Location de matériel : 10 juin 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/01299

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Location de matériel : 10 juin 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/01299
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10 juin 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
20/01299

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 8

ARRÊT DU 10 JUIN 2022

(n° / 2022 , 15 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/01299 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBJ34

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Décembre 2019 – Tribunal de Commerce de MEAUX – RG n° 2019001838

APPELANT

Monsieur [R] [F]

Né le [Date naissance 6] 1982 à [Localité 7]

Demeurant [Adresse 1]

[Localité 5]

Représenté et assisté de Me Sarra JOUGLA, avocat au barreau de PARIS, toque : C0431,

INTIMÉE

SCP ANGEL HAZANE , en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS [F] ET FILS,immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Meaux sous le numéro 412 181 919, ayant son siège social [Adresse 2],

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de MEAUX sous le numéro 500 966 999,

Ayant son siège social [Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me François LA BURTHE, avocat au barreau de MEAUX,

Assistée de Me Adrien THIEBAUD, avocat au barreau de MEAUX substituant

Me François LA BURTHE, avocat au barreau de MEAUX,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 Septembre 2021, en audience publique, devant la Cour, composée de :

Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre,

Madame Anne-Sophie TEXIER, conseillère,

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l’audience par Madame Anne-Sophie TEXIER dans le respect des conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL

MINISTÈRE PUBLIC : L’affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Monsieur François Vaissette, avocat général, qui a fait connaître son avis écrit le 27 mai 2021.

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE:

La SAS [F] et fils, qui exerçait une activité de terrassement, démolition de tout immeuble ou terrain et de vente et de location de matériels de travaux publics, a été présidée par M. ([R]) [F] à compter du 15 septembre 2008. Ce dernier détenait 2 % des actions, sa mère (née [O]) 26 % et son père 72 %.

Elle a été mise en redressement judiciaire le 7 février 2011 et a fait l’objet d’un plan de redressement d’une durée de 10 ans arrêté le 4 juin 2012 qui a été modifié les 29 septembre 2014 et 16 octobre 2015.

Le 15 février 2016, le plan a été résolu et une liquidation judiciaire ouverte, la date de la cessation des paiements étant fixée au 31 décembre 2015 et la SCP Angel-Hazane nommée liquidateur.

Le 13 février 2019, le liquidateur a assigné M. [F] en responsabilité pour insuffisance d’actif et prononcé d’une sanction personnelle en lui imputant :

– des fautes de gestion tenant à la poursuite d’une activité déficitaire, à la politique de rémunération pratiquée, à l’organisation d’un « glissement » des actifs de la société [F] et Fils vers la société SATD, à des détournements d’actif et « subsidiairement » à des paiements préférentiels ;

– des comportements visés par l’article L. 653-4, 1° à 5°, du code de commerce consistant à avoir procédé à des règlements de 139 840 au profit des sociétés SATD ou JAT, utilisé le couvert de la société [F] pour développer une activité « dont il a fait glisser l’actif vers une autre société qu’il dirige en lui laissant des dettes », poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements et détourné des actifs.

Par jugement contradictoire du 16 décembre 2019, le tribunal de commerce de Meaux a :

– rejeté les demandes M. [F],

– reçu les demandes du liquidateur,

– condamné M. [F] à payer au liquidateur la somme de 500 000 euros au titre de l’insuffisance d’actif de la SAS [F] et fils,

– prononcé à l’encontre de M. [F] une faillite personnelle d’une durée de 5 ans,

– condamné M. [F] à payer au liquidateur la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

M. [F] a relevé appel de ce jugement selon déclaration du 9 janvier 2020.

Par conclusions n° 2 déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 25 juin 2021, M. [F] demande à la cour’:

– d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau :

– à titre principal, de rejeter les demandes du liquidateur, de dire n’y avoir lieu à condamnation au paiement de l’insuffisance d’actif et au prononcé d’une sanction personnelle et de condamner la SCP Philippe Angel-Denis Hazane, ès qualités, à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens d’appel,

– à titre subsidiaire, de réduire la condamnation pécuniaire à 25 000 euros et si la cour

« retenait l’existence d’une faute de gestion, [de le] condamner […] à une peine de principe».

Suivant conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 29 juillet 2021, la SCP Angel-Hazane, en qualité de liquidateur de la SAS [F] et fils, demande à la cour de confirmer le jugement, subsidiairement de condamner M. [F] à une interdiction de gérer de 5 ans, et, en tout état de cause, de condamner ce dernier à lui payer la somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, outre aux dépens d’instance et d’exécution.

Dans son avis déposé et notifié par voie électronique le 27 mai 2021, le ministère public estime qu’il y a lieu de confirmer le jugement.

La cour a invité le liquidateur à indiquer les faits relevés dans ses conclusions qui, selon lui, entraient dans les prévisions de l’article L. 653-4, 3°, du code de commerce et à préciser s’il entendait, par ces écritures, imputer à M. [F] le comportement visé par l’article L. 653-8, alinéa 2, du code de commerce.

Le liquidateur a fait parvenir une note en délibéré le 6 octobre 2021, à laquelle M. [F] a répliqué le 14 octobre 2021.

SUR CE,

– Sur la nullité de l’assignation et la prescription de l’action du liquidateur

Dans le corps de ses conclusions, M. [F] fait valoir que l’assignation introductive d’instance est nulle et que l’action du liquidateur est irrecevable comme prescrite au motif que cette assignation est dépourvue d’effet interruptif.

L’article 954, alinéa 3, du code de procédure civile dispose que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.

