Location de matériel : 10 février 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 20/00152

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Location de matériel : 10 février 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 20/00152
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10 février 2023
Cour d’appel de Lyon
RG n°
20/00152

AFFAIRE PRUD’HOMALE : COLLÉGIALE

N° RG 20/00152 – N° Portalis DBVX-V-B7E-MZI5

[Y]

C/

Société POLYGON FRANCE

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de LYON

du 17 Décembre 2019

RG : 14/02334

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRÊT DU 10 FEVRIER 2023

APPELANT :

[U] [Y]

né le 19 Juillet 1980 à [Localité 7]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Arême TOUAHRIA, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

Société POLYGON FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES – LEXAVOUE LYON, avocat postulant inscrit au barreau de LYON, et représentée par Me Sonia BARGE, avocat plaidant inscrit au barreau de HAUTS-DE-SEINE

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 15 Décembre 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Béatrice REGNIER, Présidente

Catherine CHANEZ, Conseiller

Régis DEVAUX,Conseiller

Assistés pendant les débats de Rima AL TAJAR, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 10 Février 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Béatrice REGNIER, Présidente, et par Rima AL TAJAR, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

EXPOSE DU LITIGE

La société Polygon France (ci-après, la société) est spécialisée dans l’assèchement et le nettoyage après sinistre et décontamination de bâtiments et de matériels après incendie.

Elle applique la convention collective des entreprises de la propreté.

M. [U] [Y] a été embauché par la société par contrat à durée indéterminée à compter du 11 janvier 2010, en qualité de chef de chantier décontamination-assèchement non cadre, 1er niveau.

Le 19 mars 2014, la société a notifié à son salarié une mise à pied disciplinaire d’un jour ouvré, le 1er avril suivant, notamment suite à l’insatisfaction d’un client (mauvaise protection de l’alarme ayant entrainé une défaillance, mauvaise qualité du nettoyage, travail en partie réalisé par le client).

Par courrier du 1er juillet 2014, la société a notifié à M. [Y] un rappel à l’ordre, en raison de l’exercice de son droit de retrait pour un prétexte non avéré, et sans en aviser sa hiérarchie.

Par requête reçue au greffe le 13 juin 2014, M. [Y] a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon aux fins de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de son employeur et de condamnation de ce dernier à lui verser diverses sommes à caractère salarial et indemnitaire.

Par courrier du 6 mars 2015, M. [Y] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 19 mars, entretien auquel il ne s’est pas rendu. La société lui a alors adressé un courrier reprenant les griefs dont elle entendait s’entretenir avec lui et il a répondu par un courrier de contestation, en date du 30 mars.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 avril 2015, la société lui a notifié son licenciement en ces termes :

« ‘Vous avez été engagé à compter du 11 janvier 2010 en qualité de chef de chantier décontamination. Vous effectuez vos fonctions depuis notre site de [Localité 6], situé à proximité de [Localité 7].

Alors que nous vous avions déjà alerté à plusieurs reprises sur votre attitude au travail depuis votre embauche, votre comportement lors de la dernière réunion sur [Localité 7] en date du 5 mars a atteint un point de non-retour.

Cette réunion avait pour objectif de restituer les résultats de l’enquête de satisfaction des salariés de Polygon réalisée entre le 20 janvier et le 6 février, à l’initiative du Groupe.

L’objectif de cette enquête était notamment d’évaluer au sein de chacune des entités du Groupe l’ambiance de travail et la perception par les salariés de leur hiérarchie et de leurs conditions de travail.

Les résultats de cette enquête se sont révélés particulièrement positifs. Nous avons convié tous les salariés de l’agence de [Localité 7] afin de faire un bilan collectif sur ces résultats et de discuter des éventuelles actions d’amélioration à prendre sur quelques points particuliers, tels que des réunions opérationnelles plus régulières ou un entretien annuel de performances plus efficient.

Cet échange devait ainsi être un moment d’écoute et de partage faisant nécessairement appel à un état d’esprit constructif et collaboratif.

Or, vous n’ayez eu de cesse de m’interrompre et de me couper ouvertement ta parole, ce que vous ne contestez pas dans votre courrier du 30 mars dernier.

Egalement, le ton que vous avez employé était particulièrement inapproprié, voire vindicatif et agressif.

