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14 janvier 2021
Cour d’appel de Lyon
RG n°
19/00234
AFFAIRE PRUD’HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 19/00234 – N° Portalis DBVX-V-B7D-MEF3
[P]
C/
SAS AUCHAN HYPERMARCHE
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de SAINT ETIENNE
du 18 Décembre 2018
RG : F17/00061
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE C
ARRÊT DU 14 JANVIER 2021
APPELANT :
[M] [P]
[Adresse 5]
[Localité 2]
représenté par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON ayant pour avocat plaidant Me Filomène FERNANDES de la SAS FILOMENE FERNANDES, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
INTIMÉE :
SAS AUCHAN HYPERMARCHE
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Me Valéry ABDOU de la SELARL ABDOU ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON substituée par Me Grégory MAZILLE, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 13 Novembre 2020
Présidée par Joëlle DOAT, Président magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Elsa SANCHEZ, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
– Joëlle DOAT, président
– Laurence BERTHIER, conseiller
– Bénédicte LECHARNY, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 14 Janvier 2021 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Président et par Elsa SANCHEZ, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
Selon le certificat de travail délivré le 18 janvier 2017, Monsieur [M] [P] a été embauché par la société AUCHAN le 12 novembre 1986, en qualité d’employé.
A compter du 1er décembre 2001, Monsieur [P] a occupé un poste de second de rayon relevant du statut d’agent de maîtrise, puis à compter du 1er avril 2004 un poste de second de rayon multimédias.
La convention collective applicable est la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.
Le 19 décembre 2016, Monsieur [P] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 27 décembre 2016, et une mise à pied conservatoire lui a été notifiée.
Le 2 janvier 2017, la société AUCHAN a prononcé le licenciement pour faute grave de Monsieur [P].
Par courrier recommandé daté du 11 janvier 2017, Monsieur [P] a contesté cette mesure de licenciement.
Par requête en date du 17 février 2017, Monsieur [P] a saisi le conseil de prud’hommes de SAINT-ETIENNE en lui demandant de requalifier son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et de condamner la société AUCHAN à lui verser diverses sommes à titre de rappel de salaires sur la mise à pied conservatoire et congés payés afférents, indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, indemnité de licenciement et dommages et intérêtspour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Un procès-verbal de partage de voix a été dressé le 12 juillet 2018.
Par jugement en date du 18 décembre 2018, le conseil de prud’hommes de SAINT-ETIENNE, en sa formation de départage, a :
– constaté que les faits fautifs ayant motivé le licenciement de Monsieur [P] ne sont pas prescrits.
– débouté Monsieur [M] [P] de l’ensemble de ses demandes.
– laissé à chacune des parties la charge de ses dépens.
Monsieur [P] a interjeté appel de ce jugement, le 11 janvier 2019.
Monsieur [M] [P] demande à la cour :
– de dire que son licenciement n’est pas fondé et de le juger sans cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
– de condamner la société AUCHAN à lui verser les sommes suivantes :
1.164,24 euros à titre de rappel de salaires sur mise à pied conservatoire, et 116,42 euros de congés payés y afférents,
4.901,91 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 490,19 euros de congés payés y afférents,
21.309,73 euros à titre d’indemnité de licenciement,
75.000,00 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– de condamner la société AUCHAN à remettre une attestation Pôle Emploi conforme au ‘jugement’ à venir et ce sous astreinte de 50 euros/ jour de retard,
– de condamner la société AUCHAN à remettre un certificat de travail et ce sous astreinte de 50 euros / jour de retard,
– de condamner la société AUCHAN à lui verser la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Il soutient :
– que les faits qui lui sont reprochés datent de janvier et septembre 2016, que la procédure de licenciement pour faute grave a débuté le 19 décembre 2019 par la convocation à un entretien préalable et s’est achevée le 2 janvier 2017 par la réception de la lettre de notification du licenciement, que dès lors la procédure a été engagée plus de 2 mois après les faits reprochés, par conséquent les faits sont prescrits et le licenciement est sans cause réelle et sérieuse
