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15 octobre 2015
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
14/06151
COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE
8e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 15 OCTOBRE 2015
N° 2015/ 412
Rôle N° 14/06151
S.A.S. CIMAT
C/
S.A ENTREPRISE C MONTESSUIT ET FILS
SA GAN ASSURANCES IARD
Grosse délivrée
le :
à :
– Me Corine SIMONI, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
– Me Paul GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
– Me Pierre LIBERAS, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de SALON-DE-PROVENCE en date du 20 Juillet 2007 enregistré au répertoire général sous le n° 05/4675.
APPELANTE
S.A.S. CIMAT,
dont le siège social est [Adresse 3]
représentée par Me Corine SIMONI, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,
assisté de Me Patrick CAGNOL, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Julien FLANDIN, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMÉES
S.A ENTREPRISE C MONTESSUIT ET FILS,
dont le siège social est [Adresse 1]
représentée par Me Paul GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,
assisté de Me Jean-Luc FAVRE, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS
SA GAN ASSURANCES IARD,
dont le siège social est [Adresse 2]
représentée par Me Pierre LIBERAS, avocat au barreau de MARSEILLE
assisté de Me Bernard LAURE, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Marina LAURE, avocat au barreau de MARSEILLE,
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 09 Septembre 2015 en audience publique. Conformément à l’article 785 du Code de Procédure Civile, Madame Anne CHALBOS, Conseiller, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Yves ROUSSEL, Président
Madame Catherine DURAND, Conseiller
Madame Anne CHALBOS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Lydie BERENGUIER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 Octobre 2015
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 Octobre 2015,
Signé par Monsieur Yves ROUSSEL, Président et Madame Lydie BERENGUIER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
La société Montessuit et fils, entreprise générale du bâtiment, en charge de la construction d’une maison de retraite à [Localité 2], a loué auprès de la société CIMAT, à compter du 28 juin 2004,une grue mobile avec chauffeur, destinée au montage de sa propre grue à tour.
Les opérations de levage et manutention se sont déroulées sans difficulté pendant la journée du 28 juin mais dans l’après-midi du 29 juin, la grue mobile de la société CIMAT s’est renversée sur son côté droit lors du montage de la flèche de la grue à tour, d’une longueur de 50 mètres et d’un poids de 10,5 tonnes, le stabilisateur avant droit du camion grue s’étant enfoncé dans le sol.
L’accident a occasionné un léger dommage corporel au chauffeur et d’importants dommages matériels.
Les sociétés CIMAT et Montessuit et fils se sont rejeté mutuellement la responsabilité de cet accident, la première arguant des conditions générales de location et de la mauvaise qualité du sol dont elle n’aurait pas été avertie, la seconde invoquant la faute du chauffeur de l’entreprise CIMAT et la défectuosité de la grue mobile tant au niveau des stabilisateurs que du système de contrôle des charges.
Par acte en date du 31 mai 2005, la société CIMAT a fait assigner la société Montessuit et fils devant le tribunal de commerce de Salon-de-Provence, en paiement de la somme de 332400 € et 25000 € de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices matériels.
La société Montessuit et fils a appelé en cause la SA Gan assurances, assureur de la CIMAT, et soulevé l’incompétence du tribunal de commerce de Salon-de-Provence au profit du tribunal de commerce d’Annecy.
Par jugement du 17 février 2006, le tribunal de commerce de Salon-de-Provence a accueilli l’exception d’incompétence.
Sur contredit élevé par la société CIMAT, la cour de céans a déclaré le tribunal de commerce de Salon-de-Provence compétent.
Le pourvoi formé par la société Montessuit et fils contre cette décision a été déclaré non admis par arrêt de la cour de cassation du 12 février 2008.
Parallèlement la société Montessuit et fils a déposé plainte devant le doyen des juges d’instruction d’Annecy contre la société CIMAT des chefs de mise en danger d’autrui et tentative d’escroquerie.
