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10 septembre 2015
Cour d’appel de Paris
RG n°
14/04208
Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 5
ARRET DU 10 SEPTEMBRE 2015
(n° , 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 14/04208
Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Janvier 2014 – Tribunal de Commerce de PARIS – 1ère Chambre A – RG n° 2007022646
APPELANTE
SARL CHASKA PRODUCTIONS
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 1]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065
Assistée de Me Patrick-Arnaud CHOLLET, avocat au barreau de PARIS, toque : B0914
INTIMEE
SA ORANGE (anciennement dénommée FRANCE TELECOM)
ayant son siège social [Adresse 2]
[Localité 2]
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistée de Me Alexandre LIMBOUR, avocat au barreau de PARIS, toque : L0064
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 18 Juin 2015, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Colette PERRIN, Présidente de chambre, et Monsieur Patrick BIROLLEAU, Président, chargé du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Colette PERRIN, Présidente de chambre
Monsieur Patrick BIROLLEAU, Président
Madame Françoise LUCAT, Conseillère appelée d’une autre chambre afin de compléter la Cour en application de l’article R.312-3 du Code de l’Organisation Judiciaire
Greffier, lors des débats : Monsieur Bruno REITZER
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Colette PERRIN, Présidente et par Monsieur Bruno REITZER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
****
Faits et procédure
La société Chaska Production (Chaska) est spécialisée en conseil, conception, production et réalisation de projets audiovisuels et multimédias.
Le 19 octobre 2000, la société Orange a embauché Madame [J] en contrat à durée indéterminée, en qualité de cadre supérieur « responsable artistique » du Studio Créatif, entité relevant de la division Recherche et développement d’Orange, qui a pour mission de promouvoir auprès du grand public les innovations de cette entité, de scénariser les futurs usages qui peuvent en être faits et de les tester auprès du public.
A compter de septembre 2001, la société France Telecom a commandé diverses prestations artistiques à la société Chaska pendant deux ans.
Prétendant avoir été informée en juillet 2003 que Madame [J] entretenait des liens et intérêts patrimoniaux avec la société Chaska, France Telecom a déposé en septembre 2003 une plainte pénale avec constitution de partie civile et a licencié Madame Gonzalès- Seiler pour faute grave en novembre 2003.
Par lettre du 29 décembre 2003, France Telecom a mis un terme à la relation commerciale avec Chaska.
Le 5 avril 2004, la société Chaska a mis en demeure France Telecom de lui payer les sommes qu’elle estimait lui être dues au titre des prestations effectuées, ainsi que la restitution du matériel qu’elle indiquait avoir loué.
France Telecom ayant refusé de régler ces sommes, la société Chaska, par actes des 1er et 2 août 2005, l’a assignée devant le tribunal de commerce de Paris pour paiement des sommes dues et rupture brutale de la relation commerciale. France Telecom, devenue Orange, s’est portée reconventionnellement demanderesse en nullité des contrats conclus avec Chaska.
Par jugement rendu le 23 janvier 2014, assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de commerce de Paris a :
– prononcé la nullité des contrats litigieux pour dol, et débouté la société Chaska de l’ensemble de ses demandes formulées à ce titre ;
– condamné la société Chaska à restituer à la société Orange la somme de 259.965,16 euros ;
– condamné la société Chaska à payer à la société Orange la somme de 10.000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
La société Chaska a interjeté appel de ce jugement le 25 février 2014.
