Location de matériel : 28 septembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/15506

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Location de matériel : 28 septembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/15506
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28 septembre 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/15506

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4

ARRET DU 28 SEPTEMBRE 2022

(n° 152 , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/15506 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCR7V

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Septembre 2020 – Tribunal de Commerce de BORDEAUX – RG n° 2019F00952

APPELANTE

E.U.R.L. LEADER GRANITS agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de CASTRES sous le numéro 430 400 820

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Sandra OHANA de l’AARPI OHANA ZERHAT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050, avocat postulant

Assistée de Me Mickael MALKA SEBBAN, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant

INTIMEE

S.A.S. [V] [J] agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de BERGERAC sous le numéro 398 365 155

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Katy BONIXE de la SELEURL CABINET BONIXE, avocat au barreau de PARIS, toque : E2021, avocat postulant et plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 juin 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Brigitte BRUN LALLEMAND, Première Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Brigitte BRUN LALLEMAND, Première Présidente de chambre

Madame Sophie DEPELLEY, Conseillère

Madame Camille LIGNIERES, Conseillère

Greffière, lors des débats : Madame Kala FOULON

ARRÊT :

– Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Brigitte BRUN LALLEMAND, Première Présidente de chambre et par Claudia CHRISTOPHE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

L’EURL Leader Granits (ci-après dénommée Leader Granits) a pour activité la création et la fabrication de monuments funéraires.

La société [V] [J] exerce son activité dans le domaine des pompes funèbres.

Depuis le début des années 2000, la société [V] [J] passe régulièrement des commandes à la société Leader Granits.

En décembre 2017, la société [V] [J] a été rachetée par le groupe Funecap.

Le 20 novembre 2018, la société Leader Granits a écrit à la société [V] [J] pour solliciter des explications sur la rupture de leurs relations commerciales.

Des négociations sont engagées entre les deux sociétés pour trouver une solution amiable au différend, en vain.

Par acte du 2 août 2019, la société Leader Granits a saisi le tribunal de commerce de Bordeaux afin d’obtenir la réparation pour la rupture des relations commerciales, qu’elle estime brutale.

Par jugement du 18 septembre 2020, le tribunal a de commerce de Bordeaux a reçu l’action de la société Leader Granit mais l’a :

– Déboutée de ses demandes indemnitaires ;

-Condamnée à payer à la société [V] [J] la somme de 2.000,00 € (deux mille euros) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamnée aux dépens.

Vu les dernières conclusions de la société Leader Granits, appelante, déposées et notifiées le 20 mai 2022, par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu les dispositions de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce devenu l’article L. 442-1 II du Code de commerce, dans sa version applicable aux faits,

Vu le bordereau des pièces ci-annexé,

– Confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a reçu l’action de la société Leader Granits ;

– Le réformer dans ses autres dispositions ;

Statuant à nouveau,

– Condamner la société [V] [J] à verser à la société Leader Granits les sommes

suivantes :

* 19.219 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique subi du fait de la rupture brutale des relations contractuelles établies ;

* 5.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi ;

– Condamner la société [V] [J] à verser à la société Leader Granits la somme de 8.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– La débouter de l’intégralité de ses demandes ;

– La condamner aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions de la société [V] [J], intimée, déposées et notifiées le 18 mai 2022 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu l’article L 442-6 du code commerce,

– Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

* Débouté Leader Granits EURL de ses demandes indemnitaires,

* Condamné Leader Granits EURL à payer à la société [V] [J] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

* Condamné Leader Granits EURL aux dépens,

Subsidiairement,

– Infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que la rupture des relations commerciales a été brutale et donc fautive et condamné la société [V] [J] à verser à la société Leader Granits une indemnité correspondant au préjudice subi par

cette dernière,

– Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que la société Leader Granits ne rapportait pas la preuve d’un quelconque préjudice ;

Statuant de nouveau :

– Débouter la société Leader Granits irrecevable et/ou mal fondée en ses demandes;

– Déboute la société Leader Granits de l’intégralité de ses demandes :

A titre infiniment subsidiaire, si par impossible, la société Leader Granits arrivait à démonter l’existence d’un préjudice,

– Le ramener à de justes proportions ;

A titre reconventionnel,

– Condamner la société Leader Granits à régler à la société [V] [J] la somme de

5 000 euros en cause d’appel au titre de l’article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens dont distraction au bénéfice de Maître Katy Bonixe, avocat a barreau de Paris par application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La Cour renvoie à la décision attaquée et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

– Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie.

