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6 octobre 2020
Cour d’appel de Rennes
RG n°
16/05278
3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N° 347
N° RG 16/05278
N° Portalis DBVL-V-B7A-ND54
SARL OBSHCHESTVO S OGRANICHENNOY OTVETSTVENNOSTYU ‘UNIP AK’
C/
Société ALVISA MONTBLANC
SAS MONT BLANC
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me Mercier
Me Chaudet
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 06 OCTOBRE 2020
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Dominique GARET, Conseiller, rapporteur,
GREFFIER :
Madame Isabelle GESLIN OMNES, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 23 Juin 2020
ARRÊT :
contradictoire, prononcé publiquement le 06 Octobre 2020 par mise au disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats.
****
APPELANTE :
OBSHCHESTVO S OGRANICHENNOY OTVETSTVENNOSTYU ‘UNIP AK’ société de droit russe à responsabilité limitée inscrite au Registre d’Etat Unique des personnes morales sous le numéro 1032306441298
[X] [H] [Adresse 6]
Fédération de Russie
Représentée par Me Maud ORIOT substituant Me Matthieu MERCIER de la SELARL CARCREFF CONTENTIEUX D’AFFAIRES, postulant, avocats au barreau de RENNES
Représentée par Me Claire DE CHASSEY de l’AARPI TWELVE, plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
SAS MONT BLANC, immatriculée au RCS de Cherbourg sous le n° 448 954 362, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège :
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Olivier BECHET de la SELARL JTBB, plaidant, avocat au barreau d’ALBI
INTERVENANT VOLONTAIRE :
ALVISA MONTBLANC, société de droit espagnol à responsabilité limitée, inscrite au registre foncier et du commerce de Tarragone et de sa province sous le n° B 55738413, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège,
intervenant volontaire par conclusions du 15.03.2019.
[Adresse 4],
[Localité 3] ([Localité 7])
ESPAGNE
Représentée par Me Maud ORIOT substituant Me Matthieu MERCIER de la SELARL CARCREFF CONTENTIEUX D’AFFAIRES, postulant, avocats au barreau de RENNES
Représentée par Me Claire DE CHASSEY de l’AARPI TWELVE, plaidant, avocat au barreau de PARIS
FAITS ET PROCEDURE
La société Mont Blanc, créée en 1917 à [Localité 5] en Haute-Savoie, est installée depuis 1951 à Chef du Pont dans le département de la Manche.
Elle est titulaire de la marque verbale «’MONT BLANC’» enregistrée depuis 1985 à l’Institut National de la Propriété Industrielle sous le n° 1 371 452, et ce pour distinguer les produits suivants ‘:
«’Produits pharmaceutiques, vétérinaires et hygiéniques, produits diététiques pour enfants et malades, emplâtres, matériel pour pansement, matières pour plomber les dents et pour empreintes dentaires, désinfectants, préparations pour détruire les mauvaises herbes et les animaux nuisibles. Viande, poisson, volaille et gibier, extraits de viande, fruits et légumes conservés séchés et cuits, gelées, confitures ; oeufs, lait et autres produits laitiers, huiles et graisses comestibles, conserves, pickles. Café, thé, cacao, sucre, riz, tapioca, sagou, succédanés du café ; farines et préparations faites de céréales, pain, biscuits, gâteaux, pâtisserie et confiserie, glaces comestibles, miel, sirop de mélasse, levure, poudre pour faire lever, sel, moutarde, poivre, vinaigre, sauces, épices, glace. Produits agricoles, horticoles, forestiers et graines, animaux vivants ; fruits et légumes frais, semences, plantes vivantes et fleurs naturelles, substances alimentaires pour les animaux, malt. Bière, ale et porter, eaux minérales et gazeuses et autres boissons non alcooliques, sirops et autres préparations pour faire des boissons. Vins, spiritueux et liqueurs. Publicité, distribution de prospectus, d’échantillons ; location de matériel publicitaire, impression de travaux publicitaires, aide aux entreprises industrielles ou commerciales dans la conduite de leurs affaires, conseils, informations ou renseignements d’affaires, entreprises à façon de travaux statistiques, mécanographiques, de sténotypie, comptabilité, reproduction de document, bureaux de placement, location de machines à écrire et de matériel de bureau. Hôtellerie, restauration, maisons de repos et de convalescence, pouponnières, accompagnement en société, salons de beauté, de coiffure ; pompes funèbres, fours crématoires, réservation de chambres d’hôtel pour voyageurs, travaux d’ingénieurs, consultations professionnelles et établissement de plans sans rapport avec la conduite des affaires ; travaux du génie (pas pour la construction) ; prospections, essais de matériaux, laboratoires, location de matériel pour exploitation agricole, de vêtements, de literie, d’appareils distributeurs.’»