Par ses dernières conclusions signifiées le 4 juin 2015, elle demande à la Cour de :
– infirmer en son entier le jugement du tribunal de commerce de Paris du 23 janvier 2014 ;
Et statuant à nouveau :
– rejeter l’ensemble des demandes, fins et conclusions de la société Orange ;
– condamner la société Orange au paiement d’une somme de 134.174,50 euros à la société Chaska au titre des prestations réalisées par elle au profit de la société Orange et de la location de matériel (contrats n° 021 B 855, 42 439 640, 42 439 642, et 2B06498) ;
– condamner la société Orange au paiement des intérêts de droit sur cette somme, soit le taux égal au taux d’intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente, majoré de 10 %, et ce à compter :
‘du 31 juillet 2002 pour la somme de 1.000,00 euros TTC,
‘du 17 mai 2003 pour la somme de 13.126,00 euros TTC,
‘du 1er septembre 2003 pour la somme de 83.720,00 euros TTC,
‘du 15 février 2003 pour la somme de 6.054,75 euros TTC,
‘du 30 décembre 2003 pour la somme de 6.054,75 euros TTC,
‘du 1er janvier 2004 pour la somme de 6.054,75 euros TTC,
‘des 1er janvier 2005 et 2006 pour les sommes respectives de 3.027,37 euros TTC,
‘des 31 décembre 2005 et 2006 pour les sommes respectives de 3.027,37 euros TTC ;
– condamner la société Orange à payer à la société Chaska une somme 67.429,40 euros en réparation du préjudice subi par la société Chaska en raison de la violation de l’article L. 442-6 I. 5° du code de commerce par la société Orange ;
– condamner la société Orange à payer à la société Chaska une somme de 8.000,00 euros au titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et préjudice d’image ;
– ordonner la capitalisation des intérêts ;
– condamner la société Orange à payer à la société Chaska une somme de 30.000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’appelante affirme que les demandes de nullité pour dol et erreur concernant les 14 contrats conclus dans le cadre de sa relation commerciale avec la société Orange et les demandes de nullité pour erreur sont prescrites et totalement nouvelles.
Elle ajoute n’avoir commis aucune man’uvre dolosive, la société Orange étant nécessairement informée de ce que Madame [J] détenait une participation minoritaire au sein de la société Chaska.
Elle rappelle aussi que l’erreur sur la personne n’est pas une cause de nullité de contrat et qu’en l’espèce, aucune clause d’intuitu personae n’a été stipulée dans les contrats en cause.
Elle soutient que le jugement du tribunal de commerce du 23 janvier 2014 porte directement atteinte au principe de l’autorité de la chose jugée, puisque, dans la procédure pénale suivie à l’encontre de Madame [J], la Cour d’appel de Versailles a relaxé cette dernière et débouté la société Orange de l’intégralité de ses demandes, de sorte que n’est pas fondé le grief de conflit d’intérêts entre la position de Madame [J] au sein d’Orange et la collaboration de la société Chaska.
Elle affirme que les prestations contractuelles ont été correctement réalisées par des personnes compétentes, qu’Orange est donc redevable des sommes réclamées au titre des contrats n° 021 B 855, n° 42 439 640, de la prolongation du contrat n°42 439 642 et du contrat de location de matériel n° 2 B 06498.
Elle fait enfin valoir qu’Orange a rompu de manière brutale les relations commerciales qui les unissaient, , alors que le préavis aurait dû être de 6 mois, lui causant ainsi un préjudice important qui doit être réparé.
La société Orange, par ses dernières conclusions signifiées le 22 mai 2015, demande à la Cour de :
A titre principal :
– constater que le consentement de la société Orange aux contrats litigieux a été vicié du fait des man’uvres et de la réticence dolosive de la société Chaska ;
– constater en conséquence la nullité de ces contrats pour dol ;
– constater que la société Orange a subi un préjudice du fait de la réticence et des man’uvres dolosives de la société Chaska ;
– constater que les relations commerciales entre la société Orange et la société Chaska ne sont aucunement établies ;
Dès lors :
– confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 23 janvier 2014 dont appel en ce qu’il a constaté la nullité des contrats litigieux pour dol ;
– confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 23 janvier 2014 dont appel en ce qu’il a condamné la société Chaska à restituer à la société Orange la somme de 259.965,16 euros ;
– confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 23 janvier 2014 dont appel en ce que, constatant l’absence de relation commerciale établie, il a débouté la société Chaska de ses demandes fondées sur une prétendue rupture brutale des relations commerciales ;
– confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 23 janvier 2014 dont appel en ce qu’il a débouté la société Chaska de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
– infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris dont appel en ce qu’il a débouté la société Orange de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;
Et, statuant à nouveau :
– condamner la société Chaska à payer à la société Orange la somme de 50.000,00 euros en réparation du préjudice subi ;
A titre subsidiaire :
– constater que le consentement de la société Orange aux contrats litigieux a été vicié du fait de l’erreur sur la personne de sa cocontractante ;
– constater en conséquence la nullité de ces contrats pour erreur ;
– constater que la société Orange a subi un préjudice du fait de l’erreur sur la personne de sa cocontractante ;
– constater que les relations commerciales entre la société Orange et la société Chaska ne sont aucunement établies ;
Dès lors :
– dire les contrats litigieux nuls, pour erreur sur la personne de l’un des cocontractants ;
– confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 23 janvier 2014 dont appel en ce qu’il a condamné la société Chaska à restituer à la société Orange la somme de 259.965,16 euros ;
– confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 23 janvier 2014 dont appel en ce que, constatant l’absence de relation commerciale établie, il a débouté la société Chaska de ses demandes fondées sur une prétendue rupture brutale des relations commerciales ;
– confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 23 janvier 2014 dont appel en ce qu’il a débouté la société Chaska de l’intégralité de ses demandes fins et conclusions ;
– infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris dont appel en ce qu’il a débouté la société Orange de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;
Et, statuant à nouveau :
– condamner la société Chaska à payer à la société orange la somme de 50.000,00 euros en réparation du préjudice subi ;
A titre infiniment subsidiaire :
– s’agissant du contrat n°42439640, constater que la société Chaska a violé ses obligations contractuelles et, dès lors, la débouter de ses demandes en ce que la résolution dudit contrat est intervenue aux torts exclusifs de la société Chaska ;
– s’agissant du contrat n°2B 06498, le qualifier de contrat de vente, en constater la parfaite exécution par la société Orange et, dès lors, débouter la société Chaska de ses demandes ;
– s’agissant du contrat ST/06/03, constater l’absence de preuve d’exécution des prestations par la société Chaska et, par conséquent, débouter la société Chaska de ses demandes de remboursement formulées à ce titre ;
– constater que la société Orange était parfaitement fondée à mettre un terme aux relations qu’elle entretenait avec la société Chaska et, par conséquent, débouter la société Chaska de ses demandes formulées à ce titre ;
– plus généralement, débouter la société Chaska de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– condamner la société Chaska à verser à la société Orange la somme de 30.000,00 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure civile.
L’intimée oppose que la société Chaska s’est livrée à des man’uvres frauduleuses qui, si elles avaient été connues, n’auraient pas abouti à la conclusion des contrats en cause.
Elle affirme qu’elle ne connaissait pas le lien, clairement dissimulé, qui existait entre Madame [J] et la société Chaska, lien qui rendait celle-ci à la fois juge et partie des contrats et prestations payés par la société Orange.
Elle rappelle aussi que, si Madame [J] a été renvoyée des fins de la poursuite pénale exercée contre elle, cet élément n’exclut pas l’existence d’un dol civil, comme tel est le cas en l’espèce, et que la décision de la Cour d’appel de Versailles est donc, à cet égard, dépourvue de l’autorité de chose jugée.
Elle fait valoir que les contrats conclus avec la société Chaska sont nuls pour dol, son consentement ayant été vicié par les man’uvres et les réticences dolosives de Chaska et des gérantes. Elle a également été victime d’une erreur sur la personne et sur les compétences de son cocontractant, qui, de plus, a manifestement violé ses obligations et n’a pas exécuté les contrats litigieux. Elle affirme que, contrairement à ce que soutient l’appelante, sa demande en nullité des contrats, qui a toujours été maintenue depuis le début de la procédure, n’est pas prescrite.
Elle soutient n’être donc redevable d’aucune somme au titre des contrats conclus, puisque le contrat n°42 439 640 a été résilié de plein droit aux torts exclusifs de la société Chaska, le devis du contrat n°424 39 642 n’a jamais été accepté et aucune facture n’a été produite à ce titre et que le contrat 2B 06498 concernait, non une location, mais une vente de matériels.
Sur la rupture brutale de relations commerciales, elle ajoute qu’il ne peut y avoir une telle rupture dans la mesure où d’une part ces relations commerciales n’étaient pas établies, d’autre part la cessation de ces relations était parfaitement justifiée par.