– que la société AUCHAN ne peut valablement affirmer qu’elle n’a pas eu connaissance des faits litigieux au moment de leur réalisation puisque comme l’atteste sa fiche de poste, il est second de rayon, qu’il réalisait ses tâches sous le contrôle d’un supérieur et que les attestations qu’il fournit démontrent qu’un second de rayon ne peut prendre ce genre de décision seul
– qu’il avait informé son employeur de sa prise d’intérêt dans la société MOB AND COM et proposé un changement de rayon comme en atteste Monsieur [A]
– que la société AUCHAN affirme faussement qu’il dirigeait une équipe de cinq personnes, alors que selon la fiche de poste, le second de rayon ne dispose d’aucun pouvoir de direction sur le personnel du rayon
– qu’il travaillait sous l’autorité d’un supérieur auquel il rendait des comptes sur tout, qu’il ne pouvait rien dissimuler, toutes les ventes et toutes les démarches étant enregistrées et comptabilisées
– que, pour démontrer sa bonne foi et rapporter la preuve que les faits reprochés s’inscrivaient dans le cadre de la procédure normale du rayon, il a demandé à la société AUCHAN de lui remettre un certain nombre de documents, à savoir le livre d’entrée et de sortie du personnel depuis le mois de janvier 2017 aux fins de démontrer que le vrai motif de son licenciement est une suppression de poste, le journal électronique de la vente pour l’année 2016, le listing des prix de vente central pour chaque opérateur de téléphonie pour l’année 2016, le listing ‘PRD’ (produits à risque de démarque) pour l’année 2016 et le listing de produits arrêtés du rayon téléphonie pour les années 2015 et 2016
– qu’il conteste le contenu des attestations adverses et a décidé de saisir le Procureur de la République à ce titre
– que ces témoignages ne sont pas valables car tous les témoins affirment ne pas être liés avec les parties et qu’il est particulièrement surpris par le contenu des témoignages et notamment sur certains détails
– que certaines ventes ont été faites alors qu’il ne se trouvait pas dans le rayon et que si les employés avaient réellement des doutes sur la légitimité des instructions données, il leur suffisait de ne pas les appliquer et d’en référer à leur supérieur hiérarchique.
La société AUCHAN demande à la cour :
à titre principal :
– de débouter Monsieur [P] de sa demande de prescription de faits fautifs,
– de débouter Monsieur [P] de sa demande de requalification du licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse
En conséquence,
– de débouter Monsieur [P] de l’ensemble des demandes indemnitaires formulées
A titre subsidiaire :
– de limiter l’indemnisation de Monsieur [P] à six mois de salaire soit 14.700 euros.
Elle soutient :
– que le 24 octobre 2016, Madame [R] a convoqué l’ensemble des conseillers commerciaux afin de connaître l’auteur d’une vente litigieuse, que certains salariés ont annoncé avoir été contraints de réaliser de telles remises sur ordres donnés par Monsieur [P], que c’est à compter de cette réunion qu’elle a commencé à faire des investigations, qu’elle a eu connaissance des faits reprochés à Monsieur [P] fin 2016, et que dès lors, la procédure de licenciement engagée le 19 décembre 2016 ne repose pas sur des faits prescrits
– que sur l’année 2016 seulement, 27 remises ont été effectuées au profit de la Société MOB AND COM, dans laquelle Monsieur [P] est associé, que ces remises représentent une somme de 2 620,05 euros, qu’elles ne lui permettaient pas de réaliser les marges escomptées et entraînaient même une perte sèche d’autant plus qu’elles ont été faites sur des téléphones ‘nus’ pour lesquels les marges réalisées par le magasin sont faibles, que dès lors elles lui ont causé une perte financière directe
– que Monsieur [P] opérait ces remises de manière indirecte par le biais de ses collaborateurs dont il était le supérieur hiérarchique, qu’il a profité de son statut de second de rayon ainsi que de sa connaissance des règles relatives aux remises, qu’il connaissait depuis 2003, afin de procéder à leur contournement
– que malgré les règles fixées par l’article 5.1 du règlement intérieur, M. [P] procédait à la vente de téléphones qui n’étaient pas en vitrine, qu’il procédait ainsi à une ‘mise de côté’ de produits qu’il avait ciblés afin que son associé puisse en bénéficier
– qu’écarter des produits à la vente pour pouvoir en bénéficier à titre personnel avec l’octroi de remises financières constitue une faute grave justifiant parfaitement un licenciement.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 13 octobre 2020.