La société Obshchestvo s ogranichennoy otvetstvennostyu «’Unipak’», société de droit russe ci-après dénommée la société Unipak, est titulaire quant à elle, depuis le 15 octobre 2012, de l’enregistrement international n° 1 143 214 portant sur le signe complexe «’MONT BLANC’» destiné à distinguer, notamment en France, des «’boissons alcoolisées, à savoir vodka’».
Le 19 mars 2013, la société Mont Blanc a saisi l’INPI d’une opposition à l’enregistrement de cette marque pour la France, dénonçant en effet le risque de confusion pouvant exister entre les produits susceptibles d’être commercialisés par les deux sociétés, la société Mont Blanc se prévalant en effet de l’antériorité de sa propre marque en ce qu’elle recouvre notamment des produits tels que «’bière, ale et porter, eaux minérales et gazeuses et autres boissons non alcooliques, sirops et autres préparations pour faire des boissons. Vins, spiritueux et liqueurs’».
Le 22 juillet 2013, l’INPI a communiqué un projet de décision reconnaissant l’opposition justifiée et refusant à la société Unipak le bénéfice de la protection en France de l’enregistrement international de sa marque.
Alors que la société Unipak a formulé des observations en réponse à ce projet, il n’est pas justifié à ce jour d’une décision définitive de l’INPI.
Par acte du 20 août 2013, la société Unipak a fait assigner la société Mont Blanc devant le tribunal de grande instance de Rennes aux fins de voir prononcer la déchéance partielle de la marque française «’MONT BLANC’» n° 1 371 452, et ce pour défaut d’usage sérieux de celle-ci pour les produits qualifiés de «’bière, ale et porter, eaux minérales et gazeuses et autres boissons non alcooliques, sirops et autres préparations pour faire des boissons. Vins, spiritueux et liqueurs’».
En défense, la société Mont Blanc a sollicité le débouté de cette demande et, à titre reconventionnel, a demandé la nullité pour le territoire français de la marque internationale «’MONT BLANC’» faisant l’objet de l’enregistrement international n° 1 143 214 du 15 octobre 2012 pour les «’boissons alcoolisées, à savoir vodka’», la société Mont Blanc ayant en outre réclamé qu’il soit fait interdiction à la société Unipak, sous astreinte de 10.000 € par infraction constatée, d’utiliser à quelque titre que ce soit les termes ou la marque «’MONT BLANC’» pour désigner, commercialiser ou promouvoir des boissons alcoolisées sur le territoire français.
Par jugement du 3 mai 2016, le tribunal a’ :
– prononcé la déchéance partielle de la marque française «’MONT BLANC’» n° 1 371 452 du 15 octobre 1985 uniquement en ce qu’elle désigne les produits suivants’ : « bière, ale et porter, eaux minérales et gazeuses et autres boissons non alcooliques, sirops et autres préparations pour faire des boissons’ ; spiritueux’», et ce à compter du 20 août 2008 ‘;
– ordonné la transcription de cette décision à l’INPI en marge du registre des marques sur réquisition du greffier et dit qu’à défaut, la société Unipak pourrait s’y substituer ‘;
– débouté la société Mont Blanc de sa demande en nullité de l’enregistrement pour le territoire français de la marque «’MONT BLANC’» déposée par la société Unipak’ ;
– fait interdiction à la société Unipak, sous astreinte de 5.000 € par infraction constatée, d’utiliser à quelque titre que ce soit les termes ou la marque «’MONT BLANC’» pour désigner, commercialiser ou promouvoir des boissons alcoolisées sur le territoire français ‘;
– partagé les dépens entre les parties, à hauteur de 70’% pour la société Unipak et de 30’% pour la société Mont Blanc.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 5 juillet 2016, la société Unipak a interjeté appel de cette décision.
La société Unipak a notifié ses dernières conclusions le 15 mars 2019, la société Alvisa Montblanc SL, société de droit espagnol agissant en qualité de cessionnaire de la marque litigieuse suivant publication de l’acte de cession au registre international des marques en date du 14 décembre 2018, étant intervenue volontairement à l’instance aux termes des mêmes conclusions.