Les parties ayant été invitées à poursuivre l’instance devant le tribunal de commerce de Salon-de-Provence, ce tribunal a par jugement du 20 juillet 2007 :
– rejeté les demandes en communication de pièces et en désignation d’expert présentée par la société Montessuit,
– rejeté la demande de sursis à statuer,
– dit qu’en application de l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 26 octobre 2006, les conditions générales de vente de la SAS CIMAT sont opposables à la société Montessuit et fils pour la location d’une grue avec chauffeur les 28 et 29 juin 2004,
– dit que l’accident a été causé par une manoeuvre du préposé de la SAS CIMAT qui a dépassé de sa propre autorité la capacité de charge de la grue,
– dit que les préjudices subis par la société CIMAT ne peuvent être mis à la charge de la société Montessuit et fils,
– dit que les préjudices subis par la société Montessuit et fils doivent être supportés par la société CIMAT sans que le tribunal soit en mesure de prononcer à ce titre une condamnation à l’encontre de la société CIMAT faute de justification de la quotité demandée,
– mis la compagnie GAN assurances hors de cause,
– rejeté toutes autres demandes des parties,
– condamné la société Montessuit et fils à payer à la société GAN assurances IARD la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société CIMAT à payer à la société Montessuit et fils la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société CIMAT aux dépens.
La société CIMAT a interjeté appel de cette décision le 12 septembre 2007.
Par arrêt en date du 18 décembre 2009, la cour de céans a :
– débouté la SA GAN assurances IARD de sa demande de réouverture des débats,
– radié l’affaire du rôle et dit qu’elle ne pourra être réenrôlée qu’à l’issue de la procédure pénale actuellement pendante devant le tribunal de grande instance d’Annecy,
– dit qu’à cette occasion la SA GAN assurances IARD devra produire le contrat d’assurance responsabilité conclu avec la SA CIMAT (conditions générales, conditions particulières et annexes s’il y a lieu).
Le 15 avril 2014, la SA CIMAT a sollicité le réenrôlement de l’affaire en produisant un arrêt rendu le 13 mars 2013 par la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Chambéry statuant comme suit :
– infirme le jugement déféré (tribunal correctionnel d’Annecy 5 juillet 2011) en toutes ses dispositions concernant la société CIMAT et statuant à nouveau,
– la renvoie des fins de la poursuite (pour mise en danger d’autrui par personne morale),
– déboute les parties civiles de leurs demandes, y ajoutant,
– rejette la demande au titre de l’article 800-2 du code de procédure pénale.
Le pourvoi formé contre cet arrêt a fait l’objet d’une décision de non-admission de la chambre criminelle de la cour de cassation en date du 21 janvier 2014.
Aux termes de ses conclusions notifiées et déposées le 25 août 2015, la société CIMAT demande à la cour, vu les articles 1134, 1147 et suivants, 1351 du code civil, 4-1 du code de procédure pénale, vu les conditions générales de location formant la loi entre les parties, de :
– infirmer le jugement du tribunal de commerce de Salon-de-Provence en ce qu’il a retenu la faute lourde de la SAS CIMAT, en ce qu’il a débouté la SAS CIMAT de ses demandes et l’a condamnée reconventionnellement, statuant à nouveau,
– condamner la SA Montessuit et fils à payer à la SAS CIMAT les sommes de 270200 € HT à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 17 mai 2005 et 200000 € en réparation du préjudice d’immobilisation, subsidiairement sur ce dernier chef de préjudice, la somme de 1890 € HT par mois du 1er juillet 2004 jusqu’à la date de prise en charge effective du préjudice matériel,
– en tout état de cause, débouter la SA Montessuit et fils de toutes ses demandes reconventionnelles,
– condamner la SA Montessuit et fils à payer à la SAS CIMAT une somme de 15000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens d’instance distraits au profit de Maître Simoni.
