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28 juin 2022
Cour d’appel de Montpellier
RG n°
20/01217
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 28 JUIN 2022
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 20/01217 – N° Portalis DBVK-V-B7E-ORCU
ARRET N°
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 27 JANVIER 2020
TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER
N° RG 2018003681
APPELANTE :
Madame [D] [T]
née le [Date naissance 5] 1971 à [Localité 11] (66)
de nationalité Française
[Adresse 4]
L’Esplanade
[Localité 8]
Représentée par Me Charles ZWILLER, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Philippe BEZ de la SCP BEZ, DURAND, DELOUP, GAYET, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMES :
Monsieur [V] [H] agissant à titre personnel et en qualité de gérant de la SARL LA CLE DU SOLEIL
né le [Date naissance 2] 1961 à [Localité 12] (34)
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représenté par Me Valérie VERNET SIBEL de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de MONTPELLIER
Monsieur [X] [F] ès qualités d’administrateur provisoire de la SARL LA CLE DU SOLEIL, désigné à cet effet par jugement du Tribunal de Commerce de Montpellier du 27/01/2020.
[Adresse 10]
[Localité 6]
Assigné à personne le 20 mai 2020
S.A.R.L. LA CLE DU SOLEIL représentée par son gérant en exercice
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée par Me Valérie VERNET SIBEL de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 19 Avril 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 MAI 2022, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre
Mme Anne-Claire BOURDON, Conseiller
Mme Marianne ROCHETTE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Audrey VALERO
Ministère public :
L’affaire a été visée par le ministère public le 2 mars 2020
ARRET :
– Réputé contradictoire
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre, et par Madame Audrey VALERO, Greffière.
*
**
FAITS et PROCÉDURE – MOYENS et PRÉTENTIONS DES PARTIES:
La SARL La clé du soleil a été constituée à l’origine par MM.[H] et [S], pour exercer l’activité d’import-export, de vente de véhicules automobiles, de pièces détachées et de toutes marchandises, l’achat, la vente et la location de tous matériels. M. [S] en a été le premier gérant jusqu’en 2010.
M. [S] et M.[H] se sont également associés avec M. [O] au sein de la SARL SL Sport dont l’activité est la vente et la location de matériel de ski.
Aux termes d’un acte sous-seing privé en date du 16 mai 2008 intitulé ‘contrat de vente et de location de matériel liant les sociétés La clé du soleil et SL Sports’, la première a acquis de la seconde, une machine servant à affûter les skis au prix de 98 072 euros TTC, qu’elle a ensuite donné à bail à la SARL SL Sports moyennant paiement d’un loyer mensuel de 2 392 euros TTC.
Par acte sous seing privé en date du 5 novembre 2010, Mme [T] a racheté les parts sociales de M. [S] dans la SARL La clé du soleil en devenant ainsi associée à parts égales avec M. [H] qui est devenu gérant de la société à la même date.
Les deux associés qui s’étaient pacsés en 2011 ont mis fin à leur vie de couple en 2015. Une première plainte pour abus de biens sociaux déposée le 14 janvier 2016 par Mme [T] contre M. [H] a été classée sans suite pour infraction insuffisament caractérisée.
À la même date du 14 janvier 2016 par la voie de son conseil, Mme [T] a demandé la convocation d’une assemblée générale en exposant « si l’on peut considérer qu’antérieurement la situation des parties pouvait l’en dispenser ou réduire cette obligation au minimum formel, tels manifestement n’est plus le cas à compter de l’exercice 2014 ».
Par deuxcourriers recommandés du 9 mai 2016, M.[H] a donc convoqué Mme [T] à l’assemblée générale ordinaire du 17 juin 2016 aux fins d’approbation des comptes des exercices clos les 31 décembre 2012 à 2015 et affectation des résultats ainsi qu’à une assemblée générale extraordinaire se tenant à la même date, ayant pour ordre du jour la dissolution anticipée de la société. Estimant qu’aucune réponse n’avait été apportée à ses interrogations, Mme [T] s’est opposée aux résolutions mises au vote lors de ces assemblées mais également lors des assemblées générales ordinaire et extraordinaire tenues le 30 juin 2017 et 4 octobre 2017.