L’exception de nullité et la fin de non recevoir tirée de la prescription invoquées par

M. [F] n’étant pas reprises dans le dispositif des conclusions de ce dernier, la cour n’en est pas saisie.

– Sur la responsabilité pour insuffisance d’actif

L’article L. 651-2, alinéa 1, du code de commerce, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 9 décembre 2010, dispose :

« Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. […]. »

Sont également applicables, immédiatement, les dispositions ajoutées par la loi du 9 décembre 2016 au premier alinéa précité, qui énoncent : « Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée ».

L’engagement de la responsabilité de M. [F] suppose donc une insuffisance d’actif et la commission de fautes de gestion ne relevant pas d’une simple négligence ayant contribué à cette insuffisance.

* L’insuffisance d’actif

Le liquidateur verse aux débats un état des créances dont il ressort que le passif admis s’élève à 8 275 721,37 euros.

Un rapport du liquidateur adressé au tribunal le 16 février 2017 décrit les actifs réalisés et ceux susceptibles de l’être en indiquant que les premiers ressortent à 532 864,36 euros et les seconds à 346 000 euros, soit un total de 878 864,36 euros. C’est ce dernier chiffre qui sera retenu pour déterminer l’insuffisance d’actif, et non celui de 744 000 euros avancé par le liquidateur sans explication ni justificatif.

Il s’ensuit que l’insuffisance d’actif est certaine à hauteur de 7 396 856,99 euros.

* Les fautes de gestion et leur contribution à l’insuffisance d’actif

A titre liminaire, les fautes de gestion reprochées se situant pendant l’exécution du plan de redressement, il y a lieu d’apporter des précisions, d’une part, sur la situation de la société [F] et Fils au cours de cette période et, d’autre part, sur les initiatives alors prises par M. [F].

Les chiffres d’affaires, résultats d’exploitation, résultats nets, capitaux propres et dettes de la société [F] et Fils tels qu’ils ressortent des comptes annuels ou liasses fiscales des exercices 2011 à 2015, clos le 30 septembre, sont mentionnés dans le tableau ci-après.

Exercice

clos le

chiffre

d’affaires (€)

résultat d’exploitation (€)

résultat net (€)

capitaux propres (€)

dettes

(€)

30/09/11

8 799 845

– 2 392 139

– 2 644 960

– 3 791 912

11 673 092

30/09/12

4 712 242

– 865 060

– 1 068 926

– 4 860 838

11 197 999

30/09/13

4 784 903

– 1 043 973

– 964 350

– 5 825 188

11 732 508

30/09/14

4 352 914

– 73 944

19 400

– 5 805 788

10 458 188

30/09/15

3 466 577

– 241 888

169 225

– 5 636 588

10 540 982

Ces chiffres révèlent que la situation de société [F] et Fils au cours des deux exercices ayant précédé et suivi l’arrêté du plan de redressement, à savoir ceux clos les 30 septembre 2011 et 2012, était très dégradée, les résultats nets et d’exploitation ainsi que les capitaux propres étant fortement négatifs et le passif accumulé très important.

En 2013, les résultats d’exploitation et nets ont continué à être déficitaires et les capitaux propres très fortement négatifs, tandis que le passif se maintenait à un niveau très élevé.

En 2014, la situation s’est un peu améliorée (baisse du déficit d’exploitation, résultat net bénéficiaire, diminution du déficit de capitaux propres et des dettes), sans pour autant que l’activité de la société [F] et Fils ne créée de richesse, l’exploitation restant déficitaire et le bénéfice net réalisé étant imputable, principalement, à des produits exceptionnels provenant de cessions d’actifs ayant dégagé une plus-value de 136 297 euros.

Enfin, en 2015, la poursuite de l’amélioration de certains agrégats (bénéfice net dégagé et légère reconstitution corrélative des capitaux propres) n’a pas été imputable à un retour à l’équilibre de l’exploitation, dont le déficit s’est creusé par rapport à l’exercice précédent, mais à des produits exceptionnels résultant pour l’essentiel de la prise en compte, à hauteur de 710 724 euros, de créances non déclarées ou non admises (par ailleurs maintenues au passif).

Les seules initiatives prises pour faire face à cette situation évoquées par les parties consistent en des demandes de modification du plan de redressement.

Il résulte des pièces produites que le plan de redressement d’une durée de 10 ans arrêté le 4 juin 2012 prévoyait un apurement très progressif du passif, les deux premiers dividendes devant permettre son règlement à hauteur de 2 % et les deux suivants de 5 %.

Le premier dividende, exigible le 4 juin 2013, a été payé avec retard, le 31 octobre 2013.

Le paiement du deuxième dividende, d’un montant de 488 565 euros, a été reporté par un jugement du 29 septembre 2014 qui, accueillant la demande de la société [F], l’a fixé, pour partie, au 31 décembre 2014 (règlement de 200 000 euros) et, pour le surplus, à la date d’exigibilité du troisième dividende (le 4 juin 2015), portant la somme totale à verser à cette date à 879 709 euros.

Après avoir procédé à un paiement tardif et partiel du deuxième dividende, intervenu le 4 février 2015, la société [F] et Fils a déposé une nouvelle requête en modification du plan, le 14 septembre 2015, que le tribunal a accueillie par un jugement du 16 octobre 2015 en autorisant le paiement du solde du deuxième dividende et des deux dividendes suivants en trois versements égaux de 349 000 euros à intervenir en décembre 2015, juin 2016 et décembre 2016.

Parallèlement, le tribunal a renvoyé l’audience d’examen de la requête en résolution du plan déposée par le commissaire à l’exécution du plan, initialement prévue pour se tenir le 14 septembre 2015, au 12 octobre 2015 puis, par jugement du 16 octobre 2015, a ordonné un sursis à statuer dans l’attente du paiement du dividende à intervenir en décembre 2015 et renvoyé l’affaire au 15 février 2016. A cette dernière date, il a prononcé la résolution du plan et ouvert la liquidation judiciaire, après avoir relevé qu’aucun paiement n’était intervenu et que la société [F] et Fils ne justifiait pas de sa capacité à régler les charges courantes.