Par conclusions déposées et notifiées le 4 septembre 2015, la société Montessuit et fils demande à la cour, sur le fondement des articles 1134, 1147, 1334 alinéa 5, 1719 et 1721 du code civil, de :
– dire que les demandes de la société CIMAT sont irrecevables,
– débouter la société CIMAT de son appel,
– confirmer partiellement le jugement du tribunal de commerce de Salon-de-Provence,
– dire que la société CIMAT s’est rendue coupable de fautes lourdes et dolosives dans la mise à disposition du matériel loué et la mise à disposition d’un chauffeur inexpérimenté, dire en outre qu’elle a commis des fautes lourdes dans l’exécution du contrat, dire que ces fautes exonèrent la société Montessuit de toute responsabilité contractuelle et que la société CIMAT doit garantie à la société Montessuit des préjudices qu’elle a subis,
– la condamner au paiement des sommes de :
– 107836,87 € pour les préjudices matériels et financiers,
– 28624,80 € au titre des frais engagés pour la défense de ses intérêts,
– 42841 € pour la gestion des dossiers contentieux,
– 50000 € au titre de son préjudice moral,
– condamner la compagnie GAN à garantir la société CIMAT des condamnations prononcées à son encontre,
– la condamner à la somme de 20000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel, ces derniers distraits au profit de la SCP Cohen Guedj Montero Daval-Guedj,
– subsidiairement, désigner tout expert avec la mission ci-après :
– prendre connaissance de l’intégralité des pièces comprenant les rapports techniques, les
rapports de l’Inspection du Travail, les photographies, la procédure pénale etc,
– convoquer les parties et leur conseil, les entendre ainsi que toute personne qu’il jugerait
utile,
– prendre tout sapiteur pour les spécialités ne relevant pas de la sienne,
– donner son avis sur l’état du véhicule Grove au moment de la location le 28 juin 2004 au regard notamment des documents techniques que doit détenir la société CIMAT,
– donner son avis sur les causes ayant conduit au renversement du camion grue “Grove”,
– donner son avis sur le lien entre l’accident survenu le 29 juin 2004, l’état du matériel, la conduite du chauffeur et l’état du sol,
– donner son avis sur les man’uvres entreprises par le chauffeur [S] au regard de
l`état de ce matériel, de sa capacité et de l’aptitude du chauffeur à opérer cette man’uvre,
– donner son avis sur les causes de cet accident,
– donner son avis sur les préjudices allégués par les parties,
– déposer un pré-rapport en demandant aux parties et leur Conseil de faire leurs observations sous forme de dire,
– fixer la provision de l’Expert à la charge égale des parties dans la cause,
– dire que les frais de provisions seront avancés à concurrence d’un tiers par les parties en
cause.
Par conclusions déposées et notifiées le 7 août 2015, la compagnie GAN assurances demande à la cour :
– à titre principal, de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a prononcé sa mise hors de cause et condamné la société Montessuit à lui verser la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– à titre subsidiaire, de réformer le jugement rendu en ce qu’il a écarté l’application des clauses exonératoires de responsabilité au profit de la société CIMAT en retenant l’existence d’une faute lourde de la société CIMAT,
– plus subsidiairement, de :
– dire et juger que les dommages causés aux objets levés et/ou manutentionnés sont exclus de la garantie souscrite par la société CIMAT,
– débouter la société Montessuit de sa demande formulée à cet égard à l’encontre de la compagnie GAN assurances à hauteur de 29564 €,
– dire et juger que le surplus des demandes indemnitaires formées par la société Montessuit est injustifié,
– par conséquent, débouter la société Montessuit de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l’encontre de la compagnie GAN assurances,
– condamner celui ou celle contre qui l’action compétera le mieux à une somme de 3000€ sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d’appel,
– condamner celui ou celle contre qui l’action compétera le mieux en tous les dépens, ceux d’appel distraits au profit de la SCP Liberas Buvat Michotey,
– encore plus subsidiairement, si la cour venait à condamner la compagnie GAN assurances à relever et garantir la société CIMAT des condamnations éventuellement prononcées à son encontre, il conviendrait de dire et juger qu’il y a lieu de déduire de cette condamnation le montant de la franchise applicable selon les dispositions du contrat d’assurance.
La procédure a été clôturée le 9 septembre 2015.
MOTIFS :
Sur la fin de non-recevoir soulevée par la société Montessuit :
La société Montessuit soutient que la société CIMAT aurait commis une tentative de fraude à son encontre, en affirmant tant en première instance que devant le juge d’instruction, que la camion grue accidenté avait été détruit en épave, alors que selon les renseignements obtenus auprès de la sous-préfecture, la société CIMAT a vendu le matériel en 2005 à sa société mère Foselev, qui a fait circuler l’engin jusqu’à son exportation au Gabon en 2008.
Elle oppose en conséquence une fin de non-recevoir pour défaut de qualité à agir, en application du principe fraus omnia corrumpit.
La société CIMAT fonde ses demandes indemnitaires sur le rapport établi le 22 juillet 2004 par Monsieur [B] [Z] du cabinet GMC mandaté par son assureur, qui estime que le coût des réparations est supérieur à la valeur vénale de la grue et chiffre cette dernière valeur à la somme de 340000 € HT, dont à déduire la valeur de l’épave estimée à 7600 €.