MOTIFS
Sur la nullité des contrats
Considérant qu’Orange soutient que son consentement aux contrats a été vicié par le silence coupable de Madame [J] sur ses liens et intérêts patrimoniaux avec la société Chaska, devenue prestataire exclusif d’Orange dans le domaine artistique et conclut à la nullité de l’intégralité des 14 contrats conclus entre Orange et Chaska durant leur relation d’affaires ;
Sur la prescription de la demande de nullité
Considérant que, conformément aux dispositions de l’article 1304 du code civil, la prescription d’une action en nullité pour vice du consentement est de 5 ans ;
Considérant que la prescription de l’action n’est pas invoquée pour les contrats n°42439640, B 06498 et ST/06/03 ; que les 11 autres contrats ont été conclus entre juillet 2001 et mars 2003 ;
Considérant que l’article 2241 du code civil dispose que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ai nsi que le délai de forclusion ; que l’interruption du délai s’étend aux demandes reconventionnelles présentées par le défendeur ; qu’Orange a en l’espèce régularisé, le 6 février 2006, des conclusions aux termes desquelles elle formait plusieurs demandes reconventionnelles portant sur la nullité des contrats et bons de commande passés avec Chaska ; qu’aux termes de ces écritures, Orange demandait au tribunal de « constater que, du fait des man’uvres et/ou réticences dolosives de sa cocontractante, le consentement de FRANCE TELECOM aux contrats et bons de commande passés avec CHASKA PRODUCTIONS a été vicié » et « constater la nullité des contrats n°42439640, B 06498 et ST/06/03 pour dol et/ou réticence dolosive » ; qu’elle a, dans ses conclusions déposées le 19 novembre 2012, demandé au tribunal de « prononcer la nullité sur le fondement du dol de l’intégralité des contrats conclus entre Orange et Chaska » ; que toutefois cette dernière demande ne constituait pas une action nouvelle dès lors qu’elle tendait au même but que la précédente, et qu’elle était virtuellement comprise dans la première ; que n’est pas davantage prescrit le moyen fondé sur l’erreur qui tend à la même fin que celui fondé sur le dol ; qu’il s’en déduit que la prescription quinquennale n’était pas acquise lorsque la demande de nullité a été présentée le 6 février 2006 ; qu’Orange sera en conséquence déboutée de son exception de prescription ;
Sur le dol
Considérant qu’aux termes de l’article 1116 du code civil : ‘le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident que sans ces manoeuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé’ ; que le dol peut être constitué par le silence d’une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s’il avait été connu de lui, l’aurait empêché de contracter ;
Considérant qu’il est constant que Madame [J] a été recrutée, le 19 octobre 2000, par Orange en qualité de responsable artistique de son Studio Créatif ; qu’elle est demeurée gérante de Chaska après son embauche pendant plusieurs mois et a donc cumulé ses fonctions de salariée d’Orange et de gérante de Chaska du 19 octobre 2000 au 2 juillet 2001 ; que les contrats litigieux ont été conclus entre septembre 2001 et septembre 2003 alors que Madame [U] détenait, au sein de Chaska, une participation minoritaire de 10 % du capital ;
Considérant qu’Orange invoque les dissimulations de Madame [J] concernant sa position de gérante de fait de la société Chaska ;
Considérant que les seuls témoignages de Mesdames [K], gérante de droit de Chaska du 2 juillet 2001 au 18 mars 2003, et [E], gérante de droit du 18 mars à décembre 2003, qui indiquent n’avoir été que des « gérantes de paille », sont insuffisants établir que Madame [J] était, sous les mandats de ces dernières, l’animatrice de Chaska, point que conteste l’intéressée ; que la dissimulation de ce que assurait la gestion de fait de Chaska et n’est donc nullement démontrée ; que le seul point non discuté, à savoir la participation de Madame [J] au capital de Chaska à hauteur de 10 %, dont Orange pouvait aisément avoir connaissance par la consultation de l’extrait K bis de Chaska, ne peut caractériser une réticence dolosive de Chaska ;
Sur l’erreur
Considérant que l’article 1110 du code civil prévoit que « l’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet. Elle n’est point une cause de nullité, lorsqu’elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention » ;
