aucun préjudice.
La faute que [X] [K] aurait commise dans l’exécution de son obligation de conseil n’a entraîné aucune conséquence dommageable, le dirigeant de la société Fougasse TP n’ayant pas suivi le conseil donné par son avocat.
Quant au préjudice causé par la dévalorisation de la société lors de sa cession ultérieure à la société Vinci Construction, la cour observe que l’appelante l’impute non pas à la déclaration de cessation des paiements conseillée selon elle à tort par [X] [K] mais à une autre faute, celle d’avoir omis d’accomplir les diligences nécessaires pour faire échec aux manoeuvres frauduleuses de la société TMS.
La société AFI ne démontre pas l’existence d’un lien de causalité directe entre la faute alléguée ‘ le conseil relatif à la déclaration de cessation des paiements de la société Fougasse TP ‘ et le préjudice déploré ‘ la dévalorisation de la société Fougasse TP lors de sa cession.
Le jugement sera donc confirmé en ce qui concerne cette faute.
Sur les fautes commises après le jugement du 29 avril 2009 :
Sur le partage des frais d’expertise judiciaire :
Par jugement du 29 avril 2009, le tribunal de commerce de Montpellier a ordonné une expertise pour faire le compte entre les parties et mis la consignation à la charge de la société TMS, partie ayant sollicité la mesure d’expertise.
Sur demande de la société TMS, la consignation a été mise par moitié à la charge des deux parties par ordonnance du 10 août 2010.
La société AFI fait grief au conseil de sa filiale de ne pas s’être opposé au partage des frais d’expertise sollicité par la société TMS, contrairement aux instructions de sa cliente, puis de ne pas avoir fait connaître durant sept mois l’existence de l’ordonnance du 10 août 2010.
Le tribunal a estimé que le préjudice de perte de chance n’était pas démontré, car, même si Maître [K] s’était opposé à la demande de partage de la consignation, le juge n’aurait pas fait droit à sa demande, les parties étant deux sociétés assumant des frais considérables.
L’appelante estime que le raisonnement du tribunal relève de la supposition et rappelle qu’il est indéniable que l’avocat a omis de s’opposer au partage des frais d’expertise.
L’intimé conteste ne pas s’être opposé au partage des frais d’expertise, relève que le règlement de provisions n’équivaut pas à la prise en charge définitive des frais d’expertise laquelle pèse seulement sur la partie condamnée aux dépens.
Pour déterminer les chances de succès d’une action qui n’a pas été exercée, le juge doit reconstituer fictivement la discussion qui n’a pas été menée. Les premiers juges ont donc à bon droit considéré que si Maître [K] s’était opposé à la demande de partage des frais d’expertise, il n’aurait pas obtenu satisfaction. En effet, les parties en présence étaient toutes deux des sociétés commerciales in bonis et la mission de l’expert tendant à faire le compte entre elles était donc de nature à aider chacune des parties dans l’administration de la preuve de leurs prétentions respectives dès lors que la bailleresse réclamait des loyers et que la locataire lui opposait une inexécution de ses obligations pour lui avoir fourni du matériel loué en mauvais état.
L’appelante ne produit de surcroît aucun élément comptable ou financier de nature à justifier que la locataire se trouvait à la date de l’ordonnance partageant par moitié les frais d’expertise dans une situation économique difficile ne lui permettant pas de les assumer.
Faute pour la société Afi d’établir que sa filiale disposait d’une chance sérieuse fût-elle-minime d’être dispensée de payer la moitié de la consignation, elle a été à bon droit déboutée de sa demande par le tribunal dont le jugement sera confirmé quant à cette faute.
Le défaut de diligences dans le cadre de l’expertise judiciaire :
La société Afi reproche au conseil de sa filiale de n’avoir accompli aucune diligence durant l’expertise diligentée par M.[S] et de s’être contenté de transmettre à l’expert les notes contenant les observations du dirigeant de la société Fougasse TP, sans les reformuler et sans les étayer par un fondement juridique.
Les premiers juges, après avoir relevé que le rapport de l’expert avait été rendu deux ans après la fin de la mission de [X] [K], révoqué le 27 juillet 2014, ne subissait aucun préjudice, son nouveau conseil ayant eu tout le loisir de reprendre les notes de sa cliente.