La société Mont Blanc a notifié quant à elle ses dernières conclusions le 14 mai 2019.
La clôture de la mise en état a été prononcée par ordonnance du 30 juillet 2019.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Les sociétés Unipak et Alvisa Montblanc SL demandent à la cour de :
Vu l’article L 714-5 et L 713-5 du code de la propriété intellectuelle,
Vu les articles 31 et 554 du code de procédure civile,
– déclarer l’appel de la société Unipak recevable et bien fondé ;
– déclarer l’intervention volontaire de la société Alvisa Montblanc SL recevable et bien fondée’ ;
– confirmer le jugement en ce qu’il a :
* prononcé la déchéance des droits de la société Mont Blanc sur la marque française «’MONT BLANC’» enregistrée sous le n° 1 371 452 pour les produits de «bière, ale et porter, spiritueux et eaux minérales et gazeuses et autres boissons non alcooliques, sirops et autres préparations pour faire des boissons» dont cette dernière société est titulaire ;
* dit et jugé que la déchéance prendrait effet à la date du 20 août 2008 ;
* dit et jugé que la décision à intervenir serait inscrite en marge du Registre National des Marques sur réquisition du greffier ;
* débouté la société Mont Blanc de sa demande de nullité de l’enregistrement de la désignation française de la marque internationale «’MONT BLANC’» n° 1 143 214 ;
– infirmer le jugement en toutes ses autres dispositions ‘;
– constater que la marque française «’MONT BLANC’» n° 1 371 452 dont la société Mont Blanc est titulaire n’a fait l’objet d’aucun usage sérieux pendant une période ininterrompue de cinq ans en France de la part de son titulaire ou avec son consentement pour les produits « vins et liqueurs» ;
En conséquence,
– prononcer la déchéance des droits de la société Mont Blanc sur la marque «’MONT BLANC’» n° 1 371 452 en ce qu’elle désigne les produits suivants : «vins et liqueurs» ;
– dire et juger que la déchéance prendra effet à la date du 20 août 2008 ;
– dire et juger que la décision à intervenir sera inscrite en marge du Registre National des Marques sur réquisition du greffier et qu’à défaut, la société Alvisa Montblanc SL pourra s’y substituer ;
– constater que la société Mont Blanc est irrecevable et en tout état de cause mal fondée à solliciter une interdiction d’usage de la marque «’MONT BLANC’» par la société Unipak ;
– débouter en conséquence la société Mont Blanc de toutes demandes, fins et prétentions ;
– condamner la société Mont Blanc à payer aux sociétés Unipak et Alvisa Montblanc SL la somme de 10.000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile’ ;
– condamner la société Mont Blanc aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Cristina Corgas, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Au contraire, la société Mont Blanc demande à la cour de :
Vu l’article L 713-5 du code de la propriété intellectuelle,
Vu l’intervention volontaire de la société Alvisa Montblanc SL,
– confirmer le jugement en ce qu’il a fait interdiction à la société Unipak, sous astreinte de 5.000€ par infractions constatée, d’utiliser à quelque titre que ce soit les termes ou la marque «’MONT BLANC’» pour désigner, commercialiser ou promouvoir des boissons alcoolisées sur le territoire français ;
– y ajoutant, faire interdiction à la société Alvisa Montblanc SL, sous astreinte de 5.000 € par infraction constatée, d’utiliser à quelque titre que ce soit les termes ou la marque «’MONT BLANC’» pour désigner, commercialiser ou promouvoir des boissons alcoolisées sur le territoire français ;
– infirmer pour le surplus le jugement ‘;
Statuant à nouveau,
– débouter la société Unipak de sa demande de déchéance des droits de la société Mont Blanc sur la marque «’MONT BLANC’» n° 1 371 452 en ce qu’elle désigne les produits suivants : «bière, ale et porter; vins, spiritueux et liqueurs, eaux minérales et gazeuses et autres boissons non alcooliques, sirops et autres préparations pour faire des boissons’» ;
– prononcer la nullité pour le territoire français de la marque «’MONT BLANC’» faisant l’objet de l’enregistrement international n° 1 143 214 du 15 octobre 2012, pour les «’boissons,alcoolisées, à savoir vodka’» ;
– condamner la société Unipak à payer une somme de 10.000 € à la société Mont Blanc sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la société Unipak aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Chaudet, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées pour un plus ample exposé des demandes et moyens des parties.