Par exploit d’huissier en date du 5 mars 2018, la société La clé du soleil et M. [H] ont fait assigner Mme [T] devant le tribunal de commerce de Montpellier en vue d’obtenir le prononcé de la dissolution anticipée de la société La clé du soleil au motif notamment de capitaux propres inférieurs à la moitié du capital social et de l’absence d’activité, en demandant la désignation de M. [H] en qualité de liquidateur amiable. Reconventionnellement, par conclusions déposées le 14 novembre 2018, Mme [T] a entendu exercer l’action ut siguli et a demandé un sursis à statuer dans l’attente d’une décision à intervenir dans le cadre de sa plainte avec constritution de partie civile déposée le 8 novembre 2018 entre les mains du doyen des juges d’instruction près le tribunal de grande instance de Montpellier, pour délit d’abus de biens sociaux.
Après un premier jugement du 04 février 2019 rejetant le sursis à statuer et ordonnant à M. [H] la communication de pièces, le tribunal de commerce de Montpellier a, par jugement du 27 janvier 2020 :
– débouté M. [H] de sa demande de dissolution anticipée de la SARL La clé du soleil,
– dit que M. [H] s’est rendu coupable de fautes de gestion par violation de l’article L.225-100 du code de commerce,
– ordonné la révocation judiciaire de M. [H] en qualité de gérant,
– désigné, à compter de la date du présent jugement, M. [F] en qualité d’administrateur provisoire de la SARL La clé du soleil avec pour effet de gérer et administrer la société et notamment convoquer dans les 4 mois suivant sa désignation les associés à l’assemblée générale ordinaire avec pour ordre du jour, l’approbation des comptes de la société et la désignation d’un nouveau gérant,
– fixé la consignation à valoir sur les frais de l’administrateur provisoire à 500 euros à la charge de la SARL Les clés du soleil,
– rejeté toutes les autres demandes des parties,
– réservé l’article 700 du code de procédure civile,
– laissé les dépens à la charge de la SARL La clé du soleil, liquidés à la somme de 99,70 euros toutes taxes comprises,
Mme [T] a régulièrement relevé appel, le 27 février 2020, de ce jugement qui lui a été signifié par exploit du 3 février 2020.
Sa plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction pour abus de biens sociaux a donné lieu à réquisitoire définitif aux fins de non-lieu en date du 21 juin 2021.
Elle demande à la cour, en l’état de ses conclusions déposées et notifiées le 25 mars 2022 via le RPVA, de :
Vu les articles 1843-5 et 1851 du code civil, L.223-19 et suivants du code de commerce,
– réformer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté l’action ut singuli exercée pour le compte de la SARL La clé du soleil, à l’encontre de M. [H],
En conséquence et statuant à nouveau,
– dire et juger que M. [H] a commis des fautes de gestion au préjudice de la SARL La clé du soleil,
– dire et juger que, n’ayant pas recueilli l’approbation de son associée sur la conclusion de conventions réglementées, il doit supporter individuellement les conséquences du contrat préjudiciable pour la société,
– accueillir l’action ut singuli exercée par Mme [T],
– condamner M. [H] à payer à la SARL La clé du soleil les sommes suivantes :
* 119 168 euros au titre des loyers des années 2010 et 2014,
* 28 800 euros au titre de la vente à vil prix du seul actif de la société,
– dire que M. [F] aura pour mission de procéder à toute mesure d’exécution utile pour recouvrer les sommes allouées par le tribunal sur le fondement de l’action ut singuli,
– confirmer le jugement entrepris pour le surplus,
– condamner M. [H] à payer à Mme [T] la somme de 6000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Au soutien de son appel, elle fait essentiellement valoir que :
– la première faute de M.[H] est d’avoir pendant 5 ans de 2010 à 2015 consenti une suspension des loyers dus par la société SL sports dont il était également le gérant/associé, en occasionnant ainsi un appauvrissement volontaire de la société La clé du soleil au détriment de son intérêt social, sans que cette décision n’ait été imposée par la procédure collective de la société locataire ainsi que retenu à tort dans le réquisitoire aux fins de non-lieu,
– M.[H] a ensuite conclu un protocole d’accord en date des 2 et 12 juin 2017 ayant pour objet de ramener la dette de loyer de la société SL Sport (129168 euros) à la somme de 10 000 euros,
– une fois son compte courant d’associé remboursé par la reprise du paiement des loyers, M. [H] avait cédé la machine à affuter les skis, seul actif de la société La clé du soleil, acquise moins de 10 ans auparavant, à la société SP sports, pour la somme de 3000 euros puis avait demandé judiciairement la dissolution anticipée de la société, après avoir privilégié ses seuls intérêts,
– aucune de ces décisions relevant des textes sur les conventions règlementées n’avait été soumise à l’approbation de son associée,
– l’action ut singuli n’est pas prescrite puisqu’elle n’a appris les accords intervenus entre la société La clé du soleil et la société SP sports qu’à la suite du classement sans suite prononcé par le Parquet le 6 octobre 2016, la procédure lui ayant permis d’accéder à certaines pièces comptables dont elle avait été privée faute de réunions des assemblées générales,
– le préjudice réside dans la privation des loyers dont il convient de déduire la somme de 10 000 euros obtenue dans le cadre de la transaction,
– la dissolution anticipée de la société La clé du soleil n’est pas justifiée puisque les capitaux propres ne sont pas inférieurs à la moitié de son capital social, la seule disparition de l’affectio societatis entre les associés n’étant pas suffisant pour justifier une telle mesure,
– les fautes de gestion de M. [H] justifie sa révocation judiciaire en sa qualité de gérant.