Devant la cour, la société CIMAT, précise que dans l’année suivant le sinistre, elle est parvenue à vendre l’engin en pièces détachées, en cédant le 8 avril 2005 le châssis à la société Foselev qui a remonté le véhicule avec des pièces provenant d’une autre grue et l’a remis en circulation, puis le 18 juillet 2005 d’autres pièces à une société HF Bieling BV. Elle réduit d’autant le montant de sa réclamation au titre du préjudice matériel.
Le fait d’avoir formulé dans un premier temps sa demande indemnitaire sur le seul rapport de l’expert de l’assurance, et indiqué que le véhicule était classé en épave sans mentionner qu’elle avait pu céder certains éléments de ce véhicule, dont le châssis remis en circulation, révèle un manque de rigueur et de transparence dans la justification du préjudice allégué, sans pour autant caractériser un comportement frauduleux de nature à la priver du droit d’agir.
D’autre part, il résulte des courriers échangés entre les experts d’assurances que le camion grue accidenté est resté entreposé dans les locaux des ateliers Grove à [Localité 1] à la disposition des experts, pendant 8 mois au moins après l’accident, de sorte que l’allégation de la société Montessuit, selon laquelle la société CIMAT aurait voulu faire obstacle à toute mesure d’expertise, n’apparaît pas fondée.
La fin de non-recevoir opposée par la société Montessuit sera en conséquence rejetée.
Sur les responsabilités :
Il sera rappelé en premier lieu que le sinistre s’étant produit à l’occasion de l’exécution d’un contrat liant les parties, le principe du non cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle interdit à la société Montessuit d’invoquer les dispositions de l’article 1384 alinéa 5 du code civil, dès lors que les fautes qu’elle reproche au conducteur mis à disposition par la société CIMAT sont en relations directes avec l’exécution du contrat.
Ainsi que l’a jugé cette cour dans un arrêt rendu le 26 octobre 2006 entre les mêmes parties, la société Montessuit, qui louait à titre habituel des engins à la société CIMAT depuis plusieurs années, ne peut valablement soutenir qu’elle ignorait les conditions générales de location de la société CIMAT qu’elle a tacitement acceptées en ne soulevant aucune réserve à la réception des bons de location signés et joints aux factures, reproduisant ces conditions générales.
Ces conditions comportent les clauses suivantes :
Le fait pour le locataire de passer un ordre au loueur implique, sauf dérogation écrite expresse et préalable, l’acceptation des conditions générales qui suivent et qui ont été portées à la connaissance du locataire, son attention ayant été particulièrement attirée sur les limitations de responsabilité. (…)
Article 3 – Détermination de la période de responsabilité
1- La responsabilité du locataire commence au moment où le matériel entre dans le chantier où il doit travailler et se termine à la sortie du chantier. (…)
3- Lorsque l’utilisation du matériel s’accompagne d’une mise à disposition de personnel de conduite, de manutention ou de levage, celui-ci est placé sous la direction, le contrôle et la responsabilité du locataire.
Article 4 – Conditions d’exécution
1- Le locataire s’engage à utiliser le matériel ‘en bon père de famille’ à respecter l’usage pour lequel le matériel lui a été loué, à ne pas le faire travailler au dessus de ses capacités, et notamment au-delà des limites du tableau des charges.
Il répond des dégradations et pertes subies par le matériel pendant la location. (…)
3- Il appartient au locataire de déterminer sous sa responsabilité l’emplacement où il fera travailler le matériel loué (…).
5- Le client déclare connaître les mesures de sécurité légales et réglementaires à respecter relatives à l’usage des engins et véhicules loués.
6- Préalablement au travail, le locataire doit prendre les mesures de sécurité nécessaires dans la zone d’évolution . (…)
Article 6 – Responsabilité
Le loueur perdant l’usage, le contrôle et la direction des engins loués au profit du client, lequel aura au surplus le pouvoir de diriger l’activité des conducteurs d’engins ou de véhicules mis à sa disposition ; la garde des dits engins ou véhicules sera transférée au dit client qui sera civilement responsable des dommages qui pourraient être causés à des tiers ou à leurs biens, ou à ses propres salariés, par les engins ou véhicules loués ainsi que par leur conducteur.
Le client sera responsable des dommages causés aux objets manutentionnés.