Il convient, à présent, d’examiner les différentes fautes de gestion invoquées.

La poursuite d’une activité déficitaire

Le liquidateur soutient que’M. [F] s’est obstiné à poursuivre une activité déficitaire en présentant une seconde demande de modification du plan laissant abusivement accroire que la société [F] et Fils serait en mesure de payer les échéances après leur réechelonnement, alors que les charges courantes n’étaient même pas réglées, et fait valoir que cette stratégie a conduit au report de l’audience d’examen de la requête en résolution du plan, retardant d’autant l’ouverture de la liquidation judiciaire. Il ajoute que « de [cette] poursuite artificielle d’une activité manifestement déficitaire […] résulte le passif né pendant les deux derniers mois de l’activité, soit d’une bonne partie des créances fournisseurs » et que « rien que la créance Pro BTP sur janvier et février 2016 représente plus de 25 000 euros ».

M. [F] réplique que, « conformément aux dispositions de l’article L. 653-4, 4°, du code de commerce », le liquidateur doit démontrer la poursuite d’un intérêt personnel et une relation causale avec la cessation des paiements, ce qu’il ne fait pas. En outre, il conteste que la poursuite du plan ait été compromise depuis le mois de septembre 2015 en faisant valoir que l’exploitation était déjà structurellement déficitaire à l’époque de l’ouverture du redressement judiciaire et que sa gestion a permis de réduire le « passif endogène » de la société tout en faisant face au règlement du passif inscrit au plan. Il prétend encore que la notion de poursuite d’exploitation déficitaire s’apprécie au regard du délai écoulé entre la date de la cessation des paiements telle que fixée par le jugement d’ouverture et la date de ce jugement, soit en l’espèce moins de 45 jours, et qu’en tout état de cause, le retard dans la déclaration de la cessation des paiements, à le supposer avéré, n’a pas contribué à l’insuffisance d’actif.

Contrairement aux allégations de M. [F], la poursuite d’une exploitation déficitaire peut constituer une faute de gestion engageant la responsabilité du dirigeant sur le fondement de l’article L. 651-2 du code de commerce indépendamment du constat d’une cessation des paiements concomitante ou de la satisfaction d’un intérêt personnel.

La faute imputée à M. [F] par le liquidateur, consistant à avoir abusivement poursuivi l’exploitation déficitaire après le mois de septembre 2015 en déposant une requête en modification du plan le 14 septembre 2015 à l’origine d’un retard dans l’ouverture de la liquidation judiciaire, se situe dans une période limitée, à savoir entre septembre 2015 et le 15 février 2016, date du jugement d’ouverture.

L’exploitation a été poursuivie après le mois de septembre 2015 alors qu’il ressort des éléments exposés à titre liminaire qu’elle était déficitaire depuis au moins l’exercice 2011, étant rappelé que les bénéfices nets dégagés au titre des exercices 2014 et 2015 sont imputables, non pas aux résultats d’exploitation, restés déficitaires, mais à des produits exceptionnels. M. [F] reconnaît d’ailleurs lui-même le caractère structurellement déficitaire de l’exploitation.

Pour démontrer que cette poursuite d’une exploitation déficitaire a contribué à l’insuffisance d’actif, le liquidateur se borne à faire état de la création d’un passif fournisseur sans autre précision et d’une créance Pro BTP de plus de 25 000 euros (dont il justifie) née en janvier et février 2016.

Or, il convient d’observer qu’en raison du bénéfice net réalisé, les capitaux propres se sont légèrement reconstitués (à hauteur de 169 200 euros) au cours de l’exercice 2015, clos le 30 septembre.

Surtout, l’apparition d’une nouvelle dette en janvier et février 2016 n’implique pas que le passif global, et a fortiori l’insuffisance d’actif, aient augmenté au cours de la même période.

Il n’est donc pas établi que la faute de gestion invoquée a contribué à l’insuffisance d’actif, de sorte qu’à la supposer caractérisée, elle n’engage pas la responsabilité de M. [F].

La politique de rémunération

Le liquidateur reproche à M. [F] d’avoir, au cours de l’exercice clos le 30 septembre 2015, augmenté les rémunérations, en particulier la sienne, maintenu celle de son père et perçu, avec ce dernier, des remboursements de frais substantiels alors que la société [F] et Fils connaissait des difficultés ayant conduit à un retard de règlement de deux dividendes du plan de redressement et que le chiffre d’affaires avait accusé une baisse. Il relève également que des rémunérations et remboursements de frais ont été perçus par M. [F] et son père en période suspecte.

M. [F] réplique qu’entre 2011 et 2015, la masse salariale a connu une décroissance progressive, que celle-ci ne peut être mécaniquement adaptée au chiffre d’affaires, que la rémunération de son père n’a pas augmenté, que la sienne n’était pas excessive et n’a pas connu de hausse au cours de la procédure collective et, plus généralement, que le caractère inadapté de la politique de rémunération n’est pas établi.

Il résulte des éléments exposés à titre liminaire que la société [F] et Fils a dégagé des déficits d’exploitation de 73 944 et 241 888 euros au titre des exercices 2014 et 2015 et rencontré des difficultés à exécuter son plan de redressement (retard de paiement du premier dividende, exigible le 4 juin 2013 et réglé le 31 octobre 2013, report, à la demande de la société et par jugement du 29 septembre 2014, du versement du deuxième dividende aux 31 décembre 2014 et 4 juin 2015, dépôt d’une nouvelle requête en modification du plan le 14 septembre 2015).