Formant appel incident, M. [H] sollicite de voir, aux termes de ses conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 6 avril 2022 :
Vu les articles L.223-22, L.223-23, L.223-42, L.237-1 et suivants du code de commerce et 1240 du code civil,
Déboutant Mme [T] de son appel,
– rejeter la demande de condamnation à l’encontre de M. [H] au paiement de la somme de 119 168 euros ‘au titre des loyers des années 2010 à 2014″, comme prescrite et en tous les cas mal fondée,
– rejeter la demande de condamnation à l’encontre de M. [H] au paiement de la somme de 28 800 euros ‘au titre de la vente à vil prix du seul actif de la société’ comme mal fondée,
Faisant droit à l’appel incident,
– infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dissolution anticipée de la SARL La clé du soleil, dit qu’il s’est rendu coupable de fautes de gestion (…) et ordonné sa révocation judiciaire en qualité de gérant, désigné M. [F] en qualité d’administrateur provisoire de la société La clé du soleil avec pour effet de gérer et administrer la société et notamment (…) et rejeté sa demande de dommages et intérêts pour demandes abusives,
Statuant de nouveau sur ces chefs,
– rejeter la demande de révocation judiciaire de M. [H] de ses fonctions de gérant,
– prononcer la dissolution anticipée de la SARL La clé du soleil et l’ouverture de sa période de liquidation,
– désigner M. [H] en qualité de liquidateur amiable non rémunéré chargé de réaliser l’actif et d’acquitter le passif, rendre compte aux associés, avec les pouvoirs prévus par les statuts et généralement faire le nécessaire aux fins de liquidation de la société La clé du soleil,
– rappeler que le liquidateur sera soumis à toutes les obligations prévues par la loi et les statuts notamment :
* qu’il est expressément autorisé à continuer les affaires en cours et à en engager de nouvelles, pour les besoins de la liquidation exclusivement,
* qu’il devra procéder aux formalités de publicité prévues par la loi tant au début qu’au cours et à la fin de la liquidation,
* qu’il établira à la clôture de chaque exercice des comptes annuels au vu de l’inventaire des divers éléments de l’actif et du passif existant à cette date un rapport écrit par lequel il y rendra compte des opérations de liquidation au cours de l’exercice écoulé,
* qu’il sera tenu de réunir les associés en assemblée générale ordinaire au moins une fois par an, dans les six mois de la clôture de l’exercice, en vue de statuer sur les comptes annuels et de les convoquer en assemblée générale ordinaire en vue de statuer sur le compte définitif de liquidation et de constater la clôture de la liquidation,
– fixer le siège de la liquidation au siège social de la société sis [Adresse 3],
– débouter Mme [T] de l’ensemble de ses demandes,
– la condamner à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
– la condamner à payer à M. [H] et à la SARL La clé du soleil chacun la somme de 7000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Il expose en substance que :
– tenant la règle de l’article 2236 du Code civil, l’action ut singuli formée à titre reconventionnel le 14 novembre 2018, était prescrite depuis le 24 septembre 2017,
– il n’y avait eu aucune dissimulation et Mme [T] avait parfaitement connaissance des faits prétendument dommageables depuis au moins 2013 au gré de ses échanges avec l’expert-comptable, le parquet dans son réquisitoire définitif ayant justement retenu qu’elle ne pouvait ignorer la situation de la société La clé du soleil et que la suspension des paiements des loyers était justifiée en raison de l’exécution d’un plan de sauvegarde,