A titre d’exemple :

A la question « Avez-vous l’opportunité d’évoluer dans votre travail ‘ » qui apparaissait comme l’un des 3 axes de travail que le questionnaire avait relevés, vous avez répondu sur un ton réprobateur que « cela faisait 5 ans que vous étiez au sein de la société et que rien ne changeait ». J’ai alors rappelé que nous organisions des formations régulières et que vous aviez d’ailleurs suivi la formation Assèchement en janvier 2015. Vous m’avez interrompu brusquement en affirmant « qu’on vous avait dit que vous feriez du Diagnostic de Fuites, mais jusqu’ici rien ». Afin de recadrer le débat et de laisser la parole à vos collègues, j’ai dû vous rappeler que l’objet de la réunion portait sur l’année 2014 pour l’ensemble de l’équipe, et qu’il ne s’agissait pas de votre évaluation depuis votre entrée chez Polygon.

Sur les questions « Recevez-vous régulièrement du feed-back sur votre rendement au travail ‘ » et « Pensez-vous que vos Entretiens Annuels de Performance sont utiles ‘ », vous avez tout de suite pris la parole pour indiquer que « cela ne servait à rien, que cela faisait 5 ans que vous étiez chez Polygon et que rien ne changeait, que c ‘était toujours pareil ». Là encore, votre discours était particulièrement critique à notre égard et non fondé, et vous n’avez proposé en tout état de cause aucune éventuelle action corrective précise et concrète. Voue ton était particulièrement déplacé, et vous persistiez à ramener l’échange uniquement sur vous.

Face à votre posture provocatrice, nous avons effectivement réagi en doutant de votre plein et entier investissement, d’autant plus avec l’action prud’homale en cours.

Vous nous avez alors vivement reproché de faire état de cette action devant les autres salariés. Or, comme toute action prud’homale, cette action est publique et nous ne sommes tenus à aucune obligation de confidentialité à ce sujet.

Compte tenu de l’état de tension, dans un souci d’apaiser le propos, je vous ai proposé de vous recevoir à l’issue de la réunion, ce que vous avez accepté. Il s’agissait aussi de ne pas monopoliser la parole sur votre situation individuelle au détriment de l’objectif collectif de la réunion.

Une fois dans une autre salle, vous avez très vite refusé tout échange, invoquant le droit de ne pas être seul mais assisté ‘ alors qu’il ne s’agissait nullement d’un entretien formel. Vous vous êtes vivement emporté, allant jusqu’à taper violemment du poing sur la table, me pointant du doigt et quittant la salle brusquement.

Vous répondez dans votre courrier du 30 mars 2015, avoir été « contraint » de rester seul avec moi, vous prétendez que c’est moi qui vous aurais « pointé du doigt ».

Cela n’est pas sérieux de déformer à ce point la réalité. Vous ne contestez d’ailleurs pas avoir violemment tapé du poing sur la table, et pour cause.

Vos comportement et attitude tant lors de cette réunion collective que lors de notre entrevue sont inacceptables.

Outre ce nouvel incident, de manière générale, la communication est devenue impossible. En effet, tout est devenu source de mauvaises interprétations et de conflits.

En tant que Directeur Général de la Société POLYGON FRANCE, je me rends une à deux fois par mois au sein de l’agence de [Localité 6] afin notamment de faire le point sur l’activité et rencontrer chacun d’entre vous si besoin.

Au cours de ces derniers mois, je n’ai pu que constater que vous refusiez toute discussion normale.

Ainsi, lors de mon passage courant janvier 2015, vous m’avez notamment parlé de votre formation « Poids Lourds » initiée sous la forme d’un CIF en novembre 2013 mais non validée. Vous m’avez répondu que vous en perdriez le bénéfice et devriez alors rembourser une partie des sommes engagées si vous ne la repreniez pas sous les prochains mois. Nous avons alors convenu de nous revoir en mars 2015, à ce sujet. Lors de mon passage sur [Localité 7] le 20 février, je vous ai appelé mais cela n’a pas été très constructif.

Nous ne pouvons vous laisser dire aujourd’hui que vous n’avez pas pu effectuer toutes les heures de formation car nous aurions refusé « un changement de date ».

Vous faites preuve ici d’une particulière mauvaise foi puisque la seule raison pour laquelle vous n’avez pas pu poursuivre votre formation est que vous n’avez pas validé la première épreuve dite de « plateau » ! Moins de 3 mois après cette formation, vous nous avez à nouveau sollicités pour repasser cette formation, ce que nous avons refusé pour des raisons parfaitement fondées et justifiées.