Le fait qu’un préposé du loueur ait accepté d’exécuter un travail qui lui a été commandé par un préposé du locataire ne saurait en aucun cas engager la responsabilité du loueur.
La responsabilité de notre société ne peut être engagée hors la limite des risques couverts par nos polices d’assurance, qui ne concernent que les dommages subis par les matériels loués, et ne sauraient se substituer en rien aux assurances de responsabilité du locataire.
Par conséquent, il appartient au locataire de contracter toute assurance complémentaire, avec renonciation à tout recours pour couvrir les risques et parts de risques non couverts par nos assurances.’
La société Montessuit a ainsi fait le choix de recourir à un simple contrat de location de matériel avec conducteur, plutôt que de commander une prestation de levage et de manutention effectuée sous la responsabilité du prestataire, et donc nécessairement plus onéreuse.
Ce choix implique que le locataire se donne les moyens d’effectuer l’opération de levage et manutention sous sa seule responsabilité, en plaçant le grutier sous l’autorité d’un chef de manoeuvre qualifié, et en souscrivant une assurance spécifique.
Les clauses des conditions générales de location qui aménagent le régime légal de responsabilité en faveur du loueur ne peuvent être mises en échec qu’en cas de faute lourde de ce dernier, caractérisée par une négligence d’une extrême gravité confinant au dol, et qui ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle.
Il appartient en conséquence à la société Montessuit de rapporter la preuve d’une faute lourde de la société CIMAT.
La société CIMAT invoque pour se disculper l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt rendu le 13 mars 2013 par la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Chambery qui l’a relaxée des fins de la poursuite pour mise en danger d’autrui.
Il ressort cependant des motifs de cet arrêt que la relaxe est intervenue aux motifs :
– que l’article R4323-29 du code du travail visé en premier lieu dans la citation, qui dispose que ‘les équipements de travail démontables ou mobiles servant au levage de charges sont utilisés de manière à garantir la stabilité de l’équipement de travail durant tout son emploi dans toutes les conditions prévisibles compte tenu de la nature des appuis’, édicte une obligation générale de sécurité et non pas une obligation particulière de sécurité ou de prudence au sens de l’article 223-1 du code pénal, de sorte que le délit de mise en danger d’autrui ne pouvait être retenu sur ce fondement,
– que l’information n’a pas établi que la société CIMAT aurait contrevenu aux obligations de vérifications générales périodiques telles que définies par l’article R4323-22 du code du travail, visé en second lieu dans la citation.
Il en résulte que l’autorité de la chose jugée attachée à cet arrêt se limite au fait qu’il ne peut être reproché à la société CIMAT d’avoir contrevenu à son obligation de vérification générale périodique de son camion grue, un tel manquement n’étant d’ailleurs pas allégué par la société Montessuit.
La société Montessuit reproche en premier lieu à la société CIMAT d’avoir mis à sa disposition un matériel défectueux, affecté d’une panne du circuit hydraulique, qui aurait empêché le déploiement complet des stabilisateurs du côté gauche.
Il est en effet établi par les déclarations concordantes faites devant les services de gendarmerie par Monsieur [S], conducteur de la grue mobile salarié de la société CIMAT, par Monsieur [O] responsable d’agence de la société CIMAT, par Messieurs [V], [K] et [P], salariés de la société Montessuit qui participaient aux opérations de levage, que dès le début du chantier, soit la veille de l’accident, Monsieur [S] avait signalé une panne du stabilisateur arrière gauche du camion qu’il ne parvenait pas à déployer complètement, de sorte qu’il avait installé le camion grue en ‘demi-calage’.
Monsieur [S] précise qu’il avait signalé cette panne à Monsieur [O] qui lui avait affirmé qu’il pouvait continuer à travailler en attendant la venue du mécanicien.
Le non déploiement complet des stabilisateurs du côté gauche n’empêche pas l’utilisation du matériel, la société Montessuit rappelant d’ailleurs dans ses écritures que les opérations de levage et manutention s’étaient déroulées sans difficulté la veille de l’accident, mais il a pour effet de réduire le polygone de sustentation de la grue mobile et de limiter les manoeuvres sur un côté.