– la société La clé du soleil avait ainsi pu recevoir paiement de la somme de 72000 euros de la part de la société SL sports au titre des loyers de 2016 et 2017, s’ajoutant aux 13600 euros reçus dans le cadre du protocole transactionnel nullement préjudiciable au regard de la vétusté d’une machine défectueuse,
– il n’existe aucun motif légitime à sa révocation, le tribunal ayant retenu des fautes de gestion sur un fondement légal erroné,
– la société La clé du soleil ayant été mise en sommeil depuis 2011, le défaut de convocation des assemblées générales n’était pas davantage préjudiciable et il n’y avait eu aucune utilisation des fonds sociaux à des fins personnelles,
– la société n’a pas les moyens de rémunérer un administrateur provisoire, la dissolution anticipée se justifiant également par la mésentente entre les associés qui paralyse son fonctionnement,
– il subit un réel préjudice causé par l’attitude de Mme [T] (syndrome anxio-dépressif réactionnel) qui fait preuve d’un archarnement procédural.
La procédure a été communiquée au parquet général qui a indiqué le 2 mars 2020 qu’il s’en rapportait.
Il est renvoyé, pour l’exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
C’est en l’état que l’instruction a été clôturée par ordonnance du 19 avril 2022.
MOTIFS DE LA DECISION :
Les conclusions déposées le 9 mai 2015 après l’ordonnance de clôture par les intimés sont irrecevables en l’absence de cause grave justifiant la révocation de l’ordonnance de clôture.
Sur la prescription de la demande en paiement des loyers des années 2010 à 2014 au titre de l’action ut singuli :
L’article L. 223-23 du code de commerce dispose que les actions en responsabilité prévues aux articles L. 223-19 et L. 223-22 se prescrivent par trois ans à compter du fait dommageable ou, s’il a été dissimulé, de sa révélation.
Il est constant au visa de l’article 2236 du code civil que cette prescription triennale est suspendue à partir du moment où l’associé demandeur et le gérant sont pacsés et qu’elle ne court pas quand l’associé demandeur et le gérant sont pacsés.
En l’espèce, Mme [T] est devenue associée à parts égales dans la société La Clé du soleil le 5 novembre 2010. Elle a conclu un pacte civil de solidarité avec M. [H] le 16 novembre 2011 qui a été dissous le 5 octobre 2015.
Les statuts de la société ne l’ont pas investie d’une mission particulière de gestion.
Dans le cadre des enquêtes de police ou de gendarmerie ouvertes sur les différentes plaintes ayant opposé les anciens concubins/associés, Mme [T] a déclaré le 20 juin 2016, ‘avoir travaillé pendant 5 ans’ pour le compte des sociétés de M. [H], à savoir ‘une SCI et des SARL sur lesquelles nous sommes en litige’. Le 25 août 2016, entendue dans le cadre de sa première plainte pour abus de biens sociaux, elle a indiqué qu’elle n’avait jamais géré la société La Clé du soleil qui n’avait ‘aucune activité à part la location d’affutage’ et que les loyers dus à cette dernière avaient dû être versés ‘une année maximum’. Enfin, le 5 février 2018, elle précisait avoir commencé ‘à travailler pour M. [H]’ après son intégration dans ‘ses sociétés en 2011″ et avoir été chargée de l’édition des factures, de la comptabilité, le ménage du cabinet médical, le classement de dossiers médicaux.
Ces déclarations assez générales et discordantes dans leur contenu ne permettent pas de retenir que Mme [T] aurait eu connaissance entre le 5 octobre 2010, date de son entrée dans le capital social de la société La Clé du soleil, et le 16 novembre 2011, date de conclusion du Pacs, d’une suspension des loyers qui est le premier fait dommageable allégué.
Les documents auxquels M.[H] fait référence pour démontrer qu’elle connaissait parfaitement la situation qu’elle dénonce sont tous postérieurs à la conclusion du Pacs au cours duquel la prescription n’a pas couru.