Considérant que Orange prétend avoir été victime d’une erreur sur la personne de la société Chaska dans la mesure où cette dernière constituait un simulacre de société, dépourvue de moyen propre, de compétence ou de qualification pour exécuter elle-même les prestations demandées ; que toutefois la considération de la personne de Chaska n’est pas la cause principale de la convention, aucune clause d’intuitu personae n’étant stipulée dans les contrats rédigés par Orange ; qu’aux termes des conventions conclues, Orange n’a pas exigé que son cocontractant dispose d’une équipe pluridisciplinaire ; qu’il n’est par ailleurs pas discuté que les deux salariées de Chaska intervenues pour l’exécution des contrats, Mesdames [V] et [N], dont il est indifférent qu’elles aient eu le titre d’ « assistantes », étaient connues des responsables d’Orange et, diplômée la première de l’Ecole des beaux arts [Établissement 1], la seconde de l’Ecole des beaux arts [Établissement 2], disposaient de toute la compétence technique requise ; que le recours de Chaska à un sous-traitant ne saurait constituer la preuve de l’incompétence de Chaska en vue de la réalisation des prestations commandées, prestations dont Orange n’a d’ailleurs, à aucun moment, contesté la qualité ;
Qu’en conséquence, la Cour infirmera le jugement entrepris et déboutera Orange de sa demande de nullité des contrats ;
Sur la demande de paiement présentée par Chaska
Considérant que Chaska réclame le paiement de sommes dues au titre des quatre contrats suivants :
– contrat n°42439640 en date du 27 janvier 2003 : contrat portant sur la réalisation des tests utilisateurs sur la maquette du produit « Smart Web » ; somme restant due : 13.126,00 euros TTC ;
– contrat n° 021 B 855 ; somme restant due : 1.000,00 euros TTC ;
– contrat n° 2B06498 basé sur un devis du 15 mars 2002 : contrat portant sur la location de matériel informatique et de rétroprojecteur sur mobilier interactif à partir des caractéristiques techniques fournies par Orange ; somme restant due : 36.328,50 euros TTC ;
– contrat n° 42439642 du 26 janvier 2003 : somme restant due 83.720,00 euros TTC ;
Considérant que la somme réclamée au titre du contrat n° 021 B 855 (1.000,00 euros TTC) n’est pas contestée ;
Que, sur le contrat n°42439640 en date du 27 janvier 2003 portant sur le produit « Smart Web », il est constant que la prestation commandée a été réalisée, le rapport d’étude ayant été remis à France Telecom le 9 septembre 2003 ; qu’Orange se borne à faire état d’une critique non articulée, aux termes de laquelle « le mémoire technique livré par le sous-traitant de la société CHASKA PRODUCTIONS ne correspondait pas à ce qui était indiqué à l’annexe technique du contrat signé par les parties notamment en terme d’expertise pour déterminer l’évolution conceptuelle, graphique et fonctionnelle du produit », grief général et étayé d’aucun élément précis, insusceptible de déterminer en quoi Chaska aurait manqué à sa mission ; que, si, par ailleurs, l’établissement de ce rapport d’étude a été sous-traité à l’association )Ö( – ce que Chaska ne conteste pas – en violation de l’article 16.2 du contrat, ce seul élément n’est pas de nature à justifier un refus de paiement de la prestation réalisée, un tel refus étant hors de proportion avec le manquement relevé par Orange ; que la somme de 13.126,00 euros TTC est, dans ces conditions, due ;
Que, sur le contrat n° 42439642 du 26 janvier 2003, Orange a identifié ce contrat, pour un montant de 70.000,00 euros HT, dans la liste des contrats en cours qu’elle a établie lors du licenciement de Madame [J] (pièce n° 65 communiquée par Chaska) ; qu’elle ne saurait donc soutenir qu’aucune commande en ce sens n’a été passée par Orange ; que la somme réclamée de 83.720,00 euros TTC est en conséquence due ;
Que, sur le contrat n° 2B 06 498, il est constant que Chaska a établi, le 15 mars 2002, un devis relatif à « l’installation de matériel informatique et de rétroprojecteur sur mobilier interactif à partir des cahiers de caractéristiques techniques fournies par FT », outre le service de dépannage compris pendant la période de l’exposition, pour un montant de 30.000,00 euros HT, et a adressé, le 30 mai 2002 à Orange une facture du montant du devis, soit 35.880,00 euros TTC ; qu’il n’est pas contest que cette somme a été payée par Orange ; que ni le devis, ni la facture ne font référence à une location ; que Chaska, à laquelle il incombe de démontrer la réalité de l’obligation invoquée, ne rapporte la preuve ni que la mise à disposition des matériels informatiques et rétroprojecteurs en cause ait consisté en une location, ni en conséquence que la somme réclamée est due ; que le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a débouté Chaska de cette demande de ce chef ;