L’appelante expose que le nouveau conseil n’a pu fournir les explications nécessaires à l’expertise qu’en octobre 2014, dans le cadre du dire n°4, mais qu’il était déjà trop tard, le nouveau conseil n’ayant pas pu revenir sur les décisions de justice rendues en 2008 et en 2009 et le litige ayant été mal orienté depuis le début.
L’intimé conteste le manquement à son obligation de diligence durant les opérations d’expertise fait observer à la cour que la partie adverse ne justifie pas en quoi la transmission à l’expert des notes rédigées par son client a été préjudiciable à ce dernier, étant rappelé que l’expert n’a pas à se prononcer sur des questions juridiques.
L’engagement de la responsabilité d’un avocat par l’un de ses clients suppose que ce dernier justifie d’un préjudice direct et certain résultant de la perte de chance raisonnable de succès de ses prétentions. La charge de la preuve de la perte de chance pèse sur le client qui demande réparation de son préjudice.
L’intimé qui considère que [X] [K] a manqué à son devoir de diligence durant les opérations d’expertise ne rapporte pas la preuve du préjudice résultant de la perte de chance de succès de ses prétentions.
En effet, l’expert [S] a conclu dans son rapport que la société Fougasse TP avait subi un préjudice à la suite des dysfonctionnements de certains matériels loués et l’a évalué à la somme de 48 744,24 euros, selon ce qu’a indiqué l’appelante en page 30 de ses dernières conclusions.
L’appelante ne démontre pas que les manquements reprochés à son conseil durant les opérations d’expertise lui ont fait perdre une chance d’obtenir une indemnité supérieure à celle retenue par l’expert.
Les préjudices que l’appelante impute aux manquements allégués de son conseil durant l’expertise sont les suivants : le préjudice lié au blocage de la garantie à première demande consentie par la société Afi lors de la cession de sa filiale à la société Vinci Construction en octobre 2009, les frais liés aux diverses procédures engagées de 2008 à 2014 ainsi que le temps passé par le dirigeant de la société Afi à gérer les différentes procédures.
Ces préjudices ne sont pas directement imputables aux manquements allégués de l’avocat à son obligation de diligence durant les opérations d’expertise.
Le jugement sera donc confirmé quant à cette faute.
Sur le défaut de conseil concernant l’obligation de la bailleresse d’assurer le matériel loué :
L’appelante fait grief à son avocat de lui avoir indiqué qu’il n’appartenait pas à la société TMS d’assurer le matériel donné en location alors que les conditions particulières du contrat de location mettait cette obligation à sa charge. Elle estime que les honoraires versés à son avocat sont injustifiés compte-tenu du caractère erroné de son conseil.
L’intimé considère que le conseil donné est resté sans incidence.
Le tribunal a débouté la société AFI de sa demande en l’absence de préjudice causé par la faute alléguée.
La cour observe que l’appelante ne fait état d’aucune conséquence préjudiciable induite par le conseil erroné de son avocat.
En l’absence de preuve d’un préjudice dont le conseil erroné serait la cause directe, la responsabilité de [X] [K] ne peut être engagée.
Sur les autres fautes commises par l’avocat dans le cadre de litiges concernant d’autres parties que la société TMS :
Pour rapporter la preuve de la négligence systématique de son conseil, la société AFI expose que [X] [K] s’est abstenu d’informer le cessionnaire de la société Fougasse TP de la nouvelle demande de saisie conservatoire formée par la société TMS le 19 mai 2010, n’a pas accompli des diligences suffisantes dans le cadre de l’instance devant le tribunal de commerce de Lyon l’opposant à la société Vinci Construction France, cessionnaire de sa filiale Fougasse TP ainsi que dans l’instance devant le tribunal de commerce de Marseille l’opposant à la société Vinci Construction France et à la BNP, a manqué à son obligation de diligence et de conseil dans le cadre du dossier Esperanto et d’avoir refusé d’engager une action en responsabilité contre Maître [O], avocat auquel elle avait confié la défense de ses intérêts dans le cadre d’un litige l’opposant à la mairie de [Localité 3].
L’appelante soutient en premier lieu que son conseil a manqué à son obligation de diligence en s’abstenant d’informer la cessionnaire de la société Fougasse TP de l’évolution du litige l’opposant à la société TMS.
L’intimé réplique que cette obligation d’information contractuelle pesait sur la société AFI, cocontractante, et non sur son avocat.
Le tribunal a considéré qu’aucune faute n’était établie et aucun préjudice subi.