La Cour rappelle que les ruptures brutales intervenues avant le 26 avril 2019 sont soumises à l’ancien article L. 442-6-I, 5e du code de commerce, lequel dispose :

“Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé par le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au registre des métiers :

(…) 5° de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

(…) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.”

– Sur la date à laquelle la relation commerciale a débuté

Exposé du moyen :

La société [V] [J] soutient que ce n’est qu’à partir de l’année 2006 qu’un certain montant de commandes peut être caractérisé. Elle fait valoir qu’entre 2002 et 2004, ainsi qu’il ressort des factures versées par la partie adverse, le co-contractant est “Ambulance [J]”, étant entendu que cette activité séparée d’ambulancier a été cédée le 23 novembre 2004 à la société J.S.P Blanbleu. Les commandes pouvant être rattachées à la société [V] [J] n’ont donc, selon elle, été formulées qu’à partir de décembre 2005, et encore pour un montant particulièrement faible (550 et 950 euros HT).

Leader Granits répond avoir toujours été en relation avec la société [V] [J], sans changement de forme sociale, la seule modification notable qui lui ait été signalée ayant été, le 20 octobre 2003, un changement de coordonnées bancaires (RIB Société Générale au nom de [V] [J] SARL – pièce Leader Granits n°35). Elle fait valoir que le fait que cette société ait eu initialement une double activité d’ambulance et de pompes funèbres est sans incidence.

Réponse de la Cour :

Il ressort de l’historique des inscriptions modificatives obtenu auprès du greffe du tribunal de commerce de Bergerac (pièce société [V] [J] n°1) que l’intimée avait, depuis les années 1990 au moins, comme activité déclarée : ambulance, vente et location de matériel médical, taxi, transport de colis, pompes funèbres, vente d’articles funéraires, marbrerie funéraire, thanatopraxie, vente de produits naturels.

La circonstance que les 16 factures de Leader Granits datées des années 2002 à 2004 – lesquelles portaient toutes sur la fourniture de monuments funéraires ou d’éléments en lien (dalles, plaques, vierge…) – aient été émises au nom d’Ambulance [J] n’établit pas qu’un changement de partenaire soit intervenu depuis. La cession de la branche d’activité “ambulance” est en effet dépourvue d’effet sur la relation commerciale préexistant entre la société [V] [J] et Leader Granits au titre le l’activité services funéraires.

Il s’ensuit que l’antériorité des relations litigieuses remonte à 2002.

– Sur les caractéristiques de la relation commerciale

Exposé du moyen :

Leader Granits fait valoir qu’elle a entretenu une relation d’affaire suivie, régulière et stable avec la société [V] [J] depuis l’année 2002 jusqu’à 2017 inclu et que cette relation a généré un chiffre d’affaires total de 550 648,93 euros. Elle demande la confirmation de la décision attaquée en ce qu’il dit que la relation était établie entre les parties.

La société [V] [J] soutient que ce n’est qu’à partir de 2006 qu’un certain montant de commandes peut être caractérisé entre les parties. Elle fait aussi valoir que le montant concerné n’est pas stable d’une année sur l’autre et que les commandes ne représentent qu’une infime partie du chiffre d’affaires tant de Leader Granits (1, 11 % de son CA en 2015) que de la société [V] [J] (2.4 % de son CA en 2016). Elle rappelle aussi qu’aucun contrat écrit ne lie les parties.

Réponse de la Cour :

L’ensemble des factures émises ont été fournies en l’espèce. Il s’en déduit que la relation commerciale revêtait depuis 2002, nonobstant l’absence de contrat cadre formalisé, un caractère tout à la fois suivi, stable et habituel. Elle était aussi significative en raison de son ancienneté et de la régularité des échanges.

Leader Granits, qui était sollicité très généralement pour des monuments funéraires et des éléments en lien (plaque, vase, urne, gravier blanc…) mais aussi pour des commandes plus spécifiques (table en marbre blanc de carare, sculpture oiseau, parchemin sculpté, litho cheval, bronze chasseur, monument labrador…) pouvait en conséquence raisonnablement anticiper pour l’avenir une certaine continuité de flux d’affaires avec la société [V] [J].