MOTIFS DE LA DECISION
I – Sur l’intervention volontaire à l’instance de la société Alvisa Montblanc SL :
Aux termes de l’article 554 du code de procédure civile, «’peuvent intervenir en cause d’appel dès lors qu’elles y ont intérêt les personnes qui n’ont été ni parties ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité’».
En l’espèce et dans la mesure où la société Alvisa Montblanc SL a acquis, suivant acte de cession publié au registre international des marques le 14 décembre 2018, l’enregistrement international n° 1 143 214 portant sur le signe complexe «’MONT BLANC’» précédemment déposé au nom de la société Unipak, soit l’une des deux marques objet du litige, elle a sans conteste intérêt à intervenir à la présente instance.
En l’absence de motif opposant de la part de la société Mont Blanc, cette intervention volontaire sera déclarée recevable.
II – Sur la demande principale tendant à la déchéance partielle de la marque «’MONT BLANC’» déposée sous le n° 1 371 452 en ce qu’elle désigne les produits suivants : «bière, ale et porter, eaux minérales et gazeuses et autres boissons non alcooliques, sirops et autres préparations pour faire des boissons, vins, spiritueux et liqueurs’» :
L’article L 714-5 du code de la propriété intellectuelle dispose, dans sa rédaction applicable au litige :
«’Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans.
Est assimilé à un tel usage :
a) L’usage fait avec le consentement du propriétaire de la marque ou, pour les marques collectives, dans les conditions du règlement ;
b) L’usage de la marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif ;
c) L’apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement exclusivement en vue de l’exportation.
La déchéance peut être demandée en justice par toute personne intéressée. Si la demande ne porte que sur une partie des produits ou des services visés dans l’enregistrement, la déchéance ne s’étend qu’aux produits ou aux services concernés.
L’usage sérieux de la marque commencé ou repris postérieurement à la période de cinq ans visée au premier alinéa du présent article n’y fait pas obstacle s’il a été entrepris dans les trois mois précédant la demande de déchéance et après que le propriétaire a eu connaissance de l’éventualité de cette demande.
La preuve de l’exploitation incombe au propriétaire de la marque dont la déchéance est demandée. Elle peut être apportée par tous moyens.
La déchéance prend effet à la date d’expiration du délai de cinq ans prévu au premier alinéa du présent article. Elle a un effet absolu.’»
A – Sur l’intérêt à agir de la société Unipak et, désormais, de la société Alvisa Montblanc SL :
Pour s’opposer à la demande principale de déchéance formée à l’encontre de sa propre marque (n° 1 371 452), la société Mont Blanc fait d’abord valoir que dans la mesure où elle forme elle-même une demande reconventionnelle tendant à l’invalidation de la marque adverse (n° 1 143 214), les sociétés Unipak et Alvisa Montblanc SL sont dépourvues d’intérêt à agir, et par là même irrecevables à le faire.
Ce raisonnement ne saurait être suivi, chacune des demandes devant être appréciée indépendamment de l’autre, alors au surplus qu’il ne saurait être préjugé du bien-fondé d’une demande reconventionnelle pour décider de la recevabilité d’une demande principale.
Par ailleurs, il est certain que les sociétés Unipak et Alvisa Montblanc SL ont intérêt à faire constater le défaut d’usage sérieux de la marque adverse pour obtenir la déchéance des droits de la société Mont Blanc sur celle-ci, et ce afin de ne pas être elles-mêmes entravées dans l’exploitation de leur propre marque, étant en effet rappelé que c’est à raison de l’antériorité de la marque n° 1 371 452 déposée par la société Mont Blanc que l’INPI projette de refuser d’accorder la protection pour la France de l’enregistrement international de la marque n° 1 143 214 déposée par la société Unipak.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a déclaré la société Unipak recevable en sa demande tendant à la déchéance partielle de la marque n° 1 371 452, la société Alvisa Montblanc SL, cessionnaire de la marque n° 1 143 214 depuis le 14 décembre 2018, devant également être déclarée recevable à agir aux mêmes fins.
B – Sur le fond’ :
La société Mont Blanc reconnaît elle-même qu’elle n’a jamais produit ni commercialisé de boissons alcooliques sous la marque «’MONT BLANC’», assumant par là même sa décision d’avoir fait de celle-ci une marque dite de «’barrage’» destinée à empêcher toute commercialisation de boissons alcoolisées sous le même nom.