Il en est ainsi de la déclaration de la mise en sommeil de la société La Clé du soleil à compter du 31 décembre 2011 mentionnée sur le KBIS ou encore des échanges de mails entre le comptable de la société, M. [H] et Mme [T] dont celui du 18 avril 2013 évoquant cette mise en sommeil et demandant à Mme [T] les relevés de compte de la société La Clé du soleil accompagnés des justificatifs. Mais les échanges ultérieurs ne confirment qu’un accès aux relevés bancaires de la société La Clé du soleil au titre de l’année 2012 ainsi que la transmission du bilan de la société au titre de l’exercice 2012 reprenant les résultats de 2011.
Ils établissent seulement que Mme [T] réalisait un travail de secrétariat et de liaison entre les demandes du comptable et la gérance et aucune pièce ne révèle qu’elle ait connu les raisons de l’absence de chiffre d’affaires en 2012 que seule une convocation régulière aux assemblées générales accompagnée d’un rapport de gestion lui aurait permis de connaître effectivement. Rien n’établit qu’elle aurait eu les compétences nécessaires pour lire un bilan lui permettant de comprendre que le loyer de 2011 n’avait pas été davantage payé et que son implication dans la gestion des affaires de son compagnon aurait excédé ce simple travail de secrétariat.
M. [H] ne démontre pas l’avoir clairement informée de cette situation.
Il s’ensuit que l’action ut singuli exercée par voie de conclusions déposées devant le tribunal de commerce le 14 novembre 2018 n’est pas prescrite faute pour M. [H] qui invoque cette fin de non recevoir, de démontrer que Mme [T] aurait eu avant le 14 novembre 2015 la révélation de l’accord relatif à la suspension perenne des loyers.
Sur la demande en paiement des loyers des années 2010 à 2014 au titre de l’action ut singuli :
L’article L. 223-19 du code de commerce prévoit que le gérant ou s’il en existe un, le commissaire aux comptes, présente à l’assemblée un rapport sur les conventions intervenues directement ou par personne interposée entre la société et l’un de ses gérants ou associés et que l’assemblée statue sur ce rapport. S’il n’existe pas de commissaire aux comptes, seules les conventions conclues par un gérant non associé doivent être soumises à l’approbation préalable de l’assemblée.
Ces dispositions s’appliquent aux conventions passées avec une société dont l’un des dirigeants ou l’un des associés personnellement responsable se trouve être simultanément gérant ou associé de la SARL.
En l’espèce, la société La Clé du soleil n’était pas dotée d’un commissaire aux comptes et M. [H] en était le gérant associé, de sorte que la procédure de contrôle des conventions réglementées qui aurait dû être mise en oeuvre consistait, au visa du premier alinéa de l’article L.223-19 dans la présentation à l’assemblée d’un rapport sur les conventions intervenues avec la société SL Sport dont il était simultanément le gérant (cf les rapports du commissaire à l’exécution du plan arrêté en faveur de la SARL SL Sport ).
Il résulte des pièces produites qu’en 2010, la société La Clé du soleil n’avait perçu que 6 mois de loyers mais M. [H] n’étant devenu gérant qu’à compter du 5 novembre 2010 ne saurait être comptable de l’inertie du précédent gérant à poursuivre le paiement des impayés, étant relevé qu’un loyer a bien été versé en décembre 2010 de sorte que l’existence d’un accord en 2010 sur le principe même d’une suspension des loyers n’est pas établie. Mme [T] ne peut dans le cadre de son action, soutenir une faute de M. [H] et rechercher sa responsabilité pour la somme de 14 352 euros correspondant à 6 mois de loyers en 2010.
Il résulte ensuite des pièces du dossier qu’une procédure de sauvegarde a été ouverte en faveur de la société SL Sport par jugement du 5 mai 2009 donnant lieu à plan de sauvegarde arrêté par jugement du 13 juillet 2010.