La relation commerciale revêtait donc avant la rupture un caractère établi.

– Sur les circonstances de la rupture

Exposé du moyen :

La société [V] [J] fait savoir que la brutalité de la rupture n’est pas caractérisée. Elle observe que Leader Granits a facturé la commande d’un monument le 11 septembre 2018 et que le courant d’affaires entre les deux sociétés, durant l’exercice de 2018, s’est élevé à 17.000 euros. Il s’agit donc selon elle d’une érosion des relations commerciales.

Elle produit par ailleurs un courriel de demande de référencement de Leader Granits auprès de Funicap du 11 avril 2017 et fait valoir que la Cour de cassation a jugé (Cass. Com, 9 mars 2010, n°08-21.088) que ne pouvait être considérée comme brutale la rupture des relations commerciales dès lors que les parties s’accordaient sur une solution de remplacement, peu important que cette solution de remplacement nécessite la définition d’une nouvelle relation contractuelle.

La société [V] [J] ajoute que le premier courrier de récrimination de Leader Granits date du 20 novembre 2018, soit 8 mois après les faits incriminés. Des discussions ont eu lieu eu lieu sur les conditions de maintien de leurs relations commerciales jusqu’au 19 juillet 2019. La société [V] [J] estime que ces 16 mois ont permis à Leader Granits de se réorganiser ou de s’adapter aux nouvelles modalités de passation des commandes. C’est, selon elle, le refus de Leader Granits de signer le protocole transactionnel qui aurait conduit la société [V] [J] à ne plus s’approvisionner en 2019 auprès d’elle.

Leader Granits répond que le chiffre d’affaires HT généré par la société [V] [J] a chuté brutalement de 76 % en 2018 (pièces Leader Granits 2 et 16 à 18) et qu’il a correspondu à des commandes de 2017 ou à du service après vente. Les seules 2 commandes de l’année datent selon elle du 3 janvier 2018. Elle précise que ce décalage entre la commande et la facturation est tout à fait habituel dans le domaine des pompes funèbres car le temps de fabrication d’un monument funéraire est assez long.

Leader Granits constate que la société [V] [J] a été rachetée le 18 janvier 2018 par le groupe Funecap, lequel a fait connaître dans un interview accordé à la presse en avril 2018 vouloir “concentrer l’achat auprès des seuls partenaires référencés” (pièce Leader Granits n°20).

Elle ajoute qu’à la date à laquelle elle a formulé sa demande de référencement, le 11 avril 2017, elle ne pouvait anticiper que la société [V] [J] serait rachetée (8 mois près) par Funicap. Sa démarche n’avait donc aucun lien avec la rupture brutale des relations commerciales dont elle a été victime ensuite. Cette demande d’avril 2017 fait suite, précise-t-elle, à la sollicitation de Funecap qui prospectait de nouveaux fournisseurs.

Leader Granits constate que le groupe Funecap, à la suite des démarches amiables entreprises, s’est contenté de proposer un projet de protocole aux termes duquel il s’engageait à consulter la société Leader Granits durant une période d’un an (pièce Leader Granits n°26). Elle rappelle, pour soutenir que cette proposition constituait une modification substantielle des conditions commerciales de la relation établie devant s’analyser en une rupture partielle des relations commerciales, que les commandes passées par la société [V] [J] durant toutes ces années étaient fermes d’une part, et ne faisaient jamais suite à une mise en concurrence préalable au sein d’une centrale de référencement, d’autre part.

Leader Granits demande en conséquence confirmation de la décision attaquée en ce qu’elle a constaté que l’arrêt des commandes n’avait été précédé d’aucun préavis, ce qui a conduit le tribunal à dire que la rupture des relations commerciales avait été brutale et donc fautive.

Réponse de la Cour :

Leader Granits a versé un tableau récapitulant, pour l’exercice 2018, le n° de la facture, la date de la facture, le n° de la commande et la date de la commande, et a produit les pièces justificatives en lien, lesquelles ne sont pas contestées. Il s’en déduit que seule la facture du 11 septembre 2018 (au nom de [S] et supposée correspondre un service après vente, ce qui ne peut être considéré comme établi en l’état des pièces communiquées), correspond à une commande de la société [V] [J] intervenue en 2018.