La société Mont Blanc ne justifie pas davantage avoir produit ni commercialisé sous cette marque des «’eaux minérales et gazeuses et autres boissons non alcooliques, des sirops ou autres préparations pour faire des boissons’», au sens des produits au titre desquels elle a déposé sa marque.
En s’abstenant d’en faire un usage sérieux pour les produits précités, la société Mont Blanc s’est exposée à l’action en déchéance prévue à l’article L 714-5.
Certes, elle tente de se prévaloir de «’justes motifs’», au sens dudit article, pour essayer de justifier de ce non-usage et ainsi échapper à la déchéance encourue.
A cet égard, elle considère comme relevant de ces justes motifs son souci de préserver sa notoriété et son image de marque, en l’occurrence celle d’une entreprise produisant et commercialisant des produits essentiellement destinés aux enfants et adolescents, notamment des crèmes dessert et autres produits transformés à base de lait pour lesquels la marque «’MONT BLANC’» a d’ailleurs été déposée.
La société fait ainsi valoir qu’en produisant et commercialisant elle-même des boissons alcoolisées sous la marque «’MONT BLANC’», elle aurait nui à son image et risqué de perdre sa clientèle naturelle, ce d’autant plus que le code de la santé publique encadre très strictement la promotion des boissons alcoolisées, notamment en ses articles L 3323-2 et L 3323-3 qui limitent la publicité dite indirecte (c’est-à-dire celle pour des produits non alcoolisés sous une marque rappelant des produits alcoolisées), ce qui aurait restreint de manière importante ses possibilités de promouvoir ses produits laitiers sous la marque «’MONT BLANC’».
La cour entend cette justification.
Pour autant, elle rappelle que dans une décision du 14 juin 2007 (affaire C-246/05), la Cour de Justice des Communautés Européennes a dit pour droit que les justes motifs pour le non-usage d’une marque devaient s’entendre des obstacles qui présentent une relation directe avec cette marque rendant impossible ou déraisonnable l’usage de celle-ci et qui sont indépendants de la volonté du titulaire de ladite marque.
Or, tel n’est pas le cas des obstacles invoqués par la société Mont Blanc, alors en effet’:
– que c’est pour satisfaire aux seuls impératifs de sa propre stratégie industrielle et commerciale, consistant en la production et la distribution quasi-exclusive de produits transformés à base de lait, qu’elle a fait le choix, certes respectable mais non imposé par quiconque, de renoncer à faire usage de sa marque pour promouvoir d’autres produits’ ;
– qu’ainsi, les motifs pour lesquels la société Mont Blanc a renoncé à produire et commercialiser des produits alcoolisés ne sont pas indépendants de sa propre volonté.
En conséquence et dans la mesure où la société Mont Blanc ne peut pas se prévaloir de justes motifs légitimant le non-usage de sa marque pendant une période ininterrompue d’au moins cinq ans précédant l’instance, c’est à bon droit que le tribunal, faisant droit à la demande formée en ce sens par la société Unipak, a prononcé la déchéance partielle de la marque «’MONT BLANC’» n° 1 371 452, et ce à compter du 20 août 2008 (soit cinq ans avant la délivrance de l’assignation) pour les produits suivants ‘: «bière, ale et porter, eaux minérales et gazeuses et autres boissons non alcooliques, sirops et autres préparations pour faire des boissons ‘; spiritueux’».
Y ajoutant, et afin de corriger ce qui relève d’une omission matérielle du tribunal, la cour prononcera également la déchéance partielle de ladite marque pour les «’vins et liqueurs’», produits pour lesquels la société Mont Blanc ne justifie pas davantage d’un usage sérieux -au sens de l’article L 714-5- de sa marque.
III – Sur la demande reconventionnelle tendant à l’invalidation pour le territoire français de la marque internationale déposée par la société Unipak sous le n° 1 143 214 pour des «’boissons alcoolisées, à savoir vodka’»’ :
En première instance, la société Mont Blanc sollicitait cette invalidation en se prévalant des dispositions de l’article L 713-5 du code de la propriété intellectuelle selon lesquelles’ :
«’La reproduction ou l’imitation d’une marque jouissant d’une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière.
Les dispositions de l’alinéa précédent sont applicables à la reproduction ou l’imitation d’une marque notoirement connue au sens de l’article 6 bis de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle précitée.’»
Pour la débouter de cette demande, le tribunal a essentiellement retenu que ce texte ne prévoyait pas la nullité de l’enregistrement d’une marque internationale faisant grief à une marque nationale.