Egalement, vous cultivez un mauvais état d’esprit à l’égard de Polygon, ne cessant de critiquer ouvertement notre gestion sociale.

Or, tant sur le plan collectif qu’individuel, vos allégations sont en parfaite contradiction avec la réalité de notre entreprise, D’un point de vue collectif, les procédures spécifiques en place (formations régulières ; enquête de satisfaction sur le bien-être des salariés au travail ; journée séminaire POLYGON, etc…) démontrent au contraire que nous sommes attentifs à l’ambiance de travail et à l’évolution professionnelle de chacun de nos salariés.

A titre individuel, vous avez dernièrement bénéficié d’une journée de formation assèchement (en janvier 2015) ainsi que d’un bonus en ce début d’année alors que d’autres salariés n’en n’ont pas bénéficié.

Vous alléguez encore ne pas avoir suivi diverses formations.

Cependant :

Vous avez suivi et êtes à jour des formations nécessaires pour ta bonne tenue de votre poste. Vous ayez en effet suivi les formations « Gestes et Postures » et « CACES pour conduite de plateformes élévatrices de personnes catégorie 3B » qui est valable 5 ans, respectivement en mai et décembre 2011. Plus récemment, vous avez suivi la formation Assèchement. En revanche, la formation électrique est réservée plus spécifiquement et en priorité aux techniciens Assèchement.

Sur la formation amiante : comme nous vous l’avions déjà expliqué, une première session de formation amiante avait été organisée en février 2014. Nous comptions organiser une deuxième session pour les salariés n’en ayant pas bénéficié début d’année 2014. Toutefois, n’ayant reçu aucune demande client de chantier amiante depuis cette 1ère session, POLYGON France a décidé de reporter le 2nde session.

Enfin, sur la formation secourisme, il n’y a aucune obligation légale de dispenser cette formation.

Vous avez reçu un avertissement en septembre 2011, une mise à pied disciplinaire en mars 2014, et un courrier de rappel à l’ordre en juillet 2014.

Malgré cela, vous persistez dans une posture conflictuelle et refusez de reconnaître vos erreurs de jugement.

Vos observations dans votre courrier du 30 mars 2015, qui continuent à déformer la réalité, ne font d’ailleurs que renforcer ce constat.

Nous sommes face à une situation intenable et ingérable.

L’entreprise a besoin de collaborateurs dédiés à son service et exécutant de bonne foi leur contrat de travail. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

En conséquence, nous n’avons pas d’autre choix que de vous notifier par la présente votre licenciement pour non-respect répété et infondé du pouvoir de direction de l’employeur, empêchant l’exécution normale du contrat de travail’ »

Les demandes présentées par M. [Y] devant le conseil de prud’hommes se sont alors étendues au licenciement et à ses conséquences.

Sur saisine de M. [Y], le conseil de prud’hommes, en sa formation de référés, a rendu le 13 avril 2016 une ordonnance ordonnant notamment à la société de transmettre à l’intéressé le bulletin d’affiliation à la mutuelle Axa sous astreinte de 20 euros par jour de retard après le 15ème jour suivant son prononcé.

Par jugement de départage du 17 décembre 2019, le conseil de prud’hommes a :

– Débouté M. [Y] de l’intégralité de ses demandes,

– Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamné M. [Y] aux dépens.

Par déclaration du 8 janvier 2020, M. [Y] a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions notifiées, déposées au greffe le 11 mars 2020, M. [Y] demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris:

A titre principal,

Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail ;

Condamner la société à lui verser la somme de 19 800 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

A titre subsidiaire,

Condamner la société à lui verser la somme de 19 800 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

En tout état de cause,

Condamner la société à lui verser les sommes de :

7 500 euros à titre de dommages et intérêts pour le non-respect des règles de sécurité,

5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour inégalité de traitement,

7 500 euros à titre de dommages et intérêts pour les pressions exercées,

3 300 euros à titre de dommages et intérêts pour le retard en matière de portabilité et l’erreur dans la déclaration Pôle Emploi ;

Condamner la société à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société aux dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées, déposées au greffe le 29 avril 2020, la société demande pour sa part à la cour de :

In limine litis, écarter des débats les photos non identifiées et non identifiables produites en pièce n°33 et pièce n°34 par M. [Y] ;