De surcroît, le chiffre d’affaires a accusé une baisse au titre des exercices 2014 et 2015, passant de 4 784 903 euros (2013) à 4 352 914 (2014) puis à 3 466 577 euros (2015).

Les liasses fiscales déposées par la société [F] et Fils révèlent que les salaires et traitements ont constamment diminué entre les exercices 2011 à 2014 (clos le 30 septembre), passant de 1 296 658 euros à 857 201 euros, mais qu’ils ont augmenté au titre de l’exercice 2015, représentant une charge de 943 114 euros, soit une hausse de 10 % par rapport à l’exercice précédent, tandis que, dans le même temps, l’effectif moyen avait baissé de 32 à 29 personnes.

Le père de M. [F], cadre commercial salarié et bénéficiaire de la rémunération la plus élevée versée par la société [F] et Fils, a perçu entre 76 801 et 78 324 euros annuels au titre des exercices 2012 à 2015 (clos le 30 septembre), outre des remboursements de frais décroissants, passés de 25 098 euros (exercice 2012) à 6 378 euros (exercice 2015).

M. [F] a perçu, en tant que président de la société [F] et Fils :

– au titre de l’exercice 2012, 31 417 euros, outre 18 285 euros de remboursement de frais;

– au titre de l’exercice 2013, des montants non connus ;

– au titre de l’exercice 2014, 31 417 euros, devenant ainsi la 5e personne la mieux rémunérée, et aucun remboursement de frais ;

– au titre de l’exercice 2015, non pas 76 000 euros comme le soutient le liquidateur, mais 41 900 euros (incluant une prime exceptionnelle de 3 000 euros bruts au mois de septembre 2015), devenant ainsi la 3e personne la mieux rémunérée, et aucun remboursement de frais;

– entre octobre 2015 et décembre 2015, 11 495,06 euros (incluant une prime exceptionnelle de 6 000 euros bruts au titre du mois de décembre) et en janvier 2016, 2 200,32 euros, outre des remboursements de frais de 680,50 euros.

Il en résulte que les rémunérations ont augmenté de 10 % au titre de l’exercice 2015 (dont moins de 2 % imputables à l’augmentation ayant bénéficié à M. [F]), croissance qui se reflète au demeurant dans l’évolution des sommes perçues par les quatre personnes les mieux rémunérées apparaissant sur le relevé de frais généraux des liasses fiscales des exercices 2014 et 2015.

M. [F] a lui-même bénéficié d’une augmentation de sa rémunération de base (passée au mois d’avril 2015, en brut, de 2 618,05 euros à 2 865,25 euros mensuels) et de primes exceptionnelles (notamment, 3 000 euros bruts en septembre 2015 et 6 000 euros bruts en décembre 2015).

Compte tenu des difficultés rencontrées par la société [F] et Fils, décrites plus haut, ainsi que de la baisse des effectifs et du chiffre d’affaires, l’accroissement de la masse salariale au titre de l’exercice clos le 30 septembre 2015, en tant que telle et en ce qu’elle a en particulier bénéficié à M. [F], qui a augmenté sa rémunération de base et s’est octroyé des primes exceptionnelles d’un montant substantiel, caractérise une faute de gestion exclusive d’une simple négligence.

En revanche, la baisse d’un salaire et son règlement n’étant pas laissés au bon vouloir de l’employeur, le maintien de celui du père de M. [F] et son paiement pendant la période suspecte ne sont pas constitutifs d’une faute de gestion, non plus que les remboursements de frais, y compris en période suspecte, dès lors qu’il n’est établi ni que les dépenses engagées étaient excessives, ni qu’elles l’aient été dans un intérêt autre que celui de la société [F] et Fils.

La faute de gestion telle que circonscrite ci-avant a contribué à l’insuffisance d’actif en faisant supporter à la société [F] et Fils des charges supplémentaires injustifiées.

L’organisation du « glissement des actifs » vers la société SATD

Le liquidateur prétend que’M. [F] a organisé « un glissement » du chiffre d’affaires et/ou de la clientèle, de matériels et de fonds, pour une partie en période suspecte, de la société [F] et Fils vers la SARL SATD, gérée par lui, ayant la même activité que la première et dont le siège social se trouve à la même adresse.

M. [F] réplique que les sociétés [F] et Fils et SATD coexistent depuis de nombreuses années, n’ont pas la même activité, la première oeuvrant dans la démolition et la seconde dans la location d’engins et le terrassement, et que le détournement de clientèle ou du matériel n’est pas démontré.

Il résulte des pièces versées aux débats que les sociétés [F] et Fils et SATD, immatriculées, respectivement, en 1999 et 2000, avaient le même dirigeant (M. [F]) depuis le mois d’octobre 2007, des associés en commun, à savoir M. [F] et son père (le surplus du capital de la société SATD étant détenu par des membres des familles [O]-[F]), des sièges sociaux situés à la même adresse et des activités déclarées au registre du commerce et des sociétés se chevauchant partiellement (la première ayant pour activité « le terrassement et la démolition de tous immeubles ou de tous terrains, la vente de tous matériels de travaux publics avec ou sans chauffeur et le transport de marchandises » et la seconde « le remblaiement, la démolition, l’achat et la vente de terrain et la construction de tous immeubles et toutes activités connexes et complémentaires »).