Comme l’a relevé à juste titre le tribunal, aux termes de la clause figurant en page 10 de la convention de cession, l’obligation d’information sur le déroulement de la procédure incombait au garant ( la société AFI), lequel avait la direction du litige en cours avec la société TMS. Aucun manquement de [X] [K] à son obligation de diligence n’est donc caractérisé.
Le jugement sera confirmé quant à cette faute.
L’appelante soutient en second lieu que dans l’instance devant le tribunal de commerce de Lyon l’opposant à la société Vinci, son avocat s’est borné à transmettre des notes établies par son client, a oublié de transmettre des pièces à la postulante et d’adresser son dossier de plaidoirie avant l’audience.
Comme l’a souligné le tribunal, la société AFI n’a invoqué ces manquements qu’à titre d’illustrations de la négligence de son avocat et n’a déploré aucune conséquence dommageable.
Faute pour l’appelante de justifier de la perte de chance d’obtenir gain de cause à la suite des manquements susvisés, le jugement sera confirmé quant à cette faute.
L’appelante soutient en troisième lieu que dans l’instance devant le tribunal de commerce de Marseille l’opposant à la société Vinci et à la BNP, son avocat n’a pas développé les arguments nécessaires au succès de ses prétentions et s’est trompé sur le lieu de l’assignation de la BNP : le juge a considéré qu’elle était tenue à la prorogation de sa garantie laquelle n’était plus due.
L’intimé conteste avoir commis le moindre manquement dans le cadre de cette procédure : le juge des référés après avoir constaté que la société Vinci avait sollicité de sa cocontractante la prorogation de sa garantie dans les formes et les délais contractuellement prévus a débouté la société Afi de sa demande de restitution de la somme de 100 000 euros.
Le tribunal a jugé que l’avocat n’avait pas commis de faute et qu’aucun préjudice n’était démontré.
Il n’est pas démontré qu’à la suite de manquements commis par son avocat dans la procédure concernée, la société Afi a perdu une chance de gagner son action tendant à obtenir par la voie des référés la restitution de la société Vinci de la somme de 100 000 euros destinée à servir de garantie à première demande dans les trois ans suivant la signature du contrat de cession.
L’appelante ne rapporte pas la preuve que l’assignation de la BNP en son agence de [Localité 4] au lieu de son agence de [Localité 5] telle que stipulée par le contrat liant les parties a eu une incidence sur la décision du juge des référés qui a débouté la société AFI de sa demande de restitution de la somme de 100 000 euros au motif que sa cocontractante avait sollicité la prorogation de la garantie dans les formes et délais prévus par le contrat.
Le fait que le juge du fond ait ultérieurement considéré à l’inverse du juge des référés que la prorogation de garantie n’avait pas été sollicitée dans les formes prévues par le contrat car elle avait été remise en mains propres au lieu d’être envoyée par LRAR n’est pas davantage susceptible de caractériser le préjudice de perte de chance, la question de la forme de la demande de prorogation de garantie ayant été amplement débattue par les parties devant le juge des référés.
Faute de prouver l’existence d’un manquement de son avocat lui ayant fait perdre une chance d’obtenir du juge des référés la restitution de la somme de 100 000 euros n’étant pas établie, le jugement qui a écarté cette faute sera sur ce point confirmé.
L’appelante reproche en quatrième lieu à son conseil d’avoir manquué à son obligation de diligence et de conseil dans le cadre du dossier Esperanto. Elle fait valoir qu’une plainte a été déposée pour détournements de fonds contre [W] et [F] [H], gérants de la société [H] BTP mais que [X] [K] n’a pris aucune initiative dans le cadre de cette procédure pénale qu’il estimait vouée à l’échec et qu’il a omis d’avertir sa cliente de la liquidation judiciaire de la société [H] BTP ouverte le 5 octobre 2012 laquelle a anéanti les effets de la saisie conservatoire sur ses comptes bancaires qu’elle avait fait pratiquer en décembre 2008.
L’intimé réplique que la société Fougasse TP ne lui avait pas confié la défense de ses intérêts dans le cadre de la procédure pénale et que la saisie conservatoire a été pratiquée à une date à laquelle la liquidation judiciaire de la débitrice n’était pas envisageable.
Le tribunal a jugé qu’aucune faute n’avait été commise dans le cadre de la procédure pénale et que la société AFI ne démontrait pas que le fait de ne pas avoir été informée par son avocat de la liquidation judiciaire de la débitrice lui a fait perdre une chance de recouvrer les fonds dont elle aurait été redevable.