Dans le réquisitoire définitif aux fins de non-lieu sur la plainte avec constitution de partie civile de Mme [T], il est indiqué s’agissant de la suspension du versement des loyers, qu’elle ‘se justifiait en raison de l’exécution du plan de sauvegarde’. Dans le cadre de son rapport en date du 13 juillet 2013 sur le déroulement du dernier exercice 2011-2012, le commissaire à l’exécution du plan donne les précisions suivantes : « Malgré un infléchissement du chiffre d’affaires, l’entreprise enregistre sur le dernier exercice clos, un résultat net positif à hauteur de 13’000 euros grâce à une économie de loyer de 24’000 euros au titre du matériel loué pour l’entretien des skis (…) Compte tenu de la baisse de l’activité, il a été décidé par le dirigeant de suspendre le règlement des loyers du matériel loué par la société la clé du soleil dont M. [H] est associé ».
Cette économie de loyer de 24’000 euros relevée à la clôture du bilan de la société SL Sport arrêté au 30 septembre 2012 se rapportent donc à 10 mois de loyers échus entre décembre 2011 et septembre 2012, ce qui explique la mise en sommeil de la société La Clé du soleil à compter de décembre 2011.
A cette époque, M. [H] était gérant associé de sorte que la décision visant à permettre à la société SL Sport de suspendre le paiement des loyers pendant toute la durée de l’exécution du plan relevait d’une convention règlementée impliquant le respect des dispositions de l’article L.223-19 et à l’approbation a posteriori de son associé, ce dont il s’est abstenu.
Il convient de retenir cette faute.
Il est établi ensuite que M. [H] a signé ès qualités de gérant de la société La Clé du soleil avec la société SL Sport, un protocole d’accord transactionnel en date du 2 et 12 juin 2017, par lequel la première a revendu à la seconde la machine à affûter les skis au prix de 3600 euros, cette dernière s’engageant en outre au versement de la somme de 10 000 euros pour solde de tout compte, la société La Clé du soleil déclarant en contrepartie, ses créances éteintes et renonçant à toutes actions.
Lors de l’assemblée générale tenu le 27 juin 2018, M. [H] a soumis cette convention à l’approbation de son associée de sorte que cette dernière ne peut soutenir une faute consistant dans la violation des dispositions légales précitées sauf à rappeler qu’une convention non approuvée produit effet à l’égard des tiers à charge pour le gérant de supporter individuellement et solidairement les conséquences préjudiciable à la société.
Or, Mme [T] n’a pas approuvé cette convention de sorte qu’il convient d’apprécier ses demandes au regard des préjudices subis par la société La Clé du soleil étant constant qu’en cas de violation des formalités applicables aux conventions règlementées, le gérant ne doit répondre que des conséquences du contrat préjudiciables à la société.
Sur les préjudices :
Il est indiscutable que la décision d’autoriser la suspension des loyers de 2011 à 2014 est à l’origine d’un manque à gagner subi par la société La Clé du soleil qui s’est vue privée du seul chiffre d’affaire auquel elle pouvait prétendre et la dette correspondante a ensuite pour majeure partie, été effacée dans le cadre du protocole transactionnel de juin 2017, alors même que la débitrice était revenue in bonis.
Mme [T] chiffre le préjudice subi d’une part à la somme de 114 816 euros (loyers de 2011 à 2014) et d’autre part à la somme de 28 800 euros correspondant à une année de loyers perdus du fait de la décision de vendre la machine à vil prix.
Si la possibilité d’une location d’une année supplémentaire n’est pas établie compte tenu de l’usure de la machine dénoncée par la locataire depuis 2016 (cf réquisitoire de non lieu), il reste que la société La Clé du soleil a effectivement subi un manque à gagner entre 2011 et 2014 sans que l’objectif poursuivi (permettre à la SARL SL Sport d’exécuter son plan de sauvegarde) ne soit exonératoire de la responsabilité de M. [H] qui a ainsi priviligié une société au détriment d’une autre. L’éventuelle résolution du plan de sauvegarde ouvert au bénéfice de la société SL Sport aurait donné lieu à nouvelle procédure collective et permis à la société La Clé du soleil de récupérer son matériel si la location n’avait pas pu être poursuivie, aux fins de revente ou de nouvelle location.
Le préjudice de la société La Clé du soleil sera donc évalué à 104 816 euros déduction faite de la somme de 10 000 euros déjà obtenue, Mme [T] étant déboutée de sa demande en paiement de la somme complémentaire de 28 800 euros, en l’absence de préjudice établi.
Sur la révocation de M. [H] et la dissolution de la la SARL La Clé du soleil :
Le tribunal de commerce a à juste tire prononcé la révocation de M.[H] en sa qualité de gérant qui se justifie par le fait que ce dernier a privilégié les intérêts d’une société tiers à l’insu de son associée dans la société ainsi appauvrie.