En cause d’appel, la société Mont Blanc ne se prévaut plus du même fondement, invoquant désormais l’Arrangement de Madrid concernant l’enregistrement international des marques du 14 avril 1891 modifié, traité auquel la Fédération de Russie est partie, qui dispose en son article 5.6′:
«’L’invalidation d’une marque internationale ne pourra être prononcée par les autorités compétentes sans que le titulaire de la marque ait été mis en mesure de faire valoir ses droits en temps utile. Elle sera notifiée au Bureau international’».
Sur le fond, la société Mont Blanc persiste à soutenir que la marque internationale n° 1 143 214 déposée par la société Unipak pour la catégorie des «’boissons alcoolisées, à savoir vodka’» nuit à l’image de sa propre marque, n° 1 371 452, qui distingue quant à elle, notamment, des produits transformés à base de lait destinés à un public souvent jeune, par là même non consommateur d’alcool.
Quoi qu’il en soit et sans préjuger de la demande reconventionnelle complémentaire formée par la société Mont Blanc pour voir interdire aux sociétés Unipak et Alvisa Montblanc SL d’utiliser la marque litigieuse sur le territoire français, il convient de constater que la demande d’invalidation formée par la société Mont Blanc devant la cour est la même que celle dont l’INPI est déjà saisi et que cette instance est toujours pendante devant cette autorité puisqu’il n’est pas justifié d’une décision définitive de celle-ci, ce dont il résulte, par application des articles R 411-19 et suivants du code de la propriété intellectuelle, que la présente cour ne saurait connaître en premier ressort de cette demande.
S’agissant d’une irrecevabilité de la demande d’invalidation, le jugement qui en a débouté la société Mont Blanc sera infirmé en ce sens.
IV – Sur la demande reconventionnelle tendant à voir interdire aux sociétés Unipak et Alvisa Montblanc SL d’utiliser sur le territoire français les termes «’Mont Blanc’» ou la marque homonyme pour désigner, commercialiser ou promouvoir des boissons alcoolisées ‘:
Comme en première instance, la société Mont Blanc fonde cette demande sur les dispositions de l’article L 713-5 du code de la propriété intellectuelle qui prévoient que «’la reproduction ou l’imitation d’une marque jouissant d’une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière.’»
Pour faire droit à cette demande, le tribunal a essentiellement retenu que la renommée des produits laitiers «’Mont Blanc’», notamment de la crème dessert du même nom, était non seulement ancienne mais toujours actuelle, le premier juge ayant ainsi cité pour exemple de cette notoriété persistante de très nombreux extraits de sites internet qui continuent à faire la promotion de ces produits, de même que la constance, jusque dans des recettes contemporaines largement diffusées, d’expressions usuelles qui continuent à être utilisées, notamment dans des livres de cuisine, pour rappeler le produit d’origine qui a fait la notoriété de la société Mont Blanc («’style crème mont blanc’», «’façon crème mont blanc’» etc).
Le premier juge en a déduit que le nom «’Mont Blanc’» demeurait étroitement associé, toujours actuellement, à l’image d’un produit laitier destiné à un jeune public, et que l’utilisation du même nom par la société Unipak pour promouvoir des boissons alcoolisées telles que la vodka, soit des produits qui ne sont pas destinés au même public et dont la commercialisation en France est freinée par une réglementation de santé publique destinée à prévenir l’alcoolisme, serait de nature à troubler le message publicitaire de la société Mont Blanc, et finalement à nuire à son succès commercial.
Le tribunal a également retenu que constituait une faute le fait pour la société Unipak d’avoir adopté une marque parfaitement homonyme à celle précédemment détenue par la société Mont Blanc, alors en effet que contrairement à d’autres entreprises qui avaient pu adopter le même nom pour désigner des boissons alcoolisées issues d’une production géographiquement proche de la montagne du même nom («’Les Vins du Mont Blanc’», la «’Distillerie du Mont Blanc’»), la société Unipak, entreprise installée en Russie, ne pouvait pas se prévaloir d’une quelconque proximité avec ce lieu, fabriquant au surplus un produit -en l’occurrence de la vodka- étranger à la culture alpestre, au contraire de la société Mont Blanc qui tient son nom de sa fondation initiale à [Localité 5] en Haute-Savoie.