Il résulte ainsi d’un courrier du 23 mars 2011 de Monsieur [H], directeur Crane Care France, représentant du constructeur du matériel, apportant des précisions au manuel d’exploitation de la grue Grove GMK 4080, que si un ou deux des stabilisateurs du côté gauche sont en demi-calage, les capacités de levage restent identiques sur le secteur droit de la grue.
En l’état des obligations contractuelles respectives des parties, la mise à disposition par la société CIMAT d’un matériel affecté d’un dysfonctionnement limitant ses capacités ne saurait caractériser une faute lourde confinant au dol, dès lors que malgré le caractère apparent du dysfonctionnement, que les salariés de la société Montessuit, dont Monsieur [V], chef de manoeuvre, déclarent avoir constaté dès le début du chantier la veille de l’accident, la société Montessuit a poursuivi son utilisation du matériel sans adresser à la société CIMAT la moindre demande de réparation ou de remplacement du camion grue.
La société Montessuit reproche ensuite à la société CIMAT de ne pas avoir fourni à son chauffeur des plaques de répartition adaptées pour le calage des patins des stabilisateurs, le chauffeur ayant simplement disposé sous chaque patin trois traverses de bois en une seule couche.
Elle se fonde notamment sur l’avis de l’expert [J], mandaté par elle dans le cadre de la présente instance, qui considère qu’à défaut de plaques de répartition spécifiques, le chauffeur aurait dû disposer chaque patin deux couches de pièces de bois croisées.
Cet expert ne cite cependant aucune norme réglementaire ou professionnelle en la matière à l’appui de cette appréciation.
Selon les termes du courrier de Monsieur [H], directeur Crane Care France, représentant du constructeur du matériel, il n’existe aucune réglementation en la matière mais de simples recommandations, qui dépendent principalement de la résistance du sol.
Le procès-verbal établi le 30 juin 2004 par le contrôleur du travail après enquête sur les lieux mentionne seulement ‘qu’il est vivement recommandé de croiser les traverses sur deux rangs pour obtenir une meilleure répartition de la charge’.
En l’absence de réglementation précise, l’absence de fourniture de plaques de répartition spécifiques et le calage effectué par Monsieur [S] au moyen de trois pièces de bois juxtaposées formant une plaque de 100 x 66 cm, ne caractérisent pas une faute lourde de la société CIMAT, d’autant que ce calage a été effectué au vu de la société Montessuit, sous la responsabilité de laquelle la grue devait être utilisée, et qui n’a formulé aucune réserve sur ce point alors qu’elle était seule à même de connaître la résistance du sol.
La société Montessuit reproche d’autre part à la société CIMAT les manoeuvres hasardeuses effectuées par Monsieur [S], conducteur de la grue, à l’origine de l’accident.
Elle prétend que du fait de l’impossibilité d’exploiter normalement les capacités de la grue du côté gauche en raison du déploiement insuffisant des stabilisateurs, Monsieur [S], plutôt que de déplacer le camion grue pour l’éloigner de la grue à tour et l’installer dans une position lui permettant de travailler du côté droit, a effectué les manoeuvres suivantes :
– Monsieur [S] a amené la flèche sur le côté droit du camion en passant au dessus du sommet de la grue à tour.
– Cette manoeuvre a eu pour effet de placer le pied de flèche, qui est le point de fixation de la flèche sur la grue à tour, à l’opposé de cette dernière.
– Pour pouvoir présenter la flèche du bon côté, Monsieur [S] a tenté de la faire pivoter sur son point d’accrochage, ce qui nécessitait d’éloigner la charge du mât de la grue mobile de près de 20 mètres, alors que le déport maximum autorisé pour une charge de 10,5 tonnes était de 14,5 mètres, cette surcharge étant à l’origine du basculement de la grue.
Cette version des faits est corroborée par les déclarations concordantes de Messieurs [V], [K] et [P], salariés de la société Montessuit qui participaient à l’opération, entendus sur commission rogatoire du juge d’instruction d’Annecy saisi de la plainte avec constitution de partie civile de la société Montessuit.
Monsieur [S], également entendu sur commission rogatoire, ne confirme pas avoir tenté de faire pivoter la flèche et avoir placé la grue mobile en situation de surcharge mais reconnaît avoir été empêché de poursuivre ses manoeuvres sur le côté du patin en panne, l’ordinateur de bord lui signalant l’impossibilité de la manoeuvre, et avoir effectué une rotation pour travailler sur les patins complètement sortis. Il prétend avoir alors senti le camion qui basculait et vu le patin droit s’enfoncer dans le sol. Il affirme que le renversement de la grue est dû à la mauvaise qualité du sol.