SUR CE :
En application de l’article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement individuel doit reposer sur une cause réelle et sérieuse.
Selon l’article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
L’employeur doit fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables qu’il doit reprendre dans la lettre de licenciement prévue par l’article L1232-6 du code du travail, cette lettre fixant ainsi les limites du litige.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée du préavis.
La sanction doit être proportionnée à la faute et tenir compte du contexte dans lequel les faits ont été commis, de l’ancienneté du salarié et des conséquences des agissements incriminés.
L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
Aux termes de la lettre de licenciement du 2 janvier 2017, la société AUCHAN fait grief à M. [P] :
– d’avoir organisé au profit d’un seul client, M. [E] [J], gérant de la société Mob and Com, société de téléphonie située à [Localité 4] (42), un système de remises non autorisées sur la vente de téléphones ou packs téléphone au détriment de l’entreprise, précisant qu’elle a relevé, sur la seule année 2016, 27 téléphones concernés par des ventes avec remises alors qu’ils n’auraient pas dû en bénéficier, ces remises représentant la somme de 2.620,05 euros et ayant été vendus à un seul client, la société Mob and Co, alors que la possibilité de faire des remises sur la vente de téléphones obéit à des règles strictes que M. [P] connaissait parfaitement, que sur ces ventes, il a fait bénéficier de remises sur des téléphones ‘nus’ c’est à dire sans abonnement (6 téléphones Huawei pour exemple) qui ne bénéficiaient d’aucune promotion tract, donc injustifiées.
– d’avoir accordé des remises anormalement élevées, des remises sur des produits hors catalogue, des remises sur des produits non concernés par la dépréciation,
– d’avoir effectué des remises sur des produits qui n’étaient pas en vitrine et ne pouvaient bénéficier à aucun autre client.
– d’avoir utilisé sa fonction de second de rayon, statut agent de maîtrise en téléphonie, et de ses connaissances en la matière, pour organiser ce système de remises et en faire profiter la société Mob and Com dont le gérant est son associé, mélangeant ainsi les intérêts de son employeur et ses propres intérêts et faisant preuve de déloyauté à son égard
– d’avoir profité de son statut de second agent de maîtrise pour imposer aux conseillers commerciaux de faire ces remises au moment de l’encaissement alors même qu’ils n’étaient pas autorisés à le faire, faisant preuve de malhonnêteté auprès de ces derniers en les utilisant pour imposer ses règles et leur faire encaisser ces ventes hors cadre promotionnel, alors qu’au regard de sa fonction, il se devait d’être exemplaire.
M. [P] explique dans sa lettre de contestation du licenciement du 11 janvier 2017 qu’il n’a jamais avantagé qui que ce soit dans ses fonctions, que les produits qui ont pu faire l’objet de remises l’ont été en accord avec ses divers responsables, qu’il n’a jamais demandé à un collaborateur de procéder à une remise au moment de l’encaissement et encore moins ordonné de mettre de côté un produit, et que les produits remisés étaient à chaque fois balisés dans le rayon à la vue de tous les clients.
Pour démontrer qu’elle n’a pu avoir une connaissance exacte des faits qu’à compter du mois d’octobre 2016, la société AUCHAN produit l’attestation de Mme [R], manager commerce de l’entreprise : ‘mon contrôle d’activité a été fait le samedi 22 octobre 2016. J’ai été surprise par une remise très importante sur un téléphone. J’ai décidé de rencontrer les vendeurs le lundi 24 octobre pour savoir qui avait typé la vente. Au fur et à mesure de l’enquête, j’ai constaté l’ampleur des remises non autorisées’.
Dans ces conditions, les faits reprochés n’étaient pas prescrits lors de l’introduction de la procédure de licenciement le 19 novembre 2016, deux mois plus tard.