La cour partage cette analyse, observant en effet, et ce contrairement aux affirmations des sociétés Unipak et Alvisa Montblanc SL ‘:
– que la renommée des produits «’MONT BLANC’» fabriqués et commercialisés par la société du même nom est certes ancienne, mais néanmoins toujours actuelle’ ;
– que de très nombreuses pièces produites par la société Mont Blanc en justifient, la cour renvoyant à cet égard à la longue énumération des extraits de sites internet rappelés dans le jugement déféré et dont les adresses ont été précisées par la société Mont Blanc en cause d’appel, qui font état, encore à ce jour, de la commercialisation de produits laitiers commercialisés sous la marque «’MONT BLANC’» ‘;
– que la société Mont Blanc verse également aux débats une lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie en date du 7 décembre 2006 et publiée au Bulletin Officiel de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes dans le cadre d’une procédure d’autorisation d’une opération de concentration dans le secteur des compotes et crèmes dessert, qui confirme que «’la part de marché de Mont Blanc sur le secteur global des crèmes dessert est de 10-20’% contre 50-60’% pour Danone (avec le produit Danette) et 30-40’% pour les marques de distributeur’»’ ; si cette part de marché des produits «’MONT BLANC’» a certes beaucoup diminué par rapport à ce qu’elle était au cours des années 70 à une époque où la marque Danette balbutiait encore, pour autant elle n’en demeure pas moins considérable, faisant en effet de la société Mont Blanc le deuxième producteur de crème dessert du marché français’; cette même lettre révèle également une enquête de notoriété qui, en 2005, plaçait encore la marque Mont Blanc en quatrième position derrière Danette, Yoplait et La Laitière, soit une place fort honorable, ce qui permet d’affirmer que ladite marque continue encore à ce jour à bénéficier d’une renommée importante dans le secteur des produits laitiers’ ;
– que la société Mont Blanc produit également des extraits des sites internet des principaux acteurs de la grande distribution (Carrefour, Casino, Intermarché, Leclerc), qui confirment que ces différentes enseignes continuent à commercialiser des crèmes dessert de marque «’MONT BLANC’».
Par ailleurs, si la société espagnole Alvisa Montblanc SL, cessionnaire de la marque «’MONT BLANC’», peut certes se prévaloir, contrairement à la société Unipak, d’une proximité au moins nominale avec l’appellation «’MONT BLANC’» puisqu’elle a son siège à Montblanc en Catalogne, en revanche c’est toujours aux seules fins de commercialisation de boissons alcoolisées telles que la vodka qu’elle a fait l’acquisition de cette marque, laquelle n’a d’ailleurs été déposée par la société Unipak que pour cette seule catégorie de produits.
Or, une telle commercialisation, en ce qu’elle porte sur des produits aux antipodes de ceux commercialisés par la société Mont Blanc, serait de nature à porter préjudice à celle-ci, comme venant perturber le message promotionnel véhiculé par elle depuis plusieurs décennies auprès d’un jeune public par définition non consommateur d’alcool, en l’occurrence un message présentant les produits laitiers comme sains et dynamisants, alors qu’à l’inverse l’innocuité des boissons alcoolisées, a fortiori des alcools forts, est très contestée, à tout le moins par la communauté scientifique et médicale.
A cet égard, c’est en vain que les sociétés Unipak et Alvisa Montblanc SL soutiennent que la renommée d’une marque doit être appréciée par rapport au public concerné par les produits pour lesquels cette marque a été enregistrée, ce dont il résulterait en l’espèce que le public consommateur des produits laitiers «’MONT BLANC’» ne serait jamais confronté aux alcools forts du même nom.
En effet et nonobstant la segmentation existant entre ces différents marchés, les deux marques litigieuses n’en sont pas moins susceptibles de faire l’objet d’une publicité importante sur l’ensemble du territoire français, tous les consommateurs, y compris les plus jeunes, pouvant dès lors en être les témoins.
C’est encore à tort que les sociétés Unipak et Alvisa Montblanc SL affirment que la société Mont Blanc serait de mauvaise foi à prétendre leur interdire l’usage de la marque «’MONT BLANC’» alors qu’elle tolère d’autres usages similaires, notamment des marques «’Vins et Glaces du Mont Blanc’» ou encore «’Distillerie du Mont Blanc’», voire qu’elle a elle-même déposé la même marque («’MONT BLANC’») pour désigner des boissons alcooliques qu’elle pourrait elle-même commercialiser.