Cette configuration et la circonstance, également invoquée par le liquidateur, que la société SATD, mise en redressement judiciaire en décembre 2013, ait achevé l’exécution de son plan au mois d’août 2015 et réalisé en 2018 un chiffre d’affaires quatre fois plus important qu’en 2015, alors que la société [F] et Fils a accusé une baisse de son chiffre d’affaires en 2015, ne suffisent pas à prouver l’existence d’un détournement de clientèle. Au demeurant, il convient d’observer que si le chiffre d’affaires de la société SATD au titre de l’exercice clos le 30 septembre 2014 a augmenté par rapport à celui de l’exercice précédent, passant de 1 295 904 à 1 603 656 euros, il a diminué l’exercice suivant (clos le 30 septembre 2015) pour ne s’élever qu’à 942 405 euros et s’est situé en 2016 (1 296 549 euros) à un niveau proche de celui atteint en 2013.

S’agissant du matériel, le liquidateur évoque la vente, à la société SATD, « d’une pelle » pour 54 000 euros et, « à la veille de la liquidation », de « 19 matériels de types pelles, camions-bennes, cuves, etc. […] dont au moins 7, sans doute bien plus, à la société SADT». Il estime par ailleurs qu’« il y a tout lieu de penser que ceux des matériels qui [n’auront] pas été vendu[s] à vil prix à SATD ont été conservés par SATD ». Enfin, il fait état de la déclaration, par la société Assistance bancaire et financière location matériel (ABFLM), d’une créance de 317 626 euros au titre de la location de 4 mini-pelles ne figurant pas dans l’inventaire du commissaire-priseur judiciaire et du coût excessif de la mise en location, par cette dernière, d’une pelle sur chenille Doosan DX 180, absente de l’inventaire « et dont on se demande qui en a profité ».

Il ressort du rapport d’OCA, technicien désigné par le juge-commissaire, qu’au cours des exercices clos les 31 décembre 2014 et 2015, la société [F] et Fils a cédé une partie de ses actifs, entraînant une plus-value de cession de, respectivement, 136 000 et 72 000 euros et que M. [F] n’a pas souhaité s’expliquer auprès du technicien sur ces cessions et ne lui a pas transmis les dossiers relatifs aux matériels cédés.

Toutefois, la charge de la preuve des détournements d’actif allégués pèse sur le liquidateur.

La cour ne dispose d’aucun élément d’information sur les ventes intervenues au cours de l’exercice 2014, notamment sur l’identité du ou des acquéreurs.

Concernant l’exercice 2015 (clos le 30 septembre 2015), l’annexe 2059-A de la liasse fiscale, sur laquelle doivent apparaître les cessions d’immobilisation et les mises au rebut, mentionnent 19 matériels.

Il ressort du même document et de l’extrait de compte général produit par M. [F] que, sur les 19 matériels concernés, seuls 5 (des pelles) ont été vendus, pour des prix de 25 000, 23 500, 23 500, 15 000 et 15 200 euros.

M. [F] justifie, en versant aux débats les factures, que 3 matériels (ceux vendus aux prix de 25 000, 15 000 et 15 200 euros) ont été acquis par les sociétés ABFLM et ASA Compagny, et non par la société SATD.

Les deux autres ventes ayant été enregistrées en comptabilité et déclarées à l’administration fiscale, et aucun élément ne démontrant la vileté du prix fixé, le seul défaut de production, par M. [F], des factures émises par la société [F] et Fils ne suffit pas à établir l’existence d’un détournement d’actif au profit de la société SATD.

Quant à la vente d’une pelle à la société SATD pour un prix de 54 000 euros TTC (45 000 euros HT), intervenue le 31 décembre 2015, M. [F] justifie de son enregistrement en comptabilité et de l’émission d’une facture. Le liquidateur, de son côté, ne fournit aucun élément démontrant le défaut de versement du prix ou la vileté de celui-ci.

Le liquidateur se prévaut également de ce que le « recolement d’inventaire » dressé par le commissaire-priseur judiciaire le 7 juillet 2016 – qui fait suite à un précédent inventaire établi le 24 février 2016 – ne fait pas mention de pelles louées à la société [F] et Fils par la société ABFLM (au nombre de 4, selon la déclaration de créance de cette dernière, en ce compris la pelle Doosan DX 180).

En premier lieu, en relevant cette absence de mention puis en se demandant « où étaient-[elles] ‘ Chez SATD ‘ » ou encore, concernant la pelle Doosan DX 180 « qui en a profité ‘ », le liquidateur n’indique pas clairement s’il entend se prévaloir de la disparition des quatre pelles ou de leur utlisation par d’autres que la société [F] et Fils (la société SATD étant plus particulièrement visée).

En deuxième lieu, M. [F] produit deux procès-verbaux datés du 15 juillet 2016 attestant de la restitution amiable au bailleur de trois des pelles concernées (incluant la pelle Doosan DX 180) et aucun élément postérieur au « recolement d’inventaire » établi par le commissaire-priseur le 7 juillet 2016 n’est fourni par le liquidateur s’agissant de la quatrième pelle, alors qu’il était loisible à ce dernier d’interroger le bailleur sur ce point. Aucune disparition d’actif ne peut donc être retenue, étant de surcroît observé que la victime de celle-ci aurait été le bailleur (ABFLM), et non la société [F] et Fils.

En troisième lieu, à supposer que le liquidateur ait entendu invoquer un usage détourné des matériels loués, force est de constater que la seule pièce invoquée par ce dernier, à savoir le « recolement d’inventaire », ne fait pas référence à un tel usage, même de manière implicite, et qu’il est de surcroît impossible de déterminer, à la lecture de ce document, qui dresse un état des matériels de la société [F] et Fils vendus ou restant à vendre, si les matériels susceptibles d’être revendiqués par des tiers étaient censés y apparaître.