Selon le règlement intérieur (article 5), il est interdit aux salariés d’accorder une remise sur un article contraire aux règles de gestion ou sans avoir reçu l’accord exprès de son responsable hiérarchique et de retirer un produit de la vente pour se le réserver pour lui-même ou pour un autre collaborateur.
La société AUCHAN verse aux débats les tickets et extraits du journal électronique montrant que 26 téléphones (un téléphone supplémentaire figure semble-t-il par erreur sur la liste récapitulative des packs virgin A3 en pièce 25 de l’employeur) ont été vendus à la société Mag and Com les 6 janvier, 16 janvier, 10 février, 20 février, 26 février, 9 mars, 23 mars, 31 mars, 2 avril, 16 juillet et 14 septembre 2016 et que des remises ont été effectuées sur ces ventes représentant un total de 2.620,05 euros.
La société AUCHAN produit également à l’appui des griefs qu’elle allègue les attestations émanant de M. [C], Mme [T], M. [I] et Mme [B], salariés de l’entreprise, conseillers commerciaux, datées des 17, 22 et 23 décembre 2016.
Or, ces quatre attestations sont visées par M. [P] dans la plainte qu’il a déposée entre les mains du Procureur de la République près le tribunal de grande instance de SAINT-ETIENNE le 10 septembre 2018 contre X pour faux témoignage.
En tout état de cause, seule Mme [T] se réfère à une vente précise, celle du 16 janvier 2016 relative aux six téléphones galaxy A3 en indiquant que les produits n’étaient pas présentés en vitrine, que [M] [P] lui avait dit plus tôt dans la journée que [E] [J] allait passer récupérer les six téléphones galaxy A3 et de les lui vendre à 150 euros au lieu de 300,01 euros.
Elle atteste par ailleurs que ce n’est pas la première fois que de telles pratiques sont réalisées pour la société Mag and Com et que ce type de remises n’est faite qu’à ‘lui’, qu’elle fait des remises exceptionnelles pour la société Mag and Com quand [M] [P] le lui demande ou quand M. [J] se présente au magasin et qu’elle le fait sans se poser de question car [E] [J] est l’associé de [M] [P].
M. [C] atteste qu’à la demande de M. [P], il a eu l’occasion de faire des remises sur des ventes destinées à la société Mob and Com, qu’il sait que ces pratiques de remises ne sont pas normales et qu’il a fait confiance à son supérieur, M. [P]
M. [I] atteste qu’à plusieurs reprises et à différentes dates, il a consenti des remises sur des téléphones à un même client, M. [E] [J] de la société Mob and Com, que tout le monde connaît la règle et qu’il sait que ces produits ne peuvent bénéficier de remises, qu’il faisait des remises à la demande de M. [P] sur des produits qui n’étaient pas affichés à ce prix là en magasin, que par exemple, il lui demandait de faire 10 euros de remise sur le produit Huawei Y635 que ce geste était accordé seulement à M. [J], que certains packs orange en promotion n’étaient pas mis en rayon par M. [P] pour que M. [J] les prenne avec une remise anormale, que lorsqu’il était à la vente, aucun autre client n’a bénéficié de ce type d’avantage quel que soit le téléphone.
Mme [B] atteste que M. [P] est venu se confier, ce qu’il n’avait jamais fait auparavant et lui a dit de ne pas faire confiance à certaines personnes sur le rayon car celles-ci remontaient tout à la hiérarchie, qu’il lui a dit : ‘il n’y a pas de bon à mon nom, pas de carte de ‘SCUB’, ils n’ont rien contre moi, c’est pas moi qui ai fait les remises’.
Cependant, il résulte des témoignages de deux clients, M. [D] qui atteste qu’il a vu en vitrine un téléphone en promotion et produit la facture d’achat pour un prix de 299,99 euros au lieu de 715,98 euros, datée du 16 janvier 2016, et M. [N] qui atteste qu’il a remarqué un téléphone portable à prix démarqué et produit la facture d’achat d’un téléphone au prix de 120 euros au lieu de 582,01 euros, datée du 8 janvier 2016 que la société Mag and Com n’était pas la seule à profiter des remises litigieuses, d’autres clients ayant bénéficié de remises exceptionnelles très importantes à la même date que celle à laquelle ont été vendus les 6 packs virgin mobile samsung galaxy A3 à la société Mag and Com.