Sur le fond, confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris, et en conséquence,

Débouter M. [Y] de ses demandes ;

Lui donner acte du règlement intervenu de l’erreur de paie d’un montant de 440,15 euros bruts et les congés afférents de 44,01 euros bruts, avec le bulletin de paie correspondant par chèque établi à l’ordre de M. [Y] pour un montant total de 373,02 euros nets le 4 avril 2017 ;

A titre subsidiaire sur le licenciement, si le licenciement était jugé sans cause réelle et sérieuse, limiter l’indemnisation à 6 mois, soit 9 900 euros bruts ;

A titre d’appel incident,

Condamner M. [Y] à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Laisser les éventuels dépens à sa charge.

La clôture est intervenue le 8 novembre 2022.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, la cour rappelle qu’elle n’est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » ou de « dire » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions dans la mesure où elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques ou qu’elles constituent en réalité des moyens.

Par ailleurs, la cour rejette la demande de la société visant à faire écarter des débats les pièces 33 et 34 de l’appelant, dans la mesure où leur validité n’est pas contestée et où il revient à la cour de forger sa conviction au regard des moyens de droit et de fait développés par les parties.

1-Sur la demande de dommages et intérêts pour non-respect des règles de sécurité

En vertu de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et doit les mettre en ‘uvre suivant les principes généraux de prévention mentionnés à l’article L. 4121-2 de ce même code.

M. [Y] se prévaut de divers manquements supposés de son employeur aux règles de sécurité pour solliciter des dommages et intérêts.

Cependant, sur la conduite d’engins de chantier sans disposer de l’habilitation ni de la formation requises, l’employeur réplique qu’il n’a jamais été amené à conduire des engins autres que ceux pour lesquels il a suivi la formation « CACES pour la conduite des plates-formes élévatrices de personnes R386 catégorie 3B » en décembre 2011 et il ne saurait être exigé de lui qu’il rapporte la preuve d’un fait négatif, le salarié ne versant aux débats que des photographies insusceptibles de le contredire.

Sur la présence d’amiante, la société produit le rapport d’expertise rédigé précisément suite au courriel que lui a adressé M. [Y] pour le chantier d'[Localité 5], lequel fait état de l’absence de ce matériau.

Sur les équipements de sécurité indispensables (lunettes de sécurité et masques à poussière) dont il n’aurait pas été doté, la société justifie par des notes de service de 2007 et 2011 et des bons de commande et factures, de la fourniture des équipements nécessaires, à savoir, outre une tenue vestimentaire complète, des chaussures de sécurité, gants, casques, masques, combinaisons jetables, baudriers.

Quant aux produits censément dangereux dont M. [Y] verse les étiquettes aux débats, l’employeur fait valoir qu’il s’agit de produits adaptés à son activité, qu’il a été doté des équipements de sécurité indispensables et qu’il a participé à des formations internes sur les équipements de protection.

La société démontre ainsi qu’elle a respecté son obligation de sécurité. M. [Y] doit être débouté de sa demande de dommages et intérêts, comme en a jugé le conseil de prud’hommes.

2-Sur la demande de dommages et intérêts pour « les pressions exercées »

M. [Y] se fonde sur l’article L1152-1 du code du travail pour solliciter des dommages et intérêts, alléguant des pressions subies, à l’instar d’autres salariés, des mises à l’écart, des brimades, les faits s’étant amplifiés lorsqu’il a demandé des explications sur sa classification.

Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l’article L.1154-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L.1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

M. [Y] fait valoir qu’à partir de mars 2014, la société a trouvé des prétextes pour lui faire des reproches sur son travail et qu’elle aurait cherché à le contraindre d’accepter une rupture conventionnelle. Il aurait fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire et d’un rappel à l’ordre injustifiés.

Il n’aurait jamais bénéficié de formations, aurait alerté en vain son supérieur hiérarchique et les délégués du personnel et à l’issue de la réunion du 5 mars 2015 au cours de laquelle le directeur général aurait révélé à l’ensemble des salarié l’existence de la procédure prud’homale en cours, ce dernier l’aurait pris à partie et aurait tenté d’exercer des pressions sur lui.