Enfin, le caractère prétendument excessif du coût de la location de la pelle Doosan DX 180 n’est pas démontré – les loyers s’élevant à 4 537,13 euros TTC, hormis le premier, d’un montant de 24 000 euros TTC, seul mentionné par le liquidateur – et, en tout état de cause, fût-il démontré, n’est qualifiable ni de détournement, ni de « glissement » des actifs, et n’a pas profité à la société SATD (le bailleur étant la société ABLFM).

Il s’ensuit que la faute de gestion tenant au « glissement des actifs » vers la société SATD n’est pas constituée.

Les détournements d’actif et « subsidiairement » les paiements préférentiels après la cessation des paiements

Le liquidateur fait valoir que la société [F] et Fils a versé une somme totale de 120 000 euros à la société SATD entre le 4 janvier « 2015 » [lire 2016] et le 15 février 2016 et celle de 19 840 euros à la SCI JAT, détenue par la famille [F], les 20 janvier et 15 février 2016. Il estime que, sauf à être justifiés par des pièces comptables, les paiements intervenus doivent être qualifiés de « véritables détournements d’actif », prétend que l’authenticité des factures produites est douteuse, et souligne qu’en tout état de cause, lesdits paiements ont été effectués en période suspecte et confirment le « glissement du personnel, des machines, des clients et de la trésorerie » de la société [F] et Fils vers la société SATD.

M. [F] conteste l’existence de détournements d’actifs en arguant, d’une part, que les paiements invoqués sont justifiés par des factures et, d’autre part, que depuis leur création, les sociétés [F] et fils et SATD se louaient régulièrement du matériel au gré des besoins de leurs activités respectives et qu’il arrivait à la première de vendre du gasoil à la seconde.

Il est justifié par les pièces annexées au rapport OCA, et au demeurant non discuté, que la société [F] et Fils a payé :

– à la SARL SATD, la somme totale de 120 000 euros entre le 4 janvier et le 15 février 2016 (20 000, 1 400, 4 000, 16 000 et 34 000 euros les 4, 6, 20, 20 et 28 janvier 2016, 6 000, 13 400, 15 000 et 10 200 euros les 4, 8, 11 et 12 février 2016);

– à la SCI JAT, la somme de 13 630,15 euros le 20 janvier 2016 et celle de 6 210, 05 euros le 15 février suivant, soit un total de 19 630,15 euros, étant précisé que cette SCI est détenue par les membres de la famille [F], dont M. [F], et gérée par l’un d’entre eux.

Concernant la société SATD, M. [F] verse aux débats 15 factures d’un montant total de 490 254 euros TTC émises par cette dernière entre le 30 novembre 2014 et le 29 février 2016 au titre de la location de matériel et de la mise à disposition de « manoeuvre » et/ou d’un chauffeur de camion, qui ne mettent pas en exergue « un glissement du personnel, des machines [et] des clients » de la société [F] et Fils vers la société SATD et dont la seule absence de transmission à OCA ne peut suffire à remettre en cause l’authenticité.

Ni la facture du 30 novembre 2014 (44 352 euros TTC), qui porte la mention de son règlement en plusieurs fois en 2015 laissant subsister un solde créditeur de 4 648 euros au profit de [F] et Fils, ni celle du 29 février 2016 (9 000 euros TTC), émise après le 12 février 2016, ne peuvent servir à justifier les paiements litigieux, intervenus en 2016 (jusqu’au 12 février).

Les autres factures peuvent constituer la cause des paiements litigieux, sans qu’il soit possible de l’affirmer, aucun rapprochement précis ne pouvant être effectué entre les unes et les autres en l’absence d’éléments complémentaires. Il reste qu’en produisant ces factures, M. [F] justifie d’une créance de la société SATD sur la société [F] et Fils s’élevant à un total de 432 254 euros (490 254 – 44 352 – 4 648 – 9 000) et que la charge de la preuve du caractère non causé desdits paiements pèse sur le liquidateur.

En conséquence, le détournement d’actif n’est pas établi.

Pour autant, les paiements litigieux ont, comme le fait valoir le liquidateur, été opérés au cours de la période suspecte, qui s’étend du 31 décembre 2015 au 14 février 2016.

Le fait, pour M. [F], d’avoir autorisé des paiements préférentiels, de manière répétée et pour un montant total substantiel (120 000 euros) au profit d’une société dans laquelle il était intéressé, alors que la société [F] Père et Fils s’est trouvée, dans le même temps, dans l’incapacité de régler le dividende du plan exigible le 31 décembre 2015, l’exposant à une résolution de son plan de redressement, caractérise une faute de gestion.

Toutefois, le liquidateur ne justifie pas, ni même ne précise, en quoi le fait de payer la société SATD plutôt que d’autres créanciers (dont ceux inscrits au plan de redressement) a contribué à l’insuffisance d’actif.

S’agissant de la SCI JAT, le liquidateur n’établit pas que les deux paiements litigieux sont étrangers à l’exécution du bail commercial consenti par cette dernière à la société [F] et Fils, en particulier le second de 6 210, 05 euros dont le libellé sur le relevé de compte bancaire de la société [F] et Fils fait référence au loyer du mois d’avril 2015. La qualification de détournements de fonds ne peut donc être retenue.

Par ailleurs, le liquidateur ne justifie pas, ni même ne précise, en quoi le fait d’avoir avantagé la SCI JAT en procédant à des paiements préférentiels au profit de cette dernière en période suspecte a contribué à l’insuffisance d’actif.

Aucune condamnation ne peut donc être prononcée sur le fondement de l’article L. 651-2 du code de commerce à raison de la faute examinée.

* La condamnation à contribuer à l’insuffisance d’actif

En définitive, il n’a été imputé à M. [F] qu’une seule faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif de la société [F] et Fils, tenant à la politique de rémunération conduite.