L’attestation de M. [F] selon laquelle il a travaillé à AUCHAN [Localité 1] de 2002 à 2015 pour différents prestataires intervenant dans la téléphonie mobile et internet, l’équipe de vendeurs AUCHAN et l’équipe de vendeurs externes mettaient en place régulièrement des opérations à ‘marge plus’, pour doper leurs ventes et atteindre leurs objectifs de plus en plus ambitieux, ces opérations étaient balisées en accord avec la hiérarchie de leur secteur électro-ménager et de l’opérateur subventionnant ces rabais sur le rayon et en vitrine spécifique à destination de tous les clients entrant dans le magasin AUCHAN, vient confirmer le caractère habituel de promotions et de remises accordées aux clients du magasin.
M. [A] qui a exercé la fonction de chef de rayon de septembre 2005 à août 2008 et de chef de de secteur de septembre 2010 à novembre 2014 au magasin AUCHAN [Localité 1] atteste que sous sa responsabilité, M. [P] a été un fidèle collaborateur qui a contribué aux bons résultats de son périmètre et a toujours respecté les règles et process mis en place dans la société, qu’il n’existait pas de règles strictes, que M. [P] travaillait en toute autonomie et en toute confiance dans la gestion des prix et des remises et un point était fait régulièrement afin d’échanger ensemble sur les résultats et la réalisation des objectifs. Ce témoignage ne peut être écarté au seul motif que M. [A] n’était plus présent dans le magasin en 2016.
M. [P] verse également aux débats un catalogue édité le 23 septembre 2016 montrant qu’un certain nombre de téléphones, de marque WICO ou SAMSUNG Galaxy A3, par exemple, étaient vendus avec des remises comprises entre 10 et 60 euros.
Ainsi, les témoignages des quatre salariés ne permettent pas à eux seuls de déterminer que M. [P] a appliqué des remises illicites sur les ventes visées à la lettre de licenciement, à l’insu de son employeur et en usant de son pouvoir hiérarchique sur les conseillers commerciaux de son rayon pour leur demander de pratiquer des remises injustifiées, et ils ne sont pas suffisamment précis et circonstanciés pour établir que M. [P] leur a demandé de mettre indûment de côté les produits litigieux pour les réserver à son associé.
En effet, la société AUCHAN ne justifie pas, en dépit de la demande de communication qui lui a été faite par M. [P] à cette fin, que les téléphones remisés dont elle a dressé la liste n’étaient pas en promotion, que les remises étaient anormalement élevées, qu’elles ont été faites sur des produits hors catalogue ou des produits non concernés par la dépréciation, de sorte que les remises accordées à la société Mag and Co auraient été contraires aux règles de gestion ou auraient dû faire l’objet d’un accord exprès de son supérieur hiérarchique.
Il ressort de l’attestation de M. [A], ancien chef de secteur, qu’en octobre 2011, M. [P] a informé ce dernier qu’il souhaitait s’associer à la création de l’entreprise Mob and Com, que M. [A] en a informé le comité de direction du magasin AUCHAN [Localité 1] qui n’a pas émis de contre-indication mais précisé que cela ne devait pas interférer sur son travail et son implication au quotidien et qu’il a été décidé de maintenir M. [P] au rayon communication.
La société AUCHAN avait donc eu connaissance en 2012 de la prise de participation de M. [P] dans une société ayant pour activité l’achat, vente, location de matériel multimédia et téléphonie, installation, assistance et dépannage, prise d’abonnements mobile et internet pour le compte d’opérateurs téléphoniques.
La sanction appliquée à M. [P] dont fait état la société AUCHAN, à savoir une mise à pied de trois jours le 22 novembre 2003 pour avoir accordé une remise importante sur un matériel informatique sans avoir demandé son accord écrit à son chef de rayon est très antérieure à la création de la société Mob and Com et apparaît sans rapport avec les faits ici invoqués.