Cette situation caractérise un déférencement volontaire des produits de Leader Granits.

Il n’est pas allégué que ce déférencement résulte, comme il a pu être jugé dans d’autres espèces, de critères objectifs tels que le désintérêt du consommateur pour les produits en cause, une baisse de la qualité des produits ou une baisse d’activité conjoncturelle du client.

Leader Granits produit une interview du directeur achat du groupe Funecap parue le 7 avril 2018 dans la revue Raisonnance funéraire, dans laquelle l’intéressé a tenu les propos suivants :

“Q : Le nombre de fournisseur est limité : est-ce exact ‘

R : (…) Le problème est qu’actuellement, un même produit peut être acheté chez 5 à 20 fournisseurs différents. Le meilleur moyen d’améliorer nos conditions d’achat, c’est de grouper nos commandes de produits identiques chez un même fournisseur pour lui confier le maximum de volume. (…) Nous souhaitons volontairement restreindre le nombre de partenaires au strict minimum (et donc en écarter bon nombres d’entre eux : choisir, c’est renoncer…) (…)

Q : Pour bon nombre d’agences, cela signifie abandonner leurs fournisseurs historiques…

R : Etre intégré au sein d’un groupe ou affilié à une enseigne implique un certain nombre de contraintes, et l’achat auprès des seuls fournisseurs référencés y figure en bonne place… Cela peut passer par le fait de couper le lien “affectif” avec ses fournisseurs historiques pour concentrer les achats auprès des seuls partenaires référencés.

Q : Cela signifie-t-il que vous allez imposer les produits ‘

R : Nous imposons les fournisseurs, mais les agences restent libres de commander les produits qu’elles souhaitent”.

Il se déduit de l’ensemble que la société [V] [J], suite à l’acquisition dont elle a fait l’objet le 18 janvier 2018 par le groupe Funecap, a procédé à une réorganisation qui portait notamment sur sa stratégie d’achat, et qui s’est traduite par un arrêt quasi-total des commandes à son “fournisseur historique” Leader Granits.

Cette diminution substantielle du courant d’affaires stable et régulier existant entre les parties ( – 76 % du chiffre d’affaires en 2018), lequel est consécutif à un arrêt quasi-total des commandes à compter de janvier 2018, n’a été précédé d’aucun préavis.

La seule cessation des commandes, qui n’est accompagnée d’aucun acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale, ne peut valoir

notification.

La brutalité de la rupture ne saurait par ailleurs être écartée – sauf prescription de l’action, mais il s’agit dans ce cas d’une fin de non recevoir – du seul fait que le partenaire évincé a attendu plusieurs mois avant d’invoquer la brutalité de la rupture (Cass. com., 27 octobre

2009, n°08-09.396).

Les conditions d’application de l’ancien article L. 442-6-I, 5e du code de commerce sont

donc réunies.

– Sur la réparation du préjudice causé par la rupture brutale

-Sur la durée du préavis de rupture que la société [V] [J] aurait dû observer

Exposé du moyen :

Leader Granits fait valoir qu’il résulte d’une moyenne effectuée après analyse des décisions de justice les plus récentes que pour une relation commerciale établie d’une durée d’environ 16 à 18 ans, avec un niveau de courant d’affaires d’environ 2 à 10 %, le préavis qui doit être observé oscille entre 10 et 12 mois. Elle sollicite qu’un délai de 12 mois soit fixé par la Cour.

La société [V] [J] soutient que le degré de dépendance de Leader Granits à son égard est nul, que ce n’est que depuis 2006 qu’un certain montant de commandes est caractérisé et que 2018 correspond à la fin progressive de la relation.

Réponse de la Cour :

Le délai de préavis suffisant doit s’entendre du temps nécessaire à l’entreprise délaissée pour se réorganiser, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont l’ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d’affaires réalisé, la progression du chiffre d’affaires, les investissements effectués, les relations d’exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.

Au cas présent, les relations commerciales entre Leader Granits et la société [V] [J] ont duré 16 ans, mais pour un volume d’affaires qui représentait une part faible de l’activité de la victime. Aucune autre circonstance spécifique n’est mise en évidence.

Il convient, en conséquence, de fixer la durée du préavis à 8 mois.