En effet, il a déjà été démontré précédemment, d’une part que ces autres sociétés justifiaient d’un motif légitime pour désigner leurs produits sous ce nom en forme d’origine géographique, d’autre part que la société Mont Blanc n’a elle-même jamais produit de boissons alcoolisées et qu’elle n’a déposé cette marque dans cette catégorie de produits qu’à titre de marque de «’barrage’».
C’est toujours en vain que les sociétés Unipak et Alvisa Montblanc SL font valoir que leur marque n’est pas identique à celle antérieurement déposée par la société Mont Blanc, étant au contraire observé qu’en dépit des différences formelles existant entre les deux marques, complexe pour la première, purement verbale pour la seconde, ces différences demeurent peu significatives, le même signe verbal qui prédomine dans chacune des deux marques produisant une même impression d’ensemble qui permet de conclure à une imitation de la marque n° 1 371 452 par la marque n° 1 143 214.
Enfin, c’est toujours vainement que les sociétés Unipak et Alvisa Montblanc SL reprochent au tribunal de ne pas avoir caractérisé en quoi l’usage des termes MONT BLANC pour la commercialisation de crèmes dessert pourrait être évocateur de boissons alcoolisées et pourrait ainsi exposer la société éponyme au risque d’une restriction de ses possibilités de promotion publicitaire, notamment indirecte au sens de l’article L 3323-3 du code de la santé publique, alors en effet qu’il est certain qu’en étant autorisées à commercialiser en France des boissons alcoolisées sous la marque «’MONT BLANC’», les sociétés Unipak et Alvisa Montblanc SL contribueraient à populariser de tels produits sous cette dénomination, au risque que cette marque soit peu à peu assimilée dans l’esprit des consommateurs à l’image même des boissons alcoolisées et que, dès lors et dans un souci de prophylaxie anti-alcoolique, la société Montblanc serait elle-même contrainte, sauf à encourir des sanctions pénales, de se soumettre aux restrictions publicitaires prévues par la loi, quand bien même ne commercialiserait-elle que des produits laitiers.
Il est ainsi démontré que l’usage par les sociétés Unipak et Alvisa Montblanc SL, sur le territoire français, des termes «’Mont Blanc’» ou de la marque homonyme pour désigner, commercialiser ou promouvoir des boissons alcoolisées serait de nature à porter préjudice à la société Mont Blanc, propriétaire de la marque antérieure «’Mont Blanc’», en ce qu’il créerait une entrave à la libre utilisation de la marque première.
Dès lors, la société Mont Blanc est fondée à voir interdire cet usage, le jugement devant être confirmé en ce sens et l’interdiction étendue à la société Alvisa Montblanc SL.
V – Sur les autres demandes’ :
Partie globalement perdante, la société Unipak sera condamnée à payer à la société Mont Blanc une somme globale de 10.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour la même raison, la société Unipak sera condamnée aux entiers dépens de première instance, le jugement devant être infirmé en ce sens et, conformément à la demande, la société Unipak également condamnée aux entiers dépens de la procédure d’appel, ces derniers devant être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour :
– déclare la société Alvisa Montblanc SL recevable en son intervention volontaire à l’instance ;
– confirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a débouté la société Mont Blanc de sa demande en nullité de l’enregistrement pour le territoire français de la marque «’MONT BLANC’» déposée par la société Unipak sous le n° 1 143 214 et en ce qu’il a condamné la société Unipak à payer à la société Mont Blanc une somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et partagé les dépens de première instance entre la société Unipak et la société Mont Blanc ‘;
– infirmant le jugement de ces seuls chefs, statuant à nouveau et y ajoutant’ :
* déclare la société Mont Blanc irrecevable en sa demande en nullité de l’enregistrement pour le territoire français de la marque «’MONT BLANC’» déposée par la société Unipak sous le n° 1 143 214′ ;
* étend l’interdiction d’usage prononcée en première instance à la société Alvisa Montblanc SL ‘;
* prononce la déchéance partielle de la marque française MONT BLANC n° 1 371 452 du 15 octobre 1985 en ce qu’elle désigne les «’vins et liqueurs’», et ce à compter du 20 août 2008′ ;
* ordonne la transcription de la présente décision à l’INPI en marge du registre des marques sur réquisition du greffier et dit qu’à défaut, la société Unipak pourra s’y substituer’ ;
* condamne la société Unipak à payer à la société Mont Blanc une somme globale de 10.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ‘;
* condamne la société Unipak aux entiers dépens de première instance et d’appel, ces derniers devant être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Le greffierLe président