L’appelante a elle-même déposé plainte contre la société [H] TP le 1er juillet 2010 et ne démontre pas qu’elle avait confié la défense de ses intérêts à Maître [K] dans le cadre de cette procédure pénale.
Quant à la perte de chance de recouvrer les fonds qui auraient été détournés par la société [H] TP, elle est imputable exclusivement à la liquidation judiciaire de la société mise en cause, ladite liquidation ayant mis fin de plein droit à la saisie conservatoire pratiquée quatre ans auparavant et non à un quelconque manquement de l’avocat à ses obligations.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il n’a pas retenu cette faute.
L’appelante fait grief en cinquième lieu à [X] [K] d’avoir refusé d’engager une action en responsabilité contre Maître [O], avocat, au motif qu’elle était vouée à l’échec et fait observer à la cour qu’après la révocation de [X] [K], elle a confié la défense de ses intérêts à un autre avocat qui a engagé avec succès une action en responsabilité contre Maître [O].
L’intimé réplique qu’il était en droit de refuser de mettre en cause un confrère appartenant au même barreau que lui par objection de conscience et que son refus n’a causé aucun préjudice de perte de chance à la société AFI laquelle a gagné son procès contre Maître [O].
Le tribunal a considéré que [X] [K] avait commis une faute en donnant à sa cliente un conseil inopérant mais que sa faute n’avait causé aucun préjudice à sa cliente laquelle avait obtenu la condamnation de Maître [O] à réparer les conséquences dommageables de ses manquements professionnels.
Les courriels adressés le 25 juillet 2011 par [X] [K] à sa cliente prouvent que ce dernier s’est trompé en dissuadant sa cliente d’agir en responsabilité contre Maitre [O] au motif qu’elle n’était plus habilitée à le faire pour avoir cédé la société Fougasse TP à la société Vinci, laquelle avait selon lui seule qualité à agir contre l’ancien conseil de la société cédée.
Si [X] [K] a commis une faute dans le cadre de son obligation de conseil, il appartient à la société AFI d’établir que la faute commise par son avocat est à l’origine de la perte définitive de son droit de demander réparation de son préjudice après épuisement des voies de droit dont elle disposait.
La société AFI a révoqué [X] [K] le 27 juillet 2014, donné mandat à un nouveau conseil et par jugement du 16 décembre 2016, le tribunal de grande instance de Nîmes, sur assignation de la société AFI, a condamné Maître [O] à réparer le préjudice causé par ses manquements professionnels.
Le jugement sera donc confirmé sur ce dernier point.
Sur les dommages-intérêts pour procédure abusive:
Le tribunal a considéré que la responsabilité de [X] [K] n’avait pas été retenue au motif que les fautes reprochées par la cliente à son avocat n’avaient pas été toutes écartées parce qu’elles n’avaient pas été commises : certaines fautes étaient caractérisées mais n’engageaient pas la responsabilité du conseil car elles n’avaient entraîné aucune conséquence dommageable.
La cour relève que l’action dirigée contre [X] [K] s’inscrit dans un conflit exacerbé entre le dirigeant de la société AFI et ceux de la société TMS lequel a donné lieu à de multiples procédures depuis de nombreuses années. Néanmoins, l’action en responsabilité engagée contre son ancien avocat par la société AFI laquelle ne procède pas de la mauvaise foi et ne caractérise pas un usage abusif du droit d’agir en justice.
En effet, les propos tenus par le dirigeant de la société Afi sur Youtube dans le dessein de porter atteinte à la réputation de son ancien avocat et pour lesquels il a été condamné pour diffamation ne peuvent à eux seuls démontrer l’instrumentalisation de la présente procédure pour nuire à [X] [K].
Si la société Afi prête à son avocat des intentions malveillantes qui ne reposent sur aucune preuve, il reste que dans l’accomplissement de sa mission, [X] [K], professionnel du droit a commis certaines erreurs qui certes sont restées sans suite mais ont pu convaincre sa cliente que ses intérêts avaient été mal défendus.
Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
Sur l’article 700 du code de procédure civile :
Il est équitable de condamner la société AFI à payer à [X] [K] la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la société AFI à payer à [X] [K] la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
La condamne aux entiers dépens
Arrêt signé par Mme FOURNIER, Présidente de chambre et par Mme RODRIGUES, Greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,