Considérant qu’en conséquence, la Cour réformera la décision déférée et condamnera Orange à payer à Chaska la somme de 97.846,00 euros, avec intérêts majorés, prévus l’article L. 441-6 I du code de commerce, au taux appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente, majoré de 10 %, et ce à compter du 31 juillet 2002 pour la somme de 1.000,00 euros TTC, du 17 mai 2003 pour la somme de 13.126,00 euros TTC et du 1er septembre 2003 pour la somme de 83.720,00 euros TTC ; qu’il sera fait droit à la demande de capitalisation des intérêts en application de l’article 1154 du code civil ;
Sur la rupture brutale de la relation commerciale par Orange
Considérant que l’article L 442-6 I, 5° du code de commerce dispose qu”engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte, notamment, de la durée de la relation commerciale. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution, par l’autre partie, de ses obligations ou en cas de force majeure.’ ;
Considérant qu’Orange a, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 29 décembre 2003, constaté la résiliation du contrat aux torts exclusifs de Chaska en application de l’article 16-2 du contrat (pièce n° 27 communiquée par Orange) ;
Considérant qu’entre juillet 2001 et mars 2003, 14 contrats ont été conclus entre Chaska et Orange ; qu’il est indifférent que n’ait été souscrit entre les parties aucun accord-cadre, ni aucune garantie de chiffre d’affaires ; que la régularité et le nombre des commandes passées par Orange établissent l’existence, entre les parties, d’une relation stable et significative constitutive d’une relation commerciale établie au sens de l’article L 442-6 I, 5° ;
Considérant que la rupture de la relation intervenue le 29 décembre 2003 était dépourvue de préavis ; qu’aucun des faits invoqués par Orange, ni la qualité de gérante de fait de Chaska de Madame [J], ni l’absence de moyens propres de Chaska, ni le recours de cette dernière à la sous-traitance, ni la pratique d’un taux de marge sans rapport avec les charges exposées, faits dont la Cour a retenu qu’ils étaient soit non caractérisés, soit hors de proportion, ne constituent des manquements contractuels propres à justifier une rupture sans préavis ;
Considérant qu’un préavis de trois mois doit être regardé comme suffisant au regard de l’ancienneté de la relation commerciale de 20 mois ;
Considérant qu’en cas d’insuffisance du préavis, le préjudice en résultant est évalué en considération de la marge brute correspondant à la durée du préavis jugé nécessaire ;
Considérant que Chaska ne justifie ni de son chiffre d’affaires réalisé avec Orange – le montant invoqué de 408.663,00 euros ne pouvant être retenu dès lors qu’il est constitué pour partie par le recours à la sous-traitance à l’association )Ö( – ni du taux de marge brute de 66 % ; que le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a débouté Chaska de cette demande ;
Considérant que Chaska sollicite par ailleurs la condamnation d’Orange pour résistance abusive ; qu’elle ne rapporte toutefois pas la preuve d’un préjudice autre que celui indemnisé par les intérêts de retards et par l’application de l’article 700 du code de procédure civile ; qu’elle ne justifie pas davantage d’un quelconque préjudice d’image ; que le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a débouté Chaska de cette demande ;
Considérant que l’équité commande de condamner Orange à payer à Chaska la somme de 8.000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
RÉFORME le jugement entrepris, sauf sur le rejet des demandes de Chaska au titre du contrat n° 2B 06 498, de la rupture brutale de la relation commerciale, de la résistance abusive et du préjudice d’image.
STATUANT à nouveau,
CONDAMNE la SA Orange à payer à la SARL Chaska Productions la somme de 97.846,00 euros, avec intérêts au taux appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente, majoré de 10 %, et ce à compter du 31 juillet 2002 pour la somme de 1.000,00 euros TTC, du 17 mai 2003 pour la somme de 13.126,00 euros TTC, et du 1er septembre 2003 pour la somme de 83.720,00 euros TTC.
ORDONNE la capitalisation des intérêts en application de l’article 1154 du code civil.
DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
CONDAMNE la SA Orange à payer à la SARL Chaska Productions la somme de 8.000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNE la SA Orange aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier La Présidente
B.REITZER C.PERRIN