À supposer que la manoeuvre du chauffeur ait été inadaptée et périlleuse, il y a lieu de rappeler qu’aux termes du contrat de location, le chauffeur se trouvait sous l’autorité de l’entreprise locataire qui devait elle-même diriger les opérations de manutention et levage.
Comme l’ont relevé les premiers juges sans toutefois en tirer les conclusions qui s’imposaient, il appartenait à la société Montessuit de désigner un chef de manoeuvre ayant les compétences et l’autorité nécessaires pour diriger les opérations, et pour ordonner au préposé de la société CIMAT de modifier, le cas échéant, le positionnement de la grue.
Si comme l’affirment les salariés de la société Montessuit, Monsieur [S] a effectué ses manoeuvres sans déplacer le camion grue malgré leurs recommandations et avertissements, le chef de manoeuvre aurait dû arrêter l’opération et non pas, comme en l’espèce, la poursuivre en se rangeant à l’avis du grutier.
L’inadéquation des manoeuvres effectuées par le conducteur placé sous la direction de l’entreprise Montessuit ne peut donc constituer une faute lourde imputable à la société CIMAT.
La société Montessuit reproche encore à la société CIMAT le dysfonctionnement ou la désactivation du contrôleur d’état de charges (CEC), système de sécurité équipant le véhicule et se déclenchant en cas de dépassement de la capacité de levage.
Il n’existe cependant aucune preuve du dysfonctionnement ou de la mise hors circuit de ce dispositif, dont le bon fonctionnement avait été constaté lors de la dernière vérification semestrielle obligatoire.
Monsieur [S] affirme au contraire dans sa déclaration aux services de gendarmerie que le système était en fonctionnement et l’avait empêché de poursuivre ses manoeuvres du côté gauche du camion.
Le fait que les salariés de la société Montessuit affirment ne pas avoir entendu l’alarme du CEC peut notamment s’expliquer par le fait que le dispositif n’était pas équipé d’un avertisseur sonore extérieur, ainsi que le relève l’expert mandaté par la société Montessuit, ou encore par le fait que la grue n’avait pas dépassé sa capacité de charge et a basculé en raison d’un résistance insuffisante du sol sous le patin droit, comme l’affirment la société CIMAT et son chauffeur.
Ce grief doit en conséquence être écarté en ce qu’il n’est fondé que sur une supposition.
La société Montessuit reproche enfin à la société CIMAT d’avoir mis à sa disposition un chauffeur insuffisamment compétent et qualifié.
Il résulte cependant des pièces versées aux débats que Monsieur [S] était titulaire du certificat d’aptitude à la conduite en sécurité des grues mobiles depuis le 3 février 2004 soit près de 5 mois avant l’accident, ce qui le rendait apte à remplir la mission à laquelle il était affecté.
La société Montessuit, qui seule connaissait l’utilisation qu’elle entendait faire du matériel loué, ne justifie ni même n’allègue avoir attiré l’attention de la société CIMAT sur une particulière difficulté d’exécution de l’opération envisagée, nécessitant la mise à disposition d’un conducteur très expérimenté.
Aucune faute ne peut donc être reprochée à la société CIMAT sur ce point.
La responsabilité de la société CIMAT doit donc être écartée en l’absence de démonstration de ce que cette société aurait commis une faute lourde confinant au dol, sans qu’il soit nécessaire de rechercher si l’accident est dû ou non à la mauvaise qualité du sol, ou de recourir à une mesure d’expertise.
La société Montessuit sera en conséquence déboutée de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de la société CIMAT et de la compagnie GAN assurances.
La société Montessuit est en revanche tenue, en application du contrat de location, à l’indemnisation du préjudice résultant des dommages causés au camion grue de la société CIMAT.
Sur le préjudice de la société CIMAT :
La société CIMAT fonde sa réclamation sur le rapport établi le 22 juillet 2004 par le cabinet GMC mandaté par son assureur, après examen contradictoire du véhicule accidenté en présence de l’expert mandaté par l’assureur adverse, qui estime que le coût des réparations est supérieur à la valeur vénale du camion grue et chiffre cette valeur à la somme de 340000 € calculée en tenant compte du fait que le véhicule avait été mis en service en 1997 et que la valeur à neuf était de 530000 €, en précisant qu’une grue identique avait été vendue par la société Foselev pour un prix de 316332 €.