Cette politique inadaptée, qui s’est traduite, au titre de l’exercice clos le 30 septembre 2015, par une augmentation de la masse salariale de 85 913 euros (hors charges sociales) par rapport à l’exercice précédent, et dont M. [F] a bénéficié à titre personnel, s’est poursuivie au profit de ce dernier après le 30 septembre 2015 et jusqu’à l’ouverture de la liquidation judiciaire (M. [F] continuant de percevoir une rémunération brute à son niveau augmenté et s’étant octroyé une prime exceptionnelle de 6 000 euros bruts au mois de décembre 2015).

En considération de ces éléments, et en l’absence de toute information fournie par M. [F] sur sa situation financière personnelle, ce dernier sera condamné à contribuer à l’insuffisance d’actif à hauteur de 80 000 euros, le jugement étant infirmé en ce qu’il a retenu un montant de 500 000 euros.

– Sur la sanction personnelle

L’article L. 653-4 du code de commerce dispose qu’est passible de faillite personnelle, le dirigeant d’une personne morale contre lequel a été relevé l’un des faits ci-après :

« 1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ;

2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;

3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l’intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;

4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements de la personne morale ;

5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale. »

Les conclusions du liquidateur reproduisent les 1° à 5° précités puis indiquent que

M. [F] :

– « en procédant au règlement de plus de 120 000 euros à la société SATD a usé des fonds comme des siens propres » ;

– « a utilisé le couvert de la société [F] pour développer une activité dont il a fait glisser l’actif vers une société qu’il dirige en lui laissant des dettes » ;

– a poursuivi abusivement l’exploitation dans un intérêt personnel au moyen de demandes de renvoi des audiences d’examen de la résolution du plan sous le prétexte fallacieux d’une possibilité d’apurement « du plan ».

Elles mentionnent également que « le détournement d’actif résultant du glissement sera sans doute ignoré dans toute son importance à raison de l’obscurité derrière laquelle le défendeur a choisi de se défendre auprès du mandataire et de l’audit ».

Enfin, elles comportent un paragraphe qui évoque des comportements passibles d’une interdiction de gérer en application de l’article L. 653-8 du code de commerce.

M. [F] fait valoir, en réponse, qu’il a pleinement coopéré avec les organes de la procédures, qu’il n’est pas justifié d’une quelconque carence de sa part pendant les opérations de liquidation judiciaire et qu’aucune « faute de gestion » ne peut lui être reprochée.

Les différents griefs seront examinés successivement ci-après.

L’utilisation, par M. [F], des biens de la société [F] et Fils comme des siens propres

Le liquidateur invoque le règlement, par la société [F] et Fils, d’une somme de 120 000 euros à la société SATD.

Il a été dit que cette somme constituait la contrepartie de prestations accomplies par la société SATD au profit de la société [F] et Fils.

En conséquence, le grief n’est pas caractérisé.

L’accomplissement, par M. [F], sous le couvert de la société [F] et Fils masquant ses agissements, d’actes de commerce dans un intérêt personnel

Le liquidateur estime que M. [F] a utilisé le couvert de la société [F] pour développer une activité dont il a fait « glisser » l’actif vers une société dirigée par lui.

Il a été dit, lors de l’examen de la responsabilité pour insuffisance d’actif, que le « glissement des actifs » allégué n’était pas établi.

Le grief doit donc être écarté.

L’usage, par M. [F], des biens ou du crédit de la société [F] et Fils contraire à l’intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement

Invité par la cour à préciser les faits exposés dans ses conclusions caractérisant le grief examiné, le liquidateur a indiqué, dans sa note en délibéré du 6 octobre 2021, que celui-ci recouvrait « l’organisation du glissement des actifs de la société [F] et Fils vers la société SATD ».

Le grief ne peut être retenu, pour les motifs exposés lors de l’examen du précédent grief.

La poursuite abusive par M. [F], dans un intérêt personnel, d’une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements

Il a été dit, lors de l’examen des fautes de gestion, que M. [F] avait poursuivi une exploitation déficitaire, notamment à compter de septembre 2015 et jusqu’à la liquidation judiciaire du 15 février 2016 (seule période invoquée par le liquidateur).

La société [F] et Fils étant soumise à un plan de redressement, ayant dégagé des déficits d’exploitation au titre de tous les exercices suivant l’arrêté de ce plan, d’un montant cumulé de 2 224 865 euros, et affichant, au 30 septembre 2015, des capitaux propres négatifs de – 5 636 588 euros, c’est de manière abusive que M. [F] a prolongé la survie de l’entreprise en obtenant des modifications du plan, dont il ne pouvait ignorer qu’elles étaient impropres à remédier à une absence de viabilité structurelle.

Dans une situation qui conjuguait, d’un côté, une absence de création de richesse et d’apports de fonds par les actionnaires et, de l’autre, une progressivité importante des dividendes du plan, la cessation des paiements était inéluctable et ce, à court terme comme en atteste l’incapacité dans laquelle s’est trouvée la société [F] et Fils de régler à bonne date les deux premiers dividendes.

Enfin, la poursuite abusive de l’exploitation déficitaire a permis à M. [F] et à son père de percevoir des rémunérations non négligeables entre les mois d’octobre 2015 et de janvier 2016 (13 676,23 euros nets pour M. [F] et 19 367,75 euros nets pour le père de ce dernier) ainsi qu’aux sociétés SATD et JAT, sociétés familiales dans lesquelles M. [F] avait lui-même un intérêt direct, en tant qu’associé et/ou dirigeant, d’obtenir des paiements préférentiels d’un montant total de 139 840 euros.

Le grief est donc caractérisé.