M. [P] établit par ailleurs qu’avant la date à laquelle Mme [R] atteste avoir effectué son contrôle d’activité (le samedi 22 octobre 2016), le responsable des ressources humaines s’interrogeait, par courriels en date des 14 et 19 octobre 2016, sur la possibilité de le changer de rayon sans son accord.
Compte-tenu de l’ensemble de ces éléments, la société AUCHAN ne démontre pas la matérialité des faits de déloyauté et de malhonnêteté reprochés à M. [P], tels qu’ils ont été décrits dans la lettre de licenciement, le fait pour M. [P] d’avoir accordé entre janvier et septembre 2016 plusieurs remises sur des téléphones pour un total de 2.620,05 euros à la société dans laquelle il avait des intérêts économiques, intérêts dont l’employeur avait été avisé en son temps, ne pouvant être qualifié d’organisation d’un système destiné à accorder à la seule société Mob and Com des remises non autorisées et non justifiées au préjudice de son employeur.
Il convient d’infirmer le jugement et de dire que le licenciement de M. [P] est sans cause réelle et sérieuse.
Les calculs effectués par M. [P], tels que présentés dans ses conclusions n’étant pas critiqués par la société AUCHAN, cette dernière sera condamnée à payer à M. [P] les sommes suivantes :
– 1.164,24 euros au titre du rappel de salaire sur mise à pied et 116,42 euros à titre d’indemnité de congés payés afférents
– 4.901,91 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis conventionnelle de deux mois et 490,19 euros à titre d’indemnité de congés payés afférents
– 21.309,73 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement sur la base d’une ancienneté de 30 ans et un mois et d’un salaire moyen de 2.450,96 euros.
Au regard des circonstances du licenciement, de l’ancienneté de M. [P] dans l’entreprise (30 ans et 1 mois), de son âge (52 ans), du montant de son salaire (2.450,95 euros) et en l’absence de tout renseignement concernant sa situation professionnelle postérieurement à la rupture du contrat , il convient de réparer le préjudice subi par le salarié en raison de la perte de son emploi par l’allocation de la somme de 45.000 euros et de condamner la société AUCHAN à lui payer ladite somme à titre de dommages et intérêts.
En application de l’article L 1235-4 du code du travail dans sa rédaction applicable au présent litige, il convient de condamner d’office la société AUCHAN à rembourser à POLE EMPLOI les allocations de chômage qui ont été versées au salarié dans la limite de six mois d’indemnités.
Il y a lieu de condamner la société AUCHAN à remettre à M. [P] une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes au présent arrêt, sous astreinte de 50 euros par jour de retard qui commencera à courir un mois après la signification du présent arrêt et pour une durée de quatre mois.
M. [P] obtenant gain de cause en ses demandes, il convient de condamner la société AUCHAN aux dépens de première instance et d’appel et à payer à celui-ci la somme de 3.000 euros au titre de ses frais de procédure de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement :
INFIRME le jugement
STATUANT à nouveau,
DIT que le licenciement de M. [M] [P] est sans cause réelle et sérieuse
CONDAMNE la société AUCHAN à payer à M. [M] [P] les sommes suivantes :
– 1.164,24 euros au titre du rappel de salaire sur mise à pied et 116,42 euros à titre d’indemnité de congés payés afférents
– 4.901,91 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis conventionnelle et 490,19 euros à titre d’indemnité de congés payés afférents
– 21.309,73 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement
– 45.000 euros à titre de dommages et intérêts
CONDAMNE d’office la société AUCHAN à rembourser à POLE EMPLOI les allocations de chômage qui ont été versées au salarié dans la limite de six mois d’indemnités
CONDAMNE la société AUCHAN à remettre à M. [P] une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail conformes au présent arrêt, sous astreinte de 50 euros par jour de retard qui commencera à courir un mois après la signifcation du présent arrêt et pour une durée de quatre mois
CONDAMNE la société AUCHAN aux dépens de première instance et d’appel
CONDAMNE la société AUCHAN à payer à M. [M] [P] la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La Présidente,
Elsa SANCHEZ Joëlle DOAT