Par ailleurs, l’article 1844’7 5° du code civil prévoit que la société prend fin par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d’un associé ou de mésentente entre associés et paralysant le fonctionnement de la société.
Il est indiscutable que l’affectio societatis entendu comme la volonté de continuer à collaborer à une ‘uvre commune a disparu en l’espèce d’autant que les deux associés se sont opposés dans le cadre de plusieurs procédures pénales initiées tantôt par l’une, tantôt par l’autre. Cette mésintelligence qui peut s’expliquer par l’incompatibilité d’humeur ayant amené les deux concubins à se séparer, se traduit par la trop grande difficulté voire l’impossibilité à continuer et à diversifier l’activité de la vie sociale puisque que le seul actif frappé d’obsolescence a été vendu.
Ce blocage dans le fonctionnement de la société a ainsi suscité de la part de Mme [T] une demande de désignation d’administrateur provisoire tenant la défiance qu’elle voue désormais à M. [H].
Il convient en conséquence de réformer la décision de première instance et de prononcer la dissolution judiciaire de la société avec désignation d’un tiers en qualité de liquidateur pour y procéder après avoir recouvré auprès de M. [H] les sommes dues à celle-ci en vertu de la présente décision.
Sur la demande en dommages-intérêts présentée par M. [H] pour procédure abusive, sur les frais et les dépens :
M. [H] qui succombe au principal sera débouté de sa demande en dommages intérêts puisque l’action ut singuli engagée par Mme [T] est partiellement fondée. Il supportera les dépens et devra payer à celle-ci une somme de 4000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire,
Réforme le jugement du tribunal de commerce de Montpellier en date du 27 janvier 2020 en ce qu’il a :
-débouté Mme [T] de ses demandes en paiement au titre de l’action ut singuli
– débouté M.[H] de sa demande de dissolution anticipée de la SARL La Clé du soleil et désigné M.[X] [F] en qualité d’administrateur provisoire,
Statuant à nouveau de ces chefs,
Rejette la fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action ut singuli introduite par Mme [T],
Condamne [V] [H] à payer à la SARL La Clé du soleil la somme de 104 816 euros avec intérêts au taux légal à compter du 5 mars 2018,
Ordonne la dissolution de la SARL La Clé du soleil RCS de Montpellier n° 445 000 235 sise [Adresse 1],
Nomme en qualité de liquidateur la Selarl Etude Balincourt prise en la personne de M. [R] [J], [Adresse 9] pour une durée de 3 ans à compter du présent arrêt, laquelle aura les pouvoirs les plus étendus pour représenter la SARL La Clé du soleil et prendre les décisions qu’elle juge nécessaire :
et avec notamment pour mission :
– recouvrer auprès de M. [H] la somme due en vertu du présent arrêt,
– continuer les affaires en cours et engager de nouvelles pour les besoins de la liquidation exclusivement,
– établir à la clôture de chaque exercice des comptes annuels au vu de l’inventaire des différents éléments de l’actif et du passif existant à cette date, un rapport écrit par lequel elle rendra compte des opérations de liquidation au cours de l’exercice écoulé,
– de réunir les associés en assemblée générale ordinaire au moins une fois par an dans les six mois de la clôture de l’exercice, en vue de statuer sur les comptes annuels et de les convoquer en assemblée générale ordinaire en vue de statuer sur le compte définitif de liquidation et de constater la clôture de la liquidation,
– de procéder aux opérations de liquidation en réalisant les actifs, et en réglant le passif éventuel,
– de distribuer le boni de liquidation éventuel aux associés au prorata de leurs droits,
– de procéder aux formalités légales,
Dit que les honoraires du liquidateur seront supportés par la SARL La Clé du soleil,
Dit qu’une copie du présent arrêt sera envoyé par le greffe à la Selarl Etude Balincourt prise en la personne de Me Guillaume Larcena,
Confirme le jugement en ce qu’il a ordonné la révocation de M. [H] de ses fonctions de gérant,
Déboute M. [H] de sa demande en dommages-intérêts,
Dit que M. [H] supportera les dépens de première instance et d’appel et payera à Mme [T] une somme de 4000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
le greffier, le président,