– Sur le préjudice résultant de la perte de marge

Exposé du moyen :

Leader Granits s’appuie sur l’attestation de son expert comptable du 26 juin 2019, de laquelle il résulte que la marge brute annuelle du chiffre d’affaires concernant la société [V] [J], au cours des trois dernières années précédant la rupture, s’élève à 19.219 euros HT (pièce Leader Granits n°29). Elle ne s’explique pas que le tribunal ne s’y soit pas référée, alors qu’elle avait été versée aux débats.

La société [V] [J] fait valoir que Leader Granits ne produit aucun justificatif complémentaire en cause d’appel permettant de justifier de la réalité de son préjudice. Elle estime que le document produit est insuffisant en ce qu’il ne mentionne pas le chiffre d’affaires total, mais seulement celui réalisé auprès de la société [V] [J]. Elle ajoute qu’une faute contractuelle n’entraîne pas nécessairement de dommage en relation de cause à effet avec cette faute. Les dommages-intérêts ne pourraient être alloués que si un préjudice résulte de la faute contractuelle.

Réponse de la Cour :

Il est rappelé que la rupture brutale d’une relation commerciale établie s’analyse en un fait juridique qui engage la responsabilité exra-contractuelle de son auteur.

Le préjudice économique, qui correspond au gain manqué pendant la période de préavis non réalisée, s’évalue en comparant la marge qui aurait dû être perçue pendant le préavis qui aurait dû être octroyé, à la marge effectivement perçue.

La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d’affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n’ont pas été supportées du fait de la baisse d’activité résultant de la rupture.

Aux termes de l’attestation de l’expert-comptable de la société Leader Granits du 26 juin 2019, dont la valeur probatoire est suffisante au cas présent, le chiffre d’affaires des années 2015 à 2017 avec la société [V] [J] s’élève respectivement à 28 818 euros, 60 741 euros et 72 044 euros, et la marge brute à 10 658 euros, 21 897 euros et 25 107 euros, soit

une marge brute moyenne de 19 219 euros.

En l’état des éléments d’appréciation soumis à la Cour, le préjudice est évalué à 12000 euros, sur une marge brute à coûts variables.

Il convient, en conséquence d’infirmer la décision attaquée en ce qu’elle débouté la société Leader Granits de sa demande indemnitaire fondé sur le préjudice économique qu’elle a subi, et de condamner la société [V] [J] à lui verser la somme de 12 000 euros à ce titre.

– Sur le préjudice moral allégué

Exposé du moyen :

Leader Granits estime avoir subi un préjudice moral, qu’elle chiffre à 5 000 euros, du

fait des conditions vexatoires de la rupture intervenue après 16 ans de relations, notamment du fait de l’absence de réponse aux correspondances adressées à la société [V] [J].

La société [V] [J] demande confirmation du jugement de première instance qui l’en a déboutée.

Réponse de la Cour :

Leader Granits ne démontre pas une intention de nuire de la société [V] [J], ni une mauvaise foi de la part de celle-ci qui serait à l’origine.

Il ressort des pièces produites par Leader Granits (n°21 à 26) que les courriers échangés entre cette société et le groupe Funicap (courriers de la société [V] [J], de Funicap sud-est et de Funicap groupe) n’établissent pas les conditions vexatoires de la rupture qu’elle allègue.

-Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Leader Granits les frais irrépétibles qu’elle a été contrainte d’exposer pour faire valoir ses droits en justice.

La société [V] [J] sera en conséquence condamnée à lui payer la somme de 7 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le jugement attaqué est réformé en ce qu’il fait droit à la demande de Leader Granits relative aux frais irrépétibles.

La société [V] [J], qui succombe, sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 18 septembre 2020 en ce qu’il a :

-Débouté la société Leader Granits de sa demande indemnitaire fondée sur le préjudice économique subi du fait de la rupture brutale des relations contractuelles établies ;

-Condamné la société Leader Granits à payer à la société [V] [J] la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

-Condamné la société Leader Granits aux dépens ;

Statuant de nouveau,

Condamne la société [V] [J] à verser à la société Leader Granits la somme de

12 000 € H. T. à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique subi du fait de la rupture brutale des relations contractuelles établies;

Condamne la société [V] [J] à verser à la société Leader Granits la somme de 7 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société [V] [J] aux dépens.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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