Il verse aux débats des pièces médicales et en particulier le certificat du docteur [E], spécialiste en maladies nerveuses, qui relève qu’il « présente un état anxio-dépressif associant une perte de confiance en soi, une tendance au repli et à l’isolement. », que « les ruminations sur le conflit professionnel sont incessantes », que « les cauchemars où il est revécu de manière angoissante sont très fréquents ».

M. [Y] verse également l’attestation de son ancien collègue M. [L], qui fait la liste des décisions prises par la société qui lui paraissent constituer un acharnement contre lui : échange de véhicules, enlèvement de sa caisse à outils, prime semestrielle nulle, sanction inéquitable après le chantier de [Localité 8]’

Ces divers éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L.1152-1 du code du travail.

La société se défend de tout harcèlement et justifie que M. [Y] a régulièrement bénéficié de formations professionnelles (novembre 2010 ; mai 2011 ; décembre 2011 ; septembre-octobre 2013 ; janvier 2015), précise sans être contredite que s’il n’a pu achever la formation au permis poids-lourds, c’est parce qu’il avait échoué à l’épreuve de plateau et que la réglementation ne lui permettait pas de bénéficier d’un nouveau congé-formation avant un certain délai fixé par l’article R.6322-10 du code du travail.

Elle explique avoir repris possession de son véhicule de service et de son matériel pendant son arrêt de maladie et avoir procédé à un changement de véhicule de service, suite à sa reprise par le loueur. Elle en justifie, tout comme elle apporte la preuve que de nombreux véhicules Fiat Scudo équipaient les collègues de M. [Y].

La société donne la liste des primes perçues par le salarié, ce qui permet de relever qu’il n’en a perçu aucune entre juin 2013 et décembre 2014, mais la cour constate par ailleurs que l’évaluation annuelle, faite le 23 janvier 2014, soit avant le mois de mars 2014 que M. [Y] situe comme le début des reproches sur son travail, n’était pas bonne et que le salarié a fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire et d’un rappel à l’ordre.

Sur la mise à pied, consécutive à des défaillances commises sur le chantier de [Localité 8] (début 2014), les pièces de la société (courriel du client et procès-verbal de réception) démontrent amplement que le travail n’a pas été réalisé correctement par les salariés, et dans son attestation, M. [L], qui affirme avoir achevé le chantier avec M. [B] alors qu’il avait été commencé par MM. [Y] et [X], reconnait que le client s’est plaint, mais affirme que les fautes étaient partagées et qu’il est injuste que seuls les salariés de la première équipe aient été réprimandés, le premier par un avertissement et le second par un licenciement. La mise à pied disciplinaire était donc parfaitement justifiée.

Quant au rappel à l’ordre du 1er juillet 2014, M. [Y] ne conteste pas qu’il a fait suite à son retrait du chantier sous le prétexte non avéré d’un risque d’écroulement du plafond.

Les autres exemples de harcèlement cités dans les attestations de MM. [R] et [L] sont trop imprécis pour pouvoir être sérieusement débattus, tout comme les accusations de mises à l’écart faites par M. [Y].

La société produit le courrier qu’elle a adressé à M. [Y] à la suite de son courrier du 3 février 2014 et dont il déplore qu’il n’ait reçu aucune suite. Il apparait en définitive que ledit courrier apparaissait comme une photocopie incomplète, s’achevant sans signature ni formule de politesse, avec la partie droite tronquée et que M. [Y] ne lui a pas répondu lorsqu’elle lui a fait part de ses interrogations sur l’existence d’une page supplémentaire.

Quant à la réunion du 5 mars 2015, il ressort amplement des attestations produites par la société que M. [Y] s’est montré très agressif envers le directeur général et qu’il en a perturbé le bon déroulement.

De même, le contrôle demandé par l’employeur lorsque M. [Y] a été placé en arrêt de maladie du 27 juillet au 8 octobre 2012 relève de son pouvoir de direction et ne saurait en soi être assimilé à du harcèlement, sauf circonstances particulières, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, s’agissant d’un unique contrôle sur un arrêt relativement long.

Enfin, M. [L] évoque dans son attestation deux discussions auxquelles il aurait assisté, dont l’une par téléphone, entre M. [Y] et des cadres de la société, dont le directeur général, visant à le convaincre d’accepter un arrangement. Son témoignage est cependant très imprécis et en particulier il n’indique pas comment il a pu être témoin de propos tenus au téléphone.

La société parvient en somme à combattre utilement chacun des faits exposés par M. [Y].

Le jugement sera confirmé en ce qu’a débouté M. [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

3-Sur la demande de dommages et intérêts pour inégalité de traitement

M. [Y] demande des dommages et intérêts pour inégalité de traitement, mais en se fondant sur l’article L1132-1 du code du travail, qui, dans sa version applicable à l’espèce, disposait : « Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L.3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m’urs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap. »

Pour évoquer l’existence d’une discrimination, il ne suffit pas de faire valoir une inégalité de traitement, il faut aussi qu’elle s’explique par une ou plusieurs des caractéristiques propres à la personne qui la subit.

M. [Y], qui reste muet sur ce point, ne peut donc qu’être débouté de sa demande de dommages et intérêts à ce titre. Le jugement sera confirmé également de ce chef.

4-Sur la demande de résiliation judiciaire

Le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur en cas de manquements suffisamment graves de ce dernier à ses obligations, de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

La résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse avec toutes ses conséquences de droit.

Les manquements de l’employeur doivent être appréciés en tenant compte des circonstances intervenues jusqu’au jour du présent arrêt.

Lorsque le salarié est licencié après l’introduction de son action en résiliation du contrat de travail, le juge examine d’abord la demande de résiliation avant de rechercher le cas échéant si le licenciement était fondé.

En l’espèce, M. [Y] retient comme manquements de l’employeur le non-respect de son obligation de sécurité, les pressions et l’inégalité de traitement dont il aurait été victime, le versement avec retard de son rappel de salaire, les heures supplémentaires non rémunérées et sa sous-classification.

Les deux premiers griefs ont déjà été examinés par la cour. Ils ne sont pas avérés.

Sur le rappel de salaire, il est constant que la société, qui évoque une erreur de mise à jour du traitement de la paie, a procédé tardivement à son paiement, en juin 2017.

M. [Y] affirme avoir effectué des heures supplémentaires de façon régulière, mais sans pouvoir formuler de demande chiffrée.

Sur la classification, M. [Y] considère qu’il aurait dû être classé à l’échelon 2 et non à l’échelon 1, comme d’autres chefs de chantier.

La convention collective réserve cependant l’échelon 2 aux salariés capables de « prendre des initiatives afin de résoudre les problèmes et de rechercher des solutions », alors que les salariés relevant du 1er échelon « [suivent] et [adaptent] des directives précises et impératives ».

M. [Y], sur qui pèse la charge de la preuve, produit, outre des bulletins de salaire de collègues, lesquels sont inopérants car étrangers à sa propre situation, l’attestation de M. [L] qui affirme que son collègue encadrait des intérimaires et qu’il a mis en place des chantiers assèchement en son absence.

Cette attestation est trop imprécise pour avoir une valeur probante suffisante et elle ne démontre pas que M. [Y] était capable de prendre des initiatives, alors que la société affirme qu’il n’était chargé que de tâches simples de nettoyage, déblaiement, sauvetage et protection des biens.

Enfin, M. [Y] se prétend moins bien traité que ses collègues en matière de rémunération, de formation et de possibilités d’accès à certains postes.

Ses moyens tirés du non-respect de la classification conventionnelle, de l’absence de primes et du refus de formations et du changement de véhicule de service ont déjà été examinés par la cour. Il convient simplement d’ajouter que M. [Y] n’a pas participé à des formations sur l’amiante au motif qu’il n’intervenait pas sur des chantiers contaminés et que les différences de statut et de salaire qu’il évoque avec certains de ses collègues sont justifiées par des fonctions différentes, (MM. [X] et [L]) ou par une ancienneté supérieure (M. [R]).

Quant au poste spécialisé dans l’assèchement que la société ne lui a pas proposé fin 2011, M. [Y] est trop imprécis tant sur l’intitulé du poste que sur la date du recrutement pour que la cour considère qu’il a été victime d’une inégalité de traitement.

Enfin, M. [Y] se prévaut d’avoir dû avancer des fonds pour louer ou acquérir du matériel pour ses chantiers, au-delà de l’avance de 300 euros consentie par son employeur. Il communique des notes de frais. Le dépassement concerne cependant des frais d’hôtel, le matériel représentant des sommes minimes. M. [Y] produit également des factures de location de matériel, mais elles sont à l’ordre de la société, avec un règlement à 45 jours fin de mois.

En conclusion, M. [Y] n’établit qu’un manquement susceptible de venir à l’appui de sa demande de résiliation judiciaire, à savoir le non-respect de la convention collective et le rappel de salaire qui s’en est suivi en juin 2017 seulement. Ce manquement n’est pas d’une gravité telle qu’il ait empêché la poursuite de la relation de travail.

Le jugement doit être confirmé en ce qu’il a débouté M. [Y] de sa demande de résiliation judiciaire.

5-Sur le licenciement

Aux termes de l’article L.1235-1 du code du travail, le juge doit apprécier la régularité de la procédure de licenciement et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur.

En application de l’article L.1232-6 du même code, la lettre de licenciement fixe les limites du litige. La cause du licenciement doit être objective et reposer sur des faits matériellement vérifiables. Les faits doivent être établis et constituer la véritable cause de licenciement. Enfin, les faits invoqués doivent être suffisamment pertinents pour justifier le licenciement. Il appartient au juge du fond, qui n’est pas lié par la qualification donnée au licenciement, de vérifier la réalité des faits reprochés au salarié et de les qualifier, puis de dire s’ils constituent une cause réelle et sérieuse au sens de l’article L.1232-1 du code du travail, l’employeur devant fournir au juge les éléments lui permettant de constater le caractère réel et sérieux du licenciement.

En l’espèce, dans sa lettre de licenciement, l’employeur retient comme motif le non-respect répété et infondé du pouvoir de direction de l’employeur, empêchant l’exécution normale du contrat de travail.

Il cite le comportement du salarié pendant et à l’issue de la réunion du 5 mars 2015, le refus manifesté par lui d’échanger avec le directeur général à l’occasion de ses déplacements à l’agence, son « mauvais esprit », ses critiques récurrentes de la « gestion sociale » et ses fausses allégations sur son manque de formation.

La société communique les attestations de deux de ses salariés ayant assisté tant à la réunion du 5 mars qu’à l’entretien qui s’en est suivi entre le directeur général et M. [Y]. Ces salariés confirment que leur collègue a perturbé la réunion et qu’il a ensuite été agressif envers le directeur. M. [N] précise même qu’il a tapé du poing sur la table.

Ce comportement est en effet intolérable, en soi et surtout en ce qu’il s’inscrit dans une série de récriminations injustifiées sur le manque de formations et en particulier sur l’interruption de la formation poids-lourds, sur la présence d’amiante et sur son manque d’évolution, alors que parallèlement, il faisait l’objet d’une mise à pied disciplinaire et d’un rappel à l’ordre. Les témoignages de satisfaction de clients et les attestations de collègues qui appréciaient M. [Y] ne peuvent permettre dans un tel contexte de nier le caractère réel et sérieux du licenciement.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

6-Sur l’attestation Pole Emploi et la portabilité de la mutuelle

M. [Y] soutient que la société a commis une erreur dans l’attestation destinée au Pôle emploi et qu’il n’a pu bénéficier de la portabilité de la mutuelle après décembre 2014 par sa faute.

Il communique l’impression d’une capture d’écran d’origine indécelable, portant mention de la somme de 21 484,09 euros dans la case « Total des sommes ou indemnités légales, conventionnelles ou transactionnelles inhérentes à la rupture », sur laquelle aucune indication ne permet de connaître le nom de la personne concernée, d’autant que 2 patronymes différents du sien y figurent. Par ailleurs, même si ce document se rapporte bien à lui, il n’apporte pas la preuve que ce montant a été renseigné suite à une erreur de la société.

Quant à la mutuelle, il n’établit pas un quelconque manquement de l’employeur dans le retard apporté à la validation de la portabilité de la mutuelle, alors que les échanges épistolaires entre les avocats montrent que M. [Y] aurait tardé à transmettre les justificatifs nécessaires à la mutuelle.

Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu’il a débouté M. [Y] de sa demande de dommages et intérêts.

7-Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Les dépens de l’instance d’appel seront laissés à la charge de M. [Y].

L’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme en toutes ses dispositions le jugement prononcé le 17 décembre 2019 par le conseil de prud’hommes de Lyon ;

Y ajoutant,

Rejette la demande de la société Polygon France de voir écarter des débats les pièces 33 et 34 de M. [U] [Y] ;

Laisse les dépens d’appel à la charge de M. [U] [Y] ;

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel ;

Le Greffier La Présidente

 


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