Les détournements d’actif

Il a été retenu, lors de l’examen de la responsabilité pour insuffisance d’actif, qu’aucun détournement d’actif n’était établi.

Le grief ne peut donc être retenu.

Les manquements aux obligations de remettre les renseignements prévus par l’article L. 622-6 du code de commerce et de fournir l’information prévue par le second alinéa de l’article L. 622-22 du même code

L’article L. 653-8, alinéa 2, du code de commerce, dispose :

« L’interdiction [de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci] mentionnée au premier alinéa peut également être prononcée à l’encontre de toute personne mentionnée à l’article L. 653-1 qui, de mauvaise foi, n’aura pas remis au mandataire judiciaire, à l’administrateur ou au liquidateur les renseignements qu’il est tenu de lui communiquer en application de l’article L. 622-6 dans le mois suivant le jugement d’ouverture ou qui aura, sciemment, manqué à l’obligation d’information prévue par le second alinéa de l’article L. 622-22. »

Un paragraphe des conclusions du liquidateur fait référence à ces dispositions en ces termes:

« Très subsidiairement le tribunal [lire la cour] sait que d’autres comportements définis par l’article L. 653-8 du code de commerce, savoir le fait de n’avoir pas remis au mandataire judiciaire, à l’administrateur ou au liquidateur les renseignements qu’il est tenu de lui communiquer en application de l’article L. 622-6 dans le mois suivant le jugement d’ouverture ou de, sciemment, manqué à l’obligation d’information prévue par le second alinéa de l’article L. 622-22, ouvrent à des sanctions d’interdiction de gérer ».

La formulation employée conduit à se demander si le liquidateur a bien entendu se prévaloir de faits sanctionnés par l’article L. 653-8, alinéa 2, du code de commerce, étant observé que le tribunal, auquel le même paragraphe a été soumis, ne les a pas examinés.

Invité à préciser ce point, le liquidateur a, dans sa note en délibéré du 6 octobre 2021, répondu par l’affirmative, en faisant valoir, à cet égard, que le dispositif de ses conclusions demandait à titre subsidiaire la condamnation de M. [F] à une interdiction de gérer.

Les autres faits imputés à M. [F] par le liquidateur sont passibles d’une faillite personnelle, et non pas exclusivement d’une interdiction de gérer, mais il convient de rappeler que cette dernière sanction peut, dans tous les cas, être prononcée à la place de la faillite personnelle, de sorte que les explications du liquidateur ne sont pas pleinement convaincantes.

Il reste, d’une part, que les faits considérés sont bien évoqués dans les conclusions du liquidateur et, d’autre part, que le dispositif de celles-ci comporte une demande subsidiaire de prononcé de la seule sanction encourue à ce titre.

Ces faits seront donc examinés.

Les articles L. 622-6 et L. 622-22, alinéa 2, du code de commerce obligent le débiteur, respectivement, à remettre au liquidateur une liste comportant l’indication de ses créanciers, du montant de ses dettes et des principaux contrats en cours et à informer le créancier poursuivant partie à une instance en cours de l’ouverture de la procédure collective dans les dix jours de celle-ci.

Le liquidateur n’indique pas quels renseignements prévus par l’article L. 622-6 ne lui auraient pas été remis, alors que l’état du passif antérieur versé aux débats, qui comporte la mention de créances déclarées par la société [F] et Fils, atteste de la fourniture d’au moins une partie d’entre eux, ni ne produit aucune lettre les réclamant.

Il s’abstient également de mentionner les instances en cours au titre desquelles la société [F] et Fils aurait été tenue de délivrer l’information prévue par l’article L. 622-22, alinéa 2.

Dans ces conditions, et compte tenu de ce que M. [F] conteste avoir fait preuve de carence, le grief ne sera pas retenu.

La sanction

Si un seul fait a été relevé à l’encontre de M. [F], celui-ci est d’une gravité certaine, compte tenu des avantages qu’en ont retiré M. [F] et sa famille, du caractère manifeste de l’absence de viabilité de l’entreprise et de la stratégie contre-productive adoptée par l’intéressé, consistant à prolonger la survie de la société [F] et Fils par l’obtention de reports de paiement des dividendes du plan de redressement.

En conséquence, il sera infligé à M. [F] une interdiction de gérer de 3 ans, le jugement étant infirmé en ce qu’il a prononcé une faillite personnelle d’une durée de 5 ans.

– Sur les dépens et frais irrépétibles

M. [F], qui succombe partiellement, sera condamné aux dépens de première instance, le jugement étant infirmé de ce chef, et d’appel.

La condamnation au paiement de la somme de 5 000 euros prononcée en première instance à l’encontre de M. [F] en application de l’article 700 du code de procédure civile sera confirmée, sans qu’il y ait lieu d’allouer au liquidateur une somme complémentaire sur le fondement du même texte au titre des frais irrépétibles exposés par ce dernier à hauteur d’appel.

PAR CES MOTIFS,

Infirme le jugement, sauf en ce qu’il a reçu en ses demandes la SCP Angel Hazane, en qualité de liquidateur de la société [F] et Fils, et condamné M. [R] [F] à payer à cette dernière la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne M. [R] [F] à payer à la SCP Angel Hazane, en qualité de liquidateur de la société [F] et Fils, la somme de 80 000 euros sur le fondement de l’article L. 651-2 du code de commerce,

Prononce à l’encontre de M. [R] [F], né le [Date naissance 6] 1982 à [Localité 7] (77), une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale pour une durée de 3 ans,

Rejette les demandes présentées en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés à hauteur d’appel,

Condamne M. [R] [F] aux dépens de première instance et d’appel.

La greffière ,

Liselotte FENOUIL

La Présidente,

Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT

 


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