Il résulte des courriers échangés entre les experts d’assurances dans les mois suivant le sinistre que cette valeur était contestée par l’expert de l’assureur adverse qui proposait une valeur de marché de 150000 € selon la cotation FNTP.
Selon l’expert [J], mandaté par la société Montessuit dans le cadre de la présente instance, qui n’a pas procédé à l’examen du véhicule , la valeur vénale de la grue ne saurait être supérieure à 50% de sa valeur à neuf soit 510000 x 50% = 255000 €, ramenée à 240000 € compte tenu des anomalies hydrauliques dont souffrait la grue.
La cour dispose des éléments suffisants pour fixer la valeur vénale de la grue à la somme de 290000 €, en tenant compte d’un coefficient de vétusté de 45% appliqué sur la valeur à neuf de 530000 €, et de l’existence d’une panne du circuit hydraulique.
Il y a lieu de déduire de cette valeur vénale le prix de vente du châssis à la société Foselev soit 59800 € selon facture du 8 avril 2005 et le prix de vente de la cabine, du moteur tourelle et d’un lot de pièces à la société HF Bieling BV au prix de 10000 € selon facture du 18 juillet 2005, la cour considérant ces factures comme suffisamment probantes.
Le profit éventuellement tiré par la société Foselev de l’exploitation et de la revente du véhicule recyclé est sans incidence sur le préjudice de sa filiale la société CIMAT, personne morale juridiquement distincte.
Il sera alloué à la société CIMAT une somme de 220200 € en réparation du dommage résultant de la détérioration du véhicule.
La société CIMAT sollicite d’autre part l’indemnisation d’un préjudice d’immobilisation, exposant avoir été contrainte de louer un engin identique pour un prix de 25000 € par mois, avant d’acquérir un matériel de remplacement livré le 24 février 2005.
Elle demande ainsi à titre principale une somme de 200000 € correspondant au coût de la location d’une grue pendant 8 mois.
La société CIMAT qui ne produit aucune facture de location justifiant avoir effectivement loué un engin identique, sera débouté de ce chef de demande.
Elle sollicite subsidiairement l’allocation d’une somme de 1890 € par mois correspondant à la perte de marge brute, estimée à 15% du chiffre d’affaire réalisé grâce à la location de l’engin, calculé sur le tarif de location horaire de la CIMAT soit 168 €, sur la base d’un coefficient d’occupation usuel pour ce type d’engin de 50%.
Ce calcul, effectué par l’expert mandaté par la société Montessuit, n’est pas contesté par la société CIMAT et sera entériné.
Cette indemnisation sera limitée sur une période de 8 mois de la date du sinistre à la date d’acquisition par la société CIMAT d’un véhicule de remplacement, de sorte qu’il sera alloué à ce titre une somme de 15120 €.
Les sommes ainsi allouées porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt conformément aux dispositions de l’article 1153-1 du code civil.
La société Montessuit, partie succombante, sera condamnée aux dépens ainsi qu’à payer à chacune des autres parties une indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile comme il sera dit au dispositif.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement,
Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société Montessuit et fils,
Confirme le jugement déféré en ce qu’il a dit que les conditions générales de location de la société CIMAT sont opposables à la société Montessuit et fils et en ce qu’il a prononcé la mise hors de cause de la compagnie GAN assurances,
Infirme le jugement pour le surplus et statuant à nouveau,
Déboute la société Montessuit et fils de l’ensemble de ses demandes,
Dit qu’en application du contrat liant les parties, la société Montessuit et fils est tenue à l’indemnisation du préjudice subi par la société CIMAT du fait des dommages causés à son camion grue le 29 juin 2004,
Condamne la société Montessuit et fils à payer à la société CIMAT :
– la somme de 220200 € en réparation du dommage résultant de la détérioration du véhicule,
– la somme de 15120 € en réparation du préjudice d’immobilisation,
Dit que les sommes ainsi allouées porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Condamne la société Montessuit et fils à payer, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile :
– à la compagnie GAN assurances la somme de 2000 €,
– à la société CIMAT la somme de 4000 €,
Condamne la société Montessuit et fils au entiers dépens, ceux d